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Date : 20190614


Dossier : IMM‑4279‑18

Référence : 2019 CF 818

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

JOAO HENRIQUE SILVEIRA DE SOUSA

CARLA SORAIA SOUSA

JACQUELINE SORAIA SOUSA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les trois demandeurs en l’espèce constituent une jeune famille qui est arrivée au Canada en 2012. Ils sont entrés au Canada munis de visas de visiteur. Toutefois, leur intention était toute autre que d’être de simples visiteurs. Selon le dossier, le demandeur principal, Joao Henrique Silveira De Sousa, a constitué en juin 2012 sa propre entreprise de revêtement de toiture, soit deux mois après son arrivée au pays.

[2]  Depuis leur arrivée au Canada, les demandeurs ont présenté trois demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Les deux premières demandes ont été rejetées et l’espèce se rapporte à la troisième. Les deux premières demandes ont été rejetées en mai 2015 et en février 2016, tandis que la troisième, présentée en février 2017, a été rejetée le 4 juillet 2018.

[3]  La présente demande de contrôle judiciaire est présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi]. Les demandeurs soutiennent que l’agent principal a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère à leur demande et en l’évaluant de façon déraisonnable. Ils soutiennent que la question de droit peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte et que l’évaluation de la demande est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

I.  Les faits

[4]  Les demandeurs sont respectivement âgés de 34 ans, 29 ans et 10 ans. Ce sont tous de ressortissants portugais. Nous avons appris que le demandeur principal est arrivé au Canada avec ses parents alors qu’il était jeune garçon, en raison des perspectives d’emploi défavorables pour son père dans le pays dont ils ont la nationalité. Ce n’est donc pas par hasard qu’il a choisi de venir au Canada.

[5]  En créant sa propre entreprise deux mois après son arrivée au Canada, le demandeur principal a pu subvenir aux besoins de sa famille sans intervention de l’État. Son épouse est une bénévole assidue à l’école que fréquente leur fille, en plus de faire du bénévolat à la banque alimentaire locale. Les membres de la famille ont tissé un réseau d’amis et semblent très appréciés des membres de leur collectivité. En outre, le demandeur principal soutient, du moins dans une certaine mesure, ses parents qui sont au Portugal, mais qui n’ont pas les moyens, nous dit-on, de se payer les médicaments dont ils ont besoin. On indique également que le demandeur principal contribue au remboursement d’une dette laissée par son frère à son décès.

[6]  L’enfant du couple a maintenant atteint l’âge de 10 ans; toutefois, elle avait 9 ans lorsque l’agent d’immigration a rendu sa décision. Elle fréquente l’école et on dit que sa langue première est l’anglais, étant donné qu’elle conserve peu de souvenirs du Portugal, qu’elle a quitté à un très jeune âge. Le mémoire des faits et du droit présenté pour le compte des demandeurs indique que les demandeurs [traduction« soulignent également que leur séjour au Canada leur a permis d’enrichir la vie de leur fille grâce à des activités parascolaires, notamment des cours de dessin, de ballet et de natation; s’ils devaient retourner au Portugal, ils craignent de ne pas être en mesure de “nourrir convenablement [leur] fille” » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 9).

[7]  Comme on peut le constater en examinant l’ensemble de la demande, les demandeurs ont quitté le Portugal en raison des perspectives d’emploi défavorables là-bas dans le but d’immigrer au Canada. Ils sont arrivés au Canada, se sont établis rapidement et sont autonomes. Ils refusent de retourner au Portugal en raison des conditions économiques difficiles dans leur région d’origine. On leur a déjà refusé des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

II.  Les arguments

[8]  Les demandeurs soutiennent que les trois considérations qu’ils ont présentées dans leur demande ont été évaluées de façon déraisonnable. Les trois considérations sont les suivantes :

  • l’établissement des demandeurs au Canada;

  • la situation au Portugal, où les conditions économiques sont telles que dans la région d’où ils sont originaires (les Açores), le chômage est endémique et les emplois rares et éloignés;

  • l’intérêt supérieur de l’enfant qui s’est bien intégré au Canada.

