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Date : 19981223

Dossier : IMM-5090-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 DÉCEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

ENTRE :

                                            NASTEHA MOHAMED ADAM,

            demanderesse,

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

                                                          ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les questions suivantes sont certifiées par les présentes :

Est-ce qu'il existe un pouvoir inhérent de proroger un délai légal lorsque la justice l'exige et que le strict respect du délai va contre l'objectif de la loi?

Est-ce que le délai strict de 15 jours prévu à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration, pour une demande d' « évaluation du risque » en vertu du programme concernant les DNRSRC, après réception d'un avis de refus d'une revendication du statut de réfugié, viole l'article 7 de la Charte des droits et libertés, étant donné qu'un tel délai, qui ne peut être prorogé, n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale?

                                                                                                                 « MARC NADON »      

                                                                                                                                       JUGE      

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


Date : 19981223

Dossier : IMM-5090-97

ENTRE :

                                            NASTEHA MOHAMED ADAM,

            demanderesse,

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire formée conformément au paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration[1](la Loi) contre une décision d'un agent de révision des revendications refusées (ARRR) qui a refusé d'examiner la demande de la demanderesse sous le régime applicable à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) parce que cette demande avait été déposée après l'expiration du délai légal.

[2]         Les faits de l'espèce sont les suivants. La demanderesse, Nasteha Adam, est née à Mogadishu, en Somalie, le 12 août 1978 et est citoyenne de ce pays. Elle a revendiqué le statut de réfugiée et a essuyé un refus le 7 juillet 1997. Toutefois, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a reconnu que la Somalie est un pays [traduction] « sans véritable gouvernement national » et qu'il « ne serait pas objectivement raisonnable » que la demanderesse « réclame de la protection dans sa région natale » de Mogadishu, mais elle a conclu que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur (une PRI) dans la région de Galkayo, dans le nord-est de la Somalie où des membres de son clan résident depuis longtemps. À cet égard, la Commission a déclaré, à la page 15 de sa décision :   

[traduction] Le tribunal reconnaît très bien qu'il peut exister de véritables raisons d'ordre humanitaire pour ne pas retourner des personnes telles que la revendicatrice vers un pays comme la Somalie. Ce sentiment a été exprimé à maintes occasions par des juges de la Cour fédérale dans des décisions confirmant les conclusions de la section du statut de réfugié :

Cela ne signifie pas que le sort des Somaliens en général et des requérants, en particulier, ne soulève pas un sentiment d'outrage et de désespoir. Les conditions en Somalie implorent le secours. Toutefois, ce sont des considérations que nos lois en matière d'immigration laissent à d'autres autorités, et qui outrepassent la compétence de la Commission ou celle de notre Cour.

La demanderesse peut bien invoquer de bonnes raisons d'ordre humanitaire pour obtenir le droit d'établissement, mais cela n'en fait pas une réfugiée au sens de la Convention.

Malheureusement, ces raisons d'ordre humanitaire outrepassent le mandat du tribunal...

[3]         Lorsque la demanderesse a pris connaissance de la décision de la Commission qui rejetait sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention, elle a tenté de communiquer avec son avocat, dont le bureau avait été déménagé. Lorsqu'elle l'a effectivement rejoint, son avocat l'a informée de la possibilité de présenter une demande d'établissement à titre de DNRSRC, mais, comme elle ne disposait pas des fonds nécessaires, elle n'a pas présenté de demande. Cependant, son avocat ne l'a pas avisée qu'elle pouvait signer une demande d'établissement à titre de DNRSRC et l'envoyer elle-même ou qu'un délai était prévu pour le dépôt de la demande. Dans son affidavit, la demanderesse déclare ce qui suit :

[traduction] 6.    Me Gertler m'a dit que les recours possibles, dont une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et une demande d'établissement à titre de DNRSRC, exigeaient le versement d'une somme d'argent supplémentaire, et les membres de ma famille lui ont remis 50 $ pour présenter une demande à la Cour fédérale en mon nom.

