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Date : 20190614

Dossier : T‑508-18

Référence : 2019 CF 813

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2019

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

SOCIÉTÉ DES LOTERIES ET

DES JEUX DE L’ONTARIO

demanderesse

et

PREMIÈRE NATION DES MISSISSAUGAS

DE SCUGOG ISLAND

défenderesse

et

 

COMMISSION DE LA FISCALITÉ DES PREMIÈRES NATIONS

Intervenante

 

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Société des loteries et des jeux de l’Ontario [la SLJO] sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de la fiscalité des Premières Nations [la Commission] a agréé un texte législatif de la Première Nation des Mississaugas de Scugog Island [la Première Nation] qui permettait à cette dernière d’imposer des droits pour les services du réseau d’égout et de traitement des eaux usées offerts à un casino géré par la SLJO. En résumé, la SLJO soutient qu’il n’y a pas de lien entre les droits de service imposés et le coût projeté du service et que le rapport produit par la Première Nation pour justifier les droits de service n’est pas étayé par des données financières adéquates.

[2]  Je rejette la demande de la SLJO. Les arguments de la SLJO méconnaissent le rôle de la Commission, qui a pour mandat d’assurer le respect des exigences légales et non de procéder à une vérification détaillée des coûts projetés. À première vue, le rapport produit par la Première Nation démontre l’existence d’un lien entre les droits de service imposés et les coûts projetés du service.

I.  Contexte

A.  Le casino Great Blue Heron

[3]  Le casino Great Blue Heron [le casino] est situé sur les terres de réserve de la Première Nation. Il a ouvert ses portes en 1997 et était à l’époque exploité par une société sans capital‑actions associée à la Première Nation, la Baagwating Community Association [la BCA]. Il n’offrait alors que ce qu’on appelle des « jeux de table ». La BCA louait alors le casino de la Première Nation.

[4]  En 2000, le casino est devenu un partenariat entre la BCA et la SLJO. Il a été agrandi pour offrir des « jeux électroniques », exploités par la SLJO, tout en maintenant les jeux de table exploités par la BCA. La SLJO et la BCA ont retenu les services d’un seul exploitant privé pour gérer chacun des volets du casino.

[5]  L’expansion des activités du casino s’est accompagnée d’une augmentation de la production des eaux usées de l’établissement. Lorsque la station d’épuration des eaux usées initiale a fait défaut, le casino a dû faire transporter les eaux usées par camion et les faire traiter dans une municipalité voisine. Cet arrangement devenant de moins en moins satisfaisant, il a été décidé de construire une nouvelle station d’épuration des eaux usées [la station d’épuration] pour desservir le casino et éventuellement d’autres utilisateurs de la collectivité. Les coûts de construction de la station ont été partagés entre la SLJO et la BCA. La station d’épuration a été achevée en 2010. Elle appartient depuis à la Première Nation et est exploitée par cette dernière. La Première Nation facture les coûts d’exploitation à l’exploitant privé du casino, qui les récupère, à parts égales, auprès de la SLJO et de la BCA.

[6]  En 2016, de nouvelles modalités d’exploitation du casino ont été mises en place. La SLJO est devenue son unique exploitante. Des ententes de partage des profits ont été conclues afin que la Première Nation puisse recevoir une part des profits du casino. En ce qui concerne les eaux usées, les ententes de 2016 prévoyaient que les pratiques de facturation antérieures seraient abandonnées et que la SLJO paierait des droits de service conformément à un texte législatif sur les droits de service pris par la Première Nation. La validité de ce texte législatif sur les droits de service est contestée dans le cadre de la présente demande. Le processus qui a été suivi pour l’adoption de ce texte législatif est décrit plus loin. Avant de l’examiner, il est toutefois nécessaire de brosser un tableau général du cadre législatif régissant l’adoption des textes législatifs sur les droits de service des Premières Nations.

B.  La Loi sur la gestion financière des Premières Nations : genèse et économie

[7]  Selon l’article 18 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, les terres de réserve des Premières Nations sont, en principe, réservées à l’usage des membres d’une Première Nation déterminée (aussi appelée « bande indienne »). Néanmoins, il existe un certain nombre de cas où les terres de réserve sont occupées par des personnes physiques ou morales qui ne sont pas membres de la Première Nation. Ce genre de situation peut survenir à la suite de l’expropriation d’emprises au profit d’entreprises ferroviaires, énergétiques ou de télécommunications. Elle peut aussi résulter de la décision d’une Première Nation de louer une partie de ses terres de réserve à des non‑membres ou de « désigner » une partie de sa réserve. Diverses dispositions de la Loi sur les Indiens autorisent de telles utilisations.

[8]  Lorsque des parties de leurs terres de réserve sont utilisées par des non‑membres, les Premières Nations ont souvent cherché à exercer le pouvoir de taxation que leur confère l’article 83 de la Loi sur les Indiens. Cet article permet aux Premières Nations d’imposer des « taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage ». Dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3, aux paragraphes 18 et 114 [Matsqui], la Cour suprême du Canada a reconnu que le pouvoir de taxation des Premières Nations visait à faciliter leur autonomie gouvernementale. L’exercice de ces pouvoirs a souvent donné lieu à des litiges, par exemple pour déterminer si certaines terres font partie ou non d’une réserve (Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746) ou si le mécanisme d’appel créé par une Première Nation était adéquat (Matsqui).

[9]  En ce qui a trait à leur assiette fiscale et à leur mode général de fonctionnement, les taxes imposées en vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens présentent certaines similitudes avec les taxes foncières que les municipalités sont habilitées à percevoir un peu partout au Canada en vertu des lois provinciales. Il y a cependant une différence importante : les municipalités sont généralement composées de l’ensemble de leurs résidents, et des dispositions sont habituellement prises pour accorder aux contribuables non résidents, y compris aux personnes morales dans certains cas, le droit de voter aux élections municipales. Par contre, l’appartenance à une Première Nation se transmet habituellement par filiation et ne peut être acquise par des non-Autochtones du fait de leur résidence sur les terres de réserve. Par conséquent, les contribuables non membres sont exclus du processus démocratique des gouvernements des Premières Nations.

[10]  Depuis le début des années 1980, un certain nombre de Premières Nations ont cherché à modifier leur encadrement juridique afin d’encourager et de faciliter leur développement économique. Les mesures qu’elles ont prises se sont d’abord traduites par une série de modifications à la Loi sur les Indiens, connues sous le nom de « modifications de Kamloops », qui prévoyaient la « désignation » de terres de réserve, concept qui facilite l’octroi de droits dans des terres de réserve à des personnes qui ne sont pas membres de la bande (Bande indienne de St. Mary’s c Cranbrook (Ville), [1997] 2 RCS 657). Contrairement aux terres « cédées », les terres « désignées » demeurent à l’intérieur de la réserve et leurs occupants peuvent être imposés en vertu de l’article 83.

[11]  L’adoption de lois permettant aux Premières Nations d’adhérer à un régime qui remplace certaines parties de la Loi sur les Indiens constitue une autre avancée. Un élément bien connu de ce régime alternatif est la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations, LC 1999, c 24, qui autorise les Premières Nations participantes à adopter un « code foncier » qui remplace les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à la gestion des terres de réserve. La Loi sur la gestion financière des premières nations, LC 2005, c 9 [la Loi], qui s’applique directement à la présente demande, est un autre exemple.

[12]  La Loi est un régime législatif complexe. Je me contenterai de n’en décrire que les aspects qui sont pertinents en l’espèce. L’article 5 prévoit que le conseil de la Première Nation peut prendre des « textes législatifs sur les recettes locales » concernant notamment l’imposition de taxes foncières et « concernant l’imposition de droits pour la prestation de services [...] relativement [...] aux égouts ». Ce dernier volet, l’alinéa 5(1)a.1), a été ajouté par l’article 178 de la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2015, LC 2015, c 36, et est entré en vigueur le 1er avril 2016.

