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Date : 20190530


Dossier : IMM‑4687‑18

Référence : 2019 CF 762

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

NEVZAT ETIK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Par la présente demande, Nevzat Etik conteste une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAR) par laquelle sa demande de réouverture de l’appel a été rejetée. Par conséquent, la décision antérieure de la SAR rejetant l’appel de M. Etik sur le fond n’a pas été modifiée. Cette décision fait aussi l’objet d’une demande devant la Cour dans l’affaire Etik c Canada, dossier IMM‑2869‑18. Les deux affaires ont été débattues devant moi en même temps et toutes deux ont été mises en délibéré. Pour les motifs exposés ci‑après, je renvoie la présente affaire à la SAR pour nouvelle décision. Dans l’attente de cette décision, j’entends suspendre l’autre demande afin d’éviter l’application possible de l’article 171.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Si la SAR décide de rouvrir l’appel de M. Etik, l’autre affaire deviendra théorique. Autrement, je traiterai de cette affaire sur le fond.

[2]  Monsieur Etik a des antécédents compliqués en matière d’immigration. Il est citoyen turc d’origine ethnique kurde. Il possède un casier judiciaire en Turquie pour une infraction liée aux armes à feu. En 2015, lorsqu’il est arrivé au Canada en provenance des États‑Unis, il a sciemment nié avoir déjà fait l’objet d’une procédure criminelle dans un autre pays (le DCT, page 536). Durant l’audition de sa demande d’asile devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui s’est tenue en 2016, M. Etik a omis de divulguer ses antécédents criminels et les circonstances entourant ceux‑ci. La SPR a rejeté la demande de M. Etik en se fondant sur de nombreuses conclusions défavorables en matière de crédibilité principalement liées à la présence de changements importants et d’incohérences dans son exposé du risque.

[3]  La décision de la SPR a été portée en appel devant la SAR qui, après avoir tenu une audience, a rejeté l’appel. La décision reposait sur une conclusion d’exclusion fondée sur la déclaration de culpabilité de M. Etik en Turquie. La décision de la SAR a été annulée à son tour par une décision de la Cour en raison de préoccupations liées à la preuve : voir Etik c Canada, 2018 CF 175, 289 ACWS 3d 602. Lorsque la SAR a de nouveau été saisie de l’affaire, un avis a été envoyé le 5 mars 2018 à l’avocate de M. Etik l’informant de ce qui suit :

La Cour fédérale a ordonné à la Section d’appel des réfugiés (SAR) de procéder à un nouvel examen de votre affaire.

Comme la Cour fédérale a fourni des instructions particulières quant à la composition du tribunal, le nouvel examen de votre affaire sera effectué par un tribunal différent.

Habituellement, la SAR inclut dans le dossier de nouvel examen tous les documents contenus dans le dossier de l’audience antérieure concernant votre affaire, à moins que la Cour fédérale ait fourni des instructions contraires ou qu’elle estime qu’il y a eu manquement à la justice naturelle. Comme la Cour fédérale n’a pas précisé, de manière explicite ou implicite, qu’il y avait eu manquement à la justice naturelle et qu’elle n’a pas fourni d’instructions contraires, les documents suivants seront inclus dans le dossier du nouvel examen :

  le dossier de la Section de la protection des réfugiés;

  le dossier de l’appelant;

  le dossier d’intervention du ministre/le dossier de l’intimé;

  le dossier de réplique de l’appelant;

  l’avis de décision et les motifs de la décision de la SAR;

  l’ordonnance et les motifs de l’ordonnance de la Cour fédérale (le cas échéant);

  les autres éléments de preuve figurant dans le dossier initial;

  les documents administratifs (comme les avis de convocation);

  la transcription de l’audience antérieure (le cas échéant);

  le CD de l’enregistrement audio de l’audience antérieure.

Veuillez noter que toute objection relativement au contenu du dossier doit être présentée par écrit et transmise à toutes les parties ainsi qu’au Greffe de la SAR dans les 30 jours suivant la date à laquelle la présente lettre vous a été envoyée. Les objections seront examinées par le vice‑président adjoint. Les parties peuvent également inclure des observations supplémentaires en réponse à la décision de la Cour fédérale.

[4]  L’avocate de M. Etik a présumé que la SAR fixerait à terme la date d’une autre audience. Cette hypothèse est confirmée par une lettre d’un avocat de la Section de l’immigration datée du 4 juin 2018, qui mentionnait que M. Etik attendait que la SAR fixe une date d’audience. Le même jour, l’avocate a téléphoné à un agent de gestion des cas de la SAR. Elle a alors appris que l’appel de M. Etik serait traité par écrit et qu’une décision sur le fond était imminente. L’avocate a immédiatement écrit à la SAR dans le but d’obtenir une prolongation de deux semaines afin de déposer des observations supplémentaires. La demande a été retournée le 5 juin 2018 puisque la décision de la SAR avait été rendue la veille.