[9]  Les demandeurs se plaignent du fait que l’agent d’immigration a appliqué une analyse [traduction« axée sur les difficultés » aux considérations, qu’ils estiment inappropriée, que l’agent est en outre arrivé à une conclusion déraisonnable quant aux difficultés qu’ils subiraient s’ils retournaient au Portugal et que, enfin, l’agent d’immigration a rendu une décision déraisonnable concernant l’intérêt supérieur de l’enfant.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]  Le décideur souligne que les demandeurs cherchent à obtenir la résidence permanente au Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. De toute évidence, les demandeurs s’appuient sur l’article 25 de la Loi. Il incombe aux demandeurs de convaincre le décideur qu’une dispense des critères et obligations applicables de la Loi est justifiée par ces motifs d’ordre humanitaire.

[11]  Les demandeurs ont soulevé trois considérations et l’agent les a examinées l’une après l’autre (l’établissement, les difficultés en cas de retour au Portugal et l’intérêt supérieur de l’enfant).

[12]  En ce qui concerne l’établissement, cette considération a au départ reçu une pondération favorable. Le demandeur principal a constitué sa propre entreprise, il s’est fait de nombreux amis au Canada et s’est intégré à sa collectivité, et il semble que le frère du demandeur principal et les membres de sa famille qui vivent au Canada aient des liens étroits avec les demandeurs. Néanmoins, la pondération à accorder à ce facteur n’est pas prise en compte, car le décideur estime que l’établissement est banal, faisant remarquer qu’il n’est pas rare d’exercer un emploi et de s’intégrer dans les collectivités. Ce genre d’établissement banal est même écarté davantage en raison du fait que les demandeurs ont fait preuve [traduction« de mépris à l’égard des lois sur l’immigration au Canada et, à ce titre, [l’agent d’immigration a accordé] une pondération négative aux circonstances entourant leur établissement ». En outre, en ce qui concerne le réseau d’amis établi au cours des six dernières années, le décideur souligne que l’emplacement géographique ne constitue pas un obstacle au maintien des amitiés et des relations. Quoi qu’il en soit, ces relations ne sont pas caractérisées par un degré d’interdépendance et de confiance suffisant pour que soit octroyée une dispense pour motifs  d’ordre humanitaire.

[13]  Le décideur s’est ensuite penché sur la difficulté découlant d’un retour au Portugal, où il est difficile de trouver un emploi. Trois points sont soulevés par le décideur. En premier lieu, la qualité des éléments de preuve concernant l’absence d’emplois aux Açores est loin d’être suffisante. L’agent d’immigration fait remarquer que les extraits produits en preuve concernant les taux de chômage au Portugal sont tirés de publications désuètes. En outre, les tentatives faites par le demandeur ou pour son compte pour trouver un emploi ne fournissent pas suffisamment d’éléments de preuves objectifs des ensembles de compétences ou des profils d’emploi présentés aux employeurs éventuels. J’ai remarqué à l’audience de l’espèce qu’il semble que les demandeurs aient acheminé quatre ou cinq demandes d’emploi par correspondance épistolaire, tandis que des membres de leur famille au Portugal ont peut-être fait jusqu’à quinze demandes d’emploi. Un tel bilan ne démontre pas réellement que l’on a déployé des efforts soutenus de manière effective. En deuxième lieu, le décideur a déclaré que les demandeurs pouvaient et devraient probablement chercher un emploi ailleurs au Portugal ou au sein de l’Union européenne. Les demandeurs ont accès au marché du travail de pratiquement toute l’Europe; l’une des solutions de rechange à l’impossibilité de trouver un emploi au Portugal consisterait à tenter d’obtenir un emploi au sein de l’Union européenne avant d’envisager de le faire dans un pays comme le Canada. En troisième lieu, l’agent souligne les caractéristiques personnelles des demandeurs qui favorisent leur établissement ailleurs. Ainsi, il convient de souligner le fait que les demandeurs sont raisonnablement bien instruits, qu’ils ont les moyens de voyager au Canada et d’établir leur propre résidence et entreprise de revêtement de toiture; le demandeur principal a acquis des compétences au Canada qui seraient transférables au Portugal ou ailleurs. Autrement dit, les demandeurs disposent d’un certain nombre d’options.

