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Date : 20060615

Dossier : IMM‑3395‑05

Référence : 2006 CF 761

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

NYDIA MUNAR

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse voudrait faire annuler une décision par laquelle lui a été refusé le report d’exécution d’une mesure de renvoi prononcée contre elle. Elle dit que la décision est erronée et manifestement déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de l’intérêt supérieur de ses deux jeunes enfants nés au Canada.

 

Contexte

[2]               Les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration ne suscitent pas l’admiration. Elle est entrée au Canada depuis les Philippines en 1996 en tant que visiteur, mais, après septembre 1997, elle est restée ici sans aucun statut. Elle laissait six enfants derrière elle aux Philippines.

 

[3]               En 1999, la demanderesse présentait une demande d’asile, prétendant être victime de violence conjugale. Sa demande d’asile a été rejetée par décision du 21 novembre 2000.

 

[4]               Les deux enfants canadiens de la demanderesse sont nés respectivement en 2000 et 2003 et ils sont l’objet d’une ordonnance de garde partagée rendue par la Cour de justice de l’Ontario le 12 juillet 2005.

 

[5]               Pour une bonne partie de la période qui s’est écoulée depuis au moins 2000, la demanderesse a été sous le coup d’une mesure de renvoi prononcée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Elle s’est toujours soustraite aux moyens pris par l’ASFC pour procéder à son renvoi du Canada. Une entrevue préalable à son renvoi devait avoir lieu en 2002, mais elle ne s’y est pas présentée, et un mandat d’arrêt a été délivré contre elle. À la suite d’une enquête policière, elle fut arrêtée le 7 août 2003, puis relâchée le même jour à certaines conditions, notamment l’obligation pour elle de se présenter régulièrement aux autorités.

 

[6]               En août 2003, la demanderesse sollicitait un examen des risques avant renvoi (ERAR), mais une décision défavorable était rendue sur cette demande le 26 janvier 2004. Lorsqu’elle s’est présentée aux autorités le 22 avril 2004 comme elle devait le faire, elle a été priée d’obtenir des passeports pour elle‑même et pour ses deux enfants canadiens, afin de faciliter son renvoi, qui devait alors avoir lieu le 2 juillet 2004. Le 25 juin 2004, la demanderesse s’est présentée à une entrevue préalable à son renvoi, mais sans les passeports de ses enfants. Les dispositions préalables au renvoi furent donc annulées.

 

[7]               Le 28 septembre 2004, la demanderesse se présentait de nouveau pour une entrevue préalable à son renvoi et, encore une fois, elle n’était pas en possession de passeports pour ses enfants. On lui a dit de revenir le 22 octobre 2004 en prévision d’un renvoi devant avoir lieu le 4 novembre 2004.

 

[8]               Le 22 octobre 2004, la demanderesse ne s’est pas présentée à l’entrevue, et les dispositions préalables au renvoi furent de nouveau annulées. Une enquête complémentaire a révélé que la demanderesse avait déménagé, et un mandat d’arrêt fut délivré contre elle le 17 novembre 2004. Ce mandat a été exécuté le 6 mai 2005, et la demanderesse a été mise en détention sans ses enfants. Les dispositions prises à cette époque pour les soins à ses deux enfants semblent avoir été plutôt chaotiques, et la Société d’aide à l’enfance (SAE) est intervenue pour surveiller leur condition. Une nouvelle date fut fixée pour le renvoi, à savoir le 3 juin 2005, mais cette procédure a été suspendue par ordonnance du juge Yves de Montigny, jusqu’à l’issue de la demande présentée par la demanderesse pour motifs d’ordre humanitaire, ou jusqu’à l’issue de cette demande de contrôle judiciaire, selon la première éventualité. À ce jour, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire demeure pendante, et aucune évaluation des effets du renvoi de la demanderesse sur ses enfants canadiens n’a été faite.

 

[9]               Lorsqu’il a accordé le sursis d’exécution de la mesure de renvoi, le juge de Montigny s’est exprimé sur la situation des enfants de la demanderesse, aux paragraphes 41 et 42 de sa décision (Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1448, 2005 CF 1180) :

[41]       En l’espèce, les deux enfants de la demanderesse sont très jeunes et personne ne semble prêt à s’en occuper à part leur mère. Pourtant, elle ne peut pas les prendre avec elle puisque sa demande d’ordonnance de garde exclusive n’a pas encore été tranchée. Par conséquent, j’arrive à la conclusion que la demanderesse a soulevé une question sérieuse, même en appliquant la norme plus exigeante qui est requise dans un tel cas, lorsqu’elle soutient que l’agente de renvoi n’a pas utilisé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée et qu’elle n’a pas été « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants.

