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Date : 20190531


Dossier : T‑1146‑16

Référence : 2019 CF 774

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MATTHEW G. YEAGER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Matthew Yeager, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 8 juin 2016 par laquelle M. Miguel Costa, un agent principal de projet pour le Service correctionnel du Canada (le SCC), lui a refusé l’autorisation de participer au salon prélibératoire de la Société John Howard de juin 2016 (le salon de 2016 ou le salon) organisé dans sept pénitenciers en Ontario. Ce refus était motivé par le fait que les services qu’il proposait étaient incompatibles avec l’objet du salon.

[2]  Je dois réexaminer en l’espèce le jugement que j’ai rendu dans la décision Yeager c Canada (Procureur général), 2017 CF 577 (Yeager CF), dans laquelle j’ai refusé d’examiner l’affaire sur le fond, après avoir conclu que les dates du salon étaient passées et que l’affaire était devenue théorique. En appel, la Cour d’appel fédérale (la CAF) a fait remarquer que M. Yeager s’était vu par la suite refuser l’accès aux salons de 2017 et 2018, ce qui aurait eu, a‑t‑elle conclu, une incidence sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard de la question du caractère théorique (Yeager c Canada (Procureur général), 2018 CAF 187 (Yeager CAF), aux paragraphes 13 à 16). La CAF a en outre conclu que mon approche quant à l’appréciation de la preuve par affidavit était erronée (Yeager CAF, aux paragraphes 17 à 23). L’affaire m’a été renvoyée pour que je la réexamine.

[3]  M. Yeager soutient que la décision lui refusant l’accès au salon était déraisonnable, puisqu’elle ne justifiait pas la conclusion portant que ses services étaient incompatibles avec l’objet du salon. Il sollicite l’admission de deux affidavits qui décrivent l’objet du salon et l’éducation prélibératoire en général. Il fait aussi valoir que la décision était inéquitable sur le plan procédural. Enfin, il soutient qu’un verdict imposé est justifié.

[4]  Le défendeur s’oppose à l’admission de la preuve par affidavit et fait valoir que la décision refusant à M. Yeager l’entrée au salon était raisonnable, attendu que l’objet de sa participation n’était pas compatible avec celui de l’événement. Il ajoute en outre que le processus était équitable sur le plan procédural, que M. Yeager ne peut prétendre à un verdict imposé et qu’un tel verdict n’est pas justifié.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Le contexte

A.  Le demandeur

[6]  M. Yeager est criminologue, professeur de sociologie et de criminologie, et possède une grande expérience dans le domaine de la justice criminelle. D’après le dossier, il a déjà eu des interactions avec le SCC, à l’issue desquelles l’accès à des établissements lui a été parfois accordé et d’autres fois refusé.

B.  Le salon

[7]  Le salon est un événement annuel commandité par la Société John Howard de Kingston (la SJHK) dans plusieurs pénitenciers de l’Ontario. Le directeur de l’établissement de Warkworth décrit le salon comme [traduction] « l’occasion pour les contrevenants de rencontrer des intervenants de maisons de transition communautaires et d’autres organismes de services de soutien communautaires afin d’établir un contact avec eux en vue d’obtenir un soutien éventuel au moment de leur mise en liberté ».

[8]  M. Yeager, qui a déjà participé au salon de manière intermittente, y a assisté pour la dernière fois en 2013. Il affirme que son but est de [traduction] « transme[ttre] aux détenus de l’information sur la libération conditionnelle, notamment la façon de s’y préparer, leur représentation lors des audiences et les questions indirectes qui ont une incidence sur la libération, les accusations d’infraction disciplinaire, l’isolement, la classification, les cotes de sécurité, et les questions touchant les ordres permanents des établissements ».

C.  L’historique judiciaire

[9]  M. Yeager a demandé à assister au salon de 2015, mais le défendeur lui en a refusé l’accès, au motif qu’il représentait un risque pour la sécurité. Le directeur de l’un des établissements participants a également indiqué que les services proposés par M. Yeager n’étaient pas compatibles avec l’objet du salon.

[10]  En avril 2016, M. Yeager a présenté une demande à la SJHK pour assister au salon qui devait se dérouler la même année. Avant qu’une décision n’ait été rendue à cet égard, M. Yeager et M. Keith Madeley, un détenu de l’établissement de Warkworth, ont déposé une demande aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (dossier de la Cour T‑706‑16) sollicitant notamment une injonction interlocutoire mandatoire autorisant M. Yeager à assister au salon de 2016.

