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Date : 19990825


Dossier : T-1658-98



ENTRE :

     CAE MACHINERY LTD.,

     demanderesse,

     - et -

     VALON KONE BRUNETTE LTD.,

     REALSEARCH INC. et

     FUJI KOGYO KABUSHIKI KAISHA,

     défenderesses


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE


[1]      La demanderesse poursuit, à titre de concessionnaire canadienne d'une écorceuse à tambour brevetée, en contrefaçon liée au dispositif qui est fabriqué par ou pour la défenderesse Realsearch Inc. et commercialisé par la défenderesse Valon Kone Brunette Ltd. Le dispositif de ces défenderesses, une machine de tamisage, de triage et de traitement de fibres ligneuses de rebut commercialisée sous le nom de Deal Processor, traite les débris de bois de rebut qui proviennent de l'entreposage et de la manutention de grumes, en particulier de sections de grumes cassées, et les transforme en un produit utilisable, au moyen d'un appareil. Autrement, ces matières de rebut seraient difficiles à éliminer.

[2]      Dans sa requête, la demanderesse sollicite la radiation des paragraphes 9 et 23 de la défense et demande reconventionnelle modifiée, des précisions relativement aux paragraphes 13 et 14 et aux alinéas 16b) et 16c), ainsi qu'une prorogation du délai pour déposer une réponse et une défense reconventionnelle.

[3]      Dans la présente espèce, je ne citerai pas la jurisprudence sur le critère à appliquer relativement à la radiation d'actes de procédure sous le régime de la règle 221 des Règles de la Cour fédérale, me limitant à dire que c'est un critère exigeant puisqu'il doit s'agir d'un acte de procédure qui, de toute évidence, sera indubitablement rejeté, et qui est futile. J'aborde maintenant le premier des deux paragraphes de la défense dont la demanderesse souhaite la radiation.

LE PARAGRAPHE 9 DE LA DÉFENSE MODIFIÉE

[4]      Le paragraphe 9 de la défense modifiée est ainsi libellé :

[TRADUCTION] La défenderesse, Realsearch, est titulaire du brevet no 2106950 et du brevet américain no 5394912 portant tous deux le titre " Wood Fibre Debris Processor " qui se rapporte au Deal Processor.

La demanderesse prétend que le fait que Realsearch soit titulaire d'un ou de plusieurs brevets valides n'a aucun rapport avec le critère de la contrefaçon, en invoquant la décision Lightning Fastener Company Limited v. Colonial Fastener Company Limited [1932] R.C.É. 89, à la p. 100 :

[TRADUCTION] La loi protège une machine de combinaison brevetée même si la machine contrefaite possède des perfectionnements, lesquels pourraient faire l'objet d'un brevet; ce facteur est sans importance, puisque si quelqu'un s'est approprié la substance de l'invention, ou si l'essence ou la substance de l'invention de la demanderesse se trouve dans la combinaison de la défenderesse, il y a contrefaçon.

Essentiellement, comme le brevet de la demanderesse précède ceux de la défenderesse Realsearch dans le temps, le brevet de la défenderesse serait dénué de toute pertinence s'il y a violation de la substance du brevet de la demanderesse.

[5]      La réponse qu'apporte la défenderesse Realsearch quant à la pertinence du paragraphe 9 est que son dispositif n'est pas un tambour écorceur, mais plutôt un dispositif de séparation et de traitement de fibres de bois de rebut. L'avocat des défenderesses fait allusion ici au contre-interrogatoire d'Alister Hume, de Realsearch, qui a expliqué pourquoi le dispositif de Realsearch n'est pas un tambour écorceur, au sens conventionnel visant des grumes qui sont culbutées à l'intérieur d'un tambour rotatif, mais plutôt une machine qui utilise des rotors dans une caisse fixe afin de traiter du bois de rebut.