[5]  Monsieur Etik a ensuite présenté une demande en vue de faire rouvrir son appel au titre de la règle 49 des Règles de la section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (les Règles de la SAR). Cette demande était soutenue par trois affidavits et 20 pages d’observations. Les motifs invoqués à l’appui comprenaient des reproches au sujet des procédures de notification de la SAR et portaient sur une représentation juridique déficiente, le défaut de tenir une seconde audience conformément aux exigences du paragraphe 110(6) de la LIPR et le caractère inadéquat de l’interprétation donnée lors de la première audience devant la SAR. De nombreux nouveaux documents inclus dans la demande révélaient des détails au sujet du procès criminel de M. Etik en Turquie et de son issue, ainsi que des éléments de preuve suggérant un possible motif politique ou ethnique relativement aux circonstances en l’espèce. Après avoir examiné le contenu de la règle 49, la SAR a rejeté la demande de réouverture pour les motifs suivants :

[12]  La SAR conclut qu’il n’y a pas eu manquement à un principe de justice naturelle lorsque l’appel a été rejeté par la décision rendue le 4 juin 2018. La lettre, envoyée au demandeur au sujet des observations supplémentaires découlant de la décision rendue par la Cour fédérale le 14 février 2018, indique clairement que c’est à ce moment‑là que le demandeur doit, s’il le souhaite, présenter des observations supplémentaires. Il est malheureux pour le demandeur que sa conseil n’ait pas lu attentivement la lettre et qu’elle ait présumé par erreur qu’un avis d’audience serait émis, mais le rejet de l’appel en l’absence d’autres observations ne constitue pas un manquement à un principe de justice naturelle. La conseil disposait de trois mois complets pour présenter des observations supplémentaires, mais elle a omis de le faire. De plus, il est clair dans le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, à l’article 159.92, que la SAR dispose de 90 jours pour rendre une décision après la mise en état de l’appel. Le fait qu’une demande de prorogation a été présentée le 4 juin 2018 était insuffisant et tardif. De plus, la conseil avait tort de présumer qu’il y aurait une audience. La SAR est principalement un tribunal d’examen sur dossier qui doit respecter des exigences législatives très précises pour la tenue d’une audience.

[6]  Le pouvoir de la SAR de rouvrir un appel est régi par le paragraphe 49(6) des Règles de la SAR. Cette disposition permet à la SAR d’accueillir une demande de réouverture seulement lorsqu’il est établi qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle. Dans plusieurs affaires, y compris la présente instance, l’application du paragraphe 49(6) exige que la SAR tranche une question mixte de droit et de fait. Un contrôle judiciaire de cette décision doit par conséquent être appliqué en fonction de la norme déférente de la raisonnabilité : voir Khakpour c Canada, 2016 CF 25, 262 ACWS 3d 1014, et Atim c Canada, 2018 CF 695, aux paragraphes 30‑31, 295 ACWS 3d 136.

[7]  À mon avis, les motifs invoqués par la SAR pour justifier le refus d’accueillir la demande étaient déraisonnables en ce sens qu’ils ne respectaient pas entièrement les exigences de la règle 49. Il n’était pas suffisant de considérer uniquement le rôle de l’avocate, qui n’a pas protégé les intérêts de M. Etik (même si ce sont les intérêts de M. Etik qui étaient en jeu et non ceux de son avocate). La SAR devait également tenir compte du respect des échéances de la demande de réouverture et de l’importance potentielle de la preuve sur laquelle M. Etik souhaitait s’appuyer pour répondre à l’argument du ministre selon lequel M. Etik était exclu en raison de la perpétration d’une infraction liée à des armes à feu. Après tout, le droit à la justice naturelle concerne principalement la capacité d’une partie à participer de façon significative au processus décisionnel, y compris le droit de présenter des éléments de preuve pertinents. Comme le professeur David Mullan le souligne dans son texte Administrative Law (Irwin Law, 2001) à la page 233, [traduction« cela comporte une enquête qui tient grand compte du contexte » : voir aussi Huseen c Canada, 2015 CF 845, [2015] ACF no 956 et Brown c Canada, 2018 CF 1103, 298 ACWS 828.

[8]  Rappelons que la décision sur le fond de la SAR traitait de plusieurs questions dont l’issue aurait pu être influencée par la preuve que M. Etik a proposé de produire. La SAR a notamment exprimé des réserves au sujet de la preuve portant sur les antécédents criminels de M. Etik. Ces préoccupations auraient peut‑être été atténuées par les nouveaux éléments de preuve proposés par M. Etik, notamment en ce qui a trait à l’argument selon lequel il agissait en état de légitime défense lorsqu’il a fait feu. La SAR a également mis en doute le témoignage de M. Etik selon laquelle il avait subi une agression de la part de son beau-père à cause de son origine ethnique kurde. Parmi les nouveaux éléments de preuve se trouvaient des renseignements qui pourraient avoir étayé le témoignage de M. Etik à ce sujet.

[9]  La SAR était tenue d’examiner si une erreur judiciaire avait été commise en ce sens que, sans les manquements de l’avocate, il y avait une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience sur le fond aurait été différente : voir Nizar c Canada, 2009 CF 557, 179 ACWS 3d 176. Cela exigeait un examen attentif de la qualité et de l’importance de la preuve que M. Etik souhaitait présenter. De plus, au‑delà de la simple affirmation selon laquelle la demande de prorogation présentée par l’avocate pour déposer des éléments de preuve supplémentaires était « insuffisant[e] et tardi[ve] », et que la SAR est tenue de rendre une décision dans les 90 jours suivant la mise en état d’un appel, aucune considération apparente n’a été accordée au fait que la demande a été présentée avec seulement un jour de retard et que la SAR dispose, en vertu du paragraphe 159.92(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002‑227, d’un certain pouvoir discrétionnaire pour dépasser le délai de 90 jours prévu pour prendre une décision.

[10]  Pour tous ces motifs, la demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond.

[11]  Compte tenu de cette décision, les questions de certification proposées par le demandeur sont théoriques.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4687‑18

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

 « R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de juin 2019.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4687-18

 

INTITULÉ :

NEVZAT ETIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DU JUGEMENT :

Toronto (Ontario)

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 18 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Shannon Black

Richard Wazana 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shannon Black

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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