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                                                                                                                                  Date : 19981125

                                                                                                                         Dossier : IMM-265-98

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

                                 TAHER JAVAID, NAILA TAHER, JAWAD TAHER

                                                             et AMIEN TAHER,

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                                ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal constitué d'autres membres afin qu'il procède à un nouvel examen.

                                                                                                             Marshall Rothstein       

                                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 19981125

                                                                                                                      Dossier : IMM-265-98

ENTRE :

                                 TAHER JAVAID, NAILA TAHER, JAWAD TAHER

                                                             et AMIEN TAHER,

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]         Un tribunal de la section du statut de réfugié a conclu que les demandeurs, qui sont originaires du Pakistan, avaient une crainte fondée de persécution à Lahore, mais avaient une possibilité de refuge raisonnable à Islamabad. Les demandeurs affirment que les commissaires ont commis une erreur en concluant qu'Islamabad était une possibilité de refuge raisonnable pour deux raisons. Premièrement, c'est uniquement à la suite d'une récente élection marquée par la victoire du parti du demandeur (le PML) et par la défaite du parti de son persécuteur (le PPP) que le tribunal a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge raisonnable à Islamabad.

[2]         À cet égard, le tribunal mentionne dans sa conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur :

[traduction] Le tribunal a examiné la preuve qui lui a été soumise et est arrivé à la conclusion que le risque de persécution auquel l'intéressé est exposé est localisé. Gill et Shah seraient de puissants politiciens à Lahore. Le tribunal a remarqué que l'intéressé a une présence politique effacée à Lahore même, et n'a exercé aucune fonction au sein du PML. Le tribunal a conclu, à partir des activités politiques de l'intéressé, qu'il n'avait eu pratiquement aucune présence politique en dehors de Lahore. Le tribunal a conclu qu'après la victoire écrasante de son parti lors des récentes élections, il y a beaucoup d'endroits au Pakistan, dont Islamabad, où l'intéressé pourrait aller vivre avec sa famille en tant que fidèle partisan du PML. Le tribunal a conclu que l'intéressé, vu sa présence politique effacée, n'est pas le genre de personne qui risque sérieusement d'être recherchée par Gill et Shah et ses gangsters s'il se réinstallait à Islamabad, et que l'intéressé et sa famille ne risquent pas sérieusement non plus d'être persécutés par le PPP dans la capitale nationale parce qu'ils sont des partisans du PML.

Je ne considère pas que les motifs du tribunal veulent dire que c'est l'élection qui a fait en sorte que le risque de persécution était localisé à Lahore. Ce risque était localisé parce que les persécuteurs du demandeur étaient puissants à Lahore seulement et, comme le demandeur avait une présence effacée, ses persécuteurs ne le rechercheraient pas à Islamabad. Selon moi, le tribunal a fait allusion à l'élection pour indiquer que puisque le PML avait été victorieux, les demandeurs pourraient l'appuyer à Islamabad sans craindre quoi que ce soit.

[3]         Je conviendrais avec les demandeurs que la conclusion du tribunal pourrait être contestée si celui-ci mentionnait simplement dans ses motifs que les persécuteurs des demandeurs à Lahore persécuteraient ceux-ci à Islamabad si ce n'étaient les résultats de l'élection. Une possibilité de refuge ne me paraît pas raisonnable si son caractère raisonnable dépend de la victoire d'un parti politique particulier en période électorale. Je ne considère pas que c'est ce que le tribunal affirme en l'espèce.

[4]         Les demandeurs affirment ensuite que le tribunal n'a pas tenu compte d'une évaluation psychologique dont ils ont fait l'objet et selon laquelle ils souffrent de stress et de dépression, et que leur état s'aggraverait s'ils devaient retourner au Pakistan. Dans ses motifs, le tribunal fait référence une seule fois à cette évaluation psychologique :

[traduction] Le tribunal a également examiné l'évaluation psychologique faite par M. Hap Davis dans l'optique du caractère raisonnable d'une réinstallation du demandeur et de sa famille à Islamabad. Le tribunal a conclu que, vu les circonstances particulières de l'intéressé et de sa famille, une réinstallation à Islamabad ne serait pas déraisonnable.

