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                                                                                                                                Date : 0020514

                                                                                                                            Dossier : T-80-99

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 553

ENTRE :

                                            HANDEL MAITLAND HAMILTON

                                                                                                                                       Demandeur

                                                                            et

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  Défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Handel Maitland Hamilton (le demandeur) dépose une requête en vertu des règles 282, 286 et 290 des Règles de la Cour fédérale (1998) visant à obtenir une ordonnance lui permettant de présenter son témoignage par voie de dépôt de la transcription de son interrogatoire préalable, au lieu d'un témoignage de vive voix ou d'une preuve par affidavit.


[2]                 Au même moment, Sa Majesté la Reine (la défenderesse) dépose une requête en vertu de la règle 416 visant à obtenir une ordonnance afin qu'il soit exigé du demandeur qu'il fournisse cautionnement pour dépens.

[3]                 Le demandeur a intenté la présente action pour négligence contre la défenderesse, réclamant des dommages-intérêts pour préjudice corporel prétendument subi alors qu'il était détenu à l'Établissement de Collins Bay à Kingston, en Ontario. Selon la déclaration, le demandeur aurait prétendument subi ce préjudice le 5 septembre 1997, ou vers cette date, alors qu'il a été poignardé par d'autres détenus au pénitencier. Le fondement de l'action du demandeur consiste en ce que la défenderesse a violé son obligation prévue par la loi de le protéger, en tant que détenu d'un établissement fédéral, contre tout préjudice.

[4]                 La défenderesse nie toute responsabilité et demande le rejet de l'action du demandeur.


[5]                 Le demandeur a été déporté du Canada le 18 janvier 2002, ou vers cette date. Le début du procès relatif à cette affaire est prévu pour le 10 juin 2002 à Toronto. Selon l'avocat du demandeur, le demandeur est démuni et il n'est pas en mesure de payer les coûts pour revenir au Canada afin de témoigner au procès, même si un permis ministériel a été délivré afin de lui permettre d'entrer au pays. Le demandeur demande de présenter son interrogatoire préalable comme témoignage au procès, au lieu d'une comparution en personne ou du recueil de son témoignage par commission rogatoire en Guyane.

[6]                 La défenderesse conteste la requête du demandeur et soutient que le demandeur a fait défaut de démontrer un fondement pour déroger à la règle générale selon laquelle un témoignage au procès doit être rendu viva voce et en personne.

[7]                 De plus, la défenderesse fait remarquer qu'elle subirait un préjudice si on permettait au demandeur de présenter sa déposition de l'interrogatoire préalable comme témoignage au procès, puisqu'il n'y aura pas possibilité de contre-interrogatoire relativement à ce témoignage. À cet égard, la défenderesse invoque la décision de notre Cour dans Newfoundland Processing Limited c. South Angela (Le) (1995), 102 F.T.R. 300 (C.F. 1re inst.), où la Cour n'a pas permis l'utilisation d'un interrogatoire préalable au lieu du témoignage du témoin.

[8]                 En fin de compte, la défenderesse soutient que le demandeur a fait défaut de produire suffisamment d'éléments de preuve pour corroborer l'allégation selon laquelle le témoignage ne pouvait pas être recueilli par une commission rogatoire. À l'exception des observations de l'avocat, il n'y a aucune preuve de la difficulté ou du coût relativement au recueil d'un témoignage par commission rogatoire en Guyane.


[9]                 La présente action procède comme une action simplifiée. Les paragraphes 299(1) et (2) régissent la façon dont la preuve sera établie dans une action simplifiée et ces paragraphes prescrivent :


299(1) À l'instruction d'une action simplifiée, la preuve de chaque partie est établie par affidavit, sauf directives contraires de la Cour; cet affidavit est, sous réserve des règles 279 et 281, signifié et déposé :

a) dans le cas de la preuve du demandeur, au moins 20 jours avant l'instruction;

b) dans le cas de la preuve du défendeur, au moins 10 jours avant l'instruction.

(2) À moins que les parties adverses n'en conviennent autrement, le témoin dont le témoignage établi par affidavit est présenté à l'instruction est tenu d'être disponible pour contre-interrogatoire à l'instruction.

299(1) In the trial of a simplified action, unless the Court directs otherwise, the evidence of each party shall be adduced by affidavit, which shall, subject to rules 279 and 281, be served and filed

(a) in the case of evidence of a plaintiff, at least 20 days before the trial; and

(b) in the case of evidence of a defendant, at least 10 days before the trial.

(2) Unless all adverse parties agree otherwise, a witness whose affidavit evidence is tendered at trial shall be made available for cross-examination at trial.


[10]            Le paragraphe 299(1) permet aux parties de présenter des éléments de preuve par voie d'affidavit, mais ce paragraphe est subordonné à l'exigence du paragraphe 299(2) qui exige la disponibilité pour contre-interrogatoire d'un témoin dont le témoignage a été présenté par affidavit, à moins que la partie adverse ne convienne de renoncer à cette possibilité. En l'espèce, la défenderesse n'est pas prête à renoncer à son droit relativement au contre-interrogatoire.