[6]      La comparaison entre le brevet de la demanderesse et le brevet de la défenderesse mentionné au paragraphe 9 de la défense pourrait être à la fois pertinente et utile pour le juge. Il semble toutefois que la décision Lightning Fastener aille dans le sens contraire. Dans l'affaire Lightning Fastener cependant, il s'agissait de machines servant à produire des glissières ou des fermetures à dentures formées de maillons, un dispositif qui est décrit de diverses autres façons plus complexes dans les motifs, mais qui est aujourd'hui connu sous le nom de fermeture éclair. Dans l'affaire Lightning Fastener, les machines de la demanderesse comme celles de la défenderesse produisaient une fermeture éclair en employant substantiellement le même procédé. La machine de la défenderesse n'était pas nouvelle et elle n'utilisait pas une combinaison unique des phases et des éléments nécessaires pour produire une fermeture éclair. Par contraste, il ressort des brevets en cause dans la présente espèce, lesquels sont décrits respectivement dans les éléments de l'affidavit pour la défenderesse et dans la déclaration pour la demanderesse, que la machine de la défenderesse est alimentée de bois de rebut, tandis que celle de la demanderesse est alimentée de grumes. Exception faite du fonctionnement des machines ou de la question de savoir s'il y a contrefaçon, puisqu'il s'agit de questions qui relèvent du juge saisi de l'instance, il appert que ce que les machines accomplissent et le produit final qui en résulte sont assez différents. Je ne suis pas convaincu que la décision Lightning Fastener, portant sur la production de produits presque similaires ou identiques par des moyens presque identiques, ou le principe qu'elle est censée enseigner, s'applique à la présente espèce.

[7]      Il n'est pas évident et indubitable que le paragraphe 9 ne révèle aucune cause de défense valable, qu'il n'est pas pertinent ou qu'il risque de retarder l'instruction équitable de l'action. Le paragraphe 9 sera maintenu.

LE PARAGRAPHE 23 DE LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

[8]      Le paragraphe 23, qui fait partie de la demande reconventionnelle, est ainsi libellé :

[TRADUCTION] Les défenderesses ont subi des dommages par suite des actes fautifs de la demanderesse ainsi qu'il est allégué dans la défense.

La demanderesse affirme que les actes fautifs comprennent l'acquiescement et le complot illicite, mentionnés aux paragraphes 17 et 18 de la défense. Je note ici que l'acquiescement et le complot illicite ne constituent qu'une partie infime de ce qui est mentionné aux paragraphes 17 et 18. Ce que la demanderesse veut toutefois faire ressortir, c'est que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre des demandes en dommages-intérêts pour les délits de complot ou d'acquiescement.

[9]      La réponse de la défenderesse, qui l'emporte, est qu'elle invoque précisément l'article 45 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34. L'article 45 de la Loi sur la concurrence interdit certains comportements précis qui réduisent la concurrence. Le paragraphe 36(1) de la Loi permet à la personne qui a subi une perte ou des dommages de poursuivre en dommages-intérêts et le paragraphe 36(3) confère la compétence à la Cour fédérale en cette matière.

[10]      Le paragraphe 23 de la déclaration n'excède ni clairement ni évidemment la compétence de la Cour fédérale ni ne constitue un acte de procédure futile qui mériterait d'être radié parce qu'il est préjudiciable, qu'il retarde l'instruction ou qu'il constitue autrement un abus de procédure. Le paragraphe 23 de la demande reconventionnelle sera maintenu.

PRÉCISIONS

Le paragraphe 13

[11]      Au paragraphe 13 de la défense, les défenderesses affirment que certaines parties du brevet de la demanderesse sont invalides en raison du paragraphe 27(1) de Loi sur les brevets, essentiellement parce qu'il s'agirait d'une machine qui n'est pas nouvelle, mais qui était plutôt utilisée avant que la demanderesse ne dépose sa demande de brevet. Les défenderesses concèdent que la demanderesse a droit à des précisions relativement aux alinéas 13a) et d) en ce qui a trait à l'usage antérieur ou à la divulgation.

[12]      En ce qui a trait à l'alinéa 13b), la demanderesse prétend avoir le droit de connaître les éléments d'antériorité qui rendraient son invention évidente, et fait valoir particulièrement qu'une liste de brevets, sans plus, ne satisfait pas à cette obligation. L'avocat de la demanderesse se réfère ici à l'affaire Wellcome Foundation Ltd. c. Novopharm Ltd. (1993) 44 C.P.R. (3d) 456, aux p. 458 et 459 :

En l'espèce, la défenderesse a l'obligation d'établir les faits sur lesquels elle appuie ses allégations selon lesquelles l'invention décrite et revendiquée dans le brevet des demanderesses n'est pas nouvelle, qu'elle a un caractère évident et qu'elle n'implique pas une activité inventive. Le simple renvoi à une liste d'autres inventions et à de nombreux articles publiés dans divers périodiques ..., joint à la prétention que les demanderesses les connaissent et qu'ils leur sont familiers, ne suffit pas à décharger la défenderesse de l'obligation qui est la sienne.

