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Date : 20060407

Dossier : T-1821-02

Référence : 2006 CF 452

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

KRAFT CANADA INC.,

KRAFT FOODS SCHWEIZ AG et

KRAFT FOODS BELGIUM SA

 

demanderesses

et

 

 

EURO EXCELLENCE INC.

 

défenderesse

 

MOTIFS DES DIRECTIVES

 

[1]               Dans la présente requête, Kraft Canada (Kraft) demande que des directives particulières soient données à l’officier taxateur au sujet de la taxation des dépens qui lui ont été accordés après qu’elle eut obtenu gain de cause dans sa demande pour violation du droit d’auteur. Elle demande que les services des avocats soient taxés en fonction du montant maximal prévu à la colonne IV du tarif B. Elle sollicite également des directives au sujet de certains articles se rapportant aux débours et à des services particuliers.

 

[2]               Kraft Canada a présenté une ébauche de mémoire de dépens où elle a calculé des honoraires de 30 362 $, selon la colonne IV, et des débours de 30 665,87 $. Elle a ajouté la TPS de 7 % à ce total partiel de 61 027,87 $, ce qui donne un grand total de 64 377,69 $. Elle me demande d’accorder à titre de dépens une somme globale de 60 000 $, TPS incluse, plutôt que de donner des directives à l’officier taxateur.

 

[3]               Euro Excellence soutient pour sa part qu’il n’y a pas lieu de déroger à la taxation des honoraires habituellement accordés en l’absence de directives précises, c’est-à-dire selon le milieu de la colonne III du tarif B. Elle allègue que les honoraires devraient être de 9 286 $. Selon elle, certains des débours devraient être refusés et d’autres réduits. Elle suggère que les débours soient taxés à 10 000 $, plutôt qu’à 30 685,87 $, et elle n’est pas contre l’idée qu’au lieu de donner des directives à l’officier taxateur, j’accorde des dépens de 19 286 $, TPS non incluse.

 

DIRECTIVES OU SOMME GLOBALE

[4]               Il est souvent souhaitable d’accorder une somme globale pour les dépens, mais je ne suis pas disposé à le faire à ce stade-ci. L’écart qui sépare les parties, relativement à divers articles particuliers, est trop large. Cependant, une fois que ces dernières auront examiné les présents motifs, et que Kraft aura fourni une explication au sujet des articles qu’Euro Excellence met en doute, il est à espérer qu’elles en arriveront à une entente sans plus tarder.

 

COLONNE III OU COLONNE IV

[5]               L’audition de la demande a duré deux jours. Elle a été précédée de quelques requêtes et du contre-interrogatoire d’un témoin à Toronto, d’un autre à Montréal et d’un autre à Paris.

 

[6]               Malgré la simplicité de la cause au point de vue factuel, les questions juridiques en jeu étaient complexes, et nouvelles, du moins dans le contexte canadien. Euro Excellence soutient, sans succès jusqu’ici, que Kraft abuse du droit de la propriété intellectuelle pour juguler l’économie de libre marché qui autorise l’importation de produits dits du marché gris. En fait, sa demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada sur cette question précise est actuellement en instance.

 

[7]               Je suis convaincu que la complexité des questions en litige, le travail de préparation détaillé qu’il a fallu faire en prévision de l’audience, de même que la célérité générale avec laquelle s’est déroulée l’affaire, justifient que les dépens soient accordés en fonction de la partie supérieure de la colonne IV plutôt que du milieu de la colonne III. En fait, cette modeste augmentation pendant une courte période ne contribue pas vraiment à indemniser Kraft pour la somme de plus 190 000 $ qu’elle a engagée en honoraires et débours généraux.

 

[8]               Les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour, qui tient compte de plusieurs facteurs, dont ceux qui sont énumérés au paragraphe 400(3) des Règles.

 

[9]               Euro Excellence affirme qu’il s’agit en l’espèce d’une cause type et que l’intérêt public justifie le maintien des honoraires à la colonne III. Il se peut bien que l’issue ultime de l’affaire intéresse de nombreuses parties, mais Euro Excellence ne défend aucune cause autre que la sienne. À mon avis, il n’y a aucun intérêt public qui ait une incidence sur les dépens.

 

[10]           Les circonstances sont telles que le volume de travail a été plus important qu’à l’accoutumée pour une audience de deux jours, des questions juridiques importantes et complexes ont été soulevées et les honoraires que Kraft a engagés étaient nettement supérieurs à ceux qui peuvent être recouvrés selon la colonne III et, quant à cela, selon la partie supérieure de la colonne IV. Voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., (1998) 84 C.P.R. (3d) 303, au paragraphe 37, Porto Seguro Companhia De Seguros Gerais c. Belcan S.A. et al. (le Beograd), 2001 CFPI 1286, (2001) 214 F.T.R. 291, et Lifescan, Inc. c. Novopharm Limited, 2001 CFPI 809, [2001] A.C.F. no 1176 (QL).