[14]  Pour ce qui est de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent reconnaît que ce facteur a une pondération élevée, même s’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. De l’avis du décideur, il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant que l’intérêt supérieur de l’enfant serait compromis par un retour au Portugal. On indique ceci dans la décision :

[TRADUCTION]

Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve objective démontrant que leur fille ne serait pas en mesure de fréquenter l’école, d’obtenir des soins de santé et de participer à des activités parascolaires, que son intérêt supérieur serait compromis ou qu’elle serait privée de tout droit si elle retournait au Portugal. Même si je reconnais que leur fille a passé la majeure partie de sa vie au Canada compte tenu de son âge, il est raisonnable de présumer qu’elle serait en mesure de s’adapter à des situations en évolution avec le soutien continu de ses parents.

[La décision, page 5 sur 6.]

[15]  Dans les trois derniers paragraphes de la décision de six pages, le décideur examine dans leur ensemble les trois considérations soulevées par les demandeurs pour conclure que [traduction« [a]près examen des considérations et des éléments de preuve présentés aux présentes, [il n’est] pas convaincu que les demandeurs ont établi qu’une dispense soit justifiée pour des motifs d’ordre humanitaire ».

IV.  L’analyse

[16]  Selon le premier argument présenté par les demandeurs, le décideur a appliqué le mauvais critère à leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Selon eux, leur demande est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Peu importe que la norme de contrôle soit la décision correcte ou la décision raisonnable, je n’ai trouvé aucune indication que le décideur a appliqué le mauvais critère. Si je comprends bien, les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [l’arrêt Kanthasamy]. L’arrêt Kanthasamy soutient qu’il est inconvenable de transformer en critère à suivre les Lignes directrices ministérielles, qui sont conçues pour aider les agents à déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales sur le fondement de l’article 25 de la Loi. La Cour a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne se limitent pas aux difficultés décrites dans les Lignes directrices.

[17]  Selon les Lignes directrices, le demandeur doit faire la preuve qu’il éprouve des difficultés de nature inhabituelle et injustifiée ou démesurées. Sinon, la dispense prévue à l’article 25 n’aurait pas été accordée dans de nombreuses affaires antérieures à l’arrêt Kanthasamy. Les juges de l’arrêt Kanthasamy ne souscrivaient pas à la notion que tel devrait être le critère. La Cour est plutôt revenue sur l’origine des motifs d’ordre humanitaire et l’opinion exprimée par le premier président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié :

[13]  C’est la Commission d’appel de l’immigration qui, dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, s’est penchée la première sur la signification de l’expression « considérations d’ordre humanitaire ». La première présidente de la Commission, Janet Scott, a jugé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » (p. 364). Cette définition s’inspire de celle que renferme le dictionnaire à l’entrée « compassion », soit [traduction] « chagrin ou pitié provoqué par la détresse ou les malheurs d’autrui, sympathie » (Chirwa, p. 363). La Commission reconnaît que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais elle dit qu’il doit aussi y avoir des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée (Chirwa, p. 363).

Le critère appliqué dans la décision Chirwa consiste donc à accorder une dispense équitable dans des circonstances qui « inciteraient un[e] [personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne ».

