Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

    

     Date : 19980420

     Dossier : IMM-1061-97

Ottawa (Ontario), le lundi 20 avril 1998

En présence de monsieur le juge Gibson

ENTRE :

     CHI WAH ANTHONY LEUNG,

     Requérant,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimée.

     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée :

Un agent des visas a-t-il l'obligation de s'interroger sur le caractère raisonnable de la décision rendue par le ministre relativement à la réadaptation en vertu du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) lorsqu'il ressort à la face même du dossier que cette décision peut être déraisonnable?

     FREDERICK E. GIBSON

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


Date : 19980420


Dossier : IMM-1061-97

ENTRE :

     CHI WAH ANTHONY LEUNG,

     Requérant,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le vice-consul James C. Gill (le vice-consul) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du requérant. Le requérant a présenté sa demande à titre d'immigrant indépendant exerçant la profession de comptable, CCDP--1171-114. La décision du vice-consul est datée du 11 février 1997.

[2]      Le requérant est un résident permanent de Hong Kong. Il a beaucoup d'expérience comme comptable.

[3]      Vers le 24 février 1989, le requérant a été déclaré coupable à Hong Kong de vol, de falsification de document et d'emploi d'un document contrefait. Il a été condamné à des peines concurrentes de quatre mois d'emprisonnement pour chaque infraction.

[4]      L'entrevue du requérant relativement à sa demande de résidence permanente a été tenue à New York. L'agent des visas qui a mené l'entrevue a été impressionné favorablement par le requérant. Voici des extraits des notes qu'il a prises sur ordinateur relativement à l'entrevue :

             [Traduction] ENTREVUE AVEC CE DEMANDEUR AGRÉABLE, IMPRESSION FAVORABLE. SE QUALIFIE COMME COMPTABLE D'APRÈS SES ANTÉCÉDENTS PROFESSIONNELS, A TRAVAILLÉ POUR CERTAINES SOCIÉTÉS IMPOSANTES, Y COMPRIS DES SOCIÉTÉS MULTINATIONALES. A RÉUSSI L'EXAMEN D'AGRÉMENT DE COMPTABLE EN MANAGEMENT ACCRÉDITÉ POUR LE CANADA. TRAVAILLE ACTUELLEMENT COMME CONTRÔLEUR POUR UNE SOCIÉTÉ AMÉRICAINE TYPE À L'EXTÉRIEUR DE GUANGZHOU,             
             ...             
             PARAÎT SÉRIEUX, TRAVAILLEUR ET DOTÉ D'UN SENS AIGU DE L'ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE.             
             ...             
             DOIT SOUMETTRE LES DROITS RELATIFS À LA RECONNAISSANCE DE SA RÉADAPTATION, SES DÉCLARATIONS PERSONNELLES EXPLIQUANT POURQUOI SA RÉADAPTATION DEVRAIT ÊTRE RECONNUE, TROIS LETTRES DE RECOMMANDATION RÉCENTES. UNE FOIS CES ÉLÉMENTS REÇUS, SA DEMANDE DE RECONNAISSANCE DE RÉADAPTATION POURRA ÊTRE PRÉPARÉE.             
             EN CONCLUSION, L'INTÉRESSÉ M'A DONNÉ UNE BONNE IMPRESSION ET JE CROIS QU'IL EST RÉADAPTÉ ET QUE JE PEUX RÉDIGER SANS RÉSERVE MA DÉCLARATION CONCERNANT SA RÉADAPTATION.             

[5]      Les documents exigés à l'appui d'une demande de reconnaissance de réadaptation par la ministre ont été remis à l'agent des visas au nom du requérant. L'agent des visas a formulé les remarques suivantes à l'appui de la demande présentée à la ministre :

