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     Date : 19991123

     T-398-99


OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 23 NOVEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE McGILLIS


         AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7
         ET la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 et le titre 8 du Règlement y afférent
         ET le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.

ENTRE :

     MERCK & CO., INC. et

     MERCK FROSST CANADA & CO.,

     demanderesses,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     et NU-PHARM INC.,

     défendeurs.


     JUGEMENT


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question des dépens sera traitée dans le cadre d'une téléconférence ou d'une audience devant être tenue le plus tôt possible.


     D. McGillis

     Juge

OTTAWA

Traduction certifiée conforme


C. Bélanger, L.L. L.




     Date : 19991123

     T-398-99


         AFFAIRE INTÉRESSANT les articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7
         ET La Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 et le titre 8 du Règlement y afférent
         ET Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.

ENTRE :

     MERCK & CO., INC. et

     MERCK FROSST CANADA & CO.,

     demanderesses,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     et NU-PHARM INC.,

     défendeurs.


     MOTIFS DU JUGEMENT

                                            

LE JUGE McGILLIS

INTRODUCTION

[1]      Les demanderesses, Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (" Merck "), ont présenté une demande d'annulation de la décision datée du 25 février 1999 par laquelle le ministre de la Santé (le ministre) a, en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues , C.R.C. ch. 870, modifié, délivré un avis de conformité à la défenderesse, Nu-Pharm Inc. (Nu-Pharm) pour son médicament appelé Nu-Enalapril. Dans sa demande d"avis de conformité, Nu-Pharm a comparé sa nouvelle drogue Nu-Enalapril à l'Apo-Enalapril, la version générique du médicament breveté de Merck appelé vasotec et n'a fait aucune comparaison ni aucun renvoi au vasotec. À l'issue d'une instance antérieure devant la présente Cour, le ministre a accepté l'Apo-Enalapril comme produit de référence canadien au sens de l'alinéa C.08.001.1c) du Règlement sur les aliments et drogues. Le ministre a décidé que les dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié, ne s'appliquaient pas parce que Nu-Pharm n'avait pas fait de comparaison entre le Nu-Enalapril et le vasotec de Merck et qu"elle n'avait pas fait de renvoi à ce médicament. En conséquence, Nu-Pharm ne s'est pas conformée au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et le ministre a délivré à Nu-Pharm l'avis de conformité pour le Nu-Enalapril à l'insu de Merck. En tant qu'innovateur du vasotec, Merck allègue que le ministre n'aurait pas dû délivrer l'avis de conformité pour le Nu-Enalapril avant que Nu-Pharm ne se soit conformée au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). La question soulevée dans la présente instance consiste donc à savoir si le ministre a commis une erreur en délivrant un avis de conformité pour le Nu-Enalapril avant que Nu-Pharm se soit conformée à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). La réponse dépend de la question de savoir si Nu-Pharm était tenue, en vertu du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), de se conformer à ce règlement. L'interprétation correcte du paragraphe 5(1) est donc au centre de la présente instance.

FAITS

[2]      La demanderesse, Merck & Co., Inc., est propriétaire du brevet canadien no 1,275,349 (le brevet 349). Ce brevet a été délivré le 16 octobre 1990 et il expire le 16 octobre 2007. Il vise le composé pharmaceutique appelé énalapril et ses sels de qualité pharmaceutique, dont le maléate d'énalapril.

[3]      La demanderesse, Merck Frosst Canada & Co. (Merck Frosst), est la titulaire de licence pour le Canada en vertu du brevet 349. Au milieu de 1987, Merck Frosst a obtenu des avis de conformité lui permettant de vendre sur le marché canadien des comprimés de maléate d'énalapril en posologies de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg, 20 mg et 40 mg. Depuis ce temps, Merck Frosst a vendu ses comprimés de maléate d'énalapril sur ce marché sous la marque de commerce vasotec. Le maléate d'énalapril sert au traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque. Les ventes du vasotec de Merck Frosst au Canada s'élèvent à 200 000 000 $ environ par année, soit approximativement le tiers de ses ventes totales de médicaments délivrés sur ordonnance.

[4]      En 1991, Merck a intenté une action en contrefaçon de brevet contre Apotex Inc. (Apotex) au sujet du brevet 349.

[5]      En avril 1993, après la prise du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), Merck Frosst a soumis au ministre, en vertu du paragraphe 4(1), une liste de brevets à l"égard de chacun de ses avis de conformité pour le maléate d'énalapril. Le brevet 349 figurait sur chacune de ces listes de brevets.

[6]      En septembre 1993, des avis de conformité ont été délivrés à Apotex pour ses comprimés de maléate d'énalapril en posologies de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg. À ce moment, Apotex a commencé à vendre sur le marché canadien ses comprimés de maléate d'énalapril sous les noms commerciaux Apo-Enalap et Apo-Enalapril.

[7]      Depuis ce temps, il y a eu de nombreux litiges opposant Merck et Apotex au sujet du maléate d'énalapril. À l'issue d'une action en contrefaçon de brevet et de l'appel subséquent, il a été jugé qu'Apotex avait contrefait certaines des revendications du brevet 349 relativement à la préparation et à la vente de comprimés non protégés par l'article 56 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée. Une injonction permanente a été prononcée contre Apotex pour l"empêcher de continuer à contrefaire le brevet 349. Toutefois, Apotex a pu continuer à vendre ses comprimés d'Apo-Enalapril qui étaient protégés par l'article 56 de la Loi sur les brevets . Pour les besoins de la présente instance, il est inutile de se reporter à l'un quelconque des autres litiges opposant Merck et Apotex au sujet de cette question.

[8]      En juin 1996, Apotex a envoyé aux pharmacies canadiennes un avis les informant que ses matières premières et ses stocks d'Apo-Enalapril étaient épuisés. Sous forme de comprimés, l'Apo-Enalapril a une durée de conservation d'environ deux ans. Ainsi, les pharmacies auraient vendu le reste de leurs stocks d'Apo-Enalapril ou ceux-ci auraient été périmés à un certain moment en 1998. Apotex ne vend donc plus d'Apo-Enalapril au Canada.

[9]      Pendant toute la période en cause, Apotex a entretenu des relations de travail étroites avec Nu-Pharm Inc. (Nu-Pharm), un autre fabricant de médicaments génériques.

[10]      Dans une lettre datée du 23 octobre 1996, Nu-Pharm a envoyé un avis d'allégation à Merck en vertu de l'alinéa 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) indiquant qu'elle achetait auprès d'Apotex du stock acquis avant la délivrance du brevet 349. En réponse, Merck a introduit, dans le dossier no T-2699-96, une demande d'interdiction de la délivrance à Nu-Pharm d'un avis de conformité pour des comprimés de maléate d'énalapril.

[11]      Dans une lettre datée du 10 avril 1997, Nu-Pharm a envoyé un avis d'allégation similaire à Merck relativement au brevet canadien 1,288,351 (le brevet 351). Dans le dossier de la Cour no T-1121-97, Merck a présenté une autre demande en vue d'interdire la délivrance d'un avis de conformité à Nu-Pharm.