 

[42]       Il n’y a aucun doute dans mon esprit que les deux enfants de la demanderesse nés au Canada subiront un préjudice irréparable si elle est renvoyée du Canada et qu’ils ne peuvent pas partir avec elle. La preuve démontre clairement que leur situation serait au mieux précaire, puisque ni leur père ni le compagnon actuel de la demanderesse ne semblent disposés à s’en occuper à long terme, sans parler de leur fournir un environnement affectueux et stable. Une telle violation des intérêts d’un enfant et de ses droits les plus fondamentaux doit nécessairement être qualifiée de préjudice irréparable.

 

 

[10]           L’avocate de la demanderesse a sollicité par lettre le report d’exécution de la mesure de renvoi en alléguant la demande en cours fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et la nécessité de faire en sorte que l’intérêt des enfants soit protégé par ce processus. Elle évoquait aussi dans le passage suivant l’incertitude des dispositions touchant la garde des enfants, ainsi que le désir de la demanderesse d’emmener les enfants avec elle :

[TRADUCTION]

[…] Elle a deux enfants nés au Canada, et il importe de veiller à leur protection et à leur intérêt si leur mère doit être renvoyée. Il vaut mieux que ce dossier soit laissé d’abord à l’appréciation du décideur en matière de motifs d’ordre humanitaire, de telle sorte que le renvoi devrait être reporté jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en la matière.

 

Si Nydia doit quitter le Canada, alors elle veut emmener les enfants avec elle, car une séparation d’avec ses enfants serait source de difficultés considérables. Nydia a un autre avocat qui se charge d’obtenir une ordonnance lui accordant la garde exclusive des enfants, et le père se montre coopératif. Le père s’efforce d’obtenir les actes de naissance des enfants, comme vous l’avez demandé, afin que les enfants puissent voyager avec elle. Ces deux démarches devraient être accomplies avant que Nydia ne quitte le pays, et son renvoi devrait donc être reporté jusqu’à ce qu’elles soient menées à terme. Nydia a été priée d’obtenir des passeports pour les enfants il y a quelque temps, mais elle ne l’a pas fait, parce qu’elle a peur et qu’elle espère qu’elle ne sera pas obligée de partir. Étant donné que Nydia est dans ce pays depuis 10 ans et qu’elle est inquiète pour ses enfants, je crois que son attitude est compréhensible.

 

 

 

[11]           La décision contestée ici prend la forme d’une simple lettre de refus datée du 1er juin 2005. Le contexte de la décision figure cependant dans les notes de l’agente, qui font partie du dossier. L’agente chargée du renvoi a résumé sa décision dans le passage suivant de ses notes, où l’on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme le révèlent les antécédents du cas, l’intéressée n’a montré que mépris et indifférence envers le processus de l’immigration, alors que toutes les occasions lui ont été données, à maintes reprises, d’obtenir des passeports pour ses enfants, qu’elle souhaite garder avec elle. La soussignée n’a aucune objection à laisser les enfants partir avec leur mère, et le ministère assumera les frais de leurs billets d’avion, si leur mère affirme ne pas pouvoir les payer. J’ai parlé à la Société d’aide à l’enfance (SAE), à qui j’ai indiqué que je reporterais le renvoi si la SAE était en mesure de trouver les passeports des enfants et/ou leurs actes de naissance qui serviraient à la délivrance des passeports. L’employée de la SAE devait me rappeler. Après avoir reçu du consulat des Philippines la confirmation que le consulat était disposé à délivrer des documents de voyage, j’ai laissé un message à l’employée de la SAE, en lui demandant si elle avait pu obtenir des documents pour les enfants. Elle ne m’a jamais rappelée.

 

L’intéressée ne s’étant pas manifestée, la nouvelle DDE a été déposée. Des copie des convocations ont été envoyées à l’avocate, mais la cliente ne s’est malgré cela jamais montrée.

 

IL Y A DANS LE DOSSIER UNE COPIE DE L’ACTE DE NAISSANCE D’UN ENFANT, ET L’INTÉRESSÉE A DONC DÉJÀ DES ACTES DE NAISSANCE. Elle essaie encore d’échapper à son renvoi, en affirmant qu’elle n’a pas les actes de naissance, selon ce qui est écrit dans la lettre de son avocate en date du 31 mai 2005.