[5]         Les demandeurs invoquent l'affaire Narang c. M.C.I. (IMM-75-95), qui a été décidée par le juge Richard (tel était alors son titre) le 4 juillet 1995. Dans cette affaire, le juge Richard a conclu qu'un rapport psychologique était pertinent pour établir le caractère raisonnable d'une possibilité de refuge intérieur :

Le tribunal a également commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport psychologique de façon plus générale. [...] À mon avis, le rapport en question est également un facteur important lorsqu'il s'agit d'établir si la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est raisonnable, compte tenu des circonstances particulières applicables aux requérants.

[6]         Après avoir cité l'affaire Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589, au soutien de la proposition qu'il doit être objectivement raisonnable de penser qu'une personne peut chercher refuge dans une autre partie d'un pays avant de chercher refuge au Canada, le juge Richard a ajouté :

Ainsi, un rapport psychologique ou médical peut apporter la preuve objective qu'il serait « trop sévère » de s'attendre à ce que les requérants, qui ont déjà été persécutés dans une région de leur pays d'origine, déménagent dans une autre partie moins hostile du même pays. On peut s'attendre, comme c'est le cas pour l'application du paragraphe 2(3), que cet élément de preuve « s'applique uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels » .

[7]         En l'espèce, la seule observation faite par le tribunal sur le rapport psychologique est que ce rapport a été pris en considération. Dans les circonstances de l'espèce, je pense que le tribunal avait l'obligation d'aller plus loin. L'évaluation psychologique était approfondie et détaillée. Le psychologue a clairement affirmé dans sa conclusion que la santé des demandeurs se détériorerait s'ils retournaient au Pakistan. Le rapport psychologique était l'élément central de la preuve des demandeurs. Le tribunal a expliqué de façon assez circonstanciée pourquoi, vu les conditions au Pakistan et la formation et l'expérience professionnelle du demandeur, Islamabad serait une possibilité de refuge raisonnable. Il est inexplicable qu'il n'ait fourni aucune indice quant aux raisons pour lesquelles il n'a pas été convaincu par le rapport psychologique.

[8]         En règle générale, la Cour n'exige pas d'un tribunal qu'il examine le moindre élément de preuve qui lui est soumis ou le moindre argument qui est invoqué dans la mesure où sa décision est cohérente et logique, et repose sur la preuve dont il a été saisi. En outre, l'appréciation de la preuve relève entièrement de la compétence du tribunal.

[9]         Toutefois, un tribunal ne se met pas à l'abri d'un contrôle judiciaire simplement en affirmant qu'il a examiné la preuve. Les circonstances doivent être prises en considération. Si la preuve est précise et importante pour la cause d'un demandeur, et est digne de foi et convaincante à première vue, il me semble qu'un tribunal est tenu d'expliquer, même très brièvement, pourquoi cette preuve ne le convainc pas. En l'espèce, je ne suis pas convaincu que le tribunal a tenu compte de l'évaluation psychologique pour parvenir à sa conclusion.

[10]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal constitué d'autres membres afin qu'il procède à un nouvel examen.

                                                                                                          Marshall Rothstein          

                                                                                                                                    Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 25 NOVEMBRE 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :       IMM-265-98

INTITULÉ :                                                      TAHER JAVAID, NAILA TAHER, JAWAD TAHER ET AMIEN TAHER

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                19 NOVEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

EN DATE DU :                                                 25 NOVEMBRE 1998

COMPARUTIONS :

MICHAEL GREENE                                                    POUR LE DEMANDEUR

BRAD HARDSTAFF                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

G. MICHAEL SHERRITT                                                        POUR LE DEMANDEUR

CALGARY (ALBERTA)

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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