[13]  L’article 5 prévoit par ailleurs que les textes législatifs sur les recettes locales doivent être agréés par la Commission de la fiscalité des Premières Nations [la Commission], créée par l’article 17. Le processus d’agrément est énoncé à l’article 31; j’y reviendrai plus loin. En vertu de l’article 35, la Commission peut « établir des normes [...] en ce qui concerne [...] la forme et le contenu des textes législatifs sur les recettes locales », ainsi que « les critères applicables à l’agrément des textes législatifs sur les recettes locales ».

[14]  Le 13 décembre 2017, la Commission a établi les Normes relatives aux lois sur les droits de service des premières nations (2017) [les Normes]. Les articles 3 et 4 sont particulièrement pertinents en l’espèce :

3. Base d’imposition des droits de service

3. Basis of Fee

3.1 Le texte législatif doit établir la base d’imposition des droits de service en conformité avec les paragraphes 3.2, 3.5 ou 3.7, selon le cas.

3.1 The Law must state the basis on which the fee will be levied, in accordance with subsection 3.2, 3.5 or 3.7, as applicable.

3.2 Dans le cas des droits de service imposés pour un service fourni à un droit ou intérêt sur les terres de réserve, le texte législatif doit fonder les droits de service sur l’un ou plusieurs des éléments
suivants :

3.2 Where a fee is for a service provided to an interest or right in reserve lands, the Law must establish the fee based on one or more of the following:

a) un montant forfaitaire pour chaque droit ou intérêt sur les terres de réserve;

(a) a single amount for each interest or right;

b) un montant forfaitaire pour chaque service ou aspect du service;

(b) a single amount for each service or aspect of the service;

c) l’utilisation ou la consommation du service;

(c) the use or consumption of the service;

d) la superficie imposable du droit ou de l’intérêt ou des bâtiments situés sur celui-ci;

(d) the taxable area of the interest or right or buildings located on the interest or right ;

e) la longueur de façade du droit ou de l’intérêt.

(e) the frontage of the interest or right.

[...]

[...]

4. Coût du service

4. Cost of Service

4.1 Le texte législatif doit établir des taux et niveaux de droits de service qui correspondent au coût projeté de l’administration, de l’exploitation et du maintien du service ou de la partie du service devant être financé par de tels droits.

4.1 The Law must establish rates and levels of fees that reflect the projected cost of providing for the administration, operation and maintenance of the service or portion of the service that is to be funded by the fee.

4.2 Le texte législatif doit établir des taux et niveaux de droits de service qui sont appuyés par un rapport portant sur le mode de détermination des droits de service imposés en vertu de la présente loi et qui fait état du coût projeté du service, de la manière dont ce coût a été calculé et de la portion du coût total que la Première Nation recouvrera au moyen des droits de service imposés.

4.2 The Law must establish rates and levels of fees that are supported by a report respecting how the fees levied under the Law were determined, and that includes the projected cost of the service, how the cost of the service was determined, and the proportion of the total cost that the First Nation will recover through the fee.

[15]  Les Normes énoncent également des exigences minimales pour tous les textes législatifs sur les droits de service. Ainsi, les textes législatifs doivent contenir des dispositions concernant la perception et le remboursement des droits de service, ainsi que des dispositions sur les plaintes. Les Normes prévoient aussi des exigences concernant certains types de dispositions qu’une Première Nation peut souhaiter inclure dans un texte législatif sur les droits de service, par exemple en ce qui concerne les exemptions, les intérêts et les pénalités.

C.  L’adoption du texte législatif sur les droits de service et son agrément par la Commission

[16]  Le 27 octobre 2017, la Première Nation a, conformément à l’alinéa 6(1)a) de la Loi, publié dans la Gazette des premières nations un avis de son intention d’adopter le Mississaugas of Scugog Island First Nation Sewer Service Fee Law, 2017 [le texte législatif sur les droits de service]. L’ébauche de ce texte législatif a par la suite était communiquée à la SLJO, avec une copie du rapport expliquant la méthode de calcul des droits de service [le Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts].

[17]  Le texte législatif sur les droits de service semble avoir été rédigé en consultation avec la Commission. Il traite de la gestion des droits de service pour le réseau d’égouts, de la facturation, des exemptions, des pénalités, des intérêts, des mesures d’exécution et des plaintes. La méthode de calcul des droits de service est précisée dans une annexe. Le coût total de la fourniture du réseau d’égouts est fixé à 1 060 000 $. Ce montant est ensuite réparti entre les usagers du service, proportionnellement au [traduction« volume d’eau entrant dans la propriété » par rapport au volume total. Bien que l’expression [traduction« volume d’eau entrant dans la propriété » soit utilisée, on comprend qu’il s’agit en réalité de l’arrivée d’eau dans la station d’épuration, à partir de chaque propriété. Il est admis que le casino est de loin la plus grande source d’eaux usées traitées par la station d’épuration. Un autre petit bâtiment commercial a été raccordé à la station d’épuration en 2017, mais, aux fins de la présente demande, il produit une quantité négligeable d’eaux usées.

[18]  Le 27 novembre 2017, la SLJO a écrit à la Première Nation pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du projet de texte législatif sur les droits de service et lui demander de lui fournir des renseignements complémentaires. Plusieurs de ces préoccupations avaient trait au Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts. La SLJO a expliqué que, selon la législation ontarienne, les municipalités qui souhaitent percevoir de tels droits sont tenues de fournir des études préliminaires préparées par des consultants qualifiés, et elle a fait remarquer que l’identité des auteurs du rapport n’était pas précisée. La SLJO se demandait aussi s’il y avait un chevauchement entre certains postes du budget de fonctionnement figurant dans le rapport et si certains d’entre eux étaient réellement liés à l’exploitation du réseau d’égout. La SLJO s’est donc dite préoccupée par le fait que le Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts [traduction] « ne renferme pas suffisamment de renseignements ou de détails pour justifier l’imposition des droits ». D’autres préoccupations concernaient directement l’économie du texte législatif sur les droits de service. La SLJO a fait remarquer que les droits proposés étaient établis d’après les débits d’eau, mais que le texte législatif ne prévoyait aucune méthode pour mesurer les débits d’eau ou pour attribuer des débits particuliers au casino. La SLJO a également soutenu que certaines dispositions du texte législatif sur les droits de service étaient contraires aux ententes contractuelles conclues entre la Première Nation et la SLJO. Il est à noter que la lettre de la SLJO ne mentionnait pas explicitement les préoccupations liées à la réserve en capital prévue au budget.

[19]  Le 7 décembre 2017, la Première Nation a répondu que les préoccupations de la SLJO n’avaient rien à voir avec le non‑respect des exigences de la Loi. Elle a annoncé qu’elle avait l’intention de demander à la Commission d’agréer le texte législatif sur les droits de service lors de sa réunion du 13 décembre 2017, en même temps que l’adoption des Normes, ajoutant qu’elle craignait que les observations de la SLJO ne retardent le processus jusqu’à une réunion ultérieure des commissaires. Pour ces raisons, elle a invité la SLJO à retirer ses observations.

[20]  Le conseil de la Première Nation a adopté le texte législatif sur les droits de service le 20 décembre 2017. Conformément à l’article 7 de la Loi, il en a informé la SLJO le même jour et l’a invitée à présenter ses observations écrites à la Commission.