7.    Nous n'avons pas parlé de la possibilité qu'il m'aide à présenter une demande d'établissement à titre de DNRSRC, puisque cela coûtait trop cher. Il ne m'a pas informée de l'existence d'un délai pour la présentation de la demande d'établissement à titre de DNRSRC et de la possibilité pour moi de signer la formule et de l'envoyer pour que la demande soit examinée.[2]

[4]         La demanderesse s'est adressée aux Parkdale Community Legal Services (PCLS), où on l'a informée de la nature de la demande d'établissement à titre de DNRSRC et du fait que le délai pour présenter sa demande était expiré. Les PCLS ont présenté une demande d'établissement à titre de DNRSRC pour le compte de la demanderesse le 2 octobre 1997, en plus d'une lettre d'accompagnement expliquant le retard.

[5]         Le 13 novembre 1997, l'avocate de la demanderesse a reçu une lettre de l'ARRR l'avisant que la demande d'établissement à titre de DNRSRC présentée pour le compte de la demanderesse avait été refusée parce qu'elle n'avait pas été soumise dans le délai prescrit, c'est-à-dire dans les 15 jours suivant la date où la section du statut de réfugié l'a avisée de sa décision[3]. Après réception de la décision défavorable concernant les DNRSRC, l'avocate de la demanderesse qui travaillait pour les PCLS l'a avisée de présenter une demande d'établissement « pour des raisons d'ordre humanitaire » conformément au paragraphe 114(2) de la Loi. Selon Mme Zelmanovits, une étudiante en droit employée par les PCLS, la demanderesse ne pouvait pas payer les frais de 500 $ que coûtait cette demande[4].

[6]         La demanderesse a reçu un avis du Bureau de l'immigration de Niagara Falls lui enjoignant de se présenter en vue de son renvoi du Canada le 15 janvier 1998. La demanderesse s'est présentée en vue de son renvoi le 15 janvier 1998 et réside maintenant aux États-Unis en attendant de pouvoir revenir au Canada.

[7]         La présente demande de contrôle judiciaire comporte deux questions principales : à savoir (i) si une ARRR a le pouvoir discrétionnaire, inhérent et implicite, de proroger le délai prévu pour le dépôt d'une demande d'établissement à titre de DNRSRC; et (ii) si le refus de l'ARRR de proroger le délai prévu pour la demande d'établissement à titre de DNRSRC présentée par la demanderesse dans les circonstances de l'espèce constitue un déni de justice fondamentale envers la demanderesse et une atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés[5](la Charte).

(i)    Pouvoir inhérent de proroger le délai prévu pour le dépôt d'une demande d'établissement à titre de DNRSRC

[8]         L'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration[6]est libellé ainsi :

Pour l'application du paragraphe 6(5) de la Loi, la personne à laquelle la section du statut a décidé de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention :

b) le 1er mai 1997 ou après cette date, si elle a l'intention de présenter une demande d'établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada, doit présenter à un agent d'immigration une demande visant l'attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada dans les 15 jours suivant la date où la section du statut l'a avisée de sa décision.

[9]         Il appert, à mon avis, qu'un ARRR n'a pas le pouvoir discrétionnaire, inhérent ou autre, de proroger les délais prévus pour une demande d'établissement à titre de DNRSRC.

[10]       Dans l'arrêt Wilbur-Ellis Co. of Canada c. Canada (M.R.N.)[7], la question était de savoir si un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale avait le pouvoir d'accorder l'autorisation d'interjeter appel d'une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur lorsque le délai d'appel était expiré. Le juge en chef Isaac de la Cour d'appel fédérale a fait remarquer, à la page 586, que, sans une prescription de la loi, un juge n'avait pas le pouvoir de proroger le délai de 90 jours prévu pour le dépôt d'un avis d'appel :

[L]a Section de première instance n'avait pas le pouvoir d'ordonner le dépôt nunc pro tunc d'un avis d'appel à l'intérieur du délai prescrit de quatre-vingt-dix jours car ni la Loi sur la Cour fédérale ni la Loi sur les douanes ne prévoient expressément ou implicitement un tel pouvoir.