[12]      Le 11 septembre 1997, Nu-Pharm a déposé auprès du ministre une présentation abrégée de drogue nouvelle visant le Nu-Enalapril afin d'obtenir un avis de conformité en vertu des dispositions du Règlement sur les aliments et drogues. Dans cette présentation, Nu-Pharm a désigné l'Apo-Enalapril comme produit de référence canadien et a comparé son médicament à ce produit. La présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm ne renfermait aucun renvoi ni aucune comparaison au vasotec de Merck.

[13]      Le ministre a refusé de traiter la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm au motif que l'Apo-Enalapril était inacceptable comme produit de référence canadien et que le vasotec de l'innovateur Merck était le produit de référence canadien approprié pour les besoins de la comparaison avec le nouveau médicament Nu-Enalapril.

[14]      Dans une lettre datée du 17 septembre 1997, l'avocat de Nu-Pharm a écrit à l'avocat de Merck pour donner suite à une discussion concernant la question de savoir si Merck accepterait de se désister de sa demande d"interdiction dans les dossiers nos T-2699-96 et T-1121-97 si Nu-Pharm retirait les avis d'allégation en cause.

[15]      Dans une lettre datée du 19 septembre 1997, l'avocat de Merck a répondu que cette dernière se désisterait de ses deux instances à certaines conditions, dont la réception d'une garantie écrite que les avis d'allégation et toutes demandes connexes présentées au Ministère seraient [Traduction] " irrévocablement retirés ".

[16]      Le 24 novembre 1997, Nu-Pharm a présenté une demande de mandamus dans le dossier no T-2552-97 pour contraindre le ministre à traiter sa présentation abrégée de drogue nouvelle et à délivrer un avis de conformité pour le Nu-Enalapril.

[17]      Merck n'était pas au courant de la présentation abrégée de drogue nouvelle déposée auprès du ministre ni de l'instance introduite par Nu-Pharm dans le dossier no T-2552-97.

[18]      Dans une lettre datée du 12 janvier 1998, l'avocat de Merck a écrit à l'avocat de Nu-Pharm pour donner suite aux discussions concernant la possibilité que Nu-Pharm retire ses deux avis d'allégation et que Merck se désiste de ses demandes d'interdiction connexes dans les dossiers nos T-2699-96 et T-1127-97. Dans sa lettre, l'avocat de Merck dit qu'il comprend que Nu-Pharm désire mettre fin aux instances au motif qu'elles sont théoriques en ce qu'elle [Traduction] " [...] n'a pas acheté et n'achètera pas le reste du stock de comprimés de maléate d'énalapril auprès d'Apotex et que, par conséquent, elle n'utilisera pas ni ne vendra ce stock sous l'étiquette de Nu-Pharm ". L'avocat de Merck a donc proposé de se désister de ces instances à certaines conditions.

[19]      Dans une lettre datée du 25 février 1998, Nu-Pharm a envoyé un troisième avis d"allégation en vertu de l'alinéa 5(3)b ) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Cet avis renvoyait aux brevets 349 et 351 et Nu-Pharm y indiquait, notamment, que certaines revendications du brevet 349 étaient invalides et que son médicament, qui n'était pas identifié, ne contreferait pas les autres revendications du brevet. Nu-Pharm a aussi indiqué que, dans sa présentation de drogue nouvelle, elle ferait une comparaison ou un renvoi au vasotec.

[20]      Vers le 2 avril 1998, Apotex a acheté une installation pharmaceutique de Nu-Pharm qu"elle a rebaptisée Novex Pharma, division d'Apotex. Nu-Pharm a continué à exercer ses activités indépendamment en tant qu'entreprise de vente et de commercialisation de produits pharmaceutiques dans les mêmes locaux que Novex Pharma. Actuellement, Nu-Pharm n'est pas un fabricant de médicaments, mais agit plutôt en tant que grossiste en comprimés pharmaceutiques qui lui sont fournis par un fabricant.

[21]      Le 14 avril 1998, Merck a introduit une demande, no de greffe T-733-98, en vue d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité pour le médicament faisant l'objet du troisième avis d'allégation.

[22]      Dans une lettre datée du 24 août 1998 envoyée à l"avocat du ministre, l'avocat de Nu-Pharm a officiellement retiré ses deux avis d'allégation datés respectivement du 23 octobre 1996 et du 10 avril 1997. Le 16 septembre 1998, l'avocat du ministre a accusé réception de cette lettre et accepté le retrait des deux avis d'allégation. En conséquence, Merck a déposé des avis de désistement dans les instances en interdiction dans les dossiers nos T-2699-96 et T-1121-97.

[23]      Le 28 octobre 1998, une audience a eu lieu devant le juge Cullen dans le dossier de la Cour no T-2552-97 au sujet de la demande de Nu-Pharm en vue de contraindre le ministre à traiter sa présentation abrégée de drogue nouvelle et à délivrer un avis de conformité pour le Nu-Enalapril.

[24]      Le 19 novembre 1998, le juge Cullen a rendu une ordonnance annulant la décision par laquelle le ministre avait refusé de traiter la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm et il a renvoyé l'affaire au ministre pour qu'il rende une nouvelle décision conformément aux motifs de son ordonnance. La décision du juge Cullen est publiée dans Nu-Pharm c. Canada, [1999] 1 C.F. 620 (C.F. 1re inst.).

[25]      Dans les motifs de son ordonnance, le juge Cullen a souligné que le médicament X du fabricant A (c'est-à-dire l'Apo-Enalapril d'Apotex) est identique au médicament X du fabricant B (c'est-à-dire le vasotec de Merck). À la page 632, il a conclu que " [...] un médicament qui est identique au médicament de l'innovateur [...] peut être utilisé pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques lorsque [le ministre] est convaincu que la preuve démontre que ces caractéristiques sont identiques ". Il a donc conclu que le ministre avait commis une erreur de droit en concluant que le médicament X du fabricant A (c'est-à-dire l'Apo-Enalapril d'Apotex) ne répondait pas à la définition de " produit de référence canadien " contenu à l'alinéa C.08.001.1c ) du Règlement sur les aliments et drogues. Toutefois, le juge Cullen a souligné que cet alinéa confère un certain pouvoir discrétionnaire parce que le médicament doit être " jugé acceptable par le ministre ". En conséquence, le juge Cullen a examiné l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire et conclu, à la page 637, que le ministre avait négligé " l'élément le plus crucial en l'espèce, c'est-à-dire le fait que le médicament X de la demanderesse est identique à celui du fabricant A " (c'est-à-dire que le Nu-Enalapril de Nu-Pharm est identique à l'Apo-Enalapril d'Apotex). Dans les circonstances, le juge Cullen a conclu, à la page 637, que le ministre avait rendu une décision " [...] fondée sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance qui indiquaient que les médicaments étaient identiques ". En résumé, le juge Cullen a conclu que l'Apo-Enalapril était un " produit de référence canadien ", au sens de l'alinéa C.08.001.1c ) du Règlement sur les aliments et drogues et il a renvoyé l'affaire au ministre pour qu'il rende une nouvelle décision.