[21]  Le 25 janvier 2018, la SLJO a présenté des observations écrites à la Commission concernant le texte législatif sur les droits de service. Ces observations étaient essentiellement identiques à celles présentées à la Première Nation en novembre 2018 et les reprenaient souvent mot à mot. Les observations que la SLJO a remises à la Commission ne sont toutefois pas formulées comme une demande visant à obtenir de plus amples renseignements, mais plutôt comme une demande de modification du texte législatif sur les droits de service et, implicitement, comme une demande de report de son agrément.

[22]  La Commission a agréé le texte législatif sur les droits de service le 13 février 2018. Les commissaires disposaient du texte législatif sur les droits de service, du Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts, d’un formulaire d’examen technique et d’une liste de contrôle des documents, remplis par le personnel de la Commission, ainsi que des observations écrites de la SLJO.

[23]  Le 15 mars 2018, la SLJO a introduit la présente demande de contrôle judiciaire par laquelle elle conteste la décision de la Commission d’agréer le texte législatif sur les droits de service. La Commission a obtenu l’autorisation d’intervenir dans la présente instance.

II.  Analyse

A.  Circonscrire le débat

[24]  Dans sa demande, la SLJO conteste la décision par laquelle la Commission a agréé le texte législatif sur les droits de service. En matière de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour se borne à s’assurer que la décision de la Commission a été rendue conformément à la loi. Ce rôle comporte deux volets. Premièrement, il me faut déterminer si le processus suivi par la Commission était équitable et conforme aux exigences de la Loi. Deuxièmement, sur le fond, je dois vérifier si la décision était raisonnable. En d’autres termes, je dois chercher à savoir si la Commission, au vu du dossier et des arguments qui lui avaient été présentés, pouvait raisonnablement parvenir à la solution qu’elle a retenue. Mon rôle ne consiste pas à prendre cette décision moi‑même ni à donner aux parties l’occasion de reprendre le processus depuis le début.

[25]  Les parties à une demande de contrôle judiciaire se connaissent souvent depuis longtemps. En l’espèce, la Première Nation et la SLJO étaient des associées du casino depuis une vingtaine d’années. Cependant, comme elle ne porte que sur une décision précise, la demande de contrôle judiciaire n’est pas le cadre qui convient pour procéder à une autopsie complète de leurs relations.

[26]  De plus, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la question est de savoir si la décision contestée est conforme à la loi. Le fait que la décision puisse être incompatible avec les contrats intervenus entre les parties n’est pas pertinent, à moins, bien entendu, que la loi n’exige que le décideur tienne compte des contrats en question. Dans l’affaire qui nous occupe, la Loi ne restreint pas le pouvoir de la Première Nation d’adopter le texte législatif sur les droits de service sur ce fondement (voir, à ce propos, Buffalo Point Cottagers Association Inc c Première Nation de Buffalo Point, 2014 CF 1173, aux paragraphes 20‑21 [Buffalo Point]). Ainsi, bien que la SLJO ait présenté à la Commission des observations selon lesquelles il y avait des incohérences entre le texte législatif sur les droits de service et le contrat qu’elle a conclu avec la Première Nation, ce facteur n’est pas pertinent pour statuer sur la présente demande.

[27]  De même, lorsqu’elle est saisie d’un contrôle judiciaire, la Cour est investie de pouvoirs de réparation qui se limitent habituellement à l’annulation de la décision contestée et à son renvoi pour nouvelle décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Yansane, 2017 CAF 48). La Cour ne peut pas accorder de réparation pécuniaire. En l’espèce, la SLJO demande à la Cour d’ordonner le remboursement des sommes versées conformément au texte législatif sur les droits de service. La Cour ne peut accorder ce genre de mesure.

[28]  Ainsi, la question qui m’est soumise, bien qu’elle soit importante, est étroitement circonscrite. Je dois décider si la décision de la Commission a été prise de façon équitable sur le plan procédural et si elle était raisonnable sur le fond. La réponse à cette question dépend en large partie de la bonne compréhension de la nature du pouvoir d’agrément conféré à la Commission par le texte législatif. C’est la raison pour laquelle je vais entamer mon analyse par un examen de cette question. Cette analyse facilitera l’examen plus approfondi des arguments de la SLJO concernant l’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision sur le fond.

[29]  Avant de commencer cette analyse, je vais toutefois aborder deux questions préliminaires soulevées par les parties.

(1)  Admissibilité de la preuve

[30]  La première question préliminaire concerne la requête présentée par la Première Nation en vue de faire radier deux affidavits déposés par la SLJO.

[31]  Comme je l’ai déjà expliqué, une demande de contrôle judiciaire porte sur une décision administrative. Il est bien établi en droit qu’une telle demande doit être fondée sur la preuve dont disposait le décideur administratif. Sous réserve d’exceptions bien précises – renseignements généraux, preuve de vices de procédure qui ne ressortent pas du dossier et absence totale de preuve sur un sujet particulier –, les parties ne peuvent présenter de nouveaux éléments de preuve (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, aux paragraphes 67 à 100).

[32]  À l’appui de sa demande, la SLJO a déposé les affidavits de M. John MacFarlane (l’un des dirigeants de la SLJO) et de M. Gerry Scandlan (économiste possédant une vaste expertise dans les services municipaux). M. MacFarlane retrace l’histoire de la relation entre la SLJO et la Première Nation, en mettant l’accent sur la construction et l’exploitation de la station d’épuration et l’adoption du texte législatif sur les droits de service. Il n’est pas exagéré de dire qu’il le fait de manière argumentative. Pour sa part, M. Scandlan a été chargé de donner son opinion sur le caractère adéquat du Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts en le comparant avec des rapports qu’il avait préparés pour des municipalités ontariennes dans le cadre de mandats semblables.

[33]  Pour répondre à ces affidavits, la Première Nation a déposé l’affidavit de M. Stephen Burnett, consultant qui a fourni des services relativement à la station d’épuration et a aidé la Première Nation à préparer le Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts. M. Burnett a notamment exprimé une opinion contraire à celle de M. Scandlan et donné des explications concernant certains des postes de dépenses figurant dans le rapport qui ont été remis en question par la SLJO dans les observations qu’elle a présentées à la Commission.

[34]  De part et d’autre, les affidavits étaient appuyés par une volumineuse documentation. Les auteurs de ces affidavits ont été contre-interrogés. Par conséquent, le dossier soumis à la Cour comprend une vingtaine de volumes reliés totalisant plus de 3 000 pages. En revanche, le dossier dont disposait la Commission ne comptait qu’une cinquantaine de pages.

[35]  Voilà un parfait exemple du genre de situation qu’il faut éviter. Ne serait-ce que pour des considérations d’ordre environnemental, les parties devraient s’abstenir de déposer des documents qui ne faisaient pas partie du dossier de première instance et qui ne tombent manifestement pas sous le coup des exceptions limitées reconnues. Mais ce n’est pas tout : je ne peux qu’imaginer l’ampleur des ressources que les parties ont consacrées à la préparation d’éléments de preuve qui, en fin de compte, ne sont pas pertinents. Mais le point le plus important est que les demandes de contrôle judiciaire sont censées être des procédures rapides. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de limiter le contenu du dossier à celui dont disposait le décideur administratif.

[36]  En plus de déposer sa propre preuve d’expert, la Première Nation a réagi aux affidavits de la SLJO en présentant une requête en radiation (ce qui, incidemment, a encore augmenté la taille du dossier). Bien que la Première Nation ait raison de dire que l’affidavit de M. Scandlan contient des éléments de preuve inadmissibles et que certaines parties de l’affidavit de M. MacFarlane sont indûment argumentatives, il n’y a selon moi aucun avantage à accueillir formellement cette requête (Clark c Conseil de bande de la Première Nation d’Abegweit, 2019 CF 721, aux paragraphes 30 à 33). Je vais tout simplement ne pas tenir compte des éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la Commission et qui ne peuvent être qualifiés de renseignements généraux. Par conséquent, la requête en radiation des affidavits de la SLJO présentée par la Première Nation est rejetée.