[11]       La même question a été soulevée par monsieur le juge Gibson dans Melinte c. Canada (M.C.I.)[8]. Il s'agissait du contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'immigration selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux critères d'admissibilité aux mesures de renvoi à exécution différée (MRED) parce qu'il n'avait pas présenté sa demande dans les 120 jours suivant son admissibilité. Le juge Gibson dit ce qui suit, à la page 294 de sa décision :

[L']agent d'immigration [n'a fait] que se conformer à la loi qui lui prescrivait de rejeter la demande d'établissement IVMRED déposée après les délais. Si les auteurs du programme IVMRED avaient entendu conférer aux agents d'immigration le pouvoir discrétionnaire de déroger à la limite des 120 jours quand les circonstances le justifient, comme c'est, je le pense, le cas en l'espèce, ce pouvoir discrétionnaire aurait pu facilement être mis en place. Il ne l'a pas été.

[12]       Madame le juge McGillis soulève la même question dans Razavi c. M.C.I.[9]lorsqu'elle dit ce qui suit, à la page 41 :

Vu les circonstances, j'ai conclu que l'agent de révision n'avait pas la compétence pour examiner une demande de prorogation des délais prévus aux paragraphes 11.4(3), (4) et (5) du Règlement vu l'absence de disposition législative lui permettant expressément de connaître d'une telle demande. Par surcroît, je suis d'avis que les exigences de la justice fondamentale enchâssées dans l'article 7 de la Charte n'exigeaient pas que l'agent de révision connaisse de la demande du requérant visant à obtenir la prorogation du délai prévu au Règlement avant de prendre sa décision -- de nature administrative -- à l'égard de la présumée demande.

[13]       L'avis indiquant que la section du statut de réfugié avait rendu sa décision portait la date du 7 juillet 1997. La demande d'établissement à titre de DNRSRC de la demanderesse a été postée le 3 octobre 1997, soit près de trois mois plus tard. Donc, la demanderesse a dépassé le délai. La Loi sur l'immigration ou le Règlement sur l'immigration ne prévoient nullement qu'un ARRR a le pouvoir de proroger le délai légal de 15 jours pour la présentation d'une demande d'établissement à titre de DNRSRC. Les décisions ci-dessus précisent bien que, en l'absence de prescriptions de la loi, les ARRR n'ont pas le pouvoir de proroger le délai. Par conséquent, dans la présente affaire, l'ARRR n'avait pas le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai dans le cas de la demande d'établissement à titre de DNRSRC.


(ii)    Violation de l'article 7 de la Charte

[14]       La demanderesse soutient que les alinéas 11.4(2)b) et 11.4(3)b) contreviennent à l'article 7 de la Charte; qu'un délai aussi strict relativement à une procédure visant à évaluer le risque pour la vie, le risque de sanctions extrêmes et le risque de traitements inhumains, avant le renvoi du Canada vers un endroit où ce genre de traitements peut se produire, n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Donc, ces dispositions devraient être considérées comme étant inconstitutionnelles ou bien une prorogation de délai devrait y être prévue.

[15]       En plus de demander le droit d'établissement à titre de DNRSRC, le revendicateur auquel le statut de réfugié a été refusé peut présenter une demande en vue de faciliter son admission au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire comme le prévoit le paragaraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration :

Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

[16]       Dans l'affaire Sinnappu c. M.C.I.[10], les demandeurs étaient des Tamouls citoyens du Sri Lanka. On a jugé qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu'ils avaient une PRI à Colombo. Avant le 1er février 1993, un agent d'immigration examinait automatiquement toute affaire concernant une demande de statut de réfugié rejetée afin de déterminer si les personnes concernées subiraient « ... des traitements inhumains ou cruels dans le pays où elles seraient renvoyées » [11]. Les demandeurs ont été avisés par lettre en date du 13 avril 1995 qu'ils ne faisaient pas partie de la catégorie des DNRSRC. Les demandeurs ont prétendu ne pas avoir reçu cette lettre et n'avoir pris connaissance de la décision relative à leur non-appartenance à la catégorie des DNRSRC qu'au cours d'une entrevue préliminaire au renvoi en décembre 1995. Ils ont présenté une demande d'autorisation et une demande de contrôle judiciaire de la décision de les renvoyer au Sri Lanka. En octobre 1996, ils ont, conformément au paragraphe 114(2) de la Loi, présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, laquelle n'avait pas été jugée à l'époque de la présentation de leur demande de contrôle judiciaire.

