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     Date : 19990217

     Dossier : T-1767-98

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 17 FÉVRIER 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

Entre

     MANSOUR AHANI,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesses

     ORDONNANCE

     LA COUR :

1.      Fait droit à la requête des défenderesses en radiation du paragraphe 2 de la déclaration du demandeur, qui conteste le sous-alinéa e)(iii), la disposition e)(iv)(C), le sous-alinéa f)(ii), la disposition f)(iii)(B) et l'alinéa g) du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, et radie par les présentes cette partie de la déclaration;

2.      Fait droit à la requête des défenderesses en radiation de la dernière phrase du paragraphe 9, laquelle phrase est radiée par les présentes;

3.      Fait droit, sur consentement du demandeur, à la requête des défenderesses en radiation des mots " indûment large " figurant au paragraphe 13(4) de la déclaration, lesquels mots sont radiés par les présentes;

4.      Ajourne l'audition de la requête des défenderesses relative à la conclusion du demandeur aux dommages-intérêts généraux et spéciaux, pour permettre à celui-ci de soumettre à la Cour un projet de déclaration modifiée avec motifs à l'appui de cette conclusion, compte tenu du précédent Guimond c. Québec, [1996] 3 R.C.S. 347. Le projet de déclaration modifiée sera soumis à la Cour et signifié aux défendeurs d'ici au lundi 15 février 1999 au plus tard, et les débats auront lieu par voie de conférence téléphonique à une date à fixer par la Cour.

     Signé : Marshall E. Rothstein

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990217

     Dossier : T-1767-98

Entre

     MANSOUR AHANI,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE et

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesses

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (texte révisé des motifs prononcés à l'audience

     à Toronto (Ontario), le jeudi 11 février 1999)

Le juge ROTHSTEIN

[1]      Il y a requête des défenderesses en radiation de diverses parties de la déclaration par laquelle le demandeur conclut à jugement déclarant que certaines dispositions de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sont nulles et non avenues par application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui forme l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Les défenderesses concluent en premier lieu à la radiation du paragraphe 2 de la déclaration, où le demandeur soutient que les dispositions antiterroristes de la Loi sur l'immigration, savoir le sous-alinéa e)(iii), la disposition e)(iv)(C), le sous-alinéa f)(ii), la disposition f)(iii)(B) et l'alinéa g) de son paragraphe 19(1), sont nulles et non avenues.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Le demandeur est arrivé le 14 octobre 1991 au Canada où il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Le 31 décembre 1991, il a été jugé que sa revendication justifiait d'un minimum de fondement et, le 1er avril 1992, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié y a fait droit. Les 6 et 15 juin 1993, le solliciteur général du Canada et le ministre de l'Emploi et de l'Immigration ont respectivement attesté, en application du paragraphe 40.1(1) de la Loi sur l'immigration, qu'ils étaient d'avis, à la lumière de renseignements secrets dont ils ont eu connaissance, que le demandeur n'était pas admissible au Canada du fait qu'il appartenait à la catégorie des personnes visées par les dispositions antiterroristes de cette même loi, savoir le sous-alinéa e)(iii), la disposition e)(iv)(C), le sous-alinéa f)(ii), la disposition f)(iii)(B) et l'alinéa g) de son paragraphe 19(1). Les 17 et 18 juin 1993, cette attestation a été transmise à un agent d'immigration et déposée auprès de la Cour. Copie en a été signifiée au demandeur qui, du coup, a été mis en détention. Il est toujours en détention depuis cette date.

[3]      À la suite des mesures prises à son égard en application de l'article 40.1, le demandeur a contesté la validité constitutionnelle de ce dernier en saisissant la Cour, le 24 décembre 1993, d'une action fondée sur l'article 7 de la Charte. L'affaire (Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669) a été jugée par Mme le juge McGillis qui a conclu que ces mesures étaient constitutionnellement valides. Sa décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (1996), 201 N.R. 233, et la demande d'autorisation de pourvoi a été rejetée par la Cour suprême du Canada, [1997, 2 R.C.S. v.

[4]      Par la suite, les mesures prises en application de l'article 40.1 sont devenues définitives le 17 avril 1998 après que le juge Denault, en sa qualité de juge désigné, eut conclu que l'attestation ministérielle était raisonnable. La ministre a dès lors procédé conformément à l'alinéa 53(1)b) de la Loi sur l'immigration en vue d'expulser le demandeur.

[5]      L'alinéa 53(1)b) prévoit ce qui suit :

     53.(1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas :         
         "         
         b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;         

[6]      Le 12 août 1998, la ministre a donné son avis que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada.

[7]      Celui-ci a intenté l'action en instance le 9 septembre 1998 pour contester la validité constitutionnelle des dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration.