(2)  Intérêt pour agir

[37]  Une deuxième question préliminaire se pose concernant l’ntérêt pour agir de la SLJO pour introduire la présente demande. Le 23 janvier 2018, la SLJO a cédé tous ses droits relatifs au casino à Ontario Gaming GTA Limited Partnership [OGGLP]. Par conséquent, la SLJO n’est plus locataire du casino. Elle affirme cependant qu’elle a toujours qualité pour présenter la demande parce que, en vertu de la cession, elle demeure responsable envers OGGLP du paiement des droits de service pour le réseau d’égouts.

[38]  Pour sa part, la Première Nation soutient que, lorsqu’elle a présenté ses observations à la Commission le 25 janvier 2018, la SLJO ne possédait plus de droits sur ses terres de réserve, puisqu’elle n’était plus locataire du casino et qu’elle n’a jamais été tenue de payer des droits de service pour le réseau d’égout selon le texte législatif sur les droits de service.

[39]  L’argument de la Première Nation est fondé sur le libellé du paragraphe 31(2) de la Loi, tel qu’il se lisait au moment où la Commission a examiné les observations de la SLJO et agréé le texte législatif sur les droits de service :

Avant d’agréer un texte législatif sur les recettes locales, la Commission prend en compte, en conformité avec les règlements éventuellement pris en vertu de l’alinéa 36(1)b), les observations qui lui sont présentées par les membres de la Première Nation dans le cadre de l’alinéa 7b) ainsi que par les autres personnes qui ont des intérêts ou des droits d’occupation, de possession ou d’usage sur les terres de réserve de la Première Nation.

 

Before approving a local revenue law, the Commission shall consider, in accordance with any regulations made under paragraph 36(1)(b), any representations made to it under paragraph 7(b) in respect of the law by members of the first nation or others who have interests in the reserve lands of the first nation or rights to occupy, possess or use those lands.

[40]  Ainsi, selon la Première Nation, comme la SLJO n’a pas de droits sur les terres de réserve, elle n’avait pas le droit de faire examiner ses observations par la Commission. Il s’ensuit que la SLJO n’a pas l’intérêt pour contester le texte législatif sur les droits de service ni pour introduire la présente demande.

[41]  Je ne retiens pas les arguments de la Première Nation en ce qui concerne l’intérêt pour agir de la SLJO.

[42]  En pratique, la SLJO était partie à l’instance devant la Commission ou y a participé activement. Il ne fait aucun doute que la SLJO avait le droit de présenter des observations à la Première Nation en vertu de l’article 6, puis à la Commission en vertu de l’article 7, étant donné que ces articles ne visent pas uniquement les titulaires de droits sur les terres de réserve. Si la SLJO avait le droit de présenter des observations à la Commission, il est difficile de comprendre pourquoi elle ne pourrait pas saisir notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

[43]  Bien que je reconnaisse que le paragraphe 31(2), dans sa rédaction en vigueur à l’époque où la Commission a agréé le texte législatif sur les droits de service en février 2018, semble exiger que la Commission ne tienne compte que des observations formulées par les titulaires de droits, une interprétation aussi étroite cadre mal avec le droit reconnu à quiconque par les articles 6 et 7 de formuler des observations. Il serait illogique de permettre à quelqu’un de présenter des observations que la Commission ne pourrait examiner. Le législateur semble avoir corrigé cette incohérence en modifiant le paragraphe 31(2) plus tard en 2018 pour mentionner simplement « les observations qui lui sont présentées [...] dans le cadre de l’alinéa 7b) ».

B.  Nature du processus d’agrément du texte législatif sur les droits de service

[44]  Au cœur de la présente affaire se trouvent deux points de vue divergents sur l’objet et le fonctionnement du processus par lequel la Commission agrée les textes législatifs sur les droits de service adoptés par des Premières Nations. En résumé, la Première Nation et la Commission soutiennent que le rôle de cette dernière se borne à vérifier la conformité à la Loi et aux Normes. Pour ce faire, la Commission ne doit pas se pencher sur le bien-fondé des textes législatifs qu’on lui demande d’agréer. Pour sa part, la SLJO soutient que la Commission doit se livrer à un examen beaucoup plus approfondi des textes législatifs sur les droits de service. Elle doit s’assurer que les droits de service proposés « correspondent au coût projeté [...] du service », comme l’exige l’article 4.1 des Normes ou, autrement dit, qu’il y a un « lien » entre les droits de service et le coût. La SLJO ne préconise pas la tenue d’une « audience sur les tarifs » en bonne et due forme du genre de celle que tiennent les commissions des services publics (voir, par exemple, Ontario (Commission de l’énergie) c Ontario Power Generation Inc, 2015 CSC 44, [2015] 3 RCS 147), mais elle affirme néanmoins que la Commission doit donner au contribuable une véritable possibilité de contester les divers éléments de coûts qui sont à la base du texte législatif sur les droits de service proposé.

[45]  Je suis dans l’ensemble d’accord avec la Commission et la Première Nation. Bien que le processus d’agrément ne soit pas purement mécanique, la Loi et les Normes n’habilitent pas la Commission à procéder à une vérification approfondie du coût projeté du service pour déterminer s’il y a un lien entre les droits et ce coût. J’arrive à cette conclusion pour quatre raisons qui sont interdépendantes.

(1)  Le principe de l’autonomie gouvernementale

[46]  La raison la plus fondamentale pour laquelle je parviens à cette conclusion tient au fait que l’interprétation proposée par la SLJO nuirait à l’autonomie gouvernementale des Premières Nations. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Matsqui et le législateur l’a reconnu dans le préambule, la Loi, tout comme d’autres initiatives récentes en matière de fiscalité et de développement économique, vise à reconnaître et à faciliter l’autonomie gouvernementale.

[47]  À cette fin, le législateur a permis aux Premières Nations d’exercer leur droit à l’autodétermination en adhérant au régime prévu par la Loi, par lequel le gouvernement fédéral reconnaît leur pouvoir d’imposition tout en accordant certaines protections aux contribuables non autochtones.

[48]  Bien entendu, tous les organismes publics doivent exercer leur pouvoir en respectant les limites prescrites par la loi (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, aux paragraphes 71‑72). Mais ces limites ne doivent pas être présumées. Malgré l’évolution du droit administratif et l’expansion du contrôle fondé sur la Charte, les principes fondamentaux demeurent les mêmes : les tribunaux n’ont pas à se prononcer sur la sagesse des choix exercés par les organismes publics qui exercent une fonction législative (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, aux paragraphes 10 et 90, [2011] 3 RCS 837; R c Comeau, 2018 CSC 15, au paragraphe 83, [2018] 1 RCS 342), notamment lorsque l’organisme public est élu et rend des comptes à ses membres, comme dans le cas des municipalités, des Premières Nations et des ordres professionnels (Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, au paragraphe 19, [2012] 1 RCS 5 [Catalyst]; Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, aux paragraphes 21 à 23, [2017] 1 RCS 360 [Green]).

[49]  Rien ne permet de penser qu’en adoptant la Loi, le législateur a choisi d’écarter ce principe. La mention explicite du principe de l’autonomie gouvernementale dans le préambule de la Loi implique plutôt une interprétation étroite des limites de fond apportées aux pouvoirs conférés aux organismes autonomes.