[17]       Dans l'affaire Sinnappu, madame le juge McGillis a conclu que, lorsqu'un revendicateur n'a pas exercé en temps opportun un recours d'origine législative, il sera considéré comme n'ayant pas prouvé avoir été lésé ou traité de façon inéquitable en raison du délai. De plus, s'il n'a pas épuisé tous les recours d'origine législative en présentant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, il ne pourra pas prouver qu'il y eu violation de la Charte. Le juge McGillis dit, à la page 49 de sa décision :

En fait, les requérants, qui n'ont pas le droit de rester au Canada, devaient exercer activement et de façon résolue tous les recours d'origine législative qui s'offraient à eux afin d'obtenir le droit de s'établir au Canada. L'omission des requérants d'exercer en temps opportun un recours d'origine législative ne peut justifier l'argument subséquent selon lequel ils ont été lésés ou traités de façon inéquitable en raison du délai. Dans les circonstances, étant donné que les requérants n'ont pas épuisé leurs recours législatifs en présentant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avant la date fixée pour leur renvoi, ils n'ont pas prouvé que les droits qui leur sont reconnus à l'article 7 de la Charte ont été transgressés.

[18]       Madame le juge McGillis soulève cette question de nouveau dans Razavi, précité. Dans cette affaire, le demandeur, revendicateur non reconnu du statut de réfugié, était censé avoir présenté une demande d'établissement à titre de DNRSRC en vertu de l'ancien Règlement sur l'immigration[12](le Règlement). Après l'expiration du délai prescrit dans le Règlement, un avocat a demandé à deux reprises une prorogation afin de permettre au demandeur de présenter des observations écrites. Ces demandes n'ont jamais reçu de réponse. Un ARRR a jugé que le demandeur ne faisait pas partie de la catégorie des DNRSRC et cette décision a été contestée par voie de contrôle judiciaire pour le motif que l'omission par l'ARRR d'examiner la demande de prorogation portait atteinte au droit à la justice fondamentale que l'article 7 de la Charte garantissait au demandeur. Madame le juge McGillis déclare, à la page 41, que :

Non seulement le requérant n'a-t-il pas présenté en temps utile sa demande d'autorisation et sa présumée demande visant à obtenir le droit de s'établir au Canada comme membre de la catégorie des DNRSRC, mais il a également omis de présenter une demande en vue d'obtenir ce droit pour des raisons d'ordre humanitaire. Vu que l'appelant n'a pas épuisé tous les recours d'origine législative qui s'offrent à lui, n'ayant pas présenté de demande invoquant des raisons d'ordre humanitaire qui pouvait elle aussi être fondée sur le risque, il n'a pas établi qu'il y a eu atteinte à l'un ou l'autre des droits que lui garantit l'article 7 de la Charte.

            Madame le juge McGillis conclut en disant ce qui suit, à la page 41 :

Vu les circonstances, j'ai conclu que l'agent de révision n'avait pas la compétence pour examiner une demande de prorogation des délais prévus aux paragraphes 11.4(3), (4) et (5) du Règlement vu l'absence de disposition législative lui permettant expressément de connaître d'une telle demande. Par surcroît, je suis d'avis que les exigences de la justice fondamentale enchâssées dans l'article 7 de la Charte n'exigeaient pas que l'agent de révision connaisse de la demande du requérant visant à obtenir la prorogation du délai prévu au Règlement avant de prendre sa décision -- de nature administrative -- à l'égard de la présumée demande.