[26]      Ni Merck ni Apotex n'étaient parties à l'instance qui s"est déroulée devant le juge Cullen, et Nu-Pharm n'a aucunement avisé Merck de cette instance. De plus, le dossier public ne mentionne pas l'identité des fabricants A et B (c'est-à-dire Apotex et Merck) ni leurs médicaments respectifs, l'Apo-Enalapril et le vasotec . Merck ignorait donc complètement l"existence de l'instance dans le dossier de la Cour no T-2552-97.

[27]      Le ministre n'a pas interjeté appel de la décision du juge Cullen.

[28]      Le 26 janvier 1999, Merck a été informée de l"existence de l'instance dans le dossier no T-2552-97 et de la décision du juge Cullen. Presque aussitôt après, elle a demandé que le ministre ne délivre pas d"avis de conformité avant que Nu-Pharm ne se soit conformée aux exigences de l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) . Pour tenter d'empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité, Merck a aussi introduit une instance en interdiction. En plus de ses demandes pressantes auprès du ministre et de ses autres instances en interdiction, Merck a pris diverses mesures procédurales, tant devant la section de première instance que devant la Cour d'appel, en vue d'obtenir un nouvel examen ou un appel de la décision du juge Cullen, mais sans succès. Actuellement, la décision du juge Cullen est donc pleinement vigueur et elle ne fait pas l'objet d'un appel.

[29]      Le 25 février 1999, en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, le ministre a délivré à Nu-Pharm un avis de conformité pour des comprimés de Nu-Enalapril renfermant l'ingrédient médicinal appelé maléate d'enalapril. Les comprimés ont été approuvés en posologies de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg. La partie de l'avis de conformité intitulée " produit de référence canadien " renferme la note [Traduction] " identique à l'Apo-Enalapril, Apotex Inc., Canada ".

[30]      L'avis de conformité a été délivré à Nu-Pharm en réponse à sa présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle l'Apo-Enalapril était désigné comme produit de référence canadien. La présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm ne renfermait aucun renvoi ni aucune comparaison à l'une quelconque des formes de maléate d'énalapril fabriquées par Merck et, en particulier, aucun renvoi ni aucune comparaison au vasotec. Apotex avait déjà obtenu son avis de conformité pour la marque Apo-Enalapril de comprimés de maléate d'énalapril en différentes concentrations en le comparant aux comprimés de vasotec comme produit de référence canadien. Les comprimés d'Apo-Enalapril étaient donc une version générique des comprimés de vasotec de Merck. La présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm ne renfermait aucune donnée concernant les études de biodisponibilité ou de bioéquivalence. De plus, les fonctionnaires du ministère de la Santé n'ont pas considéré la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm comme une " présentation indiquant les renvois " à la présentation de drogue nouvelle antérieure d'Apotex. Autrement dit, Nu-Pharm ne s'est fondée sur aucune détermination de bioéquivalence ou de biodisponibilité pour établir l'innocuité et l'efficacité du Nu-Enalapril. Elle a plutôt simplement avisé le ministre que ses comprimés de Nu-Enalapril avait la même préparation que son " produit de référence canadien ", l'Apo-Enalapril.

[31]      Enfin, la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm était distincte et différente de celle qui se rapportait au troisième avis d'allégation en cause dans le dossier no T-733-98. Cette présentation renvoyait expressément au vasotec.

[32]      Le 5 mars 1999, Merck a introduit la présente demande dans laquelle elle sollicite, notamment, l'annulation de la décision par laquelle le ministre a délivré l'avis de conformité à Nu-Pharm à l'égard de comprimés de Nu-Enalapril renfermant l'ingrédient médicinal appelé maléate d'énalapril.

QUESTION EN LITIGE

[33]      Il s'agit de savoir si le ministre a commis une erreur en délivrant un avis de conformité pour des comprimés de Nu-Enalapril avant que Nu-Pharm se soit conformée à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

ANALYSE

i) Introduction

[34]      Dans la décision qu'il a rendue le 19 novembre 1998, le juge Cullen a conclu que l'Apo-Enalapril était un " produit de référence canadien " au sens de l'alinéa C.08.001.1c ) du Règlement sur les aliments et drogues pour les besoins de la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm visant le Nu-Enalapril. En conséquence, il a ordonné au ministre de traiter de cette façon la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm. Pour les motifs susmentionnés, la décision du juge Cullen n'a jamais été portée en appel. Dans le cadre de la présente instance, je ne permettrai pas à Merck de lancer une attaque indirecte contre cette décision. Mon analyse doit donc partir de la prémisse que Nu-Pharm avait le droit d'utiliser l'Apo-Enalapril comme produit de référence canadien pour le Nu-Enalapril pour les besoins du Règlement sur les aliments et drogues et que le ministre était tenu par une ordonnance de la Cour de traiter ainsi la présentation abrégée de drogue nouvelle.

ii) Cadre législatif

[35]      Le cadre législatif régissant la marche à suivre pour obtenir l'autorisation de vendre un nouveau médicament au Canada se trouve dans deux ensembles distincts de règlements, soit le Règlement sur les aliments et drogues pris en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, modifiée, et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pris en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, modifié par L.C. 1993, ch. 2, art. 4. Comme il a été indiqué, la question soulevée dans la présente instance concerne l'interprétation du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Toutefois, pour situer cette disposition dans son juste contexte législatif, il convient d"exposer brièvement les étapes décrites dans le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[36]      Dans le cadre du Règlement sur les aliments et drogues, un fabricant de médicaments doit convaincre le ministre de l'innocuité et de l'efficacité d'une drogue nouvelle avant de la vendre sur le marché canadien. Dans la partie C du Règlement sur les aliments et drogues, au titre 8 intitulé " Drogues nouvelles ", différentes obligations sont imposées au fabricant de médicaments qui demande l'autorisation de vendre une drogue nouvelle au Canada afin de s'assurer que le ministre dispose d'assez de renseignements pour évaluer les exigences prépondérantes d'innocuité et d'efficacité1.

[37]      En vertu du paragraphe C.08.002(1) du Règlement sur les aliments et drogues, nul ne peut vendre ou annoncer une drogue nouvelle à moins que, notamment, le fabricant de cette drogue nouvelle n'ait déposé une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle jugée satisfaisante par le ministre et qu"un avis de conformité n'ait été délivré à cet égard. Le paragraphe C.08.002(2) précise les renseignements et le matériel qu'il faut inclure dans une présentation de drogue nouvelle afin de permettre au ministre d'évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle. En vertu du paragraphe C.08.002(3), le ministre a le pouvoir discrétionnaire d'exiger du fabricant d'un nouveau médicament qu'il fournisse des renseignements et du matériel additionnels lorsqu'il le juge nécessaire pour évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle.

[38]      Le paragraphe C.08.002.1(1) précise les exigences à satisfaire pour remplir une présentation abrégée de drogue nouvelle. En particulier, cette présentation peut être déposée par un fabricant lorsque la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien ou est un bioéquivalent de celui-ci, lorsque la voie d'administration de la drogue nouvelle est identique à celle du produit de référence canadien et lorsque les conditions thérapeutiques relatives à la drogue nouvelle figurent parmi celles qui s'appliquent au produit de référence canadien. Les paragraphes C.08.002.1(2) et (3) suivent le même cadre général que l'article C.08.002 traitant d'une présentation de drogue nouvelle et prévoient respectivement le dépôt de renseignements et de matériel obligatoires ainsi que de renseignements et de matériel requis à la discrétion du ministre afin de permettre à ce dernier d'évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle. Les expressions " produit de référence canadien " et " équivalent pharmaceutique " employés à l'article C.08.002.1 sont définis à l'article C.08.001.1 comme suit :

C.08.001.1 For the purposes of this Division,

C.08.001.1 Les définitions qui suivent s'appliquent au présent titre.