[50]  Ainsi, dans le contexte de l’autonomie gouvernementale, lorsqu’un pouvoir est accordé à un organisme sous réserve de certaines conditions de fond, il appartient d’abord et avant tout à cet organisme d’appliquer ces conditions et de déterminer ce qu’elles impliquent dans un cas donné. À moins d’une autorisation explicite, les organismes extérieurs n’ont pas le pouvoir d’imposer aux Premières Nations leur interprétation de ces conditions.

[51]  D’ailleurs, il y a près de 25 ans, le juge en chef Antonio Lamer de la Cour suprême du Canada déclarait ce qui suit, dans l’arrêt Matsqui au paragraphe 44 : « [c]omme le régime s’inscrit dans la politique d’encouragement de l’autonomie gouvernementale des autochtones, il n’est pas déraisonnable d’estimer que toute question litigieuse devrait être tranchée d’abord dans le cadre du régime mis en place par les autochtones, avant qu’on n’ait recours à des institutions externes ». L’évolution du droit administratif et du droit autochtone depuis lors n’a fait que renforcer la nécessité de respecter les choix politiques faits par les Premières Nations (voir également, à cet égard, les décisions Edzerza c Kwanlin Dün First Nation, 2008 YKCA 8, au paragraphe 26, et Lafferty c Tlicho Government, 2009 NWTSC 35).

(2)  Le rôle de la Commission

[52]  La Commission n’est pas une Première Nation. Elle n’exerce pas elle-même d’autonomie gouvernementale. Néanmoins, le législateur voulait qu’elle joue un rôle limité, mais important, en ce qui concerne l’exercice de l’autonomie gouvernementale par les Premières Nations participantes. Pour « concilier les intérêts des contribuables avec les responsabilités assumées par les chefs et les conseils dans la gestion des affaires des Premières Nations » (art. 29 de la Loi), le législateur souhaitait assurer le respect d’un ensemble d’exigences minimales en matière fiscale, tout en minimisant les restrictions à l’autonomie gouvernementale. À cette fin, au lieu de prescrire lui-même ces exigences, il a créé un organisme mixte, la Commission, laquelle est composée de représentants des Premières Nations et de contribuables non autochtones, et il l’a chargée de définir ces exigences et de les appliquer. Ce pouvoir normatif se trouve à l’article 35 de la Loi, en vertu duquel les Normes en cause en l’espèce ont été adoptées.

[53]  Toutefois, au-delà de l’application des normes, la Commission n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’approuver ou de désapprouver les textes législatifs sur les recettes locales, comme le démontre très clairement l’emploi de l’impératif dans la version anglaise du paragraphe 31(3) de la Loi et de l’indicatif présent dans la version française, qui sous-entend une obligation :

Sous réserve de l’article 32, la Commission agrée les textes législatifs sur les recettes locales qui sont conformes à la présente loi et aux règlements éventuellement pris en vertu de celle-ci, ainsi qu’aux normes établies en vertu de la présente loi.

Subject to section 32, la Commission shall approve a local revenue law that complies with this Act and with any standards and regulations made under this Act.

[54]  Ainsi, à moins qu’un projet de texte législatif ne contrevienne à la Loi ou aux Normes, la Commission n’a aucun pouvoir discrétionnaire. Ce n’est pas le fruit du hasard. Le pouvoir d’agrément de la Commission remplace le droit de veto ou le pouvoir d’approbation du ministre sur les règlements administratifs pris par les Premières Nations en vertu des articles 82 et 83 de la Loi sur les Indiens (le droit de veto prévu à l’article 82 a été abrogé en 2014, mais le pouvoir d’approbation prévu à l’article 83 demeure.) Il a été jugé qu’en vertu de ces dispositions, le ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé en fonction d’un large éventail de facteurs (Twinn c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 CNLR 118 (CF 1re inst.), à la page 120; Bande indienne de St. Mary’s c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 3 CF 461 (1re inst.), à la page 471, conf. par [1997] 1 CNLR 206 (CAF), situation qui a souvent été considérée comme un vestige de l’autorité coloniale. En revanche, la Loi a été rédigée avec soin afin d’éviter de soumettre les Premières Nations à un pouvoir discrétionnaire aussi vaste.

[55]  Pour ces motifs, je souscris à la conclusion tirée par mon collègue le juge Douglas Campbell dans le jugement Buffalo Point, au paragraphe 20 :

La seule question dont la Commission était saisie était celle de savoir si les textes législatifs fiscaux proposés par Buffalo Point étaient conformes aux normes de la Commission. Il est clair que la Commission n’avait pas le pouvoir d’assujettir son agrément à des conditions ni de refuser son agrément s’il était satisfait aux normes.

(3)  Teneur des Normes

[56]  Les Normes elles-mêmes montrent que la Commission interprète son rôle d’une manière compatible avec l’objectif de favoriser l’autodétermination. Les contraintes que les Normes imposent aux Premières Nations sont principalement liées à la transparence et à la procédure. Elles exigent ainsi que les textes législatifs sur les droits de service renferment un certain nombre d’éléments informatifs tels que la description du service, le mode de calcul des droits de service et la façon dont les paiements doivent être effectués. Ainsi, les contribuables peuvent connaître l’étendue de leurs obligations et savoir comment s’y conformer. Les Normes exigent également que les textes législatifs sur les droits de service prévoient certaines garanties procédurales, notamment des dispositions concernant les remboursements, les plaintes et les mesures d’exécution. Dans certains cas précis, il existe des restrictions quant à la teneur même des textes législatifs. Ainsi, le taux d’intérêt sur les droits de service impayés ne doit pas excéder 15 %. L’ensemble de ces exigences contribue à faire en sorte que les textes législatifs sur les droits de service soient appliqués conformément au principe de la primauté du droit (Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, aux paragraphes 41 à 45, [2017] 2 RCS 289).

[57]  Dans le contexte de l’agrément d’un texte législatif sur les droits de service, il s’ensuit que la Commission doit simplement s’assurer que la Première Nation a établi des droits de service qui « correspondent au coût projeté » du service. La façon de s’y prendre relève des pouvoirs de la Première Nation en matière d’autonomie gouvernementale. Il n’appartient pas à la Commission de décider comment le service devrait être fourni, quel devrait être le coût, quels postes de dépenses sont appropriés ou s’il existe une solution de rechange moins coûteuse. La Loi et les Normes ne limitent pas les décisions de politique de la Première Nation à cet égard. A fortiori, la Loi et les Normes ne visent pas à donner aux contribuables l’occasion d’imposer leur point de vue sur ces questions à la Première Nation.

[58]  Certaines dispositions de la Loi renforcent cette conclusion, en particulier en ce qui a trait aux textes législatifs sur les droits de service. L’article 8 énumère les renseignements que les Premières Nations doivent fournir à la Commission lorsqu’elles demandent l’agrément d’un texte législatif. En ce qui concerne l’impôt foncier, le paragraphe 8(1) exige la production de renseignements concernant les terres et les intérêts assujettis à l’impôt, les méthodes d’évaluation, les services à fournir, les accords de prestation de services actuels ou proposés, les préavis et les consultations ainsi qu’une preuve que le texte législatif a été pris en bonne et due forme. En revanche, en ce qui concerne les textes législatifs sur les droits de service, le paragraphe 8(3) n’exige que les deux derniers éléments, ce qui donne à penser que la Commission n’a aucun rôle à jouer en ce qui concerne l’examen au fond du texte législatif.

[59]  Certains types de textes législatifs sont soumis à un processus d’agrément plus strict. L’article 32 de la Loi prévoit que les textes législatifs pour le financement d’immobilisations ne peuvent être agréés que si la Première Nation obtient un certificat relatif à son rendement financier délivré par le Conseil de gestion financière des Premières Nations et si elle démontre qu’elle n’a pas utilisé la totalité de sa capacité d’emprunt. Ainsi, l’ampleur de l’examen de la Commission a été soigneusement calibrée et les textes législatifs sur les droits de service se situent à l’extrémité inférieure du spectre.