[11]  Le 7 juin 2016, le juge Yvan Roy a rejeté la demande d’injonction interlocutoire dans la décision Madeley c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 634 (Madeley). Le dossier dont disposait le juge Roy comprenait notamment un affidavit de M. Costa, dans lequel celui-ci indiquait que le salon [traduction] « offre aux détenus qui seront bientôt mis en liberté les ressources nécessaires pour réussir leur réinsertion sociale » et propose surtout des services aux détenus sur le point d’être mis en liberté (Madeley, au paragraphe 10). M. Yeager a présenté une description du salon semblable à celle de M. Costa et a soumis un affidavit sur les services qu’il proposait dont la description est en grande partie identique à celle fournie dans la présente demande. En se basant sur le dossier dont il disposait, le juge Roy a conclu que les services proposés par M. Yeager étaient incompatibles avec l’objet du salon qui n’aborde pas les questions de libération conditionnelle (Madeley, aux paragraphes 11, 36). La demande d’injonction interlocutoire mandatoire a été rejetée.

[12]  Le 22 juin 2016, MM. Yeager et Madeley se sont désistés de la demande sous-jacente dans le dossier T‑706‑16. Le salon de 2016 s’est déroulé entre les 20 et 23 juin 2016.

[13]  Le 16 juillet 2016, M. Yeager a déposé la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision du 8 juin 2016 rendue par M. Miguel Costa, agent principal de projet pour le SCC (la décision Costa). Il sollicitait en guise de réparation une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de le laisser participer au salon pour autant qu’il se conforme aux mesures habituelles de sécurité. À l’appui de sa demande, M. Yeager a souscrit un affidavit et en a déposé deux autres. Le premier, souscrit par Mme Lisa Finateri, décrit l’origine et l’historique du salon. Le second, souscrit par Mme Dawn Moore, une professeure ayant consacré un grand nombre d’écrits au domaine de la criminologie, traite de la portée de [traduction] « l’éducation prélibératoire ».

[14]  J’ai statué sur la demande le 13 juin 2017. Comme je l’ai déjà mentionné, je l’avais rejetée, parce qu’elle était devenue théorique et j’avais refusé d’admettre en preuve les affidavits additionnels. J’avais également conclu qu’il n’était pas justifié de rendre une ordonnance de mandamus.

[15]  Le 15 octobre 2018, la CAF a fait droit à l’appel de M. Yeager. La Cour a conclu que les refus subséquents qu’il avait essuyés en 2017 et 2018 auraient eu une incidence sur mon analyse du caractère théorique, car 1) ils démontraient que des questions non réglées continuaient d’opposer les parties et risquaient de se poser à nouveau en 2019 et 2) le délai écoulé entre une demande de participation au salon et le prononcé d’une décision rendrait probablement théorique toute demande future de contrôle judiciaire (Yeager CAF, aux paragraphes 13 à 16). La Cour a également jugé que le critère issu de l’arrêt White Burgess Langille Inman c Abbott et Haliburton Co, 2015 CSC 23 (White Burgess), s’appliquait à l’admissibilité de l’affidavit de Mme Moore et que celui de Mme Finateri devait être considéré au titre des exceptions énoncées dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (AUCC) (Yeager CAF, aux paragraphes 18 à 23). La CAF a convenu qu’il n’était pas justifié de rendre une ordonnance de mandamus (Yeager CAF, aux paragraphes 24 à 26).

D.  Le processus de réexamen

[16]  À la suite de l’arrêt de la CAF, j’ai ordonné aux parties de soumettre une proposition conjointe concernant le processus de réexamen et le calendrier. Le 21 novembre 2018, l’avocat de M. Yeager a soumis une proposition pour le compte des deux parties et également prié la Cour de se poser la question de savoir si elle était en mesure d’aborder le réexamen avec un esprit ouvert ou si un autre officier de justice était mieux placé pour le faire.

[17]  Le 30 novembre 2018, j’ai rendu une ordonnance sur les étapes suivantes de l’instance. L’ordonnance abordait également la demande adressée à la Cour pour qu’elle s’interroge sur sa capacité à instruire le réexamen. J’ai ainsi informé les parties que j’étais persuadé de pouvoir procéder au réexamen en question avec un esprit ouvert, mais que cette opinion ne portait pas préjudice au droit de chacune d’elles de prendre formellement position sur la question. Elles ne l’ont pas fait.

[18]  Les parties ont ensuite fourni des observations écrites supplémentaires et des observations orales additionnelles ont également été entendues.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[19]  Le 20 juin 2016, le demandeur a reçu la décision Costa datée du 8 juin précédent. Elle se présentait sous la forme d’une lettre de trois paragraphes, reproduite dans son intégralité :

[TRADUCTION]

Monsieur Yeager,

Votre demande d’accès aux salons prélibératoires de la Société John Howard qui auront lieu pendant la semaine du 20 au 24 juin dans divers établissements fédéraux de la région de l’Ontario a été examinée.

Il a été déterminé que les services que vous proposez d’offrir aux contrevenants ne cadrent pas avec l’objet du salon prélibératoire. À ce titre, votre demande d’autorisation est rejetée.

N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez d’autres questions ou souhaitez discuter de la décision plus en profondeur.