[18]  De toute évidence, il s’agit d’un critère plus généreux que celui de l’évaluation des difficultés, c’est-à-dire des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Toutefois, en appliquant ce critère, il faut tenir compte du fait que le juges de l’arrêt Kanthasamy reconnaissent que « [l]a Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés1 est constituée de parties mobiles censées fonctionner de concert afin d’assurer l’application au Canada d’un régime d’immigration à la fois équitable et humain » (paragraphe 1, note de bas de page omise). Cela comprend le fait que « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) [...] De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle » (paragraphe 23, jurisprudence omise). En fait, les juges de l’arrêt Kanthasamy n’ont pas rejeté l’évaluation des considérations relatives aux difficultés. Ils lui ont plutôt redonné la place qui lui revient :

[32]  Notre Cour a indéniablement reconnu que les Lignes directrices peuvent servir à déterminer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition donnée de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Agraira, par. 85). Or, selon leur libellé même, les Lignes directrices « ne lient pas légalement le ministre » et elles « ne sont pas exhaustives ni restrictives » (Traitement des demandes au Canada, section 5). En d’autres termes, l’agent peut les considérer lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 25(1), mais il doit [traduction] « s’attacher aux circonstances particulières du dossier » (Donald J. M. Brown et l’honorable John M. Evans avec la collaboration de Christine E. Deacon, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 12‑45). Il ne doit pas voir dans ces directives informelles des exigences absolues qui limitent le pouvoir discrétionnaire à vocation équitable que le par. 25(1) lui permet d’exercer lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient (voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, p. 5; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195 (C.A.), par. 71).

[33]  L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent.

[En italique dans le texte original.]

[19]  Je n’ai pas constaté, dans la décision faisant l’objet du contrôle, que le décideur avait appliqué le critère des difficultés [traduction] « inhabituelles ou injustifiées » ou [traduction« démesurées » utilisé par le passé dans certaines décisions, notamment les décisions de notre Cour. Il ne s’agit pas tant pour les demandeurs de se plaindre de l’application du mauvais critère, car je n’ai retrouvé aucune indication en ce sens, mais plutôt de faire valoir que l’application par le décideur du critère énoncé dans l’arrêt Chirwa était erronée au point d’être déraisonnable. C’est donc à l’aune de cette prétention que la décision doit être examinée par une cour de révision. Était-il déraisonnable de conclure que la preuve en l’espèce n’a pas atteint le niveau nécessaire pour susciter chez une personne raisonnable d’une société civilisée le désir de soulager les malheurs d’une autre personne? C’est le fardeau que doivent assumer les demandeurs. Bien que les faits en l’espèce nous portent à sympathiser avec les demandeurs et que ceux-ci pourraient être des candidats à l’immigration au Canada si une demande en bonne et due forme était présentée en ce sens, on ne peut pas dire que le décideur a rendu une décision déraisonnable nécessitant l’intervention de notre Cour.

[20]  Les demandeurs font valoir que l’intervention d’une cour de révision est justifiée lorsque la décision n’est pas [traduction« justifiable, transparente ou intelligible » et ne s’inscrit pas [traduction« dans un éventail d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 28).

[21]  Je crains que cette formulation du critère puisse donner l’impression erronée qu’une seule justification pourra convaincre une cour de révision. À mon avis, il est préférable de revenir à la formulation du critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [l’arrêt Dunsmuir]. La notion de caractère raisonnable énoncée par la Cour suprême comporte deux aspects. L’un s’intéresse au raisonnement, tandis que l’autre s’intéresse aux issues (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 RCS 80, au paragraphe 18). Le fait de renvoyer aux « issues possibles » signifie qu’il existe plus d’une issue qui peut être raisonnable. En renvoyant aux termes « justification, transparence ou intelligibilité » sans contexte approprié, on peut laisser entendre qu’il existe une justification qui se justifierait. Je ne crois pas que ce soit le cas. À mon avis, il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision rendue. Je préfère faire un renvoi direct au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir qui, à mon avis, est possiblement plus nuancé que ce que l’on a fait valoir :

[47]  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[Non souligné dans l’original.]

Tant que le processus décisionnel est caractérisé par la justification, la transparence et l’intelligibilité, le critère du caractère raisonnable du processus est respecté.

Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a poursuivi en définissant ce qu’on entend par déférence. On peut lire ce qui suit au paragraphe 48 :

[48]  [...] Que faut‑il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit.  Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 596, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente.  Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49).