[11]            Dans la décision Newfoundland Processing, précitée, la Cour a commenté la valeur du contre-interrogatoire au procès aux pages 302 et 303 :


Il faut préciser que les défendeurs désirent déposer la transcription de l'interrogatoire préalable de leur propre témoin, auquel avait procédé la demanderesse. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles je ne suis pas disposé à permettre le dépôt de cette preuve. Dans de nombreuses circonstances, l'interrogatoire peut constituer une recherche à l'aveuglette. Des réponses, au sujet desquelles la personne en cause n'a pas été contre-interrogée, pourraient s'avérer extrêmement embarrassantes pour la partie qui procède à l'interrogatoire préalable et décide de ne pas l'utiliser ou de ne pas en lire la transcription au cours du procès. Permettre à une partie de consigner en preuve l'interrogatoire préalable de son propre témoin dans le cas où la partie interrogatrice n'en a pas fait mention, équivaudrait à autoriser une preuve intéressée qui, selon les circonstances, pourrait être erronée ou fausse.

C'est une question extrêmement importante. Nous pourrions en fait nous écarter de la règle du ouï-dire et d'autres principes fondamentaux des règles de preuve. On priverait ainsi la Cour de la possibilité de juger le comportement ou la crédibilité d'un témoin; de plus, la partie adverse ne pourrait procéder au contre-interrogatoire de la personne en cause et ne pourrait contester le témoignage d'une personne qui fournirait des éléments de preuve particulièrement importants dans une action civile.

[12]            À mon avis, le demandeur n'a pas démontré pourquoi il devrait être exempté des règles et de la pratique générales concernant l'admission des éléments de preuve au procès. À la lumière des principes examinés et appliqués dans la décision Newfoundland Processing, précitée, et des arguments avancés par la défenderesse, je ne suis pas convaincue que le demandeur devrait être exempté de l'exigence générale de comparaître pour le contre-interrogatoire. La crédibilité constitue une question à trancher dans la présente action et le contre-interrogatoire demeure le meilleur outil pour tester la crédibilité.

[13]            La requête du demandeur visant l'autorisation à déposer son interrogatoire préalable pour valoir témoignage au procès est rejetée.


[14]            Je vais maintenant traiter de la requête de la défenderesse pour qu'il soit exigé du demandeur de fournir un cautionnement pour dépens au motif qu'il est démuni et sans actif au Canada. La règle 416 expose brièvement les circonstances dans lesquelles une ordonnance de cautionnement pour dépens peut être accordée; la défenderesse invoque principalement l'alinéa 416(1)a) qui prévoit ce qui suit :


416(1) Lorsque, par suite d'une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l'une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

a) le demandeur réside habituellement hors du Canada;

416(1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

(a) the plaintiff is ordinarily resident outside Canada,


[15]            La règle 417 est également pertinente et prévoit ce qui suit :


417 La Cour peut refuser d'ordonner la fourniture d'un cautionnement pour les dépens dans les situations visées aux alinéas 416(1)a) à g) si le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause.

417 The Court may refuse to order that security for costs be given under any of paragraphs 416(1)(a) to (g) if a plaintiff demonstrates impecuniosity and the Court is of the opinion that the case has merit.


[16]            La défenderesse soutient qu'une ordonnance de cautionnement pour dépens devrait être accordée en l'espèce parce que le demandeur réside maintenant habituellement à l'extérieur du Canada. Ce fait a été admis par l'avocat du demandeur. La défenderesse soutient alors que le demandeur n'a pas le droit à l'avantage conféré par la règle 417, parce qu'il a fait défaut de démontrer son indigence, dans le dossier de la Cour, ou que sa cause est bien fondée.


[17]            La cause d'action du demandeur est fondée sur la négligence sur la base d'une prétendue obligation qui échoit à la défenderesse d'offrir un environnement sécuritaire aux détenus d'un pénitencier fédéral. L'avocat du demandeur qualifie la cause d'action comme [traduction] « originale » .

[18]            À mon avis, l'originalité ne porte pas atteinte au bien-fondé d'une réclamation. Aux fins de la présente requête, je ne suis pas d'accord avec les arguments de la défenderesse selon lesquels le demandeur a fait défaut de démontrer qu'il avait une réclamation sérieuse sur le fond. Je suis convaincue que le demandeur fait valoir une réclamation sérieuse.

[19]            Une ordonnance de cautionnement pour dépens met en cause le pouvoir discrétionnaire de la Cour. En me basant sur les documents qui m'ont été présentés, je ne suis pas convaincue qu'une ordonnance de cautionnement pour dépens devrait être émise en l'espèce, compte tenu de la nature de la réclamation qu'a fait valoir le demandeur contre la défenderesse. La requête de la défenderesse est rejetée.

[20]            Les frais des présentes requêtes feront partie des frais de la cause.


                                           ORDONNANCE

Les requêtes sont rejetées. Les frais des présentes requêtes feront partie des frais de la cause.

                                                                                        « E. Heneghan »      

                                                                                                      J.C.F.C.         

OTTAWA (Ontario)

Le 14 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-80-99

INTITULÉ :              HANDEL MAITLAND HAMILTON c. SA MAJESTÉ

LA REINE

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 13 MAI 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                     LE 14 MAI 2002

COMPARUTIONS :

JOHN HILL                                                         POUR LE DEMANDEUR

NANCY NOBLE                                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS AU DOSSIER :

JOHN L. HILL                                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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