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     Date : 19981113

     Dossier : T-1208-98

ENTRE :

     KENNETH N. BURNETT,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      Introduction

[1]      La présente requête fondée sur la règle 300 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] et sur l'article 232 de la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] [modifiée] a été entendue à huis clos. Elle vise à déterminer si des clients du requérant bénéficient du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne des documents que le ministre du Revenu national [ci-après le ministre] a demandé, par avis, au requérant de produire en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      Par voie d'ordonnance en date du 13 juillet 1998, le juge Campbell a ordonné au requérant de produire des documents devant un juge de la Cour à l'audition de la présente requête. L'avocat du requérant peut ouvrir le colis scellé en la possession du requérant en présence de l'avocate de l'intimé en vue de l'examen des documents par les avocats pour faciliter l'audition de la requête. Au terme de cet examen, le colis doit être rescellé et conservé de la manière prévue au paragraphe 232(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[3]      Le requérant demande à la Cour : a) de statuer que ses clients, André Desmarais et TEW Investments Ltd., bénéficient du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne certains documents dont le ministre exige la production, b) de rendre une ordonnance portant restitution des documents au requérant, c) d'accorder au requérant les dépens de la présente requête et d) de rendre toute autre ordonnance que la Cour estimera indiquée.

B.      Les faits

[4]      Le requérant est un associé au sein de la société d'avocats Swinton & Company de Vancouver (Colombie-Britannique), et est l'avocat de TEW Investments Ltd. et de André Desmarais.

[5]      Le 22 mai 1998, le requérant a reçu signification à personne d'une lettre en date du 22 mai 1998 par laquelle le ministère du Revenu national, Impôt, exigeait la production de documents concernant TEW Investments Ltd. et André Desmarais en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans les trente jours suivant la réception de cette lettre, le requérant devait produire :

     [traduction] Tout le dossier, les documents de travail, les grands livres de fiducie, les chèques payés et les notes se rapportant au chèque no 07552 en date du 7 novembre 1997 d'un montant de 97 000,42 $ émis par votre firme à l'ordre de TEW Investments.         

[6]      Le requérant soutient que cette lettre l'obligeait à produire des documents à l'égard desquels André Desmarais ou TEW Investments Ltd. pourrait bénéficier du privilège des communications entre client et avocat, et il a donc placé des copies de tous les documents visés par la lettre du ministre dans une enveloppe scellée qu'il a paraphée, datée et conservée en sa possession.

C.      Le cadre législatif

[7]      Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui s'appliquent à l'espèce sont les suivantes :

     231.2      (1) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis,         

     [...]

         b) qu'elle produise des documents.         
     232.      (1) Dans le présent article,         
         a) "juge" " "juge" désigne un juge d'une cour supérieure ayant juridiction dans la province où la question a pris naissance, ou un juge de la Cour fédérale du Canada;         

     [...]

         e) "privilège des communications entre client et avocat" " "privilège des communications entre client et avocat" signifie tout droit qu'une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l'application du présent article, un relevé comptable d'un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque, ne doit pas être considéré comme une communication de cette nature.         

     [...]

