Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060726

Dossier : IMM-6618-05

Référence : 2006 CF 925

OTTAWA (ONTARIO), le 26 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

ENTRE :

RAJARAGESWARY SOMASUNDRAM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision du 21 octobre 2005 par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de la demanderesse à être exemptée de la procédure d’obtention d’un visa d’immigrant pour des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs détaillés ci-après, j’accueille la demande, j’annule la décision de l’agent et j’ordonne le renvoi de l’affaire pour audition par un agent différent. Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question; par conséquent aucune question ne sera certifiée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

[2]               La demanderesse, Mme Somasundram, est une femme célibataire âgée de soixante et un ans, de nationalité sri-lankaise et appartenant à la communauté tamoule. La demanderesse résidait à l’origine dans la région de Jaffna, au Sri Lanka, où elle a obtenu un baccalauréat ès arts et a travaillé comme responsable d’une banque dans une région rurale tamoule. Des factions belligérantes étaient actives dans cette région. La demanderesse a été conduite par l’une de ces factions dans un campement où elle a été interrogée, maltraitée et menacée. Des parents ont versé une rançon pour sa libération. La demanderesse s’est alors enfuie à Colombo où elle a été arrêtée et détenue par la police qui l’a maltraitée et lui a demandé des renseignements relatifs aux factions belligérantes sévissant dans sa région. Après avoir été relâchée par la police, la demanderesse s’est enfuie au Canada pour y demander l’asile.

 

[3]               Une fois arrivée au Canada, la demanderesse a élu résidence avec des parents dans la région de Toronto; elle a occupé un emploi stable de caissière dans un commerce local et s’est intégrée à la collectivité sans incident. Sa demande de statut de réfugié a été rejetée en juillet 2001. En novembre 2001, elle a présenté une demande d’exemption de la procédure d’obtention de visa pour des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit de la demande qui a été rejetée en octobre 2005 et qui fait l’objet de la présente procédure.

 

[4]               Au moment où la demande d’exemption a été faite en 2001, un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a également été chargé d’évaluer les risques en cas de retour de la demanderesse au Sri Lanka. Pour des raisons inexpliquées, cet agent a retardé la remise de son rapport jusqu’en juin 2005. Selon ce rapport, la demanderesse ne courrait aucun risque à retourner au Sri Lanka. L’avocat de la demanderesse a été invité à présenter ses observations à propos du rapport. De nombreuses observations ont été envoyées plus tard le même mois. En août 2005, l’agent d’ERAR a rendu une décision finale en tous points identique au précédent rapport sans faire aucune référence aux nombreuses observations formulées par l’avocat.

 

[5]               La décision examinée ici est celle de l’agent d’immigration datée du 21 octobre 2005. Les motifs de cette décision tenaient sur moins d’une page. Parmi ces motifs figurait la déclaration suivante :

[traduction]

« Cependant, après avoir examiné l’établissement de la résidence de Mme Somasundram ici au Canada, je ne suis pas convaincu que son établissement soit impérieux…»

(Non souligné dans l’original.)

 

L’utilisation du mot « impérieux » a de quoi intriguer. Il s’agit d’un mot qui apparaît dans les directives du Guide utilisé par les agents d’immigration ayant à traiter de motifs d’ordre humanitaire mais celui-ci ne s’applique que si le demandeur a un casier judiciaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[6]               Dans le paragraphe suivant, ces motifs évoquent les liens familiaux de la demanderesse au Sri Lanka tout en faisant ensuite curieusement référence au Pakistan :

[traduction]

« Par conséquent, Mme Somasundram ne serait pas dépourvue de liens familiaux au Pakistan. » (Non souligné dans l’original.)

 

[7]               Le paragraphe le plus significatif de ces motifs est le suivant, lequel énonce :


[traduction]

J’ai également pris en considération les préoccupations de Mme Somasundram quant aux circonstances personnelles qui l’ont incitée à demander le statut de réfugié au sens de la Convention. Par ailleurs, j’ai pris en considération le risque pour la vie de Mme Somasundram, ou le risque pour sa sécurité personnelle en cas de retour au Sri Lanka. Cependant, je constate que la Commission du statut de réfugié a déterminé que Mme Somasundram n’était pas une réfugiée au sens de la Convention. Je note également que le 10 août 2005, l’agent d’examen des risques avant renvoi a conclu, après avoir étudié les arguments de la demanderesse et la documentation écrite, que Mme Somasundram ne serait pas exposée à un risque si elle retournait au Sri Lanka. C’est pourquoi, sur la base des informations et de la documentation présentées par la demanderesse au titre de ses préoccupations générales et de ses circonstances personnelles au Sri Lanka, et en tenant compte de l’avis de l’agent d’examen des risques avant renvoi, je ne suis pas convaincu que Mme Somasundram subirait un préjudice inhabituel, injustifié ou disproportionné si elle retournait au Sri Lanka et se soumettait aux procédures habituelles de traitement.