(4)  Autres dispositions de la Loi concernant la transparence et la reddition de comptes

[60]  Étant donné que la Loi vise notamment à protéger les intérêts des contribuables et à favoriser la transparence et la reddition de comptes, la SLJO soutient que la Commission doit procéder à un examen rigoureux du lien entre les frais proposés et le coût prévu du service avant d’agréer un texte législatif sur les droits de service. Bien que la prémisse soit sans aucun doute vraie, la conclusion ne l’est pas. La raison en est simple : les mesures qui assurent la transparence et la reddition de comptes se trouvent ailleurs dans la Loi.

[61]  Aux termes du paragraphe 10(2), la Première Nation qui a adopté un texte législatif sur des droits de service est également tenue d’adopter, à chaque année, un texte législatif établissant le budget relatif aux dépenses ou, en d’autres termes, un budget annuel. L’article 13 exige que les Premières Nations placent les recettes générées par les textes législatifs sur les droits de service dans un compte distinct et prévoit que ces recettes ne peuvent être dépensées qu’au titre d’un texte législatif sur les dépenses annuelles. L’article 14 exige que ces dépenses fassent l’objet d’une vérification annuelle et que le rapport de vérification soit mis à la disposition des contribuables qui ne sont pas membres de la Première Nation.

[62]  De plus, l’article 8 des Normes prévoit que les textes législatifs sur les droits de service doivent contenir une exigence selon laquelle les sommes perçues doivent être utilisées dans le seul but de fournir le service en question, ainsi que l’obligation de tenir une comptabilité distincte. L’article 17 de du texte législatif sur les droits de service reprend ces exigences.

[63]  Il résulte de l’application combinée des dispositions susmentionnées que la SLJO peut être assurée que les recettes perçues en vertu du texte législatif sur les droits de service ne seront utilisées que pour la prestation des services du réseau d’égout et de traitement des eaux usées.

[64]  En outre, l’article 33 de la Loi permet à un contribuable de demander à la Commission d’examiner la conduite d’une Première Nation qui, de l’avis du contribuable, n’a pas observé la Loi ou qui estime que ses textes législatifs sont mal ou injustement appliqués. Le Règlement sur la procédure d’examen par la Commission de la fiscalité des premières nations, DORS/2007‑239, prévoit une procédure adversariale pour l’examen de ces plaintes. La Commission peut rendre des ordonnances exécutoires ou demander au Conseil de gestion financière des premières nations d’imposer à la Première Nation un arrangement de cogestion ou une gestion par séquestre-administrateur. Une Première Nation s’expose donc à des conséquences graves si elle tente de détourner les fonds recueillis en vertu d’un texte législatif sur les droits de service à des fins autres que la prestation des services de réseau d’égout et de traitement des eaux usées.

[65]  Il ressort de l’économie générale de la Loi que le législateur a cherché à assurer la transparence et la reddition de comptes et à protéger les intérêts des contribuables par des mécanismes qui font en sorte que les frais de service servent aux fins pour lesquelles ils ont été perçus, au lieu de permettre aux contribuables de contester le montant des droits avant leur agrément.

[66]  La SLJO soutient également qu’en tant qu’organisme public, elle a des obligations de transparence et de reddition de comptes accrues envers le gouvernement et la population de l’Ontario. C’est sans aucun doute vrai. Mais cela ne change rien à la façon dont la Loi, une loi fédérale, doit être interprétée ou appliquée. Tous les contribuables, qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises privées ou de sociétés publiques, sont traités de la même façon.

C.  L’agrément du texte législatif sur les droits de service par la Commission était-il raisonnable?

[67]  Ayant défini la portée du pouvoir de la Commission d’examiner les textes législatifs sur les droits de service des Premières Nations avant de les agréer, je peux maintenant passer à l’évaluation du caractère raisonnable de l’agrément du texte législatif sur les droits de service en cause.

(1)  Norme de contrôle

[68]  Cette analyse commence par la détermination de la norme de contrôle applicable. Au cours des dernières années, la Cour suprême du Canada a déclaré à maintes reprises qu’il existe une présomption suivant laquelle les décisions rendues par les organismes administratifs dans le cadre de l’application de leur loi constitutive sont assujetties à la norme de contrôle du caractère raisonnable (pour les exemples les plus récents, voir Barreau du Québec c Québec (Procureur général), 2017 CSC 56, au paragraphe 15, [2017] 2 RCS 488; Groia c Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 27, au paragraphe 46, [2018] 1 RCS 772). Dans la mesure où l’agrément de la Commission peut être considéré comme une composante d’un processus législatif, la jurisprudence de la Cour suprême concernant la norme de contrôle applicable à l’adoption de règles ou de règlements administratifs par des organismes comme les municipalités ou les ordres professionnels est également pertinente (Catalyst, aux paragraphes 19 à 25; Green, aux paragraphes 20 à 23; West Fraser Mills Ltd c Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, au paragraphe 9, [2018] 1 RCS 635). Comme l’application de la Loi s’inscrit parfaitement dans le mandat de la Commission, la norme de la décision raisonnable s’appliquerait. C’est la norme que le juge Campbell a appliquée dans le jugement Buffalo Point, au paragraphe 19.

[69]  La SLJO soutient néanmoins que la décision de la Commission devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Même si la Commission possède une expertise en matière d’imposition foncière (c’était la question en litige dans l’affaire Buffalo Point), la SLJO affirme qu’elle ne possède pas cette expertise à l’égard des textes législatifs sur les droits de service, étant donné que cette composante n’a été ajoutée à la Loi que récemment. Je rejette cet argument. Je reconnais qu’il existe un débat animé sur le degré d’expertise réel des décideurs administratifs (voir, par exemple, Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, aux paragraphes 33 et 81 à 85, [2016] 2 RCS 293). Toutefois, bien que la Cour suprême ait mentionné l’expertise comme l’une des raisons de s’en remettre aux décideurs administratifs, elle n’exige pas la preuve d’une expertise réelle, que ce soit au niveau individuel ou institutionnel, avant de faire preuve de retenue envers un décideur en particulier. De plus, rien ne permet d’affirmer que lorsqu’un nouvel élément est ajouté à leur compétence, les décideurs administratifs sont assujettis à une sorte de période probatoire au cours de laquelle leurs décisions seraient examinées selon la norme de contrôle de la décision correcte.

(2)  Exigences de la Loi et des Normes

[70]  Les exigences dont l’application est en jeu se trouvent aux articles 4.1 et 4.2 des Normes, reproduits ci‑dessus. En résumé, ces articles exigent que les droits de service correspondent au coût projeté du service (article 4.1) et qu’ils soient appuyés par « un rapport portant sur le mode de détermination des droits de service imposés en vertu de la [Loi] et qui fait état du coût projeté du service, de la manière dont ce coût a été calculé [...] » (article 4.2).

[71]  Comme je l’ai déjà expliqué, ces dispositions n’exigent pas une vérification exhaustive du lien entre les frais et le coût du service. Le rapport exigé à l’article 4.2 est le principal moyen par lequel le lien doit être évalué. Ainsi, les exigences des Normes sont respectées si le rapport, à première vue, établit le coût prévu, explique comment ce coût a été déterminé et démontre que les droits correspondent au coût projeté.

[72]  De plus, comme ces exigences ont été adoptées par la Commission elle-même, cette dernière est particulièrement bien placée pour comprendre ce qu’elles signifient et comment elles devraient être appliquées.