IV.  Les questions en litige

[20]  Ayant considéré les observations écrites et orales des parties, j’ai formulé en ces termes les questions à trancher :

  1. Les affidavits Finateri et Moore sont-ils admissibles?

  2. Une inférence défavorable au défendeur devrait-elle être tirée du fait des lacunes dans la décision et le dossier du tribunal?

  3. La décision est-elle déraisonnable?

  4. Le processus était‑il inéquitable?

  5. Est‑il justifié d’accorder un verdict imposé en guise de réparation?

 

V.  La norme de contrôle

[21]  La Cour a déjà conclu que les décisions rendues par des fonctionnaires du SCC concernant la gestion des pénitenciers et faisant intervenir une question mixte de fait et de droit appellent la retenue (Londono c Canada (Procureur général), 2007 CF 694, au paragraphe 9; Harnois c Canada (Procureur général), 2010 CF 1312, aux paragraphes 20 et 22). Les parties conviennent que la décision refusant à M. Yeager l’accès au salon est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

[22]  En examinant des questions d’équité procédurale, la CAF a récemment jugé qu’en dépit d’une maladresse dans l’utilisation de la terminologie, les questions d’équité sont essentiellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54). Cependant, dans ce contexte, cette norme oblige la Cour à déterminer, à la lumière des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), si le processus suivi a permis d’atteindre le niveau d’équité requis, compte tenu des circonstances de l’espèce (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935, au paragraphe 16).

VI.  Analyse

A.  La preuve par affidavit est-elle admissible?

[23]  Dans ses observations orales, l’avocat de M. Yeager a précisé que les affidavits Moore et Finateri avaient été présentés à la Cour dans le seul but d’étayer et de faire valoir les arguments sur l’équité procédurale. Ces affidavits traitent des origines et de l’historique procédural du salon ainsi que de la portée des services prélibératoires dans le contexte correctionnel. Pour M. Yeager, les affidavits contiennent des renseignements qu’il aurait soumis au décideur s’il avait eu l’opportunité de le faire dans le cadre de sa demande.

[24]  Le défendeur s’oppose à l’admission des affidavits Moore et Finateri ainsi qu’à celle d’une partie de l’affidavit de M. Yeager.

L’affidavit Moore

[25]  La CAF a conclu que l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, ne s’appliquait pas aux experts et que le critère issu de l’arrêt White Burgess régissait l’admission de l’affidavit Moore (Yeager CAF, au paragraphe 18).

[26]  M. Yeager soutient que Mme Moore était une experte dûment qualifiée dans les domaines de l’éducation prélibératoire des détenus et des procédures de contrôle de sécurité applicables aux visiteurs du SCC. Elle possède également des connaissances spécialisées en matière de criminologie, d’admissibilité à la libération conditionnelle et de mise en œuvre de programmes dans les établissements correctionnels. Selon l’argument avancé, l’affidavit de Mme Moore examine la nature de l’éducation prélibératoire et sa pertinence au regard de la libération conditionnelle, en plus de fournir un avis d’expert nécessaire sur ce que l’on entend par services prélibératoires dans le contexte correctionnel. Comme le dossier ne contient aucun renseignement sur l’éducation en matière de libération conditionnelle et sa pertinence au regard des services prélibératoires, l’affidavit de Mme Moore fournit également une mise en contexte nécessaire pour examiner la question de savoir si le décideur a prêté attention aux faits et à la norme pertinente suivant laquelle la libération conditionnelle est envisagée dans le contexte prélibératoire.

[27]  Le défendeur fait valoir qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un avis d’expert en l’espèce et que l’affidavit de Mme Moore ne fournit pas de renseignements dont la Cour n’est pas susceptible d’avoir l’expérience ou la connaissance. Il ajoute que même si cet affidavit contient des renseignements exacts sur les avantages de l’éducation en matière de libération conditionnelle, l’objet du salon est décrit dans les références jointes à un affidavit du SCC soumis dans la décision Madeley, et l’accent est mis sur les services postlibératoires.

[28]  Dans l’arrêt White Burgess, la Cour suprême du Canada a affiné le critère issu de l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, applicable à la preuve d’expert. Le critère doit être appliqué en deux temps. Tout d’abord, la Cour considère les critères d’admissibilité (pertinence, nécessité, absence de toute règle d’exclusion, et qualification suffisante de l’expert). La preuve qui ne satisfait pas à ces exigences doit être exclue (White Burgess, au paragraphe 23). Dans un deuxième temps, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de juge-gardien, et pondère les risques et les bénéfices associés à l’admission de la preuve afin de décider si les bénéfices potentiels justifient les risques (White Burgess, au paragraphe 24).