[19]       La demanderesse soutient que, même si strictement parlant elle avait le choix de présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire conformément au paragraphe 114(2) de la Loi, de fait, elle ne pouvait pas le faire parce qu'elle ne pouvait pas avancer les droits exigibles de 500 $ pour présenter la demande. Le seul élément de preuve que la demanderesse fournit au sujet du manque de fonds est la déclaration faite par Jill Zelmanovits, une étudiante en droit employée par les PCLS, dans laquelle elle mentionne ce qui suit, au paragraphe 6 de son affidavit :

[traduction] La demanderesse voulait le faire [demander le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire], mais, comme elle est une étudiante de niveau secondaire de 19 ans et n'a pas d'emploi, elle n'était pas en mesure de payer les frais de 500 $ pour la demande « fondée sur des raisons d'ordre humanitaire » . Elle s'est adressée à des amis et à des membres de sa famille au Canada, mais ils n'ont pas pu l'aider à réunir cette somme d'argent.[13]

[20]       Cette déclaration constitue manifestement une preuve par ouï-dire. Il est significatif que la demanderesse ne mentionne pas dans son propre affidavit qu'elle ne pouvait pas supporter financièrement les frais de 500 $ pour la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Je n'accorde aucun poids à la déclaration faite par Mme Zelmanovits au sujet de la capacité de la demanderesse de payer la somme de 500 $ pour la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. De toute façon, même si j'avais été disposé à admettre le témoignage de Mme Zelmanovits sur ce point, je n'aurais pas considéré cette preuve comme étant suffisante. En raison de cette conclusion, il n'y a pas lieu de traiter de l'argument de la demanderesse selon lequel elle ne pouvait pas se prévaloir du recours fondé sur des raisons d'ordre humanitaire.

[21]       Dans Razavi, précité, madame le juge McGillis caractérise le régime législatif concernant les demandeurs du statut de réfugié à la page 40 de sa décision :

[U]n recours quasi-judiciaire et un recours administratif s'offrent à ce dernier : la Commission, dans le cadre de ses fonctions quasi-judiciaires, tient une audience pour déterminer si le revendicateur a droit au statut de réfugié, alors que l'agent d'immigration prend une décision purement administrative à l'égard de la demande présumée du revendicateur éconduit visant à obtenir le droit de s'établir au Canada comme membre de la catégorie des DNRSRC, ou d'une demande d'admission pour des raisons d'ordre humanitaire. Autrement dit, les décisions de nature administrative sont prises seulement après que le revendicateur éconduit a été entendu par la Commission dans le cadre d'une audience quasi-judiciaire en bonne et due forme.

[22]       Le juge McGillis explique ensuite, à la page 41, que, contrairement à la Section d'appel qui était la cour d'archives exerçant des fonctions quasi judiciaires relativement à la question de fond du réexamen d'une revendication du statut de réfugié, un ARRR rend une décision purement administrative et les « exigences de la justice fondamentale enchâssées dans l'article 7 de la Charte n'exigeaient pas que l'agent de révision connaisse de la demande du requérant visant à obtenir la prorogation du délai prévu au Règlement avant de prendre sa décision -- de nature administrative -- à l'égard de la présumée demande (Voir également Ponnampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 117 F.T.R. 294 (1re inst.)) » .

[23]       Je suis entièrement d'accord avec les motifs exprimés par madame le juge McGillis dans les deux décisions Sinnappu et Razavi. Par conséquent, comme la demanderesse n'a pas épuisé tous les recours d'origine législative, elle n'a pas prouvé qu'il y a eu atteinte aux droits que lui garantit l'article 7 de la Charte. De plus, la décision contestée est de nature administrative et n'est donc pas soumise à un examen en vertu de la Charte.

[24]       En dernier lieu, je voudrais traiter de l'argument de la demanderesse portant sur l'incompétence de son avocat. La demanderesse a prétendu que son avocat, Me Gertler, ne l'a pas informée de la possibilité pour elle de présenter sa propre demande d'établissement à titre de DNRSRC ou des délais prévus pour la présentation d'une telle demande. Dans Huynh c. M.E.I.[14], entre autres plaintes, le demandeur a soutenu que l'avocat ne l'avait pas informé du droit de demander le contrôle judiciaire de la décision. Monsieur le juge Rothstein a dit ce qui suit, en réponse à cet argument, à la page 15 :

Il me semble que, dans beaucoup de cas, les plaideurs qui n'ont pas gain de cause peuvent désirer attribuer le résultat à l'incompétence des avocats en cause. Lorsqu'une telle prétention est fondée, un client peut agir contre un avocat en vue d'une réparation. J'estime toutefois que l'omission de la part d'un avocat, librement choisi par un client, ne saurait, en aucun cas à l'exception du cas le plus extraordinaire, entraîner l'annulation d'une décision à l'occasion d'un appel ou d'un contrôle judiciaire.