La cour de révision ne substitue pas son point de vue à celui du décideur. Il ne s’agit pas d’un appel ou d’une audience de novo. Il n’appartient pas à la cour de révision d’analyser chaque mot à la recherche d’erreurs. Dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458, la Cour suprême a fait une mise en garde contre la chasse au trésor à la recherche d’une erreur :

[54]  Il faudrait considérer la sentence arbitrale comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Newfoundland Nurses, par. 14).  En l’absence d’une constatation que la sentence, au vu du dossier, se retrouve en dehors du champ des issues possibles raisonnables, elle ne doit pas être modifiée.  En l’espèce, la conclusion du conseil d’arbitrage était raisonnable et les cours siégeant en révision n’auraient pas dû intervenir.

[22]  Le renvoi au paragraphe 54 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses ci-dessus nous ramène au paragraphe 12 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses] :

[12]  Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [traduction] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :

  [traduction] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion.  Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer. Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards.

[Souligné dans l’original.]

[23]  On nous a habilement invités à analyser les termes qui devraient être évités en l’espèce. Les demandeurs semblaient traiter le terme [traduction] « difficultés » comme s’il s’agissait d’un terme dont l’emploi est à proscrire en situation de politesse. Ce terme n’est pas caractérisé par une telle connotation péjorative. Même lorsqu’il est utilisé avec des qualificatifs tels [traduction] « inhabituel », [traduction] « injustifié » ou [traduction] « démesuré », ceux-ci se veulent descriptifs. Ce qui est certain, c’est qu’ils ne devraient pas être perçus comme donnant lieu à trois seuils à l’octroi d’une dispense. Bien sûr, la notion de difficulté est utile lorsque le décideur détermine si des motifs d’ordre humanitaire justifient une dispense des exigences de la Loi. Les juges de l’arrêt Kanthasamy ont en fait appuyé cette thèse (arrêt Kanthasamy, au paragraphe 33, tel que reproduit au paragraphe 18 des présents motifs).

[24]  En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le décideur a appliqué une analyse [traduction] « axée sur les difficultés ». Ils font valoir que le décideur a examiné les raisons d’ordre humanitaire selon une approche cloisonnée.

[25]  Les demandeurs ont présenté trois ensembles de considérations dont le décideur doit tenir compte, à savoir leur établissement au Canada, les difficultés qu’ils éprouvent devant la perspective d’un retour au Portugal, où le taux de chômage est très élevé, et l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est difficile de comprendre comment l’examen de ces trois considérations par le décideur peut constituer une approche cloisonnée de l’examen des motifs d’ordre humanitaire. Si le décideur n’avait pas examiné ces considérations à la chaîne, les demandeurs auraient pu se plaindre qu’il était impossible de déterminer si la conclusion se situe dans la fourchette des issues acceptables. Le terme analyse suppose, me semble-t-il, que l’on doive décortiquer une proposition selon ses éléments essentiels. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le critère à satisfaire est celui où leur situation inciterait une personne raisonnable d’une collectivité civilisée à soulager le malheur d’une autre personne. Je souscris à cette prétention. Pour appliquer un tel critère, il faut analyser les diverses circonstances que l’on fait valoir, ce qu'a fait le décideur.

[26]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a [traduction] « systématiquement écarté » les considérations présentées. J’ai examiné avec beaucoup d’attention les motifs énoncés par l’agent et je ne peux en arriver à une telle conclusion. Rien n’a été systématiquement ignoré en l’espèce. En fait, la Cour doit refuser de déférer à l’invitation sous-jacente à pondérer de nouveau la preuve; cela relève du décideur.

