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Date : 20041013

Dossier : IMM-5408-03

Référence : 2004 CF 1407

Toronto (Ontario), le 13 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                       MOHSEN ABASALIZADEH

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                                             

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Mohsen Abasalizadeh attendait depuis trois ans la tenue à Halifax d'une audience à l'égard de sa demande d'asile. Il a fait appel à un avocat d'Halifax, Lee Cohen, en octobre 2002, et il s'attendait à ce que M. Cohen se présente avec lui à la date d'audience prévue. À cette date, le 3 juin 2003, M. Cohen s'est retiré du dossier. Après un ajournement de seulement deux jours, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tenu l'audience et a rejeté la demande présentée par M. Abasalizadeh.


[2]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission en alléguant qu'il a été privé de la justice naturelle et de l'équité procédurale. J'ai conclu qu'il y avait eu un manquement à la justice naturelle au cours de l'instance devant la Commission et j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

[3]                M. Abasalizadeh, né en Iran, est entré au Canada, à Toronto, le 8 octobre 2000. Il a présenté sa demande d'asile quelques mois plus tard à Halifax où il vivait chez un cousin. Il a ensuite déménagé à Toronto. On l'a informé que son dossier de demande d'asile ne pouvait pas être transféré à Toronto et que l'audience devrait être tenue à Halifax. Par conséquent, il a fait appel à M. Cohen, en tant qu'avocat situé à Halifax.


[4]                À la date de l'audience, le 3 juin 2003, M. Cohen a rencontré M. Abasalizadeh à l'extérieur des bureaux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Halifax et il l'a informé qu'il ne pouvait pas le représenter. M. Cohen a alors demandé une « audience préalable » au cours de laquelle il a informé la commissaire de la Section de la protection des réfugiés qui présidait l'audience qu'il avait une [TRADUCTION] « divergence idéologique » avec le demandeur quant à la façon selon laquelle certains aspects de sa demande devaient être présentés. Il a reconnu que cette situation pouvait entraîner que soit tirée une inférence à l'égard de la crédibilité de la demande. M. Cohen a laissé entendre que le demandeur voudrait que l'audience soit tenue, mais qu'il voudrait également faire appel à un nouvel avocat et que, à cet effet, il voudrait obtenir un ajournement. La présidente de l'audience lui a permis de se retirer comme avocat après avoir fait un commentaire selon lequel elle était sensible à sa [TRADUCTION] « franchise » et selon lequel elle connaissait son [TRADUCTION] « engagement » ; ce n'était pas clair de quoi il s'agissait.

[5]                Après une courte pause, M. Abasalizadeh était présent dans la salle d'audience. On lui a demandé s'il voulait un nouvel avocat ou s'il était prêt pour l'audience. Il y a eu certaines discussions quant au transfert de la demande à Ottawa ou à Toronto, mais M. Abasalizadeh ne voulait pas que sa demande soit transférée à Ottawa et la commissaire a confirmé qu'il n'était pas possible de transférer la demande à Toronto. Elle lui a offert une période de 24 heures pour trouver un avocat s'il souhaitait en avoir un. À ce moment, M. Abasalizadeh a choisi que l'audience soit tenue immédiatement.

[6]                Cependant, après que l'audience eut commencé, il est devenu évident que M. Abasalizadeh n'avait pas reçu les documents à communiquer étant donné qu'ils avaient plutôt été envoyés à son avocat. La commissaire a décidé d'ajourner l'audience jusqu'au 5 juin afin de permettre à M. Abasalizadeh d'examiner les documents avec un parent qui pourrait l'aider à les traduire et, après coup, de faire appel à un avocat s'il souhaitait le faire. S'il était capable d'obtenir les services d'un avocat, il pourrait demander un ajournement, sinon l'audience pourrait être tenue.

[7]                M. Abasalizadeh a tenté de trouver un avocat, mais il n'a pas réussi à le faire. Il estimait qu'il n'avait pas le choix et que l'audience devait être tenue le 5 juin. Lors de l'audience, il s'est représenté lui-même.

La décision de la Commission

[8]                La SPR a conclu que M. Abasalizadeh n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi pour établir l'élément subjectif de sa demande et que son omission d'avoir présenté une demande dans l'un des trois pays où il s'était rendu avant de venir au Canada jouait de plus contre lui. La commissaire a en outre conclu qu'il n'avait pas le profil d'une personne qui intéresse les autorités iraniennes.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]                Le droit du demandeur à la justice naturelle a-t-il été violé :

1.          par la décision de tenir l'audience sans qu'un avocat représente le demandeur?

2.          par la décision de tenir l'audience dans les 48 heures de la communication au demandeur de la trousse de renseignements?