[29]  Je suis convaincu que Mme Moore a l’expertise, la connaissance et l’expérience requises pour traiter des questions soulevées dans son affidavit. Cependant, cet affidavit porte sur la question de l’éducation prélibératoire en général. L’avantage des programmes éducatifs prélibératoires pour les détenus n’est pas contesté, pas plus que la portée de ce type d’éducation. L’affidavit n’est ni pertinent ni nécessaire et échoue pour cette raison au premier volet du critère White Burgess.

[30]  L’affidavit Moore mentionne que l’éducation prélibératoire consiste à fournir des informations et à enseigner des aptitudes qui s’avéreront utiles aux fins de la libération anticipée, de la réadaptation et de la réinsertion. Mme Moore ne dit pas que des événements éducatifs particuliers ne peuvent mettre l’accent sur un aspect unique de l’éducation prélibératoire, et il ne serait pas non plus logique de tirer une telle conclusion. En d’autres mots, rien ne laisse entendre que le SCC ne peut pas organiser un événement axé sur la période postlibéraoire.

[31]  Même si je devais conclure que l’affidavit était pertinent au regard des questions soulevées, il n’est pas nécessaire. L’objet du salon est décrit au paragraphe 36 de la décision Madeley, où le juge Roy conclut que les « salons prélibératoires ne concernent pas les questions de libération conditionnelle [...] ces salons sont qualifiés de prélibératoires en raison du moment de leur tenue, c’est‑à‑dire avant la libération. Il est indéfendable, dans ce dossier, de prétendre que ces salons s’intéressent à ce qui se produit avant la libération, comme les audiences ou les questions de discipline ». Cet objet est décrit en des termes analogues dans une lettre adressée à M. Yeager par le directeur de l’établissement de Warkworth en juin 2015, puis dans une autre lettre du ministre de la Sécurité publique en avril 2016. La description de l’objet du salon qui figure au dossier est adéquate, ce qui rend inutile l’affidavit de Mme Moore.

[32]  Je refuse d’admettre l’affidavit de Mme Moore.

L’affidavit Finateri

[33]  M. Yeager invoque l’arrêt rendu par la CAF dans AUCC pour faire valoir que l’affidavit Finateri présente une mise en contexte aux fins de l’appréciation de la partialité de la décision contestée, surtout que ni le décideur ni le dossier ne fournissent une assise claire sur laquelle fonder l’appréciation de « l’objet » du salon. Dans l’arrêt AUCC, la CAF a reconnu que le fait de présenter les informations générales susceptibles d’aider à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire est une exception à la règle limitant le dossier examiné lors du contrôle judiciaire à celui dont disposait le décideur (AUCC, à l’alinéa 20a)). M. Yeager fait également valoir que l’affidavit comble une lacune du dossier de preuve en fournissant une mise en contexte historique très pertinente et persuasive concernant la manière dont le salon a été établi, son objet historique, les principes régissant l’admissibilité des participants et le rôle des groupes de détenus.

[34]  Le défendeur soutient que l’affidavit ne fournit pas d’informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions pertinentes à l’égard du contrôle judiciaire et qu’il tombe donc sous le coup de l’une des exceptions décrites dans l’arrêt AUCC. Il fait remarquer que l’affidavit se limite aux salons qui se sont déroulés entre 2000 et 2009, ce qui n’est d’aucun secours pour apprécier une décision rendue à l’égard du salon de 2016. Le défendeur ajoute que l’affidavit ne comble pas de lacune dans le dossier de preuve et ne permet pas de déterminer si le SCC a omis de consulter adéquatement les détenus à propos du salon.

[35]  Dans l’arrêt AUCC, la CAF a expliqué qu’aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, la cour de révision saisie du contrôle judiciaire « ne peut se pencher sur le bien-fondé [de la décision] [...] ou rendre une nouvelle décision sur le fond » (AUCC, au paragraphe 18). Ce rôle étaye la raison d’être de la règle générale interdisant l’admission de nouveaux éléments de preuve lors du contrôle judiciaire, attendu que la cour doit se garder « de tirer des conclusions de fait sur le fond » (AUCC, au paragraphe 19). Cependant, la CAF a aussi reconnu des exceptions à cette règle générale : la preuve par affidavit qui 1) fournit, de manière neutre et sans prêter à controverse, des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions en litige; 2) attire l’attention sur des vices de procédure qui ne sont pas autrement décelables dans le dossier; ou 3) fait ressortir l’absence totale de preuve à l’égard d’une conclusion particulière (AUCC, au paragraphe 20; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 45).

[36]  L’affidavit Finateri fournit une mise en contexte historique et est invoqué à l’appui des arguments de M. Yeager touchant à l’équité. J’admettrai l’affidavit pour ce motif et aborderai plus loin le poids qu’il convient de lui accorder.