             Il est rare qu'au cours de la carrière d'un agent d'immigration, un demandeur de la résidence permanente au Canada démontre les caractéristiques de la réadaptation, du remord et de la contrition de façon aussi fondamentale qu'elles m'ont été démontrées en ma qualité d'agent qui a mené l'entrevue et d'auteur du présent document en faveur de la reconnaissance de réadaptation. M. Leung, après avoir purgé concurremment ses peines d'emprisonnement à Hong Kong pour ses trois infractions, a réussi parfaitement à poursuivre sa vie avec succès sur les plans professionnel et personnel. Il est considéré comme une personne sérieuse qui fait preuve d'un sens aigu de l'éthique professionnelle. Il a réussi à obtenir un emploi en qualité de comptable contrôleur auprès de sociétés reconnues sur le plan international et prestigieuses. Il admet sans hésitation avoir manqué de discernement en volant et en contrefaisant un chèque. Il n'essaie pas de se justifier ni de susciter la pitié. Il reconnaît qu'il a enfreint la loi et il a accepté la sanction et les conséquences rattachées à l'infraction qu'il a commise. M. Leung paraît posséder de fortes qualités personnelles qui feront de lui un atout pour la société canadienne s'il en devient membre et qui lui feront adopter un style de vie conforme aux principes de l'ordre public, en accord avec les objectifs de la Loi sur l'immigration du Canada.             

Un agent de révision a approuvé les observations de l'agent des visas sans autre commentaire.

[6]      Il n'était pas contesté devant moi que l'agent des visas a la responsabilité d'évaluer une demande de résidence permanente au Canada. La loi lui interdit toutefois d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Les dispositions des paragraphes 19(1) et (2) de la Loi sur l'immigration1 qui sont pertinentes en l'espèce sont reproduites ci-dessous :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

(c.1) persons who there are reasonable grounds to believe

...

(i) have been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of ten years or more, or

...

except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission, as the case may be;

....

(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

...

(a.1) persons who there are reasonable grounds to believe

(i) have been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable by way of indictment under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of less than ten years, or

...

except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission, as the case may be;

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:

...

c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger_:

...

(i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction,

....

(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui_:

...

a.1) sont des personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger_:

(i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis l'expiration de toute peine leur ayant été infligée pour l'infraction,


             [emphasis added]

                 [Je souligne]

[7]      Il n'a pas été contesté devant moi que l'une ou plusieurs des infractions dont le requérant a été déclaré coupable sont décrites aux alinéas 19(1)c.1) ou 19(2)a.1). Les parties non pas contesté non plus que la période d'attente de cinq ans mentionnée à la fin de ces paragraphes avait pris fin lorsque la demande de reconnaissance de réadaptation a été préparée.

[8]      La demande du requérant visant à faire reconnaître qu'il s'est réadapté a été soumise à la ministre avec les documents à l'appui requis. Quelques mois plus tard, le bureau canadien à New York a reçu l'avis suivant :

             [traduction] REJET EN VERTU DE L'ALINÉA 19(1)C.1)             
             La ministre a rejeté la demande de reconnaissance de la réadaptation de l'intéressé le 22 novembre 1996. Elle n'a pas fourni les motifs de sa décision.             
                  N'hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez des questions sur ce dossier.             

[9]      En conséquence, la lettre faisant état de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire a été remise au requérant par l'entremise de son avocat. Elle se lit en partie comme suit :

                  [traduction] J'ai conclu que vous apparteniez à la catégorie non admissible au Canada décrite au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration.             
             ...             
                  ... La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a refusé de reconnaître que vous étiez réadapté. La décision de la ministre est de nature discrétionnaire et elle n'est pas susceptible d'appel. Une demande de contrôle judiciaire de la décision de la ministre ne peut être présentée devant la Section de première instance de la Cour fédérale qu'avec l'autorisation de la Cour.             
             ...             

[10]      Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la ministre a été déposée. La demande d'autorisation a été rejetée.

[11]      Devant moi, l'avocat du requérant a fait valoir avec insistance que la décision de la ministre était abusive à sa face même ou, à tout le moins, qu'il y avait, selon la preuve produite devant moi, des indications de l'existence d'une preuve et de remarques présentées à la ministre qui commandaient manifestement un résultat différent. Il a soutenu qu'en l'absence de motifs susceptibles d'expliquer la logique de ce résultat, l'agent des visas, qui tranche en bout de ligne la demande de droit d'établissement au pays du requérant, avait l'obligation de s'informer, comme il a été invité à le faire, du fondement de la décision de la ministre, de s'assurer que tous les renseignements pertinents ont été présentés à la ministre et, à tout le moins, de transmettre le résultat de son enquête au requérant. L'avocat a affirmé que cette obligation est encore plus importante dans les situations où, comme en l'espèce, le requérant s'est fié à l'agent des visas pour transmettre sa demande de reconnaissance de réadaptation et où c'est la seule personne par l'entremise de laquelle il a reçu avis du résultat de sa demande de reconnaissance de sa réadaptation.

