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     Date : 19980310

     Dossier : T-2327-97

Entre :

     ALEC CHINGEE, SHARON SOLONAS,

     TANIA SOLONAS, ELIZABETH SOLONAS,

     et PATRICK PRINCE en leur qualité de chef

     et de conseillers de la Bande indienne du Lac McLeod,

     demandeurs,

     - et -

     HARRY CHINGEE, VICTOR CHINGEE, GILBERT CHINGEE,

     LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

     et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      Les présents motifs ont trait à la requête des demandeurs en vue d'obtenir des précisions sur les coutumes électorales de la bande indienne du Lac McLeod qui a été entendue et refusée le 9 février 1998. Dans leur déclaration, les demandeurs font valoir qu'il y a eu une élection valide du conseil de bande en octobre 1997, élection qui a suivi dans les grandes lignes les coutumes électorales. En réponse à cet argument, les défendeurs énoncent, dans leur défense, que l'élection d'octobre 1997 est illégale et qu'elle est contraire aux coutumes de la bande, et que le chef et les conseillers actuels n'ont pas droit à leur titre étant donné qu'ils n'ont été élus ni conformément aux coutumes de la bande ni d'aucune autre manière légale.

[2]      Les demandeurs demandent des précisions, que je vais paraphraser, sur les différents arguments énoncés dans la défense :

         (1)      quant aux paragraphes 2 et 3 de la défense, l'opinion des défendeurs sur ce que sont les coutumes de la bande à l'égard des élections;                 
         (2)      qui a décidé que la demanderesse Elizabeth Solonas avait démissionné de son poste de conseiller et le pouvoir invoqué à cet égard;                 
         (3)      la raison pour laquelle la destitution du directeur de la bande, le défendeur Gilbert Chingee, était illégale;                 
         (4)      la raison pour laquelle la nomination de Peter Prince comme président des élections était illégale;                 
         (5)      la durée du mandat des défendeurs Harry Chingee et Victor Chingee comme chef et conseiller et les raisons qui pourraient mettre un terme à leur mandat; et                 
         (6)      ce qui a amené Patrick Prince et Arlene Solonas à ne plus siéger comme conseillers de la bande, selon ce qui est indiqué au paragraphe 5 de la demande reconventionnelle.                 

[3]      La requête a été bien débattue mais, à mon avis, elle ne soulevait aucune question cruciale ou nouvelle pouvant justifier la Cour de motiver sa décision. En l'espèce, les parties, particulièrement les demandeurs, ont fait valoir, dans d'autres procédures intentées dans le cadre de cette action, qu'il est essentiel que cette affaire soit amenée à procès le plus rapidement possible. Dans une telle situation, il aurait été improductif de réserver ma décision et de rédiger soigneusement des motifs bien élaborés. En outre, la charge de travail de la Cour est telle qu'on n'a pas toujours le temps de rédiger des motifs après avoir mûrement réfléchi pour expliquer chaque décision interlocutoire; en fait, "si des motifs étaient rendus pour chaque requête interlocutoire, la machine judiciaire serait engorgée" (Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy , motifs non publiés du juge Collier, le 28 octobre 1986, dans l'action T-851-83). En l'espèce, je n'avais pas l'intention de motiver ma décision. Toutefois, celle-ci est en appel. L'appel des demandeurs a été ajournée pour leur permettre de me demander de fournir ces motifs.

[4]      On peut régler brièvement certaines des demandes de précision. La deuxième demande, selon laquelle Elizabeth Solonas est réputée avoir démissionné et dans laquelle on demande quel pouvoir a été invoqué à cet égard, a déjà fait l'objet d'une réponse, bien qu'indirecte puisqu'il n'y a pas de pouvoir comme tel, Elizabeth Solonas ayant simplement démissionné conformément aux coutumes de la bande. Il s'agit là d'une question qu'il faudrait explorer à l'étape des interrogatoires préalables, et non dans le cadre d'une demande de précision, point sur lequel je reviendrai ci-après. L'avocat des défendeurs soutient, correctement à mon avis, que les points 3, 4 et 5, bien qu'on y ait apporté une réponse partielle dans différents affidavits, sont des questions de droit et ne font pas à bon droit l'objet d'une demande de précision, celle-ci ayant pour but de communiquer des faits matériels, et non des arguments juridiques : C.S.I. Manufacturing and Distribution Inc. c. Astroflex Inc. (1993), 45 C.P.R. (3d) 195, page 197 (C.F. 1re inst.). L'avocat soulève également un argument valable, sur lequel je reviendrai ci-dessous, voulant que la demande de précision des demandeurs sur les coutumes porte en fait sur les décicions que devra prendre le juge de première instance une fois qu'il aura entendu la preuve et donc que, dans les faits, les demandeurs souhaitent que l'avocat des défendeurs présente maintenant son plaidoyer définitif au juge. Quant au sixième point, c'est-à-dire la raison pour laquelle Arlene Solonas et Patrick Prince ont cessé de siéger comme conseillers en règle de la bande, la réponse se trouve manifestement à l'alinéa 5b) de l'affidavit de Harry Chingee, déposé le 17 novembre 1997, et au paragraphe 5 de l'affidavit de Larry Gilbert Chingee, déposé le 7 novembre 1997 : ces deux conseillers ont été destitués parce qu'ils ne se sont pas présentés aux réunions du conseil. Ainsi donc, la requête, réduite à sa contestation fondamentale, a pour objet d'obtenir des précisions sur les coutumes électorales de la bande.