L’affidavit Yeager

[37]  Le défendeur conteste le paragraphe 19 de l’affidavit de M. Yeager, dans lequel ce dernier affirme qu’il a participé aux salons [traduction] « afin d’offrir aux détenus des connaissances, des ressources et des outils pertinents pour les besoins de la libération conditionnelle et de la réinsertion des contrevenants dans la collectivité ». [Non souligné dans l’original.] Pour le défendeur, [traduction] « la réinsertion des contrevenants dans la collectivité » est une nouvelle explication donnée quant à la participation de M. Yeager au salon. Ce nouveau but, poursuit‑il, renvoie au fond de l’affaire, puisque les informations concernant la réinsertion des contrevenants dans la collectivité sont, semble‑t‑il, liées à l’objet énoncé du salon.

[38]  L’avocat de M. Yeager fait valoir que, dans sa demande de participation au salon de 2016, son client a décrit les services qu’il offrait comme touchant non seulement à la libération conditionnelle, mais aussi aux [traduction] « questions indirectes qui ont une incidence sur la libération », et il ajoute que cette déclaration générale pourrait inclure les services postlibératoires. Je n’en suis pas convaincu. M. Yeager n’a pas explicitement offert de tels services dans sa demande initiale, et je n’interprète pas non plus sa description des services offerts comme incluant par déduction des services postlibératoires. La mention [traduction] « et de la réinsertion des contrevenants dans la collectivité » est radiée du paragraphe 19 de l’affidavit de M. Yeager.

B.  Une inférence défavorable au défendeur devrait-elle être tirée du fait des lacunes dans la décision et le dossier du tribunal?

[39]  M. Yeager invoque le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales pour soutenir que la Cour doit tirer une inférence défavorable du fait que le défendeur n’a pas fait la preuve que M. Costa avait une connaissance personnelle du salon, de son contexte et de son objet. Je m’y refuse.

[40]  Bien que la décision en cause soit succincte et le dossier limité, je ne suis pas convaincu par les observations de M. Yeager selon lesquelles l’objet du salon n’est pas clair. Comme il a été mentionné plus tôt, la correspondance entre M. Yeager et les fonctionnaires du SCC remontant aussi loin qu’en juin 2015 évoque l’objet en question. En avril 2016, le ministre de la Sécurité publique a fourni les mêmes renseignements dans une lettre adressée à M. Yeager. Dans Madeley, le juge Roy s’est appuyé sur un affidavit de M. Costa, le décideur en l’espèce, dans lequel il décrivait le salon. Le juge Roy déclare :

[10]  Ces salons prélibératoires ont lieu dans les établissements carcéraux fédéraux de l’Ontario au mois de juin et semblent être organisés par la Société John Howard. Il manque au dossier un affidavit dans lequel un représentant de la Société John Howard expliquerait la nature de ces activités. La Cour devrait plutôt se fonder sur les éléments de preuve fournis par M. Miguel Costa, agent principal de projet au Service correctionnel du Canada (SCC). Dans son affidavit, M. Costa décrit le salon prélibératoire comme suit :

[traduction]

14. Le salon prélibératoire de la Société John Howard offre aux détenus qui seront bientôt mis en liberté les ressources nécessaires pour réussir leur réinsertion sociale. Parmi les types de services, de programmes et de soutiens offerts, mentionnons les possibilités d’emploi et les renseignements sur la façon d’accéder aux programmes d’aide personnelle offerts dans la collectivité, par exemple les Alcooliques Anonymes.

(Affidavit de M. Miguel Costa, paragraphe 14)

M. Costa affirme au paragraphe 16 que ces salons sont axés sur les services offerts aux détenus pour qui l’heure de la mise en liberté approche. Ils ne s’adressent pas aux fournisseurs de services potentiels et ne sont pas censés renseigner les détenus sur les libérations conditionnelles ou les préparer en vue d’une audience devant la Commission des libérations conditionnelles. Bien que ces salons soient organisés par la Société John Howard, il revient au SCC d’en décider du contenu et de s’assurer que tous les participants ont l’autorisation nécessaire pour y participer. Par conséquent, la Société John Howard n’accorde pas les autorisations nécessaires pour prendre part à ces salons, et le fait de faire parvenir un formulaire ne constitue pas une approbation des services offerts par le demandeur.

[41]  Le dossier contient des éléments de preuve qui décrivent l’objet du salon, notamment la preuve de M. Costa. Je refuse, par conséquent, de tirer une inférence défavorable.

C.  La décision est-elle déraisonnable?

[42]  M. Yeager fait valoir que la décision de M. Costa est totalement lacunaire pour ce qui est de fournir une justification ou de présenter le contexte dans lequel elle s’inscrivait. Il soutient que la décision ne présente pas les signes du caractère raisonnable – la transparence, l’intelligibilité et la justification – et qu’en présence d’un dossier qui n’explique pas de manière convaincante la conclusion tirée, la décision doit être infirmée. Je ne suis pas d’accord.