 

L’intéressée a disposé de plus d’un an pour obtenir les passeports des enfants. À plus de trois reprises, elle aurait pu être arrêtée et mise en détention, mais elle ne l’a pas été, en raison des enfants. Le ministère a été aussi accommodant qu’il pouvait l’être, mais l’intéressée refuse de coopérer et, par ses propres agissements, elle a pris le risque d’être séparée de ses enfants. Si elle est si inquiète pour ses enfants, pourquoi alors prendrait‑elle un tel risque? Je crois qu’elle se sert des enfants pour son propre avantage, non le leur. L’intéressée a aussi six enfants, qu’elle a laissés aux Philippines. [Majuscules dans le texte.]

 

 

[12]           Les notes susmentionnées de l’agente chargée du renvoi ne constituent pas le dossier intégral de son intervention, ni la totalité de l’examen qu’elle a fait de la situation des enfants en réponse à la demande de report de renvoi présentée par la demanderesse. Il ressort clairement d’autres notes au dossier qu’elle était en consultation avec la SAE. Dans les autres notes, elle écrivait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Ai reçu un message de GFX indiquant que la SAE avait été en contact avec elle, et que les enfants ne pouvaient pas demeurer avec le conjoint de fait.

 

[…]

 

Ai parlé avec Elana, du Bureau du droit des réfugiés, et j’ai demandé à l’intéressée de faire remettre les passeports des enfants à IHC si elle voulait qu’ils voyagent avec elle. Actes de naissance et demandes de passeports signées par le conjoint de fait. Je ne consentirais pas à reporter le renvoi jusqu’à l’issue de la demande fondée sur des motifs humanitaires. L’intéressée a déposé une demande après son défaut de comparaître en vue du renvoi. Les dispositions de renvoi ont également été annulées puisqu’elle n’avait pas obtenu de documents de voyage pour elle‑même ou ses enfants. L’intéressée tente tous les moyens dilatoires afin d’éviter un renvoi. Elana m’a informée qu’elle dirait à l’intéressée d’obtenir des documents, quels qu’ils soient, pour les enfants.

 

[…]

 

Gina Fargnoli, du Centre de prévention d’Immigration, a téléphoné pour m’informer que la Société d’aide à l’enfance l’avait appelée pour lui dire que les enfants ne pouvaient pas rester avec le compagnon de l’intéressée, qui n’est pas le père des enfants.

 

Gina a parlé à l’intéressée et constaté qu’elle n’avait pas obtenu de passeports pour les enfants, et que les enfants se trouvaient bien à l’endroit où ils étaient.

 

Gina a alors parlé à Michelle Lawrence, de la Société d’aide à l’enfance, téléphone 416‑395‑1931, qui lui a dit que le compagnon de l’intéressée avait appelé la SAE, pour l’informer qu’il ne pouvait s’occuper d’eux. Gina a dit que nous ne voulions pas voir les enfants au centre de détention, car l’intéressée s’en est servi pour retarder son renvoi du Canada. Gina a dit qu’ils pouvaient venir les fins de semaine, mais qu’ils devaient partir ensuite. Si personne ne les prenait, elle ferait alors appel à la SAE pour s’en occuper.

 

J’ai téléphoné à Michelle Lawrence, qui m’a dit que le père biologique est absent. Il a une épouse, et l’intéressée n’a confiance dans aucun des deux pour les soins à apporter à ses enfants. Le compagnon de l’intéressée fait partie du paysage depuis neuf mois. Il a dit qu’il ne peut pas s’occuper des enfants. Michelle va lui parler et vérifier si les enfants ont des passeports. Elle tentera d’obtenir des passeports pour les enfants s’ils n’en ont pas. J’ai rappelé à Michelle les nombreux délais et occasions que nous avons donnés à l’intéressée pour qu’elle se procure ces documents.

 

 

 

Point litigieux

L’agente chargée du renvoi a‑t‑elle validement exercé son pouvoir discrétionnaire à l’égard de la demande de report présentée par la demanderesse, compte tenu en particulier de l’intérêt de ses deux enfants canadiens?