"Canadian reference product" means

(a) a drug in respect of which a notice of compliance is issued pursuant to section C.08.004 and which is marketed in Canada by the innovator of the drug,

(b) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, where a drug in respect of which a notice of compliance has been issued pursuant to section C.08.004 cannot be used for that purpose because it is no longer marketed in Canada, or

(c) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, in comparison to a drug referred to in paragraph (a); (produit de référence canadien)

"pharmaceutical equivalent" means a new drug that, in comparison with another drug, contains identical amounts of the identical medicinal ingredients, in comparable dosage forms, but that does not necessarily contain the same non-medicinal ingredients; ...

" équivalent pharmaceutique " S'entend d'une drogue nouvelle qui, par comparaison à une autre drogue, contient les mêmes quantités d'ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables, mais pas nécessairement les mêmes ingrédients non médicinaux. (pharmaceutical equivalent )

" produit de référence canadien " Selon le cas :

a) une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l'article C.08.004 et qui est commercialisée au Canada par son innovateur;

b) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, lorsqu'une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l'article C.08.004 ne peut être utilisée à cette fin parce qu'elle n'est plus commercialisée au Canada;

c) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, par comparaison à une drogue visée à l'alinéa a). (Canadian reference product) [...]

[39]      Le paragraphe C.08.004(1) exige qu"après le dépôt par le fabricant des renseignements requis, le ministre délivre un avis de conformité lorsqu'une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l'une de ces présentations satisfait aux exigences de l'article correspondant du Règlement sur les aliments et drogues .

[40]      Toutefois, avant de délivrer un avis de conformité en vertu du paragraphe C.08.004(1) du Règlement sur les aliments et drogues, le ministre doit déterminer si l'article 7 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) empêche de le faire.

[41]      Il est important de souligner au départ que l'article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) définit l'expression " avis de conformité " comme suit :

2. In these Regulations, ...

2. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement. [...]

"notice of compliance" means a notice issued under section C.08.004 of the Foods and Drug Regulations; (avis de conformité) ...

" avis de conformité " Avis délivré au titre de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues. (notice of compliance) [...]

[42]      La définition de l'expression " avis de conformité " contenue à l'article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) intègre donc par renvoi l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, qui exige que le ministre délivre un avis de conformité en réponse à une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l'une de ces présentations lorsque le fabricant de la drogue nouvelle s'est conformé à certaines conditions prescrites.

[43]      Dans Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, à la page 144, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a approuvé le résumé général qui a ainsi été fait du cadre législatif du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) :

         Le nouveau régime d'ADC est résumé avec clarté dans l'extrait suivant des motifs rédigés par le juge Teitelbaum dans l'affaire Glaxo Wellcome Inc. c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 75 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.), aux pages 131 et 132 :
             Le ministre délivre un avis de conformité, lequel autorise officiellement la vente d"un médicament, après que le fabricant de ce médicament a rempli deux conditions. La première condition concerne la sécurité et l"efficacité générales du médicament (voir l"article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues , C.R.C. 1978, ch. 870). La seconde condition concerne la non-contrefaçon par le fabricant du médicament de certains brevets incorporés dans le médicament. Cette seconde condition plutôt inattendue qui se rapporte au brevet a été créée après que des changements eurent été apportés au régime d"octroi de licences obligatoires. Auparavant, le fabricant de médicaments génériques qui détenait une licence obligatoire pouvait obtenir du breveté la fourniture sous licence d"une certaine quantité d"un médicament breveté. La procédure de délivrance de l"avis de conformité ne se préoccupait alors pas de questions de contrefaçon de brevet. Toutefois, par suite de l"abolition du régime d"octroi de licences obligatoires décrétée par la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets [. . .] (la "Loi sur les brevets"), le régime d"obtention d"un avis de conformité a également été modifié. Les fabricants de médicaments génériques qui cherchent à obtenir un avis de conformité doivent maintenant déposer ce qu"on appelle un avis d"allégation, conformément à l"article 5 du Règlement .

     [...]

             De fait, aux termes du paragraphe 5(3) du Règlement, dans un "avis d"allégation", le fabricant du médicament générique, "la seconde personne", indique qu"il respecte les brevets incorporés dans le médicament qu"il fabrique. Aux termes de l"article 4 du Règlement , le propriétaire du brevet ou le titulaire d"une licence, habituellement le fabricant d"un médicament d"origine comme les requérantes, soumet une liste des brevets qui comportent des revendications pour le médicament en soi ou des revendications pour l"utilisation du médicament. Aux termes de l"article 3 du Règlement , le ministre inscrit les listes de brevets dans un registre public appelé "registre des brevets".

[44]      À l'article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), la " première personne " est définie comme " la personne visée au paragraphe 4(1) ". Cette disposition prévoit :

4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.

4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l'égard de la drogue, accompagnée de l'attestation visée au paragraphe (7) .

L'article 2 définit la " seconde personne " comme " la personne visée au paragraphe 5(1) ".

[45]      Le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) renferme les exigences qui doivent être remplies pour déclencher l'application du règlement. Le paragraphe 5(1) dispose :

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and wishes to compare that drug with, or make reference to, another drug that has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,


(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or


(b) allege that

     (i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,
     (ii) the patent has expired,
     (iii) the patent is not valid, or
     (iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et souhaite en faire la comparaison, ou faire renvoi, à une autre drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa)4(2)c) est fausse,
(ii) le brevet est expiré,
(iii) le brevet n'est pas valide,
(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

[46]      En vertu de l'article 7 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il est interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à une seconde personne dans certaines circonstances prescrites. En particulier, pour les besoins de la présente instance, l'alinéa 7(1)b) interdit au ministre de délivrer un avis de conformité jusqu'à " la date à laquelle la seconde personne se conforme à l'article 5 ". Autrement dit, lorsque les dispositions du paragraphe 5(1) s'appliquent, une interdiction expresse prévue par la loi empêche le ministre de délivrer un avis de conformité tant que la seconde personne (habituellement le fabricant générique) ne s'est pas conformée aux exigences du paragraphe 5(1). Le paragraphe 7(1) dispose :

7.(1) The Minister shall not issue a notice of compliance to a second person before the latest of


(a) [Repealed, SOR/98-166, s. 6]

(b) the day on which the second person complies with section 5,

(c) subject to subsection (3), the expiration of any patent on the register that is not the subject of an allegation,


(d) subject to subsection (3), the expiration of 45 days after the receipt of proof of service of a notice of any allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c) in respect of any patent on the register,

(e) subject to subsections (2), (3) and (4), the expiration of 24 months after the receipt of proof of the making of any application under subsection 6(1), and

(f) the expiration of any patent that is the subject of an order pursuant to subsection 6(1).