ANALYSE

[8]      Les défenderesses reconnaissent que le demandeur est en droit d'intenter l'action en instance pour contester la validité constitutionnelle de l'alinéa 53(1)d). Cependant, elles soutiennent entre autres que celui-ci a choisi de contester la validité de l'article 40.1 dans son action de 1993, que cet article intègre par référence les dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, et que de ce fait, le demandeur est maintenant irrecevable à intenter une nouvelle action pour contester ces dernières. Les défenderesses citent la cause Singh (Ahmar) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 123 F.T.R. 241, dans laquelle le juge Muldoon de notre Cour a conclu que la " fragmentation du litige " est un abus de procédure. Au paragraphe 9 des motifs de sa décision, le juge Muldoon a évoqué l'arrêt Maynard v. Maynard , [1951] R.C.S. 346, où la Cour suprême du Canada a adopté le passage suivant de la jurisprudence Green v. Weatherill, [1929] 2 Ch. 213, pages 221 et 222 :

     " la Cour exige que les parties à ce litige fassent valoir la totalité de leurs arguments et elle n'autorisera pas (à moins de circonstances spéciales) ces mêmes parties à ouvrir le même sujet de litige à l'égard d'une question qui aurait pu être soulevée dans le cadre du sujet contesté, mais qui ne l'a pas été parce que, par négligence, inadvertance, voire accident, elles ont omis d'exposer une partie de leurs arguments. Le principe de la chose jugée s'applique, sauf dans des cas spéciaux, non seulement aux points sur lesquels les parties obligeaient en fait la Cour à se former une opinion et à rendre jugement, mais à tous ceux se rapportant à juste titre au sujet de litige et que les parties, en faisant preuve d'une diligence raisonnable, auraient pu soulever à ce moment.         

[9]      Le juge Muldoon a encore évoqué un autre passage de l'arrêt Maynard où la Cour suprême a fait siens les motifs suivants de l'arrêt Hoystead v. Taxation Commissioner, [1926] A.C. 155, page 170 :

     Les parties ne sont pas autorisées à engager un nouveau litige à cause des vues nouvelles qu'elles pourraient avoir sur le droit relatif à l'affaire, ou de versions nouvelles qu'elles présentent sur ce qui devrait être, pour la Cour, une bonne façon de comprendre le résultat légal qui découle soit de l'interprétation des documents soit de l'importance de certaines circonstances.         
     Si cela était autorisé, un litige n'aurait de fin que le jour où l'ingéniosité légale serait épuisée. Il est un principe de droit que cela ne peut être autorisé, et ce principe est réitéré dans une abondante jurisprudence.         

[10]      À mon avis, les observations ci-dessus s'appliquent en l'espèce. En 1993, le demandeur s'est fondé sur la Charte pour contester la validité de l'article 40.1. Celui-ci intègre par référence les dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1), que le demandeur cherche maintenant à contester par l'action en instance. Ces dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1) font donc partie intégrante du régime légal institué par l'article 40.1. Il n'y a aucune raison pour laquelle le demandeur n'aurait pu contester en même temps le paragraphe 19(1) dans son action de 1993. En fait, il a présenté, dans son avis de question constitutionnelle signifié à l'époque, sa contestation comme étant " une question constitutionnelle totale visant l'article 40.1 ". La jurisprudence suivie par le juge Muldoon dans Singh est déterminante à ce point. Le demandeur aurait pu, dans son action de 1993, saisir la Cour des mêmes questions que celles qu'il soulève en l'espèce. Il y est maintenant irrecevable. La question est passée en force de chose jugée.

[11]      Acquiescer à la contestation dans cette action des dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1) reviendrait, de la part de la Cour, à permettre un abus de procédure. En effet, dans Ahani, Mme le juge McGillis fait état des témoignages produits par la Couronne et soumis à un contre-interrogatoire par le demandeur sur le terrorisme, c'est-à-dire l'objet même des dispositions qu'il conteste en l'espèce. Il ne peut donc, comme l'indiquent clairement les précédents cités supra, contester le même point par actions successives.

[12]      Son avocate soutient qu'il était en droit d'attendre la décision rendue par le juge désigné en application de l'article 40.1 avant de contester, en invoquant la Charte, les dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1). Le demandeur fait ainsi de cette contestation un appel contre la décision rendue par le juge désigné sous le régime de l'article 40.1. Cependant, la Loi sur l'immigration ne laisse aucun doute que cette décision n'est pas susceptible d'appel. Voici ce que prévoit le paragraphe 40.1(6) :

     40.1 (6) La décision visée à l'alinéa (4)d) ne peut être portée en appel ni ne peut être revue par aucun tribunal.         