[27]  Les demandeurs font valoir que le décideur a placé très haut la barre lorsqu’il a examiné la question de l’établissement en exigeant qu’il s’agisse d’un établissement [traduction] « exceptionnel » (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 31). Je ne crois pas que cette analyse des termes employés reflète la conclusion effective du décideur. Il n’a pas fixé de seuil relevant du caractère exceptionnel. Dans sa décision, il a simplement considéré que l’établissement ne représentait pas un élément exceptionnel. En fait, lorsqu’on lit la phrase intégralement, il est évident que le décideur a simplement indiqué qu’[traduction] « il n’est pas rare que des personnes qui résident au Canada exercent un emploi, s’intègrent à leur collectivité, forgent des amitiés, paient leurs impôts, donnent de leur temps et maintiennent un bon dossier civil ». Cela est certainement vrai. En fait, le décideur a accordé dans une certaine mesure une pondération favorable à l’établissement au Canada. Il ne fait aucun doute que les demandeurs apportent une contribution à leur collectivité et qu’ils n’ont pas vécu au crochet de la société. Mais il demeure que l’établissement n’est pas extraordinaire au point qu’on lui accorde une pondération importante.

[28]  Cela dit, avec tous les égards dus, je ne vois pas comment l’établissement régulier et ordinaire au Canada peut se voir conférer une pondération importante lorsqu’un décideur doit déterminer si la preuve atteint le niveau où une personne raisonnable dans une société civilisée serait incitée à soulager les malheurs d’une autre personne. Le fait que l’établissement ne constitue pas une considération extraordinaire ne devrait pas être retenu contre un demandeur. Il est tout simplement neutre. Le fait qu’un établissement soit conforme aux attentes raisonnables ne peut guère susciter le désir de soulager les malheurs d’une autre personne. Par contre, il faut souligner la contribution particulière apportée à la collectivité. L’établissement ne constitue que l’un des facteurs à prendre en considération; les difficultés en constituent notamment un autre. Ainsi, en l’absence de difficultés, il est douteux qu’il soit facile de convaincre un décideur que la preuve suscite le désir de soulager les malheurs d’une personne. Pas impossible, mais difficile. Toutefois, la gravité des difficultés entrera en ligne de compte, qu’elles soient inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Il en va de même pour la mesure de l’établissement dans un ensemble particulier de circonstances.

[29]  Là où l’établissement compte le moins, c’est lorsque l’on tient compte du fait que l’établissement en l’espèce découle, selon les termes du décideur, d’un « mépris des lois sur l’immigration au Canada » (la décision, page 3 sur 6).

[30]  Comme on l’a indiqué précédemment, il apparaît clairement que le décideur a conclu que les demandeurs sont arrivés au Canada dans le but d’immigrer. La preuve abonde clairement en ce sens. Par conséquent, les demandeurs traitent l’article 25 de la Loi comme s’il s’agissait d’une solution de rechange au régime d’immigration. Tel n’est pas l’objet de l’article 25 selon les juges de l’arrêt Kanthasamy. Il me semble que le décideur réagissait à cette considération générale lorsqu’il n’a pas tenu compte de l’établissement au vu des circonstances particulières de celui-ci. Bien que l’établissement constitue une considération, sa pondération relative variera selon la qualité de l’établissement ainsi que d’autres facteurs. On peut donc comprendre que le fait d’être établi au Canada rend difficile le retour dans son pays de nationalité. Mais le renvoi est la conséquence naturelle de la situation d’une personne qui n’a pas de statut au Canada. Il est difficile d’imaginer que le simple fait de faire valoir l’établissement génère en tant que tel une décision favorable pour des motifs d’ordre humanitaire, tout comme l’intérêt supérieur de l’enfant ne constitue pas une panacée.

[31]  Les demandeurs ont également contesté la façon dont le décideur a traité le réseau social qu’ils ont pu établir au cours des six années qu’ils ont passées au Canada. En fait, ils ont essayé de monter en épingle le fait que le décideur ait utilisé le terme [traduction« difficultés » dans la phrase [traduction« [l]es relations ne dépendent pas de l’emplacement géographique; bien que les difficultés découlant du fait d’être séparé physiquement de sa famille et de ses amis se trouvant au Canada occasionneront des bouleversements, cela ne signifie pas que les personnes seraient incapables de communiquer entre elles » (la décision, page 4 sur 6). Selon les demandeurs, cela atteste d’une approche [traduction« axée sur les difficultés ». Cet