     [...]

7. (1) Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

a) [Abrogé, DORS/98-166, art. 6]

b) la date à laquelle la seconde personne se conforme à l'article 5;

c) sous réserve du paragraphe (3), la date d'expiration de tout brevet inscrit au registre qui ne fait pas l'objet d'une allégation;

d) sous réserve du paragraphe (3), la date qui suit de 45 jours la date de réception de la preuve de signification de l'avis d'allégation visé aux alinéas 5(3)b) ou c) à l'égard de tout brevet inscrit au registre;

e) sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 24 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 6(1);

f) la date d'expiration de tout brevet faisant l'objet d'une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

     [...]

Les autres parties de l'article 7 ne sont pas pertinentes quant à la présente instance.

iii) Principes d'interprétation de la loi

[47]      Afin de déterminer la juste interprétation du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il convient d"appliquer les principes d'interprétation législative énoncés dans l'arrêt de principe Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27. Dans cet arrêt, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, décrit le cadre d'interprétation des lois, aux pages 40 et 41 :

                 Une question d"interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d"appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l"obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d"emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.
                 Bien que l"interprétation législative ait fait couler beaucoup d"encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après "Construction of Statutes"); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1991)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l"interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
                 [traduction] Aujourd"hui il n"y a qu"un seul principe ou solution: il faut lire les termes d"une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s"harmonise avec l"esprit de la loi, l"objet de la loi et l"intention du législateur.
                 Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l"approuvant, mentionnons: R. c. Hydro-Québec , [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.
                 Je m"appuie également sur l"art. 10 de la Loi d"interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois "sont réputées apporter une solution de droit" et doivent "s"interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables".
                 Bien que la Cour d"appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n"a pas accordé suffisamment d"attention à l"économie de la LNE , à son objet ni à l"intention du législateur; le contexte des mots en cause n"a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l"analyse de ces questions.

[48]      La méthode d'interprétation législative fondée sur l'objet visé, qui est retenue dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, a été appliqué par la Cour suprême du Canada dans de nombreuses affaires. Voir, par exemple, Chartier c. Chartier, [1999] 1 R.C.S. 242, à la page 252; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, à la page 704; Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, à la page 839; M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba (1999), 176 D.L.R. (4th) 585, aux pages 597 et 598 (C.S.C.); Baker c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, à la page 230 (C.S.C.); Best c. Best (1999), 174 D.L.R. (4th) 235, à la page 291 (C.S.C.); Winters c. Legal Services Society (1999), 177 D.L.R. (4th) 94, aux pages 112 et 113 (C.S.C.); et Francis c. Baker (1999), 177 D.L.R. (4th) 1, à la page 14 (C.S.C.).

[49]      En appliquant les principes énoncés dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, dans plusieurs des affaires qu"elle a récemment entendues, la Cour suprême du Canada a fourni d'autres directives concernant la méthode d'interprétation législative applicable. En ce qui concerne les éléments de preuve à examiner pour déterminer l'objet d'un texte de loi, les juges Cory et Iacobucci, s"exprimant au nom de la Cour, dans R. c. Gladue , précité, une affaire concernant l'interprétation de la disposition relative à la détermination de la peine contenue à l'alinéa 718.2e) du Code criminel, ont souligné, à la page 704, que " [l]'objet de la loi et l'intention du législateur, en particulier, doivent être définis sur le fondement de sources intrinsèques et de sources extrinsèques admissibles touchant l'historique législatif de la loi et le contexte de son adoption [...] ". Dans Francis c. Baker , précité, une affaire concernant l'interprétation des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, le juge Bastarache, au nom de la Cour, a souligné à la page 14 que " [l]es principes applicables d"interprétation des lois exigent [...] que tous les éléments de preuve relatifs à l"intention du législateur soient pris en considération, à condition qu"ils soient pertinents et fiables ". Enfin, en ce qui a trait à la méthode générale à suivre, les juges Cory et Iacobucci ont souligné dans R. c. Gladue , précité, à la page 704, l'importance de l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, dans l'interprétation de la législation fédérale. L'article 12 de la Loi d'interprétation dispose :

12. Every enactment is deemed remedial, and shall be given such fair, large and liberal construction and interpretation as best ensures the attainment of its objects.

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[50]      Pour déterminer l'interprétation correcte du paragraphe 5(1), je dois donc appliquer les principes d'interprétation énoncés dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, et trouver l'interprétation qui assure le mieux la réalisation de l'objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). [Voir la méthode appliquée dans Novak c. Bond, précité, à la page 839].

iv) Interprétation législative

[51]      Comme il a déjà été indiqué, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a été pris en 1993 en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets après l"édiction de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets , L.C. 1993, ch. 2 et l'abolition du système d'homologation obligatoire applicable aux brevets de médicaments. Pour déterminer l'intention du législateur au moment de la prise de ce règlement, il est utile d'examiner le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation préparé dans le cadre du processus réglementaire. Comme je l'ai indiqué dans SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex (T-1042-99, 12 novembre 1999, C.F. 1re inst.), au paragraphe 18, le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagne le règlement sans toutefois en faire partie révèle les intentions du législateur et renferme des " renseignements sur l'objet et l'effet du règlement proposé ". [Voir aussi Teal Cedar Products (1977) Ltd. c. Canada , [1989] 2 C.F. 135, à la page 140 (C.F 1re inst.); Bayer Inc. c. Canada (Procureur général) (1999), 87 C.P.R. (3d) 293, aux pages 296 et 297 (C.A.F.)]. Un examen du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation dans son ensemble confirme qu'après l'abolition du régime d'homologation obligatoire, le gouvernement a pris le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) afin de protéger les droits des brevetés en empêchant les fabricants génériques de commercialiser leurs médicaments jusqu'à l'expiration de tous les brevets en cause. À cet égard, le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, DORS/93-133, Gazette du Canada partie II, vol. 127, no 6 dit ce qui suit, à la page 1388 :

         [...] En règle générale, les recours judiciaires suffisent pour régler les cas de contrefaçon. Toutefois, avec l'adoption du projet de loi C-91, le gouvernement fait une exception dans ce domaine en permettant aux fabricants de médicaments génériques d'entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l'approbation réglementaire d'un produit. Par conséquent, le titulaire d'un brevet perd un droit dont il aurait pu se prévaloir pour empêcher ses concurrents de faire approuver leurs produits.
         Le présent règlement est nécessaire si on veut éviter que cette nouvelle exception en matière de contrefaçon soit mal utilisée par les fabricants de produits génériques désireux de vendre leurs produits au Canada pendant que le brevet original est encore valide. En vertu du règlement, ces fabricants peuvent toutefois entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l'approbation réglementaire et ainsi commercialiser leurs produits dès que les brevets pertinents arrivent à expiration.

[52]      En prenant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), le gouvernement a donc choisi de donner préséance à la protection des droits conférés par brevet, mais il a néanmoins permis aux fabricants génériques d'accéder au système d'homologation réglementaire afin que leurs produits génériques puissent être vendus aussitôt après l'expiration des brevets en cause. En résumé, le gouvernement a conçu le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) comme " [...] moyen de garantir la conformité aux dispositions de la Loi sur les brevets ". [Voir le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, précité, à la page 1389].