ANALYSE

1.         La tenue de l'audience sans la présence d'un avocat

[10]            Le demandeur prétend que la Commission l'a effectivement privé de représentation lorsqu'elle a exigé qu'il trouve un avocat en moins de deux jours, étant donné qu'il avait compris jusqu'à ce matin-là qu'il serait représenté par un avocat. Un avocat incompétent peut constituer un manquement à la justice naturelle, alors le déni effectif d'un avocat devrait également en constituer un : voir l'arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 81 (C.A.F.).

[11]            Le défendeur prétend que M. Abasalizadeh a eu une possibilité de trouver une solution à ses problèmes de représentation par le transfert de sa demande à Ottawa, mais qu'il a choisi d'avoir son audience à Halifax. Compte tenu de ce choix, il ne peut pas prétendre maintenant qu'il y a eu un manquement à la justice naturelle. La décision de la Commission est fondée sur un manque de crédibilité, non sur un manque de représentation.


[12]            Bien qu'il soit exact que la décision de la Commission dépendait de ses conclusions à l'égard de la crédibilité du demandeur, la façon selon laquelle M. Cohen a choisi de se retirer de l'instance peut avoir été préjudiciable au dossier de son ancien client. Une inférence qui aurait pu être tirée par la présidente de l'audience est que l'avocat n'avait pas confiance dans la véracité de la demande présentée par le demandeur. Ses commentaires lorsqu'elle a accepté que l'avocat se retire pourraient être interprétés comme indiquant que cette pensée lui a traversé l'esprit. À tout le moins, l'apparence d'équité peut avoir été compromise.

[13]            La question de savoir ce qu'un tribunal devrait faire lorsqu'un avocat se retire au cours d'une audience a été traitée par M. le juge Rothstein dans la décision Acquah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 68 (1re inst.). Il renvoie à l'arrêt Siloch c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 10, dans lequel M. le juge Décary de la Cour d'appel fédérale énumère les facteurs à prendre en compte lorsqu'une demande d'ajournement est tranchée et il cite des exemples de causes dans lesquelles des ajournements ont été refusés à tort.

[14]            Dans la décision Acquah, l'avocat a laissé tomber la demanderesse à mi-chemin de l'instance parce qu'elle était incapable de le payer. Le tribunal savait que la demanderesse tentait d'obtenir de l'aide juridique pour poursuivre sa représentation. Dans ces circonstances, malgré l'absence d'une demande expresse d'ajournement, le juge Rothstein a conclu qu'un ajournement aurait dû être accordé afin de permettre à la demanderesse de poursuivre sa demande de fonds.

[15]            Dans la présente affaire, il n'est pas clair s'il y a eu d'autres discussions à l'égard de la possibilité d'ajourner l'affaire le 5 juin. La transcription ne contient pas de préliminaires et commence simplement avec l'audience sans un avocat. Cela est similaire à la situation décrite dans la décision Acquah, précitée, au paragraphe 14 :


Je ne crois pas que, lorsqu'un avocat est présent, un tribunal soit tenu d'être à l'affût des demandes tacites d'ajournement ou autres requêtes tacites d'un genre ou d'un autre. Mais, en l'absence d'un avocat, un tribunal doit être conscient du fait qu'un profane ne connaît pas nécessairement les procédures que les avocats tiennent pour acquises. Un tribunal n'est pas tenu de pressentir ce qu'une partie recherche, ni de réagir aux déclarations ou indications vaguement formulées par une partie. Néanmoins, un tribunal ne saurait ignorer les messages transmis de manière non équivoque par un profane, lorsque tels messages, quand bien même ils ne seraient pas formulés dans le respect du jargon juridique d'usage, laissent immanquablement transparaître une demande précise.

[16]            Dans la présente affaire, la Commission, à mon avis, n'a pas tenu compte adéquatement de la situation dans laquelle M. Abasalizadeh se trouvait. Il avait attendu cette audience pendant une longue période. Son avocat s'était retiré sans avis dans des circonstances qui ont pu être préjudiciables à une audience équitable. Les dépenses pour se rendre à Halifax étaient importantes et il était préoccupé par les coûts d'un autre voyage. Il était improbable qu'il puisse trouver à Halifax un avocat qui serait disposé à comparaître dans un tel court délai. Dans ces circonstances, la Commission aurait dû examiner la question de savoir si elle pouvait de façon équitable tenir l'audience.

2.          La communication tardive


[17]            Le demandeur a reçu environ 116 pages de documents le 3 juin. L'article 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles) exige que des documents soient transmis à une partie au plus tard 20 jours, ou dans le cas de documents transmis en réponse cinq jours, avant l'audience. Tant la Section que le demandeur sont liés par cet article. M. Abasalizadeh prétend que le fait que son audience ait été tenue seulement deux jours après que les documents eurent été communiqués a violé son droit à l'équité procédurale.