En réponse, les défenderesses affirment que les brevets auxquels elles se réfèrent sont peu nombreux, brefs et simples, et qu'une personne avertie qui consulterait les brevets pourrait facilement arriver à une conclusion quant au fondement de l'allégation d'antériorité ou d'évidence.

[13]      Il est un aspect important de la décision Wellcome c. Novopharm (précitée) qu'il faut relever : même si aucune indication n'y est donnée du nombre de brevets en cause, il y avait au moins eu renvoi à de nombreux articles. La position qui correspond le mieux à la présente espèce est celle qu'a exprimée le juge Mahoney (tel était alors son titre) dans l'affaire Omark Industries Inc. c. Windsor Machine Co. Ltd. (1981) 56 C.P.R. (2d) 111. Le débat portait sur des précisions et, plus précisément, à la page 113, sur les parties de divers brevets antérieurs qui pouvaient être pertinentes. La réponse était que les brevets n'étaient ni longs, ni complexes et que, par conséquent, il n'était pas nécessaire de fournir des précisions supplémentaires :

Les inventions alléguées en l'espèce semblent relativement simples; les brevets en cause sont relativement brefs: sept ou huit pages de texte, y compris deux et trois revendications respectivement, et trois dessins très similaires, sinon identiques, chacun. Aucune preuve n'indique que les autres brevets mentionnés sont longs et complexes; j'en déduis qu'ils ne le sont probablement pas. La nécessité de donner d'autres détails à cette étape de la procédure n'est pas établie [page 113]

[14]      J'ai examiné les cinq brevets énumérés à l'alinéa 13b) et un brevet supplémentaire auquel ont fait allusion les défenderesses, lesquels figurent tous au nombre des pièces jointes à l'affidavit de M. Hume. Les brevets sont très concis. Les illustrations sont simples. Je ne vois aucune raison d'ordonner le dépôt de précisions supplémentaires, d'autant plus que les précisions visent des actes de procédure : les précisions visant des actes de procédure sont habituellement moins détaillées que celles qui sont accordées à une étape ultérieure.

[15]      Il n'est pas nécessaire de statuer sur l'alinéa 13c) puisqu'il renvoie aux antériorités énumérées aux alinéas 13a) et 13b), lesquels ont déjà été traités.

Le paragraphe 14

[16]      Au paragraphe 14 de la défense, les défenderesses affirment que l'invention était évidente puisqu'elle ne serait qu'une modification des antériorités décrites au paragraphe 13 de la défense. Toute différence entre l'invention et les antériorités ne serait qu'une question d'application de l'habileté d'une personne versée dans l'art. Par conséquent, selon les défenderesses, la machine des demanderesses n'est pas une invention brevetable.

[17]      La demanderesse prétend avoir le droit de connaître quels éléments de l'antériorité rendent l'invention évidente et [TRADUCTION] " ...comment, quand et où l'utilisation publique ou la vente par une autre personne antérieures ont rendu l'invention évidente. "

[18]      Il me semble que la demanderesse confond deux concepts. Le premier concept est celui de l'évidence, et c'est celui que plaident les défenderesses. Le deuxième concept est celui de l'utilisation publique ou de la vente antérieures. Au paragraphe 14 de la défense, les défenderesses ne disent pas qu'il y a eu quelque autre utilisation ou vente antérieure distincte de ce qui est allégué au paragraphe 13, mais uniquement que l'invention de la demanderesse était une modification évidente et non inventive de l'état antérieur de la technique décrit au paragraphe 13. Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, l'antériorité visée au paragraphe 13 de la défense est soit de nature à être précisée volontairement par les défenderesses, soit évidente en soi à partir des brevets concis auxquels il est fait allusion.

[19]      En ce qui a trait à l'argument de l'évidence au paragraphe 14, il est aussi lié au paragraphe 13, à l'égard duquel certaines précisions nécessaires seront fournies volontairement et d'autres précisions ne sont pas exigées. La demanderesse n'a pas besoin d'obtenir des précisions supplémentaires relativement au paragraphe 14 pour le dépôt d'actes de procédure.