[53]      Étant donné l'intention expresse du législateur qui sous-tend la prise du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il n'est pas étonnant que la présente Cour ait affirmé constamment et à maintes reprises que le but essentiel du règlement est d'empêcher la contrefaçon de brevet. [Voir, par exemple, Apotex Inc. c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1, à la page 11 (C.A.F.); ICN Phamaceuticals Inc. c. Canada (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés) (1996), 68 C.P.R. (3d) 417, à la page 424 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 314 (C.A.F.); Bayer AG c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329, aux pages 331 et 332 (C.A.F.)].

[54]      Après avoir défini le but du régime législatif établi dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il importe de considérer la relation entre ce règlement et le Règlement sur les aliments et drogues. La question de l'interaction entre les deux ensembles réglementaires a fait l'objet de certains commentaires judiciaires. Dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), le juge Hugessen (tel était alors son titre), s"exprimant au nom de la Cour, a souligné, à la page 304, que le travail d'interprétation du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) était difficile parce que " [...] ce règlement, qui a visiblement pour objet de faciliter la protection des droits commerciaux privés en matière de brevets, a été greffé sur un autre ensemble réglementaire, le Règlement sur les aliments et drogues [...] qui a pour seul objet la protection de la santé et de la sécurité du public. Cette union n'est pas des plus heureuses ". Dans la décision récente Merck & Co. Inc. et al. c. Le ministre de la Santé et al. , ( nos de greffe A-276-98 et A-475-98, 23 septembre 1999, C.A.F.), le juge Marceau, s"exprimant au nom de la Cour, a dit du régime établi dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , au paragraphe 4, qu"il était " [...] distinct du processus administratif de longue date qui est prescrit par le Règlement sur les aliments et drogues [...] ". Il a qualifiés ces règlements de " processus parallèles ", soulignant que " [i]ls ne se recoupent que sur le plan de leurs résultats : le ministre ne peut délivrer un avis de conformité sans tenir compte de l'issue des deux processus ".

[55]      Même si les processus établis dans les deux ensembles réglementaires sont distincts et parallèles, ils sont néanmoins expressément liés par la définition de l'expression " avis de conformité " contenue à l'article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) . Étant donné l"existence de ce lien explicite et le fait que les exigences des deux ensembles réglementaires doivent être remplies pour qu'un avis de conformité puisse être délivré, il faut aussi tenir compte du régime et de la terminologie utilisée dans le Règlement sur les aliments et drogues afin de disposer d'un cadre contextuel complet qui permette d"interpréter le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) .

[56]      Il me faut maintenant déterminer l'interprétation du paragraphe 5(1) qui assure le mieux l'objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[57]      Dans ses observations, l'avocat du ministre a soutenu que [traduction] " [...] compte tenu du régime établi dans le Règlement sur les aliments et drogues , le sens ordinaire des mots du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est que, pour que ce règlement s'applique, le requérant doit avoir fait, dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle, une comparaison ou un renvoi à un médicament à l'égard duquel une liste de brevets a été soumise    ". De plus, pour que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) s"applique, Nu-Pharm doit être une " seconde personne " au sens de l'article 2 et du paragraphe 5(1). De l'avis du ministre, la détermination du statut de Nu-Pharm comme seconde personne dépend [traduction] " [...] uniquement de la question de savoir si, en déposant sa demande d"avis de conformité pour le Nu-Enalapril, Nu-Pharm souhaitait comparer cette drogue au vasotec des demanderesses ou faire un renvoi à cette drogue ". Vu la [traduction] " preuve claire et non contredite " que " [...] en déposant sa demande d"avis de conformité pour le Nu-Enalapril, Nu-Pharm n"a pas comparé et ne souhaitait pas comparer ce médicament avec le vasotec des demanderesses et n"y a pas fait renvoi et ne souhaitait pas y faire renvoi ", le ministre a prétendu que Nu-Pharm n'était pas une " seconde personne " et que les dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne s'appliquaient pas. L'avocat de Nu-Pharm a souscrit en général aux observations de l'avocat du ministre concernant l'interprétation à donner du paragraphe 5(1).

[58]      Un examen des observations de l'avocat du ministre révèle qu'il a proposé une interprétation selon le " sens ordinaire " ou littéral du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , sans faire mention de son objet important et fondamental dans le cadre du régime législatif. Le paragraphe 5(1) est la disposition qui déclenche l'application du mécanisme de protection des brevets prévu dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). À ce titre, il joue un rôle clé ou central dans le régime législatif. Il est donc essentiel que le paragraphe 5(1) soit interprété en fonction de son objet et de manière large afin d'assurer la réalisation de l'objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), soit la protection des droits conférés par le brevet. Comme le juge Iacobucci l'a indiqué dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, à la page 41, la méthode fondée sur l"objet exige que le sens grammatical et ordinaire des mots employés dans la disposition soit examiné d'une manière qui " [...] s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur ". L'interprétation du paragraphe 5(1) que propose l'avocat du ministre n'était donc pas fondée sur une analyse complète.

[59]      Pour interpréter le paragraphe 5(1), la première phrase à examiner est " [l]orsqu'une personne dépose [...] une demande d'avis de conformité pour une drogue [...] ". Dans Apotex c. Le ministre de la Santé et al. (T-1635-98, 12 avril 1999, C.F. 1re inst.), j'ai conclu, au paragraphe 36, que l'expression " demande d'avis de conformité " qui est employée aux articles 4 et 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) désigne une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle et un supplément à l'une de ces présentations. Cette interprétation était étayée par la terminologie employée tant dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) que dans le Règlement sur les aliments et drogues. Dans le contexte des faits de l'espèce, l'expression " demande d'avis de conformité " au paragraphe 5(1) peut donc être remplacée par les mots " présentation abrégée de drogue nouvelle " étant donné qu'il s'agit du type de demande déposée par Nu-Pharm en vue d'obtenir un avis de conformité pour le Nu-Enalapril.

[60]      La deuxième phrase à interpréter au paragraphe 5(1) est lorsque la personne qui dépose la demande d'avis de conformité pour une drogue " [...] souhaite en faire la comparaison, ou faire renvoi, à une autre drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise [...] ". Pour interpréter cette phrase, il est utile d'examiner le contexte dans lequel est utilisée la notion de " comparaison " d'une nouvelle drogue avec une autre dans le Règlement sur les aliments et drogues .

