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Date : 20190530


Dossier : IMM‑5386‑18

Référence : 2019 CF 760

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 mai 2019

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

SOBHI AWAD AL HALABI

TIMAR KHALIL WARDEH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 29 mai 2019. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés)

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie de la demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27  [la LIPR], en vue du contrôle judiciaire de la décision datée du 5 octobre 2018 [la décision] rendue par la Section d’appel de l’immigration [la SAI]. La SAI a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs, Sobhi Awad Al Halabi et Timar Khalil Wardeh, à l’encontre de la mesure de renvoi prise contre eux par la Section de l’immigration. Les demandeurs ont été interdits de territoire au Canada pour fausses déclarations, en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Les demandeurs n’ont pas contesté la validité de la mesure de renvoi. La seule question que la SAI devait trancher était celle de savoir si l’appel devait être accueilli en raison de considérations d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision.

II.  Le contexte et la décision soumise au contrôle judiciaire

[2]  Les demandeurs sont tous les deux des citoyens du Liban. Ils sont devenus résidents permanents du Canada le 5 juin 1998. Ils ont quatre enfants, l’une de ces enfants est Selena, une mineure âgée de 17 ans.

[3]  Dans leur demande de renouvellement de résidence permanente de mars 2011, les demandeurs ont déclaré qu’ils n’avaient jamais été absents (0 jour) du Canada pendant la période quinquennale pertinente, entre mars 2006 et mars 2011. Toutefois, contrairement à leur déclaration, ils vivaient à l’extérieur du Canada depuis au moins 2006. Les demandeurs et leur famille ne sont revenus au Canada qu’en 2012. Ils résident ici depuis ce temps‑là. Les circonstances relatives à leur fausse déclaration ont été révélées lorsqu’ils ont demandé la citoyenneté canadienne en 2013.

[4]  En outre, en ce qui concerne la question relative à la fausse déclaration, je conclus que les faits suivants, tels qu’ils ont été déterminés par la SAI, sont déplorables. Les présentes observations constituent un triste indicateur de la manière dont une personne qui souhaite [traduction« déjouer » notre système d’immigration peut être en mesure de le faire, avec impunité, pendant de nombreuses années :

J’estime que la période que Timar a passée au Canada est un facteur défavorable en l’espèce. Elle est résidente permanente du Canada depuis près de 20 ans, mais ne réside ici que depuis un peu plus de six ans. Sobhi [son époux] semble avoir séjourné au Canada moins que Timar.

[Non souligné dans l’original.]

[5]  Il convient de garder à l’esprit que la plus grande partie de ces six ans constitue la période allant de leur retour au Canada en 2012, à la date de l’audience à la SAI.

[6]  Dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant [ISE], la SAI a examiné, entre autres, les éléments suivants relativement à Selena, la mineure de 17 ans :

1.  elle s’est rendue au Liban six ou sept fois pour des séjours d’environ deux mois à chaque fois;

2.  lorsqu’elle était aux Émirats arabes unis, elle fréquentait une école arabe, mais suivait un programme en anglais;

3.  elle est capable de parler et de bien lire l’arabe;

4.  elle accompagnerait ses parents au Liban, s’ils y étaient renvoyés, parce qu’elle veut rester auprès d’eux jusqu’à son mariage;

5.  sa famille élargie (du côté de son père) vit au Liban;

6.  elle a le droit de revenir au Canada, si elle le souhaite, et pourrait vivre avec ses sœurs qui sont des adultes.

[7]  La SAI a commencé son analyse juridique en reconnaissant le caractère non exhaustif des facteurs énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI n° 4 (Ribic), qui régissent son pouvoir discrétionnaire dans le cadre des appels interjetés à l’encontre d’une mesure de renvoi. La SAI a ensuite examiné la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 rendue par la Cour, dans laquelle le juge O’Keefe a quelque peu modifié les facteurs de la décision Ribic pour les affaires relatives aux fausses déclarations, à savoir :

  1. la gravité de la fausse déclaration;

  2. les remords des appelants;

  3. la durée de la période que les appelants ont passée au Canada;

  4. les attaches familiales au Canada;

  5. le soutien de la collectivité;

  6. les difficultés ou les bouleversements pour les appelants et les membres de leur famille ;

  7. l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision.

III.  Analyse

[8]  Aux paragraphes 57 à 59 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), la Cour suprême a jugé que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAI, fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, rendues dans l’exercice de sa compétence en equity prévue à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est celle de la décision raisonnable. Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59).

[9]  Le critère de l’ISE énoncé dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, exige que la SAI soit « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), au paragraphe 75). Cet intérêt doit être bien identifié et défini, et examiné avec beaucoup d’attention compte tenu de tous les éléments de preuve (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 (Hawthorne), au paragraphe 32). Toutefois, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hawthorne, elle n’impose pas une formule magique à laquelle devaient recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (paragraphe 7).

[10]  La SAI doit soupeser l’intérêt supérieur de l’enfant avec les autres facteurs qui peuvent atténuer les conséquences défavorables du renvoi (Hawthorne, au paragraphe 5; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 24). De plus, l’ISE ne l’emporte pas toujours sur d’autres considérations dans le cadre de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (Baker, au paragraphe 75). Le critère de l’ISE ne peut pas être déterminant en soi (Tang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 107, au paragraphe 22).

[11]  Dans les circonstances, je suis convaincu que la SAI a effectué une analyse justifiée, transparente et intelligible. La SAI a démontré qu’elle était réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de Selena. La SAI a pris en compte la situation difficile de Selena, notamment la preuve de son stress et de la difficulté à se concentrer sur ses études, de même que les facteurs atténuants énumérés au paragraphe 6 des présents motifs.

[12]  En plus de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, je suis d’avis que la décision de la SAI appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Dans un contrôle judiciaire, il faut s’abstenir de « faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » et la cour siégeant en révision doit examiner les motifs et l’issue de la décision rendue par le tribunal « comme un tout » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). Suivant une telle méthode, rien ne justifie l’intervention de la Cour en l’espèce.

IV.  Conclusion

[13]  La décision de la SAI satisfait aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

[14]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune. Par conséquent, aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5386‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5386‑18

 

INTITULÉ :

SOBHI AWAD AL HALABI, TIMAR KHALIL WARDEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mai 2019

 

Jugement et motifs :

Le juge BELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 30 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

John Salam

Pour les demandeurs

 

John Loncar

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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