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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Chua c. M.R.N. (1re inst.) [2001] 1 C.F. 641






Date : 20001106


Dossier : T-1216-99




ENTRE :

    

     JUDY CHUA


     demanderesse



     - et -



     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL


     défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE McKEOWN



[1]          Les deux parties souscrivent aux paragraphes b) et c) de l'ordonnance. Le défendeur a souscrit au paragraphe a) proposé par la demanderesse, sauf qu'il a proposé qu'il y ait suspension de la déclaration pendant une période de deux ans afin de donner au Parlement la possibilité d'harmoniser le texte de loi avec la Charte. À mon avis, puisque la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, 26 septembre 1980, [1984] R.T. Can., no 15.1 (la Convention), est un accord conclu entre deux pays souverains, les parties à l'accord, soit les États-Unis et le Canada, voudront évidemment revoir l'accord à la lumière du fait qu'une de ses dispositions est aujourd'hui inopérante.


[2]          En vertu de l'Article XXXI, paragraphe 3, de la Convention, le Canada et les États-Unis doivent se consulter en vue de résoudre les questions qui surgissent lorsqu'un changement important introduit dans la législation fiscale de l'un des États contractants devrait s'accompagner d'une modification de la Convention. Si les États contractants ne peuvent d'une manière satisfaisante résoudre la question, l'État qui demande la modification peut dénoncer la Convention conformément à la procédure établie dans la Convention. Une conclusion selon laquelle le paragraphe 3 de l'Article 21 du Troisième Protocole contrevient à la Charte tombe sans doute dans cette catégorie, et des négociations devraient évidemment avoir lieu entre le Canada et les États-Unis à la suite d'une telle conclusion.


[3]          Il importe également de noter que l'invalidation du paragraphe 3 de l'Article 21 du Troisième Protocole aurait pour effet non seulement de prémunir les citoyens visés par la Convention contre les dispositions d'assistance en matière de perception, mais également de prémunir toute personne, société, succession ou fiducie (y compris les non-citoyens), groupes qui n'ont pas été pris en compte par les parties ou par la Cour dans les motifs de l'ordonnance (sociétés, successions et fiducies) ou dont on a dit expressément et à maintes reprises qu'ils n'étaient pas l'objet de la présente affaire ni des motifs de l'ordonnance (non-citoyens). À l'évidence, les parties à la Convention voudront examiner si cela est approprié.


[4]          La suspension demandée de vingt-quatre mois est nécessaire non seulement parce que le Parlement aura besoin de temps pour examiner les solutions propres à corriger l'inconstitutionnalité et pour adopter le texte de loi requis, mais aussi parce qu'un délai doit être accordé pour la négociation avec les États-Unis des changements à apporter, sans compter le délai requis pour que la législation appropriée soit adoptée aux États-Unis ainsi qu'au Canada.


[5]          À mon avis, la demanderesse n'a pas droit à des dommages-intérêts au titre de la réparation prévue par le paragraphe 24(1) de la Charte, accessoirement à une action déclaratoire en invalidité intentée en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Et surtout, c'est uniquement dans l'argument de la demanderesse se rapportant à la réparation que la demanderesse demande maintenant des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Aucune preuve recevable n'a été produite dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire introduite en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La seule preuve figure dans les conclusions de la demanderesse relatives à la réparation. Je souscris à l'avis du défendeur selon lequel ces documents ne sont pas recevables. En l'absence de preuve, la demande de dommages-intérêts présentée par la demanderesse repose uniquement sur une simple allégation d'inconstitutionnalité. Dans l'arrêt Guimond c. Québec (P.G.), [1996] 3 R.C.S. 347, la personne concernée demandait réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte en alléguant simplement l'inconstitutionnalité du texte de loi. Arrivant à la conclusion que la demande de réparation présentée en vertu de ce paragraphe sur simple allégation d'inconstitutionnalité ne justifiait pas une entorse à la règle générale, la Cour suprême a fait appel aux principes découlant du droit civil selon lesquels ni le législateur fédéral ni un législateur provincial ne sont tenus au paiement de dommages-intérêts pour avoir promulgué une loi qui est par la suite jugée invalide. Ce n'est que dans de rares cas que des dommages-intérêts seront adjugés en raison des effets d'une loi qui est par la suite déclarée invalide. Rice c. Nouveau-Brunswick (1999), 181 D.L.R. (4th) 643, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée [2000] C.S.C.R. no 21; Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [1999] A.N.B. no 544 (C.A.) (Q.L.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée [2000] C.S.C.R. no 21.


[6]          La demanderesse a sollicité les dépens avocat-client, mais les dépens avocat-client sont exceptionnels et ne sont en général adjugés que lorsque l'une des parties a montré une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Je n'ai fait aucune allusion dans mes motifs à une inconduite dont se serait rendu coupable le défendeur et la demanderesse n'en mentionne aucune par la suite dans ses conclusions. Je trouve qu'aucune des raisons invoquées par la demanderesse pour que lui soient adjugés les dépens avocat-client n'est impérieuse. D'ailleurs, l'argument selon lequel l'issue de l'appel touchera de nombreuses personnes ne justifie pas lui non plus l'adjudication de dépens avocat-client. Les cas types, qu'il s'agisse de cas types pour de nombreux appels ou de cas types pour des points de droit inédits, ne donnent pas en tant que tels au plaideur qui obtient gain de cause un droit accru à des dépens. Ce n'est pas la nature du procès, mais la manière dont il est conduit, qui justifie l'octroi de dépens avocat-client.