[61]      Le mot " comparaison " d'une drogue se trouve à l'article C.08.002.1 du Règlement sur les aliments et drogues concernant le dépôt d'une présentation abrégée de drogue nouvelle, et à la définition de l'expression " produit de référence canadien " contenue à l'alinéa C.08.001.1c ), devant être utilisée relativement à une présentation abrégée de drogue nouvelle. En vertu de l'article C.08.002.1, un fabricant est autorisé à déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle lorsque, notamment, " par comparaison à un produit de référence canadien " la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien ou est bioéquivalente à celui-ci. Comme il est indiqué dans sa définition, l'expression " produit de référence canadien " inclut, à l'alinéa C.08.001.1c ), " une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence [...] par comparaison à une drogue visée à l'alinéa a ) ", soit une drogue commercialisée par l'innovateur en vertu d'un avis de conformité. Le paragraphe C.08.001.1c ) du Règlement sur les aliments et drogues prévoit donc qu'une drogue, qui n'est pas celle de l'innovateur, puisse être utilisée comme produit de référence canadien lorsqu'elle est jugée acceptable par le ministre. Toutefois, pour qu'une telle drogue constitue un produit de référence canadien, l'alinéa C.08.001.1c) dispose clairement et sans équivoque qu'il ne peut être utilisé que pour démontrer la bioéquivalence " par comparaison à une drogue visée à l'alinéa a ) ", soit la drogue de l'innovateur. Autrement dit, tant que la drogue de l'innovateur est encore commercialisée au Canada, un produit de référence canadien ne peut être que cette drogue ou une autre drogue jugée acceptable par le ministre et qui peut être utilisée pour déterminer la bioéquivalence par comparaison à la drogue de l'innovateur.

[62]      Le régime établi dans le Règlement sur les aliments et drogues applicable à une présentation abrégée de drogue nouvelle indique clairement que la drogue nouvelle doit être comparée à celle de l'innovateur directement ou indirectement par l'intermédiaire d'une drogue jugée acceptable par le ministre. Une telle procédure a sans doute été adoptée afin d'assurer le maintien des exigences relatives à l'innocuité et à l'efficacité.

[63]      Dans des cas où la " demande d'avis de conformité " consiste en une présentation abrégée de drogue nouvelle, une interprétation littérale du paragraphe 5(1) devrait mener à la conclusion qu'il faut, pour déclencher l"application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , que la drogue désignée dans cette demande soit celle de l'innovateur. Cette interprétation est renforcée par le libellé indiquant que le paragraphe 5(1) s'applique lorsque la personne qui dépose la demande d'avis de conformité " souhaite " faire la comparaison entre la drogue nouvelle et celle de l'innovateur ou y faire renvoi. En fait, comme il a déjà été mentionné, l'avocat du ministre a soutenu que Nu-Pharm n'était pas une " seconde personne " pour les fins du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , au motif que la présentation abrégée de drogue nouvelle de Nu-Pharm ne renfermait " aucun renvoi ni aucune comparaison " visant le médicament de l'innovateur appelé vasotec et que Nu-Pharm ne " souhaitait " pas comparer sa drogue nouvelle avec ce médicament ou y faire renvoi. Selon moi, cet argument est gravement défectueux.

[64]      Lorsqu'une présentation abrégée de drogue nouvelle désigne une autre drogue et non celle de l'innovateur comme produit de référence canadien, la personne qui dépose cette demande ne peut se soustraire à l'application du régime de protection des brevets établi dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) en déclarant simplement, comme en l'espèce, [traduction] " je ne souhaite pas comparer ma drogue nouvelle à celle de l'innovateur ". Ainsi qu'il ressort clairement du Règlement sur les aliments et drogues , la drogue de l'innovateur demeure la référence ou la norme de comparaison, du moins indirectement, pour l'évaluation de la bioéquivalence, même si un autre médicament est accepté par le ministre comme produit de référence canadien. L'intention de la personne qui dépose une présentation ne peut déterminer une question aussi importante que l'application d'un régime réglementaire visant à protéger les intérêts afférents à un brevet, compte tenu, particulièrement, de la vive concurrence qui s"exerce dans l'industrie. Étant donné le contexte du régime législatif global, le mot " souhaite ", tel qu'il figure au paragraphe 5(1), doit donc être assujetti à une norme objective. De plus, même si une présentation abrégée de drogue nouvelle ne renferme pas un renvoi direct à la drogue de l'innovateur parce que cette autre drogue a été acceptée par le ministre comme produit de référence canadien, la drogue de l'innovateur constitue néanmoins, du moins indirectement, la norme qui sous-tend la comparaison pour la détermination de l'innocuité et de l'efficacité de la drogue nouvelle. En conséquence, toute personne qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle qui a été comparée, directement ou indirectement, à celle de l'innovateur dans une demande d'avis de conformité tombe sous le coup du paragraphe 5(1) et doit se conformer aux dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) . Toute autre interprétation du paragraphe 5(1) n'assurerait pas la réalisation de l'objectif de protection conférée par brevet qui sous-tend le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[65]      Dans la présente affaire, mon interprétation est conforme aussi à la méthode générale suivie pour interpréter correctement le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) dans Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général) (1998), 80 C.P.R. (3d) 74 (C.A.F.). Dans cette affaire, les présentations de drogue nouvelle de Nu-Pharm renvoyaient à des renseignements et à du matériel soumis au ministre par un autre fabricant de médicaments génériques, et se fondaient expressément sur ceux-ci. Ce fabricant de médicaments génériques avait déjà déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle intégrant les essais auxquels le breveté avait procédé. Le ministre a décidé que le paragraphe 5(1) s'appliquait et que Nu-Pharm était tenue de se conformer aux dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) avant la délivrance d'un avis de conformité. Au nom de la Cour, le juge McDonald a conclu que le paragraphe 5(1) s'appliquait, disant ce qui suit, aux pages 78 et 79 :