 

 

[8]               Les deux premiers passages cités ci-dessus, même s’ils suggèrent une certaine incurie ou auraient pu être relus plus attentivement, peuvent être excusés dans la mesure où ils ne sont pas assimilables à une erreur susceptible de révision. Cependant, lorsqu’on y ajoute le dernier extrait, on constate qu’une erreur substantielle susceptible de révision a été commise par l’agent ayant rendu la décision contestée en l’espèce. La décision dénotait au mieux de la négligence et de la distraction, ou vraisemblablement un caractère superficiel. Il n’apparaît pas que le dossier ait reçu toute l’attention qui lui était due.

 

[9]               La norme de contrôle applicable à une décision de ce type et les incidences des lignes directrices du Guide de l’immigration sur le traitement des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ont été examinées en détail par la juge Layden-Stevenson de la Cour dans l’arrêt Agot c. Canada (M.C.I.) [2003] A.C.F. n° 607; 2003 CFPI 436, au paragraphe 8, dans lequel la juge a résumé l’état du droit. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le fardeau de la preuve incombe au demandeur. La Cour suprême a qualifié les lignes directrices de très utiles à la Cour. Il serait excessif d'exiger des agents administratifs qu'ils motivent leurs décisions avec autant de détails que ceux que l'on attend d'un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d'audiences en règle.

 

[10]           La Cour d’appel fédérale a établi des lignes directrices raisonnables sur la façon dont un agent doit aborder ce type de dossier, comment il doit considérer l’affaire et comment motiver sa décision. Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des  transports) (2000), 193 D.L.R. (4e) 357, au paragraphe 22, la Cour affirme que donner des motifs ne consiste pas simplement à énoncer des observations et les éléments de preuve des parties et à formuler une conclusion; les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Dans l’arrêt Ozdemir c. Canada (M.C.I.) [2001] A.C.F. n° 1646; 2001 CAF 331, au paragraphe 10, la Cour affirme que le décideur n’a pas à se pencher sur chaque élément de preuve, à plus forte raison si celui-ci a peu de valeur probante. Compte tenu de ces paramètres, il est évident que le décideur doit indiquer dans les motifs énoncés quels étaient les principaux points en litige, comment ils ont été analysés au regard de la preuve et du droit, et comment ils ont été tranchés. Chaque élément n’a pas à être traité s’il est inutile ou a peu de valeur probante.

 

[11]           Compte tenu de ces considérations, il convient d’analyser les motifs de la décision contestée en l’espèce. La Cour estime que le dernier paragraphe des motifs cités ci-dessus n’est rien d’autre qu’une énumération de catégories générales de documents examinés, suivie d’une énumération des critères établis par les lignes directrices et de la conclusion tirée. À cet égard, les motifs ne satisfont pas aux exigences de l’arrêt VIA Rail. Ils ne traitent en aucun cas les principaux points en litige. Aucun enjeu n’est exposé, aucun élément de preuve n’est débattu et aucune explication sur le raisonnement appliqué par l’agent n’est proposée.  

 

[12]           D’après ce paragraphe des motifs, notamment ce recours curieux au terme « c’est pourquoi », il semble que l’agent s’est fondé dans une large mesure, sinon entièrement, sur la décision de l’agent d’ERAR. Dans ce cas, l’agent chargé d’apprécier les motifs d’ordre humanitaire n’a pas pris acte de ce que l’agent d’ERAR semblait ne pas avoir tenu compte des observations formulées par l’avocate de la demanderesse en réponse à l’avis de cet agent donné environ trois ans après la demande initiale. Dans l’arrêt Haghighi c. Canada (M.C.I.), [2000] 4 C.F. 407, décision de la Cour d’appel fédérale invoquée par le défendeur en l’espèce, la Cour affirme au paragraphe 36 qu’un « poids déterminant » peut être accordé au rapport de l’agent d’ERAR mais seulement dans la mesure où le demandeur a la possibilité de répondre à ce rapport. En l’espèce, la demanderesse a répondu de façon substantielle au rapport mais l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte de cette réponse dans sa décision; par conséquent l’agent chargé d’apprécier les motifs d’ordre humanitaire ne peut se fonder sur cette décision sans étude sérieuse de la réponse. Rien n’indique en l’espèce que cela ait été fait.

 

[13]             Par conséquent, la décision contestée ne résiste pas à un examen raisonnablement probant qu’exige le critère de la décision raisonnable simpliciter. La demande est accueillie.


 

ORDONNANCE

 

VU LA DEMANDE présentée à la Cour le 25 juillet 2006 visant à obtenir une ordonnance annulant la décision d’un agent d’immigration datée du 21 octobre 2005 par laquelle la demande de la demanderesse à être exemptée de la procédure d’obtention d’un visa pour des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée;

 

ET VU les documents produits ici et les observations des avocats des parties;

 

ET POUR les motifs énoncés ci-dessus;

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie;

2.                  La décision de l’agent datée du 21 octobre 2005 est annulée;

3.                  L’affaire est renvoyée pour audition par un agent différent;

4.                  Aucune question n’est certifiée;

5.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6618-05

 

INTITULÉ :                                       SOMASUNDRAM c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               25 juillet 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                      26 juillet 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

596, avenue St Clair Ouest, pièce 3

Toronto (Ontario)  M6C 1A6

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.                                

Sous-procureur général du Canada      

Tour Exchange

130, rue King Ouest

Pièce 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)  M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.