[25]       À mon avis, les circonstances de l'espèce, l'âge de la demanderesse, sa vulnérabilité particulière en l'absence de ses père et mère pour la guider, et le fait qu'elle ait dû se tourner vers des amis, des membres de sa famille et son avocat pour obtenir des conseils rendent son cas inhabituel et particulièrement sympathique. Cependant, je ne crois pas que c'est ce que le juge Rothstein voulait dire en parlant d'un « cas extraordinaire » qui nécessiterait l'annulation de la décision de l'ARRR. Le juge Rothstein semble examiner l'incompétence de l'avocat et les divers niveaux d'incompétence et non pas les attributs sympathiques du client. D'après moi, ce n'est pas un cas extraordinaire au point de justifier l'annulation de la décision contestée.

[26]       La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties avaient proposé que je certifie les questions suivantes. Premièrement, la demanderesse soutient que deux questions devraient être certifiées :

Est-ce qu'il existe un pouvoir inhérent de proroger un délai légal lorsque la justice l'exige et que le strict respect du délai va contre l'objectif de la loi?

Est-ce que le délai strict de 15 jours prévu à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration, pour une demande d' « évaluation du risque » en vertu du programme concernant les DNRSRC, après réception d'un avis de refus d'une revendication du statut de réfugié, viole l'article 7 de la Charte des droits et libertés, étant donné qu'un tel délai, qui ne peut être prorogé, n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale?

[27]       Par ailleurs, le défendeur propose les questions suivantes :

Est-ce que l'agent d'immigration qui traite une demande présentée conformément au règlement sur les DNRSRC a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour le dépôt de la demande si un demandeur dépose une demande après la période de 15 jours prévue par l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration?

Et si la réponse à la première question est affirmative :

Est-ce que le refus par l'agent d'immigration qui traite la demande présentée conformément au règlement sur les DNRSRC de proroger le délai pour le dépôt d'une demande en accord avec la période de 15 jours prévue par l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration viole les droits que l'article 7 de la Charte des droits et libertés garantit au demandeur?

[28]       Comme les deux décisions Sinnappu et Razavi ont été portées en appel mais que les jugements n'ont pas encore été rendus, je certifierai les deux questions proposées par la demanderesse.

Ottawa (Ontario)                                                                                        « MARC NADON »      

Le 23 décembre 1998                                                                                                      JUGE            

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                                            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                         SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :IMM-5090-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :NASTEHA MOHAMED ADAM C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :LE 7 AOÛT 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :LE 23 DÉCEMBRE 1998

ONT COMPARU :

GERALDINE SADOWAYPOUR LA DEMANDERESSE

SUSAN NUCCIPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PARKDALE COMMUNITY

LEGAL SERVICESPOUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERGPOUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



     [1] Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

     [2] Dossier de la demanderesse, page 208.

     [3] Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 al. 11.4(2)b).

     [4] Affidavit de Mme Jill Zelmanovits, page 17, paragraphe 6 du dossier de la demanderesse.

     [5] Charte canadienne des droits et libertés, 1982, art .7.

     [6] Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172.

     [7] Wilbur-Ellis Co. of Canada Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national pour les Douanes et Accise (1995), 129 D.L.R. (4th) 579, (1995), 189 N.R. 277.

     [8] Melintec. Canada (M.C.I.) (1997), 134 F.T.R. 292.

     [9] Razavic. M.C.I. (1998), 144 F.T.R. 36.

     [10] Sinnappuc. M.C.I. (1997), 126 F.T.R. 29.

     [11] Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, DORS/93-44, Gazette du Canada, Partie II, vol. 127, no 3, p. 655.

     [12] Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, paragraphe 11.4(2).

     [13] Dossier de la demanderesse, page 17.

     [14] Huynhc. M.E.I., (1993), 65 F.T.R. 11.

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