         (4) En cas de saisie et mise sous garde d'un document en vertu du paragraphe (3) ou de rétention d'un document en vertu du paragraphe (3.1), le client ou l'avocat au nom de celui-ci peut:         
         a) dans les 14 jours suivant la date où le document a ainsi été mis sous garde ou a ainsi commencé à être retenu, après avis au sous-procureur général du Canada au moins trois jours francs avant qu'il soit procédé à cette requête, demander à un juge de rendre une ordonnance qui:         
             (i) d'une part, fixe la date " tombant au plus 21 jours après la date de l'ordonnance " et le lieu où il sera statué sur la question de savoir si le client bénéficie du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne le document,         
             (ii) d'autre part, enjoint de produire le document devant le juge à la date et au lieu fixés;         
         b) signifier une copie de l'ordonnance au sous-procureur général du Canada et, le cas échéant, au gardien dans les 6 jours de la date où elle a été rendue et, dans ce même délai, payer au gardien le montant estimé des frais de transport aller-retour du document entre le lieu où il est gardé ou retenu et le lieu de l'audition et des frais de protection du document;         
         c) après signification et paiement, demander, à la date et au lieux fixés, une ordonnance où il soit statué sur la question.         
         (5) Une requête présentée en vertu de l'alinéa (4)(c) doit être entendue à huis clos. Le juge qui en est saisi:         
         a) peut, s'il l'estime nécessaire pour statuer sur la question, examiner le document et, dans ce cas, s'assure ensuite qu'un colis du document soit refait et que ce colis soit rescellé;         
         b) statue sur la question de façon sommaire:         
             (i) s'il est d'avis que le client bénéficie du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne le document, il ordonne la restitution du document à l'avocat ou libère l'avocat de son obligation de le retenir, selon le cas;         
             (ii) s'il est de l'avis contraire, il ordonne:         
                 (A) au gardien de remettre le document au fonctionnaire ou à quelque autre personne désignée par le sous-ministre du Revenu national, en cas de saisie et mise sous garde du document en vertu du paragraphe (3),         
                 (B) à l'avocat de permettre au fonctionnaire ou à l'autre personne désignée par le sous-ministre du Revenu national d'inspecter ou examiner le document, en cas de rétention de celui-ci en vertu du paragraphe (3.1).         
                 Le juge motive brièvement sa décision en indiquant de quel document il s'agit sans en révéler les détails.         

D.      Analyse

[8]      Conformément au paragraphe 232(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, j'ai inspecté les documents placés dans le colis scellé afin de décider s'ils étaient protégés par le secret professionnel de l'avocat et, dans l'affirmative, s'ils étaient visés par l'exception visant " un relevé comptable d'un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque " prévue à l'alinéa 232(1)e ).

[9]      L'un de ces documents était une copie d'un chèque. L'avocat du requérant, Me Hansen, a reconnu qu'elle n'était pas protégée par le secret professionnel. Un autre document donnait des précisions sur des services professionnels que Me Burnett avait rendus à ses clients. L'avocate du ministre, Me Burch, a reconnu que ce document était protégé par le secret professionnel.

[10]      Un troisième document consignait des dépôts dans le compte en fiducie que la firme de Me Burnett tient pour son client et des retraits de ce compte. Un retrait de 97 000,42 $ avait été inscrit dans le grand livre de fiducie le 7 novembre 1997; ce montant et cette date sont identiques à ceux qui figurent sur le chèque tiré sur Swinton & Company en faveur de T.E.W. Investments. Me Hansen était disposé à divulguer cette écriture en réponse à la demande du ministre relative à la production des grands livres de fiducie se rapportant au chèque.

[11]      Toutefois, Me Hansen a également affirmé que d'autres renseignements contenus dans le grand livre de fiducie n'étaient pas visés par la demande de production parce qu'ils ne se " rapportaient " pas au chèque. Me Burch a fait valoir que rien ne permettait d'établir si ces renseignements se rapportaient ou non au chèque et Me Hansen a répliqué qu'on pouvait présumer que Me Burnett avait produit pour inspection la totalité du dossier du compte en fiducie de son client de manière à ce qu'on ne le soupçonne pas d'avoir retenu des renseignements qu'on lui avait enjoint de produire.

[12]      Ayant inspecté les écritures du grand livre, je suis arrivé à la conclusion que Me Burnett devait produire uniquement l'écriture d'une ligne se rapportant au retrait de la somme de 97 000,42 $ le 7 novembre 1997, y compris la description de la nature du retrait figurant dans la troisième colonne. Je suis disposé à déduire des renseignements qui m'ont été soumis que les autres écritures ne se rapportent pas au chèque et, partant, ne sont pas visés par la demande de production.

[13]      Le quatrième document était une autorisation de chèque de Swinton & Company. La jurisprudence n'est pas unanime sur la question de savoir si un document semblable est protégé par le secret professionnel ou relève de l'exception prévue au paragraphe 232(1) relativement à " un relevé comptable d'un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque ".