 

[11]           Euro Excellence suggère d’appliquer la colonne III parce que, en fait, chacune des parties a eu partiellement gain de cause. La Cour d’appel a fait droit à son appel au sujet des dommages-intérêts, en ce sens que cette question m’a été renvoyée pour nouvelle décision. Elle n’a toutefois pas modifié ma décision quant aux dépens. Par ailleurs, même si Kraft n’a pas obtenu tout ce qu’elle voulait, comme la restitution ou un inventaire des produits contrefaits, elle a eu en grande partie gain de cause. La présente affaire ne se compare pas, par exemple, avec une collision entre deux navires où il est jugé que les deux parties sont à blâmer, et où les dépens sont adjugés dans la même proportion que la responsabilité. En fait, même dans de tels cas, lorsqu’un seul des deux navires est endommagé, il recouvre néanmoins la totalité de ses dépens même s’il est jugé qu’il est en partie responsable (Liquilassie Shipping Ltd. c. M.V. Nipigon Bay, [1975] 2 Lloyd’s Rep. 279, [1975] A.C.F. no 209 (QL), le juge Walsh).

 

ARTICLES PARTICULIERS RELATIFS AUX HONORAIRES

[12]           Kraft prétend avoir droit aux honoraires d’un second avocat pendant les deux jours de l’audition de la demande. Euro Excellence, qui avait elle aussi deux avocats présents à l’audience, ne s’y oppose pas dans la mesure où les honoraires sont raisonnables. Souvent le second avocat est un adjoint. Ce n’était pas le cas en l’espèce, car les deux avocats représentant Kraft étaient très expérimentés. Néanmoins, j’accorde les honoraires relatifs au second avocat, mais ces derniers devraient être taxés à 50 % des honoraires du premier avocat. Voir, par exemple, le juge Wetston dans Apotex, précitée, au paragraphe 42.

 

[13]           L’autre élément relatif aux honoraires pour lequel des directives sont demandées a trait aux honoraires des avocats qui se sont déplacés pour assister à l’audience, aux requêtes et aux contre-interrogatoires. Il s’agirait dans la plupart des cas de déplacements en avion entre Toronto et Montréal. L’article 24 du tarif B autorise l’octroi de frais pour déplacement « à la discrétion de la Cour ». Rien ne me convainc que les avocats de Kraft n’ont pas fait preuve de célérité lors de leurs déplacements, ou qu’ils ont lu le journal ou d’autres documents, ce qu’ils auraient fait de toute façon. Je crois qu’il est approprié de retenir la proposition d’Euro Excellence et c’est pourquoi, en ce qui concerne l’article 24 de l’ébauche de mémoire de dépens jointe au dossier de requête, j’accorde un total de 5 unités au lieu de 35.

 

DÉBOURS

[14]           Kraft réclame des débours de 30 665,87 $. Euro Excellence conteste carrément certains des débours et affirme que d’autres n’ont pas encore été établis. Elle ne s’opposerait toutefois pas à ce que l’on fixe les débours à 10 000 $. Si l’on déduit les deux articles qu’elle conteste catégoriquement le total des débours est de 15 544,27 $; Euro Excellence suggère donc qu’une somme équivalant à un peu moins des deux tiers de ce total serait appropriée.

 

[15]           Il faut garder à l’esprit que l’ébauche de mémoire de dépens avait pour seul but d’aider la Cour à donner des directives à l’officier taxateur. Si le mémoire est effectivement taxé, il faudra que Kraft explique et justifie davantage ses débours.

 

[16]           Un article qui est fermement contesté est la somme de 1 941,50 $ relative aux frais engagés pour la traduction du français à l’anglais. Ces frais devraient être refusés. La Cour est un tribunal national qui fonctionne dans les deux langues officielles et qui accepte les actes de procédure et autres documents dans l’une ou l’autre des deux langues. À l’instar du juge Muldoon dans Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c. Olivieri Foods Ltd, (1999) 86 C.P.R. (3d) 356, je suis d’avis de rejeter entièrement cette dépense.

 

[17]           L’autre article catégoriquement contesté concerne les honoraires de 13 180,10 $ des avocats français. Le cabinet français a été chargé par les avocats canadiens de Kraft d’assister au contre‑interrogatoire par Euro Excellence de Gilles Portail au sujet de son affidavit. M. Portail était le directeur financier de Landor Associates, qui a produit pour Kraft certains des produits en question protégés par le droit d’auteur. Son contre-interrogatoire a eu lieu à Paris et a duré environ 55 minutes. En plus de réclamer la somme de 13 180,10 à titre de débours, Kraft demande aussi des honoraires en vertu du tarif B pour la préparation du contre‑interrogatoire et la présence à celui‑ci. Kraft admet que le compte est plus élevé que prévu. Mais elle affirme qu’il lui a fallu engager des dépenses supplémentaires considérables parce qu’Euro Excellence a refusé d’admettre certains faits qu’on lui a demandé d’admettre, plus particulièrement qu’un certain Thierry Bigard avait été l’auteur des produits contrefaits liés aux emballages des tablettes de chocolat Côte d’Or pendant qu’il travaillait pour Landor Associates. En outre, Kraft a proposé que le contre‑interrogatoire ait lieu par vidéoconférence, mais cette proposition a été rejetée.