[7]          Je ne suis pas disposé à accorder à la demanderesse l'intégralité de ses dépens dans la présente affaire parce que l'argument oral de la demanderesse concernant la Charte était totalement différent de celui qui figurait dans son avis de demande et son mémoire des faits et du droit. L'audience aurait été plus ciblée et plus brève si la demanderesse avait limité dès le début ses conclusions concernant la Charte aux citoyens visés par la Convention et si elle avait notifié à l'avance au défendeur sa nouvelle position. J'ai donc réduit de 25 % les dépens de la demanderesse pour tenir compte de cet aspect.


[8]          Pour les motifs qui précèdent, l'ordonnance sera rédigée ainsi :


a)      J'accorderais au Parlement deux ans pour promulguer un nouveau texte de loi, autrement le paragraphe 3 de l'Article 21 du Troisième Protocole de la Convention, édicté en tant qu'annexe IV de la Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, L.C. 1995, ch. 34, est inconstitutionnel et est ici déclaré invalide. La présente décision s'appliquerait toutefois à toute affaire où la disposition a été contestée et où les procédures s'y rapportant sont encore pendantes;

b)      les enregistrements des deux certificats que le défendeur a déposés auprès de la Cour sont annulés;

c)      les enregistrements des certificats à l'encontre du titre de la maison familiale de la demanderesse au Bureau d'enregistrement immobilier sont annulés et le défendeur obtiendra sans délai leur radiation du Bureau d'enregistrement immobilier;

d)      le défendeur paiera à la demanderesse les trois quarts des dépens de la demanderesse, en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.



« W. P. McKeown »

JUGE



OTTAWA (ONTARIO)

Le 6 novembre 2000



Traduction certifiée conforme



Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              T-1216-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Judy Chua c. Le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 1er juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE MCKEOWN


EN DATE DU              3 novembre 2000


ONT COMPARU :


Les Little, c.r.

Tom Clearwater              pour la demanderesse

Christopher Harvey, c.r.          pour la demanderesse

Linda Bell

Robert Carvalho              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Thorsteinssons

Vancouver (C.-B.)              pour la demanderesse

Fasken, Martineau DuMoulin

Vancouver (C.-B.)              pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)              pour le défendeur





Date : 20001106


Dossier : T-1216-99



OTTAWA (ONTARIO), LE 6 NOVEMBRE 2000


EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE McKEOWN



ENTRE :


     JUDY CHUA


     demanderesse



     - et -



     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL


     défendeur





ATTENDU que la demanderesse a demandé le contrôle judiciaire des décisions prises par le défendeur en vertu de l'article XXVI A de la Convention [de 1980] entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, dans sa forme modifiée, disposition en vertu de laquelle le défendeur a recouru contre la demanderesse à des mesures de recouvrement d'une somme due par la demanderesse à l'Internal Revenue Service des États-Unis d'Amérique;


ET ATTENDU que la question de la constitutionnalité des mesures du défendeur, ainsi que du texte de loi autorisant telles mesures, a été instruite devant moi les 1er et 2 juin 2000;



ET ATTENDU que j'ai estimé, conformément à mes motifs d'ordonnance en date du 12 septembre 2000, que les mesures prises par le défendeur étaient inconstitutionnelles parce que l'article XXVI A de la Convention [de 1980] entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, appliqué à ce titre par le défendeur à la demanderesse, contrevenait aux droits de la demanderesse à l'égalité selon l'article 15 de la Charte des droits et libertés, contravention que ne justifiait pas l'article premier de la Charte;


ET APRÈS lecture des conclusions des parties concernant la réparation;



ORDONNANCE



LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :


a)      J'accorderais au Parlement deux ans pour promulguer un nouveau texte de loi, autrement le paragraphe 3 de l'Article 21 du Troisième Protocole de la Convention, édicté en tant qu'annexe IV de la Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, L.C. 1995, ch. 34, est inconstitutionnel et est ici déclaré invalide. La présente décision s'appliquerait toutefois à toute affaire où la disposition a été contestée et où les procédures s'y rapportant sont encore pendantes;

b)      les enregistrements des deux certificats que le défendeur a déposés auprès de la Cour sont annulés;

c)      les enregistrements des certificats à l'encontre du titre de la maison familiale de la demanderesse au Bureau d'enregistrement immobilier sont annulés et le défendeur obtiendra sans délai leur radiation du Bureau d'enregistrement immobilier;

d)      le défendeur paiera à la demanderesse les trois quarts des dépens de la demanderesse, en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.


« W. P. McKeown »

JUGE



Traduction certifiée conforme



Jacques Deschênes

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