[18]            Le défendeur prétend que l'article 29 des Règles n'a pas été enfreint parce que les documents ont été envoyés à l'avocat du demandeur, comme le permet le paragraphe 32(3) des Règles. Il n'y avait pas d'obligation d'envoyer directement au demandeur les documents à moins qu'il n'ait pas d'avocat. Toutefois, il prétend que même s'il y a eu un manquement à la justice naturelle dans les circonstances particulières de la présente affaire, la décision devrait être maintenue s'il est évident que le décideur aurait tiré la même conclusion malgré le manquement et il cite les arrêts suivants parmi de nombreuses décisions faisant jurisprudence : l'arrêt Yassine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308, aux paragraphes 9 à 11, et l'arrêt Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 55, au paragraphe 5.

[19]            Le demandeur prétend que son affaire n'est pas sans espoir, pas plus que c'est une affaire pour laquelle il ne servirait à rien de la renvoyer afin qu'elle soit examinée : voir l'arrêt Yassine, précité, et l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.


[20]            À la page 424 du dossier certifié du tribunal, la présidente de l'audience déclare, en réponse aux préoccupations de l'agent de la protection des réfugiés à l'égard de la tenue de l'audience : [TRADUCTION] « Les documents ne lui ont pas été communiqués adéquatement » . Elle poursuit comme suit :

[TRADUCTION]

Étant donné que les documents ne vous ont pas été communiqués adéquatement, vous n'avez pas eu suffisamment de temps pour savoir ce que vous devez démontrer. Nous allons vous donner ces documents maintenant et nous vous demanderons de revenir à, disons, 8 h 45 jeudi matin et à ce moment vous pourrez me dire si vous avez engagé un avocat et si vous voulez remettre votre audience jusqu'à ce que votre avocat puisse vous accompagner ou si vous voulez toujours vous présenter jeudi sans un avocat et raconter votre histoire et répondre à ce qui se trouve dans les documents, nous pouvons faire cela jeudi.

[21]            Il est évident que la Commission était préoccupée par le fait que les documents n'avaient pas été communiqués adéquatement au demandeur, mais qu'elle pensait que deux jours seraient suffisants pour lui permettre de lire et de comprendre les documents et pour être prêt à y répondre. Les documents étaient en anglais et le demandeur avait besoin d'un interprète pour témoigner. Son ancien avocat avait mentionné qu'il avait de la difficulté à communiquer avec M. Abasalizadeh sans l'assistance d'un interprète.

[22]            L'article 30 des Règles prévoit que la Commission autorise l'utilisation d'un document qui n'a pas été communiqué suivant l'article 29 des Règles après qu'elle a pris en compte plusieurs facteurs obligatoires. Rien dans le dossier n'indique que la Commission a procédé à une analyse de ces facteurs. À mon avis, si un document doit être utilisé sans que la partie en cause ait le temps approprié pour l'examiner, il faut que certaines dispositions soient prises pour l'aider, comme la réduction de la quantité des documents qui seront pris en compte.


[23]            La question de la communication des documents peut ne pas équivaloir par elle-même à un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale. Cependant, lorsqu'elle est associée à l'absence de représentation dans les circonstances particulières de la présente affaire, je suis convaincu que l'effet cumulé équivalait à au moins une apparence d'iniquité.

[24]            Je ne suis pas convaincu par la prétention du défendeur selon laquelle les points faibles de la demande le sont suffisamment pour que l'issue ait été [TRADUCTION] « inévitable » . La jurisprudence montre que lorsqu'il y a eu un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, une décision peut être maintenue dans un cas où le décideur aurait été tenu par la loi de rejeter la demande selon la preuve dont il disposait. Cette situation constitue une exception à la règle générale qui exige habituellement qu'une nouvelle audience soit tenue. Dans la présente affaire, la décision dépendait des conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission. Un autre tribunal, en l'absence d'une possible influence due au retrait de l'avocat pour un motif [TRADUCTION] « idéologique » pourrait rendre une décision différente.

[25]            Les parties n'ont pas proposé de question grave de portée générale aux fins de la certification.

                                                     


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée afin qu'elle soit entendue à nouveau et qu'il soit statué à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5408-03             

INTITULÉ :                                        MOHSEN ABASALIZADEH

demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       LE 13 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Wennie Lee                                                                   POUR LE DEMANDEUR

John Loncar                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wennie Lee

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20041013

                    Dossier : IMM-5408-03

ENTRE :                    

MOHSEN ABASALIZADEH

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                          

  

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