L'alinéa 16b) de la défense

[20]      L'alinéa 16b) de la défense énonce que certaines revendications du brevet sont invalides parce que :

[TRADUCTION] Les revendications excèdent la prétendue invention faite par l'inventeur et ne sont pas étayées par la divulgation;

La demanderesse fait valoir que les défenderesses doivent préciser les parties des revendications qui ne sont pas étayées par l'invention faite ou divulguée, en invoquant la décision Bror With c. Ruko of Canada Ltd. (1977), 31 C.P.R. (2d) 3, aux pages 4 et 10. Dans l'affaire Bror, la défense ne comprenant qu'une allégation portant que le brevet revendiquait plus que ce qui avait été inventé. Le juge Walsh a ordonné le dépôt de précisions permettant au moins de confirmer que l'attaque de la défenderesse était aussi limitée que ce que prétendait la défenderesse dans son argumentation. La demanderesse invoque en outre les décisions Outboard Marine Corp. c. Sabre-Saw Chain Ltd. (1977), 30 C.P.R. (2d) 95, à la p. 96, et Superseal Corp. c. Glaverbel-Mecaniver Canada Ltd. (1977), 30 C.P.R. (2d) 97. Cette dernière décision est utile car, au lieu de simples propositions comme celles qui sont énoncées dans les décisions Bror With et Outboard Marine, le juge Marceau (tel était alors son titre) a examiné l'équilibre à maintenir. D'un côté, la partie demanderesse a le droit de comprendre adéquatement les motifs sur lesquels s'appuie la contestation de son brevet et de faire circonscrire de façon raisonnable les points en litige. De l'autre, il faut que cela se réalise sans que la partie défenderesse ne soit obligée de révéler les moyens de sa preuve :

Cette demande de particularités pour y donner justice doit être examinée paragraphe par paragraphe, et comme dans tous les cas du genre, un tel examen doit se faire d'abord en fonction de principes généraux bien connus notamment le droit de la demanderesse de connaître avec précision les motifs de contestation des défendeurs relativement à la validité de ses brevets, et la nécessité de circonscrire le débat dans la mesure où il est possible de le faire sans forcer la défenderesse à révéler ses moyens de preuve, mais aussi en tenant compte du cas d'espèce, soit de la simplicité relative des inventions faisant l'objet des brevets, et de la connaissance que la demanderesse peut elle-même avoir des faits qui entourent le litige et lui ont donné naissance.      [page 99]

Le juge Marceau note, à la fin de ce passage, qu'il faut aussi tenir compte de la simplicité relative de l'invention que le brevet divulgue et de la connaissance de la partie demanderesse. Dans l'affaire Superseal, la Cour a ordonné aux défendeurs de dévoiler les éléments du brevet de la demanderesse qui excéderaient ce que les inventeurs auraient inventé.

[21]      Les défenderesses invoquent deux décisions qui reprennent certains éléments enseignés par le juge Marceau dans l'affaire Superseal. Dans la décision CSI Manufacturing and Distribution Inc. c. Astroflex Inc. (1992) 45 C.P.R. (3d) 195, le juge Noël (tel était alors son titre) s'est penché notamment sur une allégation portant que les revendications allaient au-delà du mémoire descriptif, et a noté qu'il s'agissait d'une question d'interprétation du libellé des revendications et que le fait d'ordonner la production de précisions " imposerait à la défenderesse l"obligation de révéler la nature légale de son argumentation lors du procès plutôt que des faits essentiels, ce qui ne saurait lui être imposé. " (page 197).

[22]      Les défenderesses invoquent aussi la décision Parker v. G.M. Gest Ltd. (1952) 15 C.P.R. 76, du protonotaire en chef Marriott, c.r., de la Cour suprême de l'Ontario. Le protonotaire en chef Marriott a adopté le concept énoncé dans la décision Sales Affiliates Inc. v. National Mineral Co. of Canada Ltd. (1949), 9 C.P.R. 155 (C.de l'É.), que j'examinerai un peu plus en profondeur, dans une affaire où il s'agissait notamment de précisions devant servir à déterminer de quelle façon les requérantes auraient revendiqué plus que ce qu'il leur était loisible de faire en vertu de leur brevet.