[5]      Les précisions demandées concernant les coutumes électorales n'ont pas pour but de permettre aux parties de préparer leurs conclusions, mais doivent plutôt être débattues au cours du procès et, pour cette raison, elles pourraient exiger beaucoup de détails. Une partie a certainement le droit de connaître la position de son adversaire avant l'instruction. Les coutumes électorales de la bande sont discutées assez longuement dans les affidavits de Harry Chingee et de Larry Gilbert Chingee, dont il est question ci-dessus. Il peut toutefois y avoir d'autres documents concernant les coutumes. Selon la position classique, je ne devrais pas supposer qu'il y aura un interrogatoire préalable, avant l'instruction, au cours duquel on pourra explorer intégralement les opinions des défendeurs quant aux coutumes électorales de la bande. Toutefois, l'étape de l'interrogatoire préalable est un aspect si important de la pratique moderne qu'il serait naïf d'imaginer, dans une cause comme celle-ci, que les coutumes électorales de la bande, qui sont un élément essentiel au règlement du litige, ne constitueront pas le principal sujet des questions posées au cours de cette étape. Il serait utile de s'attarder ici sur une des différences fondamentales qui existent entre une demande de précision et l'interrogatoire préalable. Les demandes de précision avant les conclusions ont pour but de permettre à une partie de préparer intelligemment sa cause. Les précisions en vue du procès ont pour objet de définir plus clairement les questions qui seront débattues. L'interrogatoire préalable a donc un but distinct de la demande de précisions : cette étape a pour but de permettre à la partie adverse de connaître les arguments qu'elle devra réfuter et de simplifier l'instruction en obtenant des aveux : Brennan c. Jack Posluns & Co. Ltd. (1959), 30 C.P.R. 106, page 110, une décision du juge en chef McRuer de la Haute Cour de l'Ontario. En l'espèce, la question essentielle à la cause des demandeurs, et qui a été clairement définie dans les conclusions, porte sur les coutumes électorales. Les demandeurs et les défendeurs doivent maintenant procéder aux interrogatoires préalables afin de connaître la preuve réunie contre elles et, dans toute la mesure possible, d'obtenir des aveux.

[6]      Si, à la fin des interrogatoires préalables, les demandeurs ont toujours de la difficulté à comprendre les questions qui doivent être débattues, ils peuvent présenter une autre demande de précision : Smith Kline & French Laboratories Ltd. c. Lek Tovarna Farmacevtskih In Kemichnih Izdelkov N. Sol. O. (1985), 4 C.P.R. (3d) 257, page 258 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, si les demandeurs sont incapables, à la fin des interrogatoires préalables, de se préparer à l'instruction, ils pourront demander encore des précisions.

[7]      Il y a toutefois une raison plus fondamentale qui m'amène à refuser les demandes de précision des demandeurs concernant les coutumes électorales de la bande. Dans les deux premiers paragraphes de leur défense, les défendeurs nient l'allégation des demandeurs, énoncée dans la déclaration, et que ceux-ci devront prouver à l'audience. Il est établi depuis longtemps qu'une dénégation opposée par un défendeur, même sous une forme affirmative, tant et aussi longtemps qu'elle constitue en substance une dénégation de l'allégation de l'autre partie, ne donne aucun droit à une demande de précision : Weinberger v. Inglis, [1918] 1 Ch. 133, page 138. Dans l'arrêt Weinberger, le demandeur n'avait pas réussi à se faire réélire comme membre de la Bourse. Les défendeurs n'ont soulevé qu'un argument affirmatif, c'est-à-dire qu'ils avaient agi de bonne foi et honnêtement dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils n'avaient pas réélu le demandeur parce qu'ils ne le jugeaient pas admissible à être membre de la Bourse. La Cour a signalé que l'argument des défendeurs, même s'il était formulé de façon affirmative, était en fait une dénégation de l'allégation du demandeur, que celui-ci devait prouver afin d'obtenir gain de cause et que, pour cette raison, cela ne créait pas de droit d'obtenir des précisions, même si cette dénégation correspondait à une affirmation large et non définie. Le juge a signalé que les défendeurs avaient à bon droit laissé le demandeur prouver le bien-fondé de sa cause.