 

Analyse

[13]           La décision récente rendue par le juge Richard Mosley dans l’affaire Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2133, 2005 CF 1715 (paragraphes 19 et suivants) renferme une analyse utile sur la norme de contrôle qui s’applique à la décision d’un agent chargé du renvoi de refuser une demande de report. Après avoir examiné un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 254 D.L.R. (4th) 200, infirmant : 232 D.L.R. (4th) 75, et avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge Mosley a adopté la norme de la décision manifestement déraisonnable, du moins en ce qui a trait aux aspects factuels de la décision. J’adopte l’analyse du juge Mosley et reconnais que la norme de contrôle qui est applicable aux points soulevés dans la présente affaire est la décision manifestement déraisonnable.

 

[14]           La décision de ne pas reporter le renvoi de la demanderesse, qui est l’objet de la présente instance, remonte à plus d’un (1) an, et l’examen de sa validité me semble un exercice quelque peu artificiel. La demanderesse n’est pas actuellement sous le coup d’une mesure de renvoi, bien qu’elle puisse être déclarée apte à être renvoyée une fois que sera levé le sursis d’exécution. La situation des enfants est sans aucun doute différente aujourd’hui de ce qu’elle était il y a un an, de telle sorte que, même si la présente demande était rejetée, un nouvel examen de leur intérêt serait nécessaire s’il était demandé à la suite d’une nouvelle mesure de renvoi prononcée contre leur mère. Néanmoins, des conséquences pratiques pourraient découler d’une décision rendue dans la présente instance, et je résoudrai la question en conséquence.

 

[15]           Les conclusions contenues dans les notes au dossier de l’agente chargée du renvoi évoquent la situation des enfants, mais elles sont presque entièrement fondées sur l’idée qu’ils quitteront le Canada avec la demanderesse. Cela n’est pas tout à fait surprenant puisque c’était ce que souhaitait la demanderesse. L’autre aspect dont les notes font amplement cas a trait à l’attitude obstructionniste de la demanderesse et au fait qu’elle utiliserait les enfants pour éviter son renvoi. D’ailleurs, la justification finale que donne l’agente chargée du renvoi pour refuser la demande de report se fondait uniquement sur ces deux aspects. Aucune des notes au dossier ne montre clairement une préoccupation pour le bien‑être immédiat des enfants, ni n’examine la question de savoir si le renvoi de la demanderesse sans eux risquerait de rendre leur garde problématique.

 

[16]           La protection temporaire de la SAE était presque certainement une solution de dernier recours, mais il n’aurait pas nécessairement été dans l’intérêt de ces enfants qu’ils soient laissés dans une telle position de vulnérabilité.

 

[17]           On peut comprendre l’agacement de l’agente chargée du renvoi lorsqu’elle s’est trouvée aux prises avec une situation comme celle‑ci. Toutefois, le droit est clair : lorsque le report d’une mesure de renvoi prononcée contre un parent est demandé et lorsque l’intérêt des enfants concernés est en cause, l’agent chargé du renvoi doit tenir compte de leur intérêt à court terme. Plus exactement, l’agente chargée du renvoi doit se demander si les dispositions portant sur le soin et la garde des enfants ainsi laissés sont adéquates. Toutes ces considérations deviendront théoriques si une décision réfléchie a été rendue peu de temps auparavant sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire, mais, évidemment, ce n’est pas ce qui est arrivé ici. En l’espèce, l’intérêt des enfants n’a été considéré que d’une manière incidente, l’idée essentielle étant qu’ils quitteraient le Canada avec la demanderesse. Les conséquences qui découleraient de l’autre possibilité, c’est‑à‑dire de la possibilité qu’ils n’accompagnent pas leur mère (du moins selon ce que révèlent les notes au dossier), n’ont pas été suffisamment développées et les questions relatives au comportement de la demanderesse l’ont pour l’essentiel emporté sur celles‑ci.

 

[18]           Les principes juridiques qui s’appliquent à cette situation ont été exposés minutieusement par le juge de Montigny dans sa décision antérieure de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Je fais miens ses propos concernant cette obligation, aux paragraphes 37 à 40 de sa décision :

[37]      Ceci étant, si on veut prendre au sérieux l’intérêt supérieur des enfants, il faut examiner jusqu’à un certain point ce qui leur arriverait si leur père ou leur mère ou les deux devaient être renvoyés du Canada. Comme c’est souvent le cas, je crois que la solution se trouve quelque part entre les positions extrêmes adoptées par les parties. Bien qu’il n’y ait pas lieu de décréter un empêchement absolu au renvoi, il serait tout aussi inacceptable d’adopter l’approche où l’agent de renvoi n’examine pas du tout la situation de l’enfant.