[23]      Dans la décision Sales Affiliates, le juge O"Connor a noté que la Cour de l'Échiquier suivait la pratique d'ordonner le dépôt de précisions à l'égard d'allégations d'ambiguïté, mais non à l'égard d'allégations de portée excessive des revendications par rapport à l'invention; puis, après avoir mentionné deux exception à ce principe, il a expliqué pourquoi le tribunal n'ordonne habituellement pas le dépôt de précisions semblables :

[TRADUCTION] La raison pour laquelle la Cour n'a pas pour pratique de procéder ainsi et pour laquelle, selon moi, elle ne devrait pas le faire dans la présente espèce, c'est qu'il s'agit uniquement d'une question d'argumentation quant à la question de savoir si les revendications dans le brevet sont appuyés par le mémoire descriptif. Les précisions sont habituellement exigées de façon à permettre au demandeur de procéder aux recherches nécessaires pour bien assurer sa défense au procès. Il n'est rien de tout cela dans la présente espèce. Le mémoire descriptif et la revendication parlent d'eux-mêmes et la question de savoir si la prétention du défendeur à l'égard des revendications est fondée ou non est une question d'argumentation.

     [pages 157 et 158]

[24]      J'éprouve de la difficulté à harmoniser cette série de décisions puisque, à une extrémité du spectre, les précisions de cette nature sont accordées presque automatiquement, tandis qu'à l'autre extrémité, elles sont refusées de la même façon. Je crois que l'approche rationnelle adoptée par le juge Marceau dans la décision Superseal n'entre pas en conflit avec ce que le juge Noël énonce dans la décision CSI Manufacturing, pourvu que les précisions n'aillent pas jusqu'à révéler la nature légale de l'argumentation. Il peut donc y avoir un moyen terme en ce qui a trait aux précisions demandées relativement aux allégations de portée excessive des revendications par rapport au mémoire descriptif. Il existe en l'espèce un moyen terme qui aidera la demanderesse à comprendre l'allégation de portée excessive des revendications par rapport au mémoire descriptif sans révéler davantage l'argumentation déjà présentée par les défenderesses.

[25]      Les défenderesses disent que la revendication de la demanderesse, portant qu'elle a inventé un tambour écorceur, n'est pas divulguée en fait dans son brevet. Cette précision a été donnée indirectement par la défenderesse comme précision relativement à l'alinéa 16a) de la défense et d'une façon légèrement indirecte dans l'affidavit d'Alister Hume, pour Realsearch, ainsi que dans le contre-interrogatoire portant sur cet affidavit.

[26]      Dans les précisions données en réponse à l'alinéa 16a), les défenderesses disent que l'invention de la demanderesse n'a pas les caractéristiques d'un tambour écorceur : cela est légèrement utile pour aider la demanderesse à comprendre la défense en question mais, même aux fins d'un acte de procédure, cela reste un peu en deçà du minimum requis. Je crois que les défenderesses l'ont compris puisque, pour répondre à cet aspect particulier de la demande de précisions, elles ont, dans leurs observations relatives à la présente requête, fait mention de l'affidavit de M. Hume et de son contre-interrogatoire. Dans son affidavit, M. Hume, homme d'affaires et administrateur de la défenderesse Realsearch Inc., donne son opinion, fondée sur [TRADUCTION] " une trentaine d'années dans le commerce du matériel mécanique forestier ". M. Hume commence par affirmer, au paragraphe 7, que l'invention brevetée [TRADUCTION] " n'est pas un " tambour écorceur " au sens donné à ce terme dans l'industrie ". Puis il devient plus précis, décrivant les diverses raisons qui l'ont porté à estimer que les revendications du brevet vont au-delà de la description de l'invention donnée dans les mémoires descriptifs du brevet. Ces points précis sont certainement adéquats pour permettre à la demanderesse de comprendre la défense par laquelle les défenderesses prétendent que les revendications ont une portée plus large que l'invention. Il n'en demeure pas moins que les points présentés par M. Hume dans son affidavit ne constituent pas des précisions en tant que telles.

[27]      Les précisions, qui sont produites suivant une demande, ont comme particularité d'être clairement des actes de procédure ou, à vrai dire, des modifications apportées à des actes de procédure : voir à cet égard l'exposé dans la décision Margem Chartering Co. c. Le Bocsa, [1997] 2 C.F. 1001, à la p. 1012. Un acte de procédure renvoie à un nombre assez limité de documents précis. Par exemple, les Règles de la Cour fédérale donnent la définition suivante de l'acte de procédure :

Acte par lequel une instance est introduite, les prétentions des parties sont énoncées ou une réponse est donnée.      [Règle 2]

L'affidavit et le contre-interrogatoire portant sur cet affidavit ne deviennent pas un acte de procédure au sens où il y aurait énonciation des prétentions ou réponse à des prétentions : si tel était le cas, ces actes de procédure échapperaient à tout déroulement ordonné et les parties ne sauraient à quelles allégations répondre ni quelle réponse leur a été donnée. En réalité, la conclusion qu'un affidavit n'est pas un acte de procédure découle implicitement du concept selon lequel il est loisible d'ordonner qu'un affidavit serve comme acte de procédure : voir le Volume 36 d'Halsbury, 4e édition, au paragraphe 59, note 6.