[8]      En l'espèce, les demandeurs prétendent qu'ils ont été élus conformément aux coutumes de la bande. Il leur incombe d'établir, devant un juge, que tel est le cas. Les défendeurs laissent simplement aux demandeurs le soin de prouver le bien-fondé de leur cause et il n'est pas nécessaire qu'ils les aident dans cette entreprise. La présente instance ne soulève pas le principe selon lequel une dénégation, même formulée de façon négative, peut être un argument négatif équivalant à une affirmation et donc exiger des précisions : voir Pinson v. Lloyds and National Provincial Foreign Bank, Ltd., [1941] 2 K.B. 72, pages 80, 84 et suivantes (C.A.). En l'espèce, la dénégation nie une allégation. C'est un déni auquel il ne faut pas incorporer une allégation affirmative au-delà de ce que cette dénégation implique nécessairement, étant donné qu'il incombe aux demandeurs de convaincre le juge de première instance qu'ils sont le chef et les conseillers nouvellement et valablement élus, [TRADUCTION] "conformément aux coutumes de la bande" (pour reprendre le paragraphe 1 de la déclaration), et par conséquent la demande de précision doit être refusée : voir par exemple Duke's Court Estates, Ltd. v. Associated British Engineering, Ltd., [1948] Ch. 458. L'avocat des défendeurs exprime cette idée un peu différemment en faisant valoir que c'est au juge de première instance qu'il incombe de décider de l'existence de la coutume sur laquelle les demandeurs appuie leur cause, mais cela revient au même : aucune précision ne sera donnée concernant la dénégation telle que formulée par les défendeurs.

[9]      J'ai également examiné si des précisions, à cette étape, pouvaient indirectement faciliter la tâche du juge de première instance, étant donné que les coutumes électorales de la bande seront certainement un élément essentiel de la décision à prendre. J'ai rejeté cette idée parce que, au lieu de permettre que ces questions fassent l'objet de réponses soigneusement rédigées dans le cadre d'une demande de précision, j'estime qu'il revient au juge de première instance d'entendre les témoins eux-mêmes concernant l'existence de la coutume. De cette façon, le juge de première instance pourra observer les témoins, évaluer leur comportement au cours de leur déposition et en venir ensuite à une conclusion.

[10]      En conclusion, il y a deux autres éléments qui m'ont amené à refuser cette requête, tout d'abord sans motiver ma décision. Premièrement, les conclusions des parties, y compris les demandes de précision, doivent être les plus concises possible. Il n'y a pas lieu d'obliger une partie à exposer dans sa conclusion des détails qu'il serait plus indiqué de mettre en preuve à l'instruction : Cercast Inc. c. Shellcast Foundries Inc., [1973] C.F. 28, page 38. Deuxièmement, si j'ordonnais aux défendeurs de fournir des précisions sur les coutumes électorales de la bande indienne du Lac McLeod, je déplacerais le fardeau de la preuve qui incombe aux demandeurs pour l'imposer aux défendeurs. Cela serait inapproprié. La demande de précision est donc refusée.

                             (signature) "John A. Hargrave"

                                 Protonotaire

Vancouver (C.-B.)

le 10 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :          le 9 février 1998

NE DU GREFFE :                  T-2327-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Alec Chingee et al.

                         c.

                         Harry Chingee et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE

DATE : le 10 mars 1998

ONT COMPARU :

     Robert Lonergan                  pour les demandeurs

     Stan Ashcroft                  pour les défendeurs

     Gerald Donegan                  pour le PGC

     Laura Donaldson                  pour l'administrateur-séquestre

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Russell & DuMoulin              pour les demandeurs

     Vancouver (C.-B.)

     Ganapathi Ashcroft & Company          pour les défendeurs

     Vancouver (C.-B.)

     George Thomson                  pour le PGC

     Sous-procureur général du Canada

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