         Malgré les arguments convaincants formulés par M. Randomski selon lesquels Nu-Pharm a choisi de comparer ses produits à ceux de Générique et du breveté, nous estimons que le juge des requêtes a décidé, avec raison, que Nu-Pharm doit satisfaire aux exigences fixées à l'article 5 du Règlement avant que le Ministre puisse délivrer un avis de conformité. Permettre à Nu-Pharm de se soustraire à ces exigences réglementaires parce qu'elle fait renvoi, dans sa présentation de drogue nouvelle, à un autre fabricant de drogues génériques (Générique 1) qui a déposé une présentation de drogue nouvelle abrégée fondée sur des études réalisées par le breveté (la première personne) qui a lui-même soumis une liste de brevets serait contraire à l'objet de la Loi. En effet, le Règlement sur les médicaments brevetés vise à protéger les initiatives de recherche et de développement engagées par les entreprises pharmaceutiques innovatrices. Voir l'affaire Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 163 (F.C.T.D.). Suivant l'article 5, lorsqu'une personne dépose une demande d'avis de conformité qui compare ou renvoie à une drogue déjà commercialisée et qu'une liste de brevets a été soumise, cette demande doit comporter :
             )      soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;
             )      soit une allégation portant que, selon le cas :
                 i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)b) est fausse,
                 ii) le brevet est expiré,
                 iii) le brevet n'est pas valide,
                 iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.
         L'article 5 a donc pour effet d'aviser le breveté qu'une entreprise générique commercialise une drogue identique ou semblable à la sienne. Cette disposition permet aux brevetés de protéger leurs intérêts juridiques, économiques et propriétaux : elle veille à ce que ces intérêts ne soient pas touchés avant que l'avis de conformité ait expiré ou, si on a porté atteinte à ceux-ci, qu'un avis soit signifié à cet effet. Voici le texte du paragraphe (3) :
             Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :
                 a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;
                 b) signifier un avis d'allégation à la première personne et une preuve de cette signification au ministre.
         Ces alinéas obligent donc la personne qui souhaite obtenir un avis de conformité relativement à une drogue à déposer une allégation, fournir un énoncé détaillé des faits et du droit sur lesquels elle se fonde, et signifier un avis d'allégation si elle veut comparer cette drogue ou faire un renvoi à une drogue à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise. Nu-Pharm ne peut lier sa revendication au fabricant de drogues génériques qui s'appuie sur les épreuves réalisées par le breveté puis déclarer qu'elle n'a pas à se conformer à la Loi parce qu'aucune liste de brevets n'a été déposée par l'entreprise générique. Il n'empêche que Nu-Pharm, même si elle n'est pas tout à fait rendue à cette étape, se fonde sur les épreuves et les autres travaux effectués par les brevetés sur lesquels s'est appuyée l'entreprise générique. Bien que Nu-Pharm soutienne qu'elle compare sa drogue à celle de Générique 1, il n'en demeure pas moins que, pour l'essentiel, elle compare sa drogue à celle du breveté initial, puisque Générique 1 a comparé sa drogue à la drogue de ce dernier. Il s'agit d'une question d'interprétation qui oblige la Cour à analyser les termes dans leur contexte si elle veut respecter l'objet de la Loi. Par conséquent, nous sommes d'avis que Nu-Pharm ne peut se soustraire aux dispositions réglementaires en renvoyant, dans sa demande, à un produit générique qui fait l'objet d'une présentation de drogue nouvelle abrégée.
         Quant à l'argument selon laquelle l'affaire Merck Frosst reçoit application en l'espèce parce que, comme Nu-Pharm a choisi d'uniquement comparer sa drogue au produit générique, Générique 1 est la première personne et que, comme cette dernière n'a pas déposé de liste de brevets, Nu-Pharm ne serait pas tenue de se conformer aux dispositions de l'article 5, nous sommes tous d'accord pour conclure que ce moyen ne peut réussir. Les faits de la décision Merck étaient très inhabituels en ce sens que Merck avait conclu une entente avec Zeneca pour la concession d'une licence relative à la drogue visée et que les sociétés étaient donc toutes deux devenues des premières personnes. En outre, dans cette affaire, le juge des requêtes n'était saisi ni de présentations abrégées ni de présentations avec renvoi. Par ailleurs, en l'espèce, Générique 1 n'est pas une première personne au sens du paragraphe 4(1).

[66]      J"estime que mon interprétation, fondée sur l"objet du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) , est conforme à la décision rendue dans Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur Général), précité. Je souligne aussi que l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 71 C.P.R. (3d) 156 (C.F. 1re inst.), cité dans l'arrêt Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général), précité, peut se distinguer de la présente espèce quant aux faits.

[67]      En résumé, dans la présente instance, la drogue nouvelle appelée Nu-Enalapril a été comparée, pour les fins du Règlement sur les aliments et drogues, au produit de référence canadien appelé Apo-Enalapril. Il a été jugé que la drogue nouvelle appelée Nu-Enalapril était bioéquivalente au produit de référence canadien appelé Apo-Enalapril. En vertu de l'alinéa C.08.001.1c) du Règlement sur les aliments et drogues, l'Apo-Enalapril était une drogue jugée acceptable par le ministre, qui pouvait servir à déterminer la bioéquivalence par comparaison à la drogue de l'innovateur Merck appelée vasotec. Dans les circonstances, il serait tout à fait incompatible avec le but du régime législatif de permettre à Nu-Pharm de se soustraire à l'application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) au motif qu'elle ne " souhaite " pas comparer le Nu-Enalapril au vasotec ou au motif que la présentation abrégée de drogue nouvelle ne renferme aucune comparaison directe entre le Nu-Enalapril et le vasotec. Par conséquent, lorsqu'une personne dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle le produit de référence canadien est une drogue jugée acceptable par le ministre en vertu de l'alinéa C.08.001.1c), la drogue de l'innovateur constitue celle avec laquelle une comparaison doit être faite pour les fins du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Cette interprétation est celle qui assure le mieux la réalisation de l'objet du régime réglementaire.

v) Norme de contrôle

[68]      L'avocat de Merck et celui du ministre ont convenu que la norme de contrôle à appliquer pour déterminer si le ministre a commis une erreur lorsqu'il a délivré l'avis de conformité à Nu-Pharm sans invoquer les dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est celle de la décision correcte. Toutefois, l'avocat de Nu-Pharm a soutenu que la Cour ne devrait modifier la décision ministérielle que si elle est " manifestement déraisonnable " parce que le ministre est un " tribunal spécialisé " agissant dans son domaine d'expertise et d'expérience. Je conviens avec les avocats de Merck et du ministre que la norme de contrôle applicable à la présente instance est celle de la décision correcte. La question de savoir si les interdictions prévues à l'article 7 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) s'appliquent en l'espèce est une pure question de droit ou une question mixte de droit et de fait à l'égard de laquelle peu de retenue, s"il en est, devrait être manifestée envers le ministre. Dans les circonstances, la décision correcte est la norme de contrôle applicable. [Voir Pushpanatham c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1998] 1 R.C.S. 982, aux pages 1010 à 1012].


DÉCISION

[69]      Pour les motifs indiqués, l'article 7 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) interdisait au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm jusqu'à ce que cette dernière se soit conformée à l'article 5. Dans les circonstances, le ministre a commis une erreur de droit en délivrant un avis de conformité à Nu-Pharm pour le Nu-Enalapril.

[70]      La demande de contrôle est accueillie. La question des dépens sera traitée dans le cadre d'une téléconférence ou d'une audience devant être tenue le plus tôt possible. Dans sa lettre datée du 23 septembre 1999, l'avocat de Nu-Pharm a informé la Cour que, suivant l'issue de l'instance, il demanderait la possibilité de traiter de la question d'un sursis à l'exécution de mon ordonnance. Toute requête en sursis d'exécution de mon ordonnance doit être présentée conformément aux Règles de la Cour fédérale (1998), particulièrement la règle 398.


     D. McGillis

     Juge

OTTAWA

Le 23 novembre 1999

Traduction certifiée conforme


C. Bélanger, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DE DOSSIER :              T-398-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada & Co.,

     demanderesses,

     - et -

                     Le Procureur général du Canada, le ministre de la Santé
                     et Nu-Pharm Inc.,
                                             défendeurs.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le lundi 13 septembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉ PAR MADAME LE JUGE McGILLIS

EN DATE DU :              Mardi, 23 novembre 1999

ONT COMPARU :


M. G.A. Macklin, c.r.

POUR LES DEMANDERESSES

M. F.B. Woyiwada

POUR LE DÉFENDEUR

Le Procureur général du Canada

M. H.B. Radomski et

Mme Daniela Bassan

POUR LA DÉFENDERESSE

Nu-Pharm Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Gowling, Strathy & Henderson

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Le Procureur général du Canada

Goodman, Phillips & Vineberg

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

Nu-Pharm Inc.

__________________

1.      Le sens de l'expression " drogue nouvelle " est déterminé par renvoi à la définition de l'expression " drogue nouvelle " contenue à l'article C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues et à la définition du mot " drogue " à l'article 2 de la Loi sur les aliments et drogues . Pour les fins de la présente instance, il est inutile de se reporter à ces dispositions.

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