[28]      En résumé, si l'affidavit de M. Hume était un acte de procédure, les renseignements qu'ils énonce au paragraphe 9 constitueraient une réponse entièrement satisfaisante à la demande de précisions. L'affidavit n'est toutefois pas un acte de procédure. Les défenderesses fourniront des précisions supplémentaires relativement à l'alinéa 16b) de leur défense.

L'alinéa 16c) de la défense

[29]      L'alinéa 16c de la défense porte que :

[TRADUCTION] L'invention décrite et revendiquée dans le brevet 309 n'a aucune utilité aux fins indiquées par la demanderesse;...

La demanderesse prétend avoir le droit de connaître de quelle façon l'invention divulguée et revendiquée est inopérante.

[30]      La demanderesse invoque la décision Outboard Marine (précitée); ainsi qu'elle est rapportée, cette décision ne constitue toutefois qu'une simple ordonnance imposant le dépôt de précisions sur l'absence d'utilité de l'invention. Le juge Noël, dans la décision CSI Manufacturing (précitée), estimait qu'une ordonnance de précisions au sujet d"une allégation d'absence d'utilité obligerait la défenderesse à divulguer la nature juridique de l'argumentation qu'elle prévoyait présenter à l"instruction, ce qui ne saurait lui être imposé. La question de l'utilité est plutôt une question de fait qui dépend des circonstances et qui doit être tranchée en fonction de la preuve d'experts, ainsi que l'enseigne l'arrêt French"s Complex Ore Reduction Co. v. Electrolytic Zinc Process Co., [1930] R.C.S. 462, à la page 466 :

[TRADUCTION] La question de savoir si dans un cas donné il a invention, nouveauté ou utilité est toujours une question de fait qui dépend des circonstances particulières de l'affaire et qui est à trancher en fonction des témoignages de ceux qui possèdent une compétence et un savoir techniques leur permettant de comprendre la réalisation, la machine, la fabrication, le procédé ou la composition des matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un des susdits, présentant le caractère de la nouveauté et faisant l'objet d'une concession de brevet.

Dans l'affaire French"s Complex Ore Reduction, l'utilité du brevet a été établie, par le juge de première instance, avec l'aide d'experts éminents : la Cour suprême du Canada n'a rien trouvé à redire quant à la démarche adoptée par le juge de première instance.

[31]      Dans la présente espèce, la demanderesse a une connaissance suffisante des prétentions relatives à l'utilité de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner le dépôt de précisions aux fins des actes de procédure.

CONCLUSION

[32]      À la suite du dépôt de précisions relativement à la portée excessive des revendications par rapport aux revendications, ainsi qu'il est allégué à l'alinéa 16b) de la défense, la demanderesse disposera d'un délai raisonnable pour procéder au dépôt d'une réponse et d'une défense reconventionnelle.


[33]      La présente requête demandait principalement plus de précisions que celles qui sont nécessaires aux seules fins des actes de procédure. Toutefois, comme aucune des parties n'a entièrement eu gain de cause, les dépens devraient suivre l"issue de la cause.


                     (Signé) " John A. Hargrave "

                         Protonotaire                                 

25 août 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)


Traduction certifiée conforme

Raymond Trempe, B.C.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :      T-1658-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CAE MACHINERY LTD.

     c.

     VALON KONE BRUNETTE LTD., REALSEARCH INC. et FUJI KOGYO KABUSHIKI KAISHA

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      7 décembre 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE en date du 25 août 1999.


ONT COMPARU :

Me Timothy Lo

Smart & Biggar

Vancouver (C.-B.)      pour la demanderesse
Me Brian Konst      pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Ronald E. Dimock     

Dimock Stratton Clarizio

Toronto (Ontario)      pour la demanderesse

Me Brian Konst

MacKenzie Fujisawa

Brewer Stevenson

Vancouver (C.-B.)      pour les défenderesses
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