(3)  Le Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts

[73]  Le procès-verbal de la réunion de la Commission tenue le 13 février 2018 indique simplement que le texte législatif sur les droits de service a été agréé à l’unanimité. La Commission disposait toutefois d’un formulaire d’examen technique rempli par le personnel de la Commission. Ce formulaire comprend les questions types suivantes, qui reprennent le libellé des articles 4.1 et 4.2 des Normes, ainsi que les réponses correspondantes au sujet du texte législatif sur les droits de service en cause :

[traduction]

12. Les taux et les niveaux de droits de service correspondent‑ils au coût projeté de l’administration, de l’exploitation et du maintien du service ou de la partie du service devant être financé par les droits en question?

Oui, le coût total du service a été estimé comme indiqué dans le Rapport de la Première Nation fourni conformément à l’article 4.2 des Normes. La Première Nation répartira les coûts en fonction de la part proportionnelle de chaque usager du service.

Le coût du service sera financé en entier par les droits de service.

[...]

13. Les taux et les niveaux de droits de service sont-ils appuyés par un rapport portant sur le mode de détermination des droits de service et qui fait état du coût projeté du service, de la manière dont ce coût a été calculé et de la portion du coût total que la Première Nation recouvrera au moyen des droits de service imposés?

Oui. La Première Nation a produit un « Rapport concernant le calcul des droits de service pour le réseau d’égouts » qui présente les coûts d’exploitation et d’immobilisations prévus de la station d’épuration, y compris des tableaux budgétaires détaillés. Le rapport indique que l’information est fondée sur les coûts historiques et projetés. Le rapport indique que la Première Nation recouvrera tous les coûts du service au moyen des droits de service perçus.

[74]  Ces motifs sont brefs, mais la décision est néanmoins raisonnable.

[75]  Le Rapport est un document de six pages. La première page explique que les coûts projetés sont [traduction] « extrapolés à partir des coûts historiques de la station d’épuration et d’estimations des futurs coûts d’exploitation et dépenses en immobilisations ». La deuxième page est un budget pour l’année 2018 qui comprend une vingtaine de postes, dont un compte de réserve de capital et une provision pour éventualités. Les quatre pages suivantes présentent une ventilation mensuelle de ces postes. Pour certains postes, ces tableaux fournissent des renseignements complémentaires sur la façon dont les montants ont été calculés ou le nom du fournisseur. Enfin, la dernière page est un budget d’immobilisation quinquennal. Il contient dix postes spéciaux et énumère, pour chacun d’eux, les montants pour les cinq prochaines années.

[76]  Il n’était pas déraisonnable d’agréer le texte législatif sur les droits de service sur le fondement de ce rapport. Le rapport renferme les renseignements exigés par l’article 4.2 des Normes et, à première vue, montre que les droits de service ont été établis selon le coût projeté du service. Les divers postes énumérés semblent tous liés à la prestation du service. En d’autres termes, il n’y a aucune raison de croire que la Première Nation a gonflé indûment le coût projeté.

[77]  Le caractère raisonnable de la décision doit également être évalué à la lumière des observations que la SLJO a présentées à la Commission.

[78]  La SLJO a tout d’abord fait valoir que le rapport ne renfermait pas suffisamment de renseignements et de détails et elle s’est demandée si le rapport avait été préparé par des consultants indépendants qualifiés. Elle a soutenu que le texte législatif sur les droits de service aurait dû être justifié par des études préliminaires préparées par des consultants indépendants qualifiés, comme celles que préparent habituellement les municipalités ontariennes.

[79]  La Commission a, de façon raisonnable, refusé de retenir cet argument. Les exigences applicables aux municipalités ontariennes souhaitant imposer des droits de service semblables ne peuvent être transposées au régime de la Loi. Bien que, dans des circonstances appropriées, elles puissent se prévaloir de certains des avantages accordés aux municipalités (voir, par exemple, Otineka Development Corp c Canada, [1994] 2 CNLR 83 (CCI)), les Premières Nations ne sont pas des municipalités et il existe d’importantes différences entre les régimes juridiques applicables aux municipalités et aux Premières Nations (voir, par exemple, Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325 (CA), au paragraphe 29). La Loi est un régime complet en soi, structuré d’une manière qui diffère, sur des aspects importants, des régimes de fiscalité municipale des provinces. Ce régime ne fait pas appel à l’application de la législation municipale pour combler d’éventuelles lacunes. À cet égard, on peut distinguer deux arrêts cités par la SLJO dans son mémoire, puisque la loi en cause dans les affaires en question renvoyait explicitement au régime de taxation municipale applicable dans la province concernée (Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 RCS 427; Halifax (Regional Municipality) c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, [2012] 2 RCS 108).

[80]  De plus, dans les observations qu’elle a présentées à la Commission, la SLJO a fourni peu de renseignements sur les exigences qui s’appliqueraient aux municipalités ontariennes, se contentant de citer l’article 391 de la Loi de 2001 sur les municipalités, LO 2001, c 25. Toutefois, cette disposition n’oblige pas les municipalités à fournir un rapport pour justifier l’imposition de droits de service. Lors de l’audition de la présente demande, la SLJO n’a pas précisé le fondement législatif ou réglementaire de ces exigences.

[81]  En tout état de cause, les Normes adoptées par la Commission montrent que si celle-ci avait eu l’intention d’exiger le dépôt d’un rapport préparé par des professionnels qualifiés, elle l’aurait dit explicitement. L’article 10.6 des Normes établissant les critères d’agrément des lois sur l’emprunt de fonds des premières nations (2016) prévoit que la Première Nation doit joindre au plan de projet qu’elle dépose auprès de la Commission un rapport certifié par un professionnel agréé qui confirme que le plan de projet comprend notamment une estimation détaillée des coûts de construction et d’exploitation du projet d’infrastructure. L’absence de libellé semblable dans les Normes relatives aux textes législatifs en matière de droits de service démontre que la Commission n’avait pas l’intention d’exiger une certification par un professionnel qualifié, comme le prétend la SLJO.

[82]  La SLJO soutient que certains postes du budget auraient dû être inclus dans le contrat conclu avec l’Agence ontarienne des eaux et que d’autres postes, comme le téléphone, les ordinateurs et Internet, n’avaient manifestement aucun lien avec le service et devraient être exclus. Elle a également réclamé des précisions sur un autre groupe de postes qui, à son avis, n’étaient pas clairs.

[83]  Encore une fois, la Commission a refusé, de façon raisonnable, de se livrer à l’analyse réclamée par la SLJO. Les articles 4.1 et 4.2 des Normes n’obligent pas la Commission à effectuer une vérification des coûts projetés établis par la Première Nation; cette vérification sera effectuée annuellement conformément à l’article 14 de la Loi. De plus, il est loin d’être évident que les postes de dépenses contestés par la SLJO ne sont pas liés à la prestation du service. Dans les observations qu’elle a présentées à la Commission, la SLJO n’a présenté aucune preuve démontrant que les éléments de coûts contenus dans le Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts n’avaient aucun rapport avec le service ou étaient autrement inappropriés. Dans le contexte du processus d’agrément des textes législatifs prévus à l’article 31 de la Loi, il n’est pas suffisant que la SLJO soulève des questions sur certains éléments de coûts ou demande à la Première Nation de fournir les preuves supplémentaires. Je répète qu’il n’appartient pas à la Commission de remettre en question les choix faits par la Première Nation quant à la nécessité de certains postes – par exemple, les ordinateurs ou le la tonte du gazon – relativement à la fourniture du service. Je tiens par ailleurs à signaler que les postes de dépenses contestés par la SLJO concernent des montants relativement peu élevés. Dans les observations qu’elle a présentées à la Commission, la SLJO n’a pas explicitement contesté la réserve de capital et la provision pour éventualités, qui sont beaucoup plus importantes, même si elle a beaucoup insisté sur ces postes dans le mémoire qu’elle a déposé devant notre Cour.