[43]  Bien que la décision Costa soit brève et le dossier mince, le fondement et les motifs de la décision sont évidents : les services offerts par M. Yeager en 2016 ne concordaient pas avec l’objet ou le but du salon. Le dossier démontre que l’objet en question n’a pas été nouvellement élaboré dans la décision Costa et qu’il n’était pas non plus inconnu de M. Yeager au moment de sa demande. Comme il a déjà été mentionné, M. Yeager avait été informé de la position du SCC quant à l’objet du salon dès juin 2015. Il se peut très bien que l’affidavit Finateri démontre que cet objet et que la participation du SCC au programme ont évolué par rapport à ce qu’ils étaient entre 2001 et 2009, et peut-être même jusqu’en 2013, lorsque M. Yeager y a participé pour la dernière fois. Mais encore une fois, cela ne rend pas la décision déraisonnable.

[44]  Aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), le SCC jouit d’un large pouvoir discrétionnaire aux fins de la mise sur pied des programmes de réadaptation. Il lui appartient de définir, dans le cadre de la Loi, le processus et la procédure dont il se dotera pour élaborer les programmes et déterminer la portée de leurs éléments constitutifs, y compris le salon. Il faut à cet égard témoigner au SCC de la déférence. Ni M. Yeager ni Mme Finateri ne peuvent déterminer où énoncer l’objet du salon. De même, M. Yeager ne méritait pas une explication plus détaillée lorsque sa demande a été refusée, simplement parce qu’il avait participé au salon dans les années précédentes. C’est au SCC qu’il revient en fin de compte de mettre sur pied des programmes et de décider qui peut offrir des services lors de tels événements.

[45]  M. Yeager fait remarquer que la Queen’s Prison Law Clinic, l’Innocence Canada Foundation et des agents de libération conditionnelle ont reçu l’autorisation d’assister au salon de 2016. Il fait valoir que ces groupes et ces personnes participent exclusivement à des activités prélibératoires, ce qui démontre que l’objet du salon dépasse les services postlibératoires. Il soutient que leur présente atteste que la décision par laquelle sa demande a été rejetée n’est pas raisonnable.

[46]  La participation de ces groupes n’aide pas M. Yeager. Le dossier ne contient pas les demandes présentées par les agents de libération conditionnelle présents ou les deux organismes en question. En l’absence d’une description des services que ces groupes se proposaient d’offrir au salon, les observations de M. Yeager selon lesquelles ces groupes et ces personnes [traduction] « mett[aient] exclusivement l’accent sur les questions prélibératoires et la défense des droits des détenus » sont au mieux conjecturales.

[47]  M. Yeager a versé dans le dossier des pages Web de la Queen’s Prison Law Clinic et de l’Innocence Canada Foundation qui décrivent les activités de ces groupes. Il fait valoir que ces pages n’attestent aucune activité postlibératoire. Je ne suis pas d’accord. La page Web de la Queen’s Prison Law Clinic mentionne la conduite de [traduction] « litiges de cas types » tandis que la page Web de l’Innocence Canada Foundation fait référence à la prestation d’une aide financière à ceux qui ont été condamnés injustement. Dans les deux cas, il est très possible que des contacts soient pris après la mise en liberté. De même, et comme l’a fait remarquer le défendeur, les agents de libération conditionnelle rencontrent les détenus après leur libération. La preuve sert simplement à souligner la nature conjecturale des observations de M. Yeager à cet égard.

D.  Le processus était‑il inéquitable?

[48]  M. Yeager avance un certain nombre de raisons pour faire valoir que le processus était inéquitable. Avant d’examiner ses arguments, j’aborderai brièvement le degré d’équité requis dans les circonstances.

Quel est le degré d’équité procédurale requis?

[49]  Dans l’arrêt Baker, la juge L’Heureux-Dubé a réaffirmé que la teneur de l’obligation d’équité procédurale variait selon le contexte de l’affaire. Elle a cité à cet égard cinq facteurs non exhaustifs : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) « les choix de procédure que l’organisme fait lui-même » (Baker, aux paragraphes 23 à 27). Cette liste n’est pas exhaustive (Baker, au paragraphe 28), mais il ressort clairement de l’arrêt Baker qu’il incombe au décideur de s’assurer que le processus est équitable dans le contexte de la décision à être rendue.