[12]      L'avocat a invoqué, par analogie, la jurisprudence portant sur des cas où des agents des visas doivent rendre des décisions en tenant compte de l'opinion que leur présentent des médecins agréés. Il a porté à mon attention le passage suivant de la décision Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2 dans laquelle le juge a écrit, à la page 279 :

             À mon avis, l"avis médical valablement formé aux termes du sous-alinéa 19(1)a )(ii) lie l"agent des visas. Cependant, l"avis fondé sur une erreur de fait manifestement déraisonnable ou inconsistant, incohérent ou formé en contravention des principes de justice naturelle donne lieu à un excès de compétence. Un tel avis ne peut être réputé valable aux termes du sous-alinéa 19(1)a )(ii).             

[13]      L'avocat a prétendu que les mêmes règles s'appliquaient à la décision de la ministre avec des conséquences équivalentes sur la décision de l'agent des visas.

[14]      Je suis convaincu que cette analogie ne tient pas. C'est la ministre qui doit en l'occurrence être convaincue de la réadaptation. Sa responsabilité à cet égard est de nature discrétionnaire. Il suffit qu'elle soit convaincue, mais elle doit effectivement l'être pour écarter le motif de non admissibilité. La réadaptation comporte une appréciation du comportement futur à partir des actes, des attitudes et du comportement de l'intéressé depuis sa déclaration de culpabilité. Il faut souligner que la responsabilité relative à la décision concernant la réadaptation est confiée à la ministre, et non à des fonctionnaires, tels les agents des visas. C'est à la ministre qu'il incombait de décider si, oui ou non, elle était convaincue et le fait que l'agent des visas qui a préparé le document qui lui a été soumis ait été lui-même convaincu ne porte pas à conséquence.

[15]      Je conclus qu'il ne revenait pas à un fonctionnaire du ministère de la ministre de s'interroger sur les motifs pour lesquels la ministre n'était pas convaincue. La situation de la ministre n'est en rien comparable à celle d'un médecin agréé employé de la fonction publique ou travaillant à contrat pour le ministère. Si le requérant n'était pas satisfait de la décision de la ministre, il pouvait présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Bien que la ministre n'ait pas fourni les motifs de sa décision, le requérant en a été avisé. Il a été informé de son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire. Il a demandé l'autorisation d'introduire une telle demande, mais ne l'a pas obtenue. Compte tenu de toutes les circonstances, l'agent des visas n'était pas tenu de poursuivre son enquête.

[16]      Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le vice-consul n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle judiciaire. Le demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[17]      L'avocat du requérant a recommandé la certification d'une question énoncée comme suit :

             Un agent des visas a-t-il l'obligation de s'interroger sur le caractère raisonnable de la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) lorsqu'à la face même du dossier cette décision peut être déraisonnable?             

L'avocat de l'intimée ne s'est pas opposé à la certification de la question proposée et n'en a proposé aucune autre. À ma connaissance, la question proposée, soulevée clairement en l'espèce, n'a jamais été examinée par la Cour. Je suis convaincu qu'il s'agit d'une question grave de portée générale. Une question formulée dans les mêmes termes, pour l'essentiel, sera certifiée.

                         FREDERICK E. GIBSON

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

20 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1061-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CHI WAH ANTHONY LEUNG c.

                     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDITION :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDITION :          7 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :          20 avril 1998

ONT COMPARU :

Me Shoshana Green              POUR LE REQUÉRANT

Me Stephen Green

Me Godwin Friday              POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Green et Spiegel              POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

George Thomson              POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      (1997), 39 Imm. L.R. (2d) 266 (C.F. 1re inst.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.