[38]      Je partage l’avis de ma collègue la juge Snider que l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une question de tout ou rien, mais bien une question de degré. Alors qu’une analyse approfondie est nécessaire dans le contexte d’une demande CH, un examen moins élaboré peut suffire dans le contexte d’autres décisions à prendre. Au vu de l’article 48 de la Loi, ainsi que de l’économie générale de celle‑ci, je partage aussi son avis que l’obligation de l’agent de renvoi d’examiner l’intérêt des enfants nés au Canada se situe du côté d’un examen moins élaboré (John c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 583).

[39]      Lorsque qu’il évalue une demande CH, l’agent d’immigration doit pondérer l’intérêt de l’enfant à long terme. On trouve un guide utile quant aux facteurs dont on peut tenir compte dans le chapitre IP 5 (Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire) du manuel d’immigration publié par Citoyenneté et Immigration Canada. Les facteurs liés au bien‑être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération. Parmi les exemples de facteurs à prendre en compte, on trouve : l’âge de l’enfant; le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH; le degré d’établissement de l’enfant au Canada; les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande CH; les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant; les conséquences sur l’éducation de l’enfant; et les questions relatives au sexe de l’enfant. Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (M.C.I.), [2003] 2 C.F. 555, au paragraphe 6, le juge Décary résume brièvement le tout : « l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent ».

[40]      Il est clair que ce n’est pas ce genre d’évaluation qu’un agent de renvoi doit faire lorsqu’il doit décider quand « les circonstances [...] permettent » d’appliquer une ordonnance de renvoi. Toutefois, il doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. Par exemple, il est clair que l’agent de renvoi a le pouvoir discrétionnaire de surseoir au renvoi jusqu’à ce que l’enfant ait terminé son année scolaire, si l’enfant doit quitter avec l’un de ses parents. De la même façon, je ne peux tirer la conclusion que l’agent de renvoi ne devrait pas vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés. Il est clair que ceci est dans son mandat, dans la mesure où l’article 48 de la LIPR doit s’accorder avec les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le fait de s’enquérir de la question de savoir si on s’occupera correctement d’un enfant ne constitue pas une évaluation CH approfondie et ne fait en aucune façon double emploi avec le rôle de l’agent d’immigration qui doit par la suite traiter d’une telle demande (voir Boniowski c. Canada (M.C.I), [2004] A.C.F. no 1397).

 

 

[19]           Il ressort clairement de cette décision, et d’autres décisions semblables, que l’agent chargé du renvoi a bel et bien l’obligation d’être attentif et sensible à l’intérêt immédiat d’enfants qui doivent composer avec le renvoi du Canada d’une personne qui s’en occupe principalement : voir aussi la décision John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 583, 2003 CFPI 420. S’il est prévu que des enfants devront rester au Canada, il est impératif de savoir si les dispositions qui ont été prises pour leurs soins après le départ du parent concerné sont adéquates.

 

[20]           Le défendeur a fait observer à juste titre, dans la présente affaire, que l’agente chargée du renvoi ne saurait faire plus que de s’en rapporter à l’information produite au soutien d’une demande de report, mais les lettres produites ici au nom de la demanderesse évoquent on ne peut plus clairement les problèmes de garde à court terme qu’allaient connaître les enfants en cas d’expulsion de la demanderesse vers les Philippines. Cet aspect a véritablement été porté à l’attention de l’agente chargée du renvoi, et il avait été jugé d’une importance suffisante pour donner lieu à des consultations antérieures avec la SAE.

 

[21]           Si en définitive il était évident que la demanderesse allait quitter le Canada sans ses enfants, l’agente chargée du renvoi devait savoir (et savait effectivement) qu’un programme de garde des enfants serait requis. Elle avait l’obligation de s’interroger sur la valeur de ce programme. Elle n’a pas pleinement tenu compte de l’intérêt immédiat des enfants, et sa décision de ne pas reporter le renvoi de la demanderesse est donc manifestement déraisonnable. Il est donc nécessaire que cette affaire soit renvoyée pour nouvelle décision au fond, sauf évidemment si, entre‑temps, la question a été pleinement examinée dans le contexte de la révision en cours fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[22]           Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée, et aucune question ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : L’affaire est renvoyée à un autre agent, pour nouvelle décision au fond.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          IMM‑3395‑05

 

 

INTITULÉ :                                                         NYDIA MUNAR

                                                                              c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 LE MERCREDI 31 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                    LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 15 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Amina Riaz                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Aviva Basman

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald                                             POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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