[50]  En l’espèce, j’estime que le degré d’équité procédurale requis est faible. La décision rendue est de nature administrative, et non judiciaire, et la Loi confère au SCC un large pouvoir discrétionnaire pour la mise sur pied et l’exécution de programmes de réadaptation (al. 5b) de la Loi). Je ne suis pas non plus convaincu qu’une décision portant sur la participation à un salon prélibératoire suscite ou entraîne objectivement des intérêts ou des conséquences qui revêtent une importance significative pour M. Yeager personnellement ou pour les détenus qui assistent au salon prélibératoire. Je tire cette conclusion sans faire abstraction ni minimiser les connaissances spécialisées de M. Yeager en criminologie, et je ne laisse pas non plus entendre que ses connaissances spécialisées ne seraient d’aucune assistance ou valeur pour les détenus. J’ai plutôt considéré : 1) le caractère volontaire de l’offre de participation de M. Yeager; 2) l’objet du salon tel qu’il a été énoncé par le SCC; 3) le fait que les services de M. Yeager, tels qu’ils sont décrits dans sa demande, ne cadrent pas avec l’objet énoncé du salon; 4) l’absence d’indication dans le dossier établissant que la portée du salon a eu des répercussions négatives sur les détenus. En outre, la procédure et les processus qui remontent à 2009, tels qu’ils sont communiqués dans l’affidavit Finateri, ne peuvent fonder une attente légitime en 2016. L’approche du SCC à l’égard des salons en 2015 et 2016 était cohérente.

Fallait‑il consulter un comité de détenus?

[51]  M. Yeager s’appuie sur l’article 74 de la Loi pour faire valoir que le SCC doit, avant de modifier des programmes éducatifs destinés aux détenus, consulter des comités de détenus, faute de quoi la décision mettant en œuvre les changements peut être annulée (William Head Institution Inmate Committee v Canada (Correctional Service) (1993), 66 FTR 262 (William Head), au paragraphe 9). S’appuyant en partie sur l’affidavit Finateri, M. Yeager fait valoir que l’objet du salon a changé; que les détenus avaient le droit procédural d’être consultés avant qu’un tel changement ne soit mis en œuvre; que la Cour doit présumer qu’il y a eu vice de procédure, attendu que le défendeur n’a versé au dossier aucune preuve démontrant l’existence de consultations.

[52]  Compte tenu du dossier, je suis loin d’être convaincu que l’article 74 ou que la décision William Head s’applique dans les circonstances. Cependant, il n’est pas nécessaire que je statue sur la question. M. Yeager cherche à faire valoir un droit qui, s’il existe à l’égard des faits en l’espèce, appartient à d’autres – les détenus qui seraient touchés par la cette décision. Il ne cite aucun texte faisant autorité pour appuyer cette position. Je note aussi que rien dans le dossier ne donne à penser que les détenus croient qu’il y a eu un défaut de consultation.

Le décideur a‑t‑il manqué de considérer le contenu de la demande de M. Yeager?

[53]  M. Yeager fait aussi valoir que le décideur n’a pas considéré toute sa trousse de demande et que le dossier du tribunal ne contient pas la lettre accompagnant sa demande, une copie de son chèque de 15 $, ni son formulaire d’information sur le participant. En outre, le dossier contient bel et bien son formulaire d’autorisation de sécurité, ce qui, d’après lui, conforte l’explication de Mme Finateri selon laquelle, pendant son mandat, le rôle du SCC, pour les besoins de l’approbation des participations au salon, se limitait à un contrôle de sécurité. L’absence de ces documents dans le dossier du tribunal atteste, d’après l’observation de M. Yeager, que le décideur n’a pas examiné toute la trousse de demande, ce qui est fatal à la décision.

[54]  Il est nécessaire, pour examiner cet argument, de considérer le contexte de la demande de 2016 de M. Yeager. Ce dernier s’était trouvé devant la Cour dans l’affaire Madeley pour solliciter une injonction interlocutoire mandatoire qui aurait forcé le SCC à l’autoriser à participer au salon de 2016. Dans la décision du 7 juin 2016, le juge Roy, refusant la réparation demandée, a évoqué le désir de M. Yeager d’assister au salon et les services qu’il se proposait d’offrir (Madeley, au paragraphe 3). M. Costa, le décideur en l’espèce, a également fourni des éléments de preuve dans l’affaire Madeley (Madeley, au paragraphe 10). La décision rendue par le juge Roy dans Madeley forme une partie du dossier du tribunal en l’espèce.

[55]  De plus, la lettre de décision de M. Costa datée du 8 juin 2016 mentionne explicitement que [traduction] « la demande d’accès [de M. Yeager] aux salons prélibératoires de la Société John Howard qui auront lieu pendant la semaine du 20 au 24 juin dans divers établissements fédéraux de la région de l’Ontario a été examinée » et évoque [traduction] « les services que vous proposez d’offrir aux contrevenants ». Ces renseignements proviennent vraisemblablement de la trousse de demande, mais, même si ce n’était pas le cas, une simple lecture de la décision de M. Costa et sa participation dans l’affaire Madeley permettent clairement de déduire que le décideur avait connaissance des renseignements contenus dans la trousse de demande. Le fait que l’ensemble des documents de la demande ne figuraient pas dans le dossier, alors qu’ils sont en la possession de M. Yeager, ne rend pas le processus inéquitable (article 317 des Règles des Cours fédérales; Access Information Agency Inc c Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, aux paragraphes 7 et 21). Comme le fait remarquer le défendeur, le but avancé par M. Yeager pour assister au salon n’était pas controversé. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité.