 

[18]           En revanche, l’affidavit de M. Portail n’a été signifié qu’après la demande d’admission, et il s’inscrivait dans le cadre d’une question litigieuse nettement plus vaste, soit celle de savoir si, en vertu du droit français, la création appartient à l’employé plutôt qu’à l’employeur. Kraft n’a pas demandé de directives au sujet de la façon dont le contre-interrogatoire devait être mené et il semble que M. Portail, qui n’était pas sous le contrôle de Kraft, se sentait plus à l’aise si c’était un avocat français qui s’en occupait.

 

[19]           Je ne suis pas disposé à accorder à Kraft plus que ce qu’il lui en aurait coûté si ses propres avocats canadiens avaient mené le contre-interrogatoire. Cela aurait pu inclure un voyage par avion en France (selon la preuve, le prix d’un billet d’avion aller-retour Toronto-Paris, en classe économique, coûtait environ 5 500 $), l’hébergement et une contrepartie quelconque pour le temps de déplacement. Par contre, il est inconcevable à mes yeux qu’une personne aurait pris l’avion pour Paris afin d’assister à un contre-interrogatoire qui a duré moins d’une heure et aurait aussitôt repris l’avion pour Toronto. La présence au contre‑interrogatoire aurait dû avoir lieu de pair avec d’autres activités. J’accorde la somme de 3 000 $ à titre de débours et je ne modifie pas les honoraires indiqués au tarif B.

 

[20]           Examinons maintenant les débours qui, d’après Euro Excellence, sont peut-être excessifs, comme les photocopies, faites à la fois à l’interne - dans les bureaux des avocats - et à l’externe. Selon Euro Excellence, le nombre de photocopies et le coût unitaire de 0,15 $ la feuille sont exagérés. Ces chiffres figuraient dans l’affidavit de Louise McLean, une technicienne juridique travaillant au cabinet des avocats canadiens de Kraft. Son témoignage par ouï-dire, qui provient du superviseur de la comptabilité, est que le prix de 0,15 $ la feuille représente le coût réel des photocopies, en tenant compte de l’entretien requis. À moins que cette personne soit contre‑interrogée, je suis convaincu que le prix de 0,15 $ la feuille est raisonnable. Cependant, à ce stade-ci, nous n’avons aucun détail sur l’usage qui a été fait du nombre de copies en cause. De même, il n’y a pas de ventilation du nombre de photocopies faites à l’externe, ni de leur coût par feuille.

 

[21]           Euro Excellence se demande aussi s’il était nécessaire d’engager des frais de services informatiques en ligne de 687,82 $. Ces frais concernent apparemment des recherches juridiques effectuées par l’entremise d’un site Web commercial. Selon Euro Excellence, il est facile d’obtenir les mêmes résultats grâce à des sites non payants, tels que CanLII et LexUM. J’ignore à quoi se rapportent les frais et je ne puis donc faire aucun commentaire.

 

[22]           Aucune explication n’est donnée au sujet des frais gouvernementaux de 1 269,10 $, sauf qu’il ne s’agit pas de frais consignés à la Cour.

 

[23]           Kraft réclame aussi la TPS de 7 % sur le total. Il semble que la TPS soit un élément à payer, mais il faut faire attention car la TPS ne s’appliquerait habituellement pas aux honoraires et aux dépenses engagés à l’extérieur du Canada, comme le compte des avocats parisiens. Dans la mesure où Kraft a déjà acquitté la TPS, celle-ci doit être déduite en conséquence.

 

[24]           Le fait de ne rien dire au sujet d’un article particulier qui est réclamé ne doit pas être assimilé à une directive, dans un sens ou un autre, à l’officier taxateur.

 

[25]           D’après l’ébauche de Kraft, les honoraires taxables sont de 27 062 $ et les débours de 18 544,27 $, alors qu’Euro Excellence a suggéré la somme de 10 000 $. Il est à espérer que les parties pourront s’entendre au sujet de la somme de 8 544,27 $ qui reste en litige.

 

[26]           Kraft aura droit aux dépens de la présente requête. Contrairement à la demande sur le fond, bien qu’elle ait eu gain de cause au sujet des montant liés à la colonne IV, Kraft n’a pas eu d’aussi bons résultats pour les articles particuliers. Je fixe les dépens, inclusion faite des honoraires, des débours et de la TPS, à 500 $.

 

DIRECTIVES

LA COUR ORDONNE que, conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, l’officier taxateur taxe les dépens conformément aux présents motifs.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1821-02

 

INTITULÉ :                                                   KRAFT CANADA INC. et al. c.

                                                                        EURO EXCELLENCE INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 30 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 AVRIL 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy Lowman

Kenneth McKay

 

POUR LES DEMANDERESSES

François Boscher

Pierre-Emmanuel Moyse

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sim, Lowman, Ashton & McKay, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

François Boscher

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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