[84]  Dans les observations qu’elle a soumises à la Commission, la SLJO a également mentionné deux présumées incohérences entre le texte législatif sur les droits de service et le bail conclu entre la SLJO et la Première Nation, ainsi que l’incertitude quant à la méthode qui serait utilisée pour mesurer les débits d’eau. Ces points ne semblent pas être liés à une question de conformité à la Loi et la Commission a raisonnablement refusé de les examiner. En tout état de cause, la SLJO n’a pas insisté sur ces questions devant moi.

D.  Questions relatives à l’équité procédurale

[85]  La SLJO soutient également que le processus suivi par la Première Nation et la Commission contrevenait aux exigences de l’équité procédurale. La SLJO affirme qu’elle ignorait les arguments qu’elle devait réfuter, étant donné que la Première Nation et la Commission n’avaient pas divulgué suffisamment de renseignements pour justifier le texte législatif sur les droits de service.

[86]  Les arguments de la SLJO concernant l’équité procédurale reposent sur une conception erronée du processus suivi par la Commission. Sans aller jusqu’à affirmer que la Commission devait tenir une audience, la SLJO réclame néanmoins des protections procédurales qui sont caractéristiques d’un processus adversarial. Toutefois, comme je l’ai déjà expliqué, cette façon de qualifier le rôle de la Commission est erronée. La Première Nation et la Commission se sont conformées aux exigences procédurales de la Loi. La SLJO ne peut recourir à la common law pour imposer d’autres exigences.

(1)  Respect des exigences de la Loi

[87]  L’article 6 de la Loi établit les exigences procédurales à suivre pour l’adoption du texte législatif sur les droits de service par la Première Nation. La Première Nation est tenue de publier un préavis du texte législatif, de mettre le texte du projet à la disposition de quiconque lui en fait la demande et d’inviter les intéressés à présenter des observations écrites. Il ne fait aucun doute que ces exigences ont été respectées en l’espèce. Le paragraphe 6(4) oblige la Première Nation à tenir compte des observations qui lui ont été présentées. La SLJO affirme que la Première Nation n’en a rien fait. Toutefois, un courriel daté du 7 décembre 2017 envoyé par le chef de la Première Nation à un dirigeant de la SLJO prouve que la Première Nation a bel et bien examiné les observations de la SLJO, mais qu’elle était d’avis qu’elles ne portaient pas sur une question de conformité avec la Loi. L’obligation d’examiner quelque chose n’emporte pas celle de l’accepter.

[88]  L’article 7 de la Loi prévoit qu’après l’agrément du texte législatif sur les droits de service, la Première Nation devait en envoyer une copie à la SLJO et l’inviter à présenter ses observations à la Commission. Le respect de l’article 7 n’est pas en cause. Le paragraphe 31(2) oblige ensuite la Commission à tenir compte de toute observation qui a été présentée. Le formulaire d’examen technique préparé par le personnel de la Commission et le procès-verbal de la réunion du 13 février 2018 mentionnent l’un et l’autre les observations de la SLJO. Ces observations ont été présentées aux commissaires et il y a lieu de présumer que ces derniers en ont tenu compte.

(2)  Absence d’autres exigences

[89]  Il est de jurisprudence constante que le législateur peut écarter les exigences en matière d’équité procédurale qui existeraient autrement en common law (Ocean Port Hotel Ltd c Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, au paragraphe 22, [2001] 2 RCS 781.

[90]  Le législateur a nettement délimité les droits procéduraux des contribuables qui souhaitent présenter des observations au sujet des projets de textes législatifs sur les recettes locales. La SLJO ne peut demander plus que ce que la Loi prévoit en invoquant les principes généraux du droit administratif. Elle ne peut pas non plus invoquer l’objectif de la promotion de la transparence mentionné parmi les objets de la Commission à l’article 29 de la Loi pour ajouter de nouvelles exigences aux articles 6, 7 et 31.

[91]  On trouve dans d’autres dispositions de la Loi des exemples d’exigences procédurales accrues. Ainsi, le paragraphe 8(1) exige des Premières Nations qu’elles fournissent davantage de renseignements au sujet des textes législatifs sur l’impôt foncier qu’en ce qui concerne les textes législatifs sur les droits de service, lesquels sont régis par le paragraphe 8(3). L’article 33 prévoit que la Commission peut entreprendre un examen de la conformité d’une Première Nation à la loi. Comme nous l’avons déjà vu, le règlement énonce une procédure détaillée et prévoit notamment la tenue d’une audience.

[92]  En tout état de cause, les seuls documents de fond dont disposait la Commission étaient le texte législatif sur les droits de service et le Rapport sur les droits de service pour le réseau d’égouts. La SLJO avait ces documents en main. Elle savait quels étaient les arguments qu’elle devait réfuter. Ce qu’elle réclame en réalité, c’est une forme d’examen préalable (discovery) qui lui permettrait de forcer la Première Nation à divulguer des renseignements financiers pour l’aider à contester le texte législatif sur les droits de service. Or, rien dans la Loi ne lui reconnaît ce droit.

(3)  Obligation de motiver la décision

[93]  Enfin, la Commission n’avait pas l’obligation, comme le soutient la SLJO, de motiver sa décision d’agréer le texte législatif sur les droits de service. Un organisme habilité à légiférer n’est pas tenu de motiver sa décision d’adopter un règlement administratif ou de prendre un règlement en application d’une loi (Catalyst, aux paragraphes 29 et 30; Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32, aux paragraphes 51 à 55, [2018] 2 RCS 293). L’agrément par la Commission du texte législatif sur les droits de service fait partie intégrante d’un processus législatif et, à ce titre, la Commission n’est pas tenue de le motiver.

[94]  Cet argument a été rejeté dans le jugement Buffalo Point, dans lequel le juge Campbell a déclaré, au paragraphe 40 :

Il appert que les propriétaires de chalets s’attendaient à ce que la décision prenne la forme des décisions qui sont normalement rendues au terme d’un litige contesté. C’est‑à‑dire qu’après que des éléments de preuve contradictoires eurent été présentés, des conclusions de fait seraient tirées, les faits seraient examinés en regard du droit applicable, puis une décision motivée serait rendue. À mon avis, il s’agit d’une attente déraisonnable à l’égard de la décision prise en vertu du paragraphe 31(3) de la Loi. Comme je l’ai déjà mentionné, lorsque cette disposition est appliquée, la seule décision qui doit être prise concerne la question de savoir si un texte législatif fiscal donné est conforme aux normes de la Commission.

III.  Dispositif

[95]  La SLJO n’a pas démontré que l’agrément par la Commission du texte législatif sur les droits de service était déraisonnable ou contrevenait aux exigences de l’équité procédurale. En réalité, la Commission a agi exactement comme le législateur le souhaitait et, ce faisant, elle a pleinement respecté les dispositions de la Loi. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-508-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-508-18

 

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ DES LOTERIES ET DES JEUX DE L’ONTARIO c PREMIÈRE NATION DES MISSISSAUGAS DE SCUGOG ISLAND et COMMISSION DE LA FISCALITÉ DES PREMIÈRES NATIONS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

John Callaghan

Guy Régimbald

POUR LA demanderesse

 

Brian T. Daly

POUR LA défenderesse

 

Rosanne Kyle

Elin Sigurdson

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings WLG (Canada) S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA demanderesse

 

McKenzie Lake Lawyers LLP

Avocats

London (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

Mandell Pinder

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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