Fallait‑il autoriser M. Yeager à soumettre des documents additionnels?

[56]  M. Yeager fait valoir qu’il aurait dû avoir la possibilité de fournir des documents additionnels au décideur. À l’appui de cette position, il cite l’arrêt, en l’espèce, dans lequel la CAF a fait remarquer que le processus de demande ne permettait ni n’exigeait le dépôt de documents supplémentaires. Les commentaires de la CAF s’inscrivent dans le contexte de l’examen de la preuve par affidavit (Yeager CAF, au paragraphe 22).

[57]  Je ne suis pas d’accord avec la position de M. Yeager. Comme l’a noté la CAF, le demandeur n’est pas tenu de déposer des documents supplémentaires. De même, le décideur n’est pas tenu de réclamer des renseignements supplémentaires, surtout lorsque le degré d’équité procédurale caractérisant le processus se situe à l’extrémité inférieure du spectre.

Le décideur a‑t‑il fait preuve d’une fermeture d’esprit ou de partialité?

[58]  M. Yeager soutient que la décision atteste une fermeture d’esprit ou une partialité de la part de M. Costa, attendu que la décision de lui refuser l’admission au salon n’est ni justifiable ni étayée par la preuve. Il ajoute que M. Costa n’a pas vraiment considéré le contexte ni l’objet du salon. À l’appui de cet argument, M. Yeager avance la théorie voulant qu’il ait été [traduction] « inscrit sur une liste noire » par le défendeur.

[59]  Comme j’ai déjà conclu que la décision de refuser l’accès au regard de l’objet du salon était raisonnable, il n’est pas nécessaire que je me penche sur la question de savoir si M. Costa a considéré le contexte et l’objet du salon. Quant à l’argument selon lequel M. Yeager aaurait été [traduction] « inscrit sur une liste noire », je comprends tout à fait qu’il s’agit là de la perspective de M. Yeager. Cependant, il existe une forte présomption d’impartialité des décideurs. Cette présomption n’est pas aisément réfutée; une probabilité réelle de partialité est nécessaire, et la partie qui l’allègue doit s’acquitter d’un lourd fardeau (Yukon Francophone School Board, Education Area #23 c Yukon (Procureur général), 2015 CSC 25, aux paragraphes 25 et 26).

[60]  Le dossier fait état, du moins en partie, des interactions qu’ont eues le SCC et M. Yeager. Ces antécédents indiquent que lorsqu’il a sollicité l’accès à des établissements du SCC, M. Yeager l’a obtenu dans certaines circonstances et se l’est vu refuser dans d’autres. Le dossier n’atteste pas une fermeture d’esprit de la part des fonctionnaires du SCC. Il n’est pas justifié d’annuler la décision du 8 juin 2016 pour ce motif.

VII.  La réparation

[61]  M. Yeager sollicitait, dans le cadre du réexamen de la présente affaire, un verdict imposé qui obligerait le défendeur à lui accorder l’accès au salon, sous réserve de considérations liées à l’autorisation de sécurité. Il fait valoir qu’un verdict imposé est différent d’une ordonnance de mandamus, une réparation que j’avais refusé de lui accorder dans mon jugement précédent et à l’égard de laquelle la CAF n’a relevé aucune erreur. Bien que je n’aie pas à aborder la question de la réparation, je noterai que la CAF a conclu qu’il n’existait aucune différence pratique entre la demande de mandamus et celle de verdict imposé (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2018 CAF 132, au paragraphe 28; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c LeBon, 2013 CAF 55, au paragraphe 13).

[62]  Lorsqu’il avançait ses arguments sur la réparation, M. Yeager était persuadé que le défendeur agissait de mauvaise foi et que les futures demandes aboutiraient donc au même résultat, c’est-à-dire à un refus. J’ai conclu que le dossier n’étayait tout simplement pas l’opinion de M. Yeager à cet égard. Le refus de 2016 ne l’empêche pas de proposer, dans une future demande, des services qui concordent avec l’objet du salon, au cas où ses connaissances spécialisées et ses intérêts devaient englober des services postlibératoires. Le défendeur serait tenu d’apprécier le bien‑fondé d’une telle demande.

VIII.  Conclusion

[63]  La demande est rejetée. Les parties ont informé la Cour qu’elles avaient convenu qu’il était approprié d’adjuger à la partie ayant gain de cause des dépens de 2 500 $, y compris les honoraires et débours. Je suis convaincu que ce montant est raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier T‑1146‑16

LA COUR STATUE que :

  1. la demande est rejetée;

  2. des dépens de 2 500 $, y compris les honoraires et débours, sont adjugés au défendeur.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de juillet 2019.

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1146‑16

 

INTITULÉ :

MATTHEW G. YEAGER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Yavar Hameed

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Palframan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hameed Law

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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