[13]      Cela ne veut pas dire que toute action en jugement déclaratoire d'invalidité constitutionnelle de dispositions de la Loi sur l'immigration est exclue peu importe les circonstances, mais seulement qu'en l'espèce, du fait que le demandeur a choisi d'intenter une action en jugement déclaratoire d'invalidité constitutionnelle en 1993, il n'avait pas le droit de garder devers lui certains de ses arguments par ce motif qu'il attendait la décision rendue sous le régime de l'article 40.1. Une fois qu'il a choisi de contester ce dernier article, qui intègre les dispositions antiterroristes du paragraphe 19(1), il était tenu de faire valoir tous les arguments pertinents. Il ne l'a pas fait à ses risques et périls.

[14]      Le demandeur soutient qu'il y a une différence selon que la contestation fondée sur la Charte vise un point de procédure ou un point de droit. On peut voir qu'à ce propos encore, il voit dans cette action un appel contre la décision rendue par le juge désigné en application de l'article 40.1. Une fois qu'il a engagé sa contestation fondée sur la Charte contre cet article, il était tenu de faire valoir tous les arguments, qu'il s'agisse de point de procédure ou de point de droit, et qu'il s'agisse d'une disposition expresse de l'article 40.1 ou des dispositions du paragraphe 19(1) qui y sont intégrées par référence.

[15]      Le demandeur soutient que puisque la Loi sur l'immigration prévoit des procédures successives dans le processus d'expulsion d'un réfugié au sens de la Convention, il est fondé à procéder par étapes lui aussi. Cependant, la succession de procédures prévues dans la Loi sur l'immigration a été conçue au bénéfice de ceux, comme le demandeur, que l'administration entend expulser. Il convient parfaitement que la personne concernée attende que l'administration invoque une mesure quelconque dans le processus avant de contester la disposition correspondante de la loi. Cependant, elle n'est pas en droit de chercher à ressusciter des questions anciennes, propres à une procédure antérieure, en les intégrant dans une contestation de procédures subséquentes. Que pareille démarche soit permise, et le litige n'en finirait jamais. L'intéressé pourrait alors choisir la disposition à contester et, s'il échoue, chercher à en contester une autre à la suite. Il s'agit là clairement d'un abus de procédure qui, à supposer qu'il soit toléré, jetterait le discrédit sur l'administration de la justice.

[16]      La Cour fait donc droit à la requête des défenderesses en radiation du paragraphe 2 de la déclaration du demandeur, qui conteste le sous-alinéa e)(iii), la disposition e)(iv)(C), le sous-alinéa f)(ii), la disposition f)(iii)(B) et l'alinéa g) du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, et radie par les présentes cette partie de la déclaration.

[17]      Les défenderesses concluent ensuite à la radiation de la dernière phrase du paragraphe 9 de la déclaration. L'avocate du demandeur fait valoir que cette phrase a été incluse pour soulever la question de savoir si la ministre a exercé dans les limites constitutionnelles, le pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de l'alinéa 53(1)b). Ce point n'est pas l'objet de l'action en instance, mais doit être tranché dans le cadre du recours en contrôle judiciaire exercé par le demandeur contre l'avis donné par la ministre en application de l'alinéa 53(1)b) de la Loi sur l'immigration. Puisque ce point n'a aucun rapport avec l'action en instance, la Cour fait droit à la requête relative à la dernière phrase du paragraphe 9, laquelle phrase est radiée par les présentes.

[18]      Sur consentement du demandeur, la Cour fait droit à la requête des défenderesses en radiation des mots " indûment large " figurant au paragraphe 13(4) de la déclaration, lesquels mots sont radiés par les présentes.

[19]      La Cour ajourne l'audition de la requête des défenderesses relative à la conclusion du demandeur aux dommages-intérêts généraux et spéciaux, pour permettre à celui-ci de soumettre à la Cour un projet de déclaration modifiée avec motifs à l'appui de cette conclusion, compte tenu du précédent Guimond c. Québec, [1996] 3 R.C.S. 347. Le projet de déclaration modifiée sera soumis à la Cour et signifié aux défendeurs d'ici au lundi 15 février 1999 au plus tard, et les débats auront lieu par voie de conférence téléphonique à une date à fixer par la Cour.

     Signé : Marshall E. Rothstein

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 7 février 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-1767-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mansour Ahani

                     c.

                     Sa Majesté la Reine et la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      9 février 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

LE :                      17 février 1999

ONT COMPARU :

Mme Barbara Jackman              pour le demandeur

M. Donald MacIntosh              pour la défenderesse

M. Sudabeh Mashkuri

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Waldman & Associates          pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg              pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

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