[14]      Me Hansen a invoqué l'affaire Taves c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 347 (C.S.C.-B.) dans laquelle le juge Baker a statué qu'une demande de chèque émanant d'une société d'avocats était protégée par le secret professionnel et ne relevait pas de l'exception relative à " un relevé comptable ". Comme il s'agit d'une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et que l'espèce se rapporte à des faits qui se sont produits dans cette province, je considérerais normalement qu'une décision aussi claire tranche la question, encore que cette décision ne me lierait pas si je siégeais comme juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[15]      Je suis toutefois préoccupé par le fait que le juge Baker a invoqué au soutien de sa conclusion l'affaire Playfair Developments Ltd. v. Deputy Minister of National Revenue, [1985] 1 C.T.C. 302 (C.S. Ont.), même s'il ressort très clairement du passage suivant (au par. 13) que le juge Galligan est arrivé à la conclusion contraire dans cette affaire :

     [traduction] À mon avis, les demandes de chèque elles-mêmes seraient manifestement une pièce justificative pour le relevé comptable d'un avocat. Il me semble qu'une copie conservée dans les dossiers de cet avocat plutôt que par le département de la comptabilité appartiendrait à la même catégorie. Par conséquent, aucun des documents mentionnés sous ce sous-titre n'est, selon moi, protégé par le secret professionnel de l'avocat.         

[16]      Je souscris au raisonnement du juge Galligan et je conclus que, d'après le sens ordinaire du paragraphe 232(1), la demande de chèque n'est pas protégée par le secret professionnel de l'avocat en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[17]      Le cinquième document est une note écrite sur le papier à en-tête du client concernant les chèques que Me Burnett devait tirer sur le compte en fiducie du client. Me Burch a admis que ce document serait protégé par le secret professionnel s'il s'agissait d'une instruction donnée par le client à son avocat. Elle a toutefois soutenu qu'il n'était vraiment pas sûr qu'on puisse considérer ce document comme une instruction; ainsi, elle a mentionné que rien ne permettait d'établir qui avait rédigé ce document ou quel en était l'objet.

[18]      J'ai examiné le document en question et je suis disposé à conclure qu'il s'agissait d'une instruction qui a été donnée à Me Burnett par son client; cette conclusion est étayée par le contenu de l'instruction et par la comparaison faite avec les écritures dans le grand livre de fiducie. Je statue donc qu'il s'agit d'une communication protégée par le secret professionnel de l'avocat.

[19]      J'ordonne donc au requérant de produire la copie du chèque au montant de 97 000,42 $ et l'écriture d'une seule ligne du grand livre de fiducie qui consigne le retrait de cette somme du compte en fiducie. Le requérant doit également produire la demande de ce chèque. Par contre, le requérant n'a pas besoin de fournir les autres renseignements contenus dans le grand livre de fiducie, le document portant sur les services professionnels rendus par Me Burnett ni le document que j'ai considéré comme une instruction donnée à Me Burnett par son client relativement au tirage de chèques.

[20]      À la fin de l'audience, les avocats ont soulevé la question de l'étendue de la confidentialité vu le huis clos de l'instance. Comme l'administration de la justice est fortement axée sur la transparence, je suis d'avis que le manteau de la confidentialité ne devrait recouvrir que les renseignements pour la protection desquels l'instance doit se dérouler à huis clos en vertu du paragraphe 232(5).

[21]      Par conséquent, le contenu des documents qui sont protégés par le secret professionnel de l'avocat en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ne doit pas être divulgué. De plus, rien de ce qui a été dit à l'audience qui permettrait à d'autres personnes de découvrir le contenu des documents protégés par le secret professionnel ne doit être divulgué ou utilisé indirectement. Cela dit, le reste des commentaires faits par l'avocat du contribuable dans le cadre de son argumentation et, bien entendu, le contenu des documents qui ont été déposés à la Cour au soutien de la requête ne sont pas confidentiels.

                                 (S) " John M. Evans "

                                         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 13 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 9 novembre 1998

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-1208-98

INTITULÉ :                          Kenneth N. Burnett

                             c.

                             MRN

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EVANS

en date du 13 novembre 1998

COMPARUTIONS :

     Kim Hansen                  pour le requérant

     Lynn Burch                  pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Kim Hansen                  pour le requérant

     Thorsteinssons

     Vancouver (C.-B.)

     Morris Rosenberg              pour l'intimé

     Sous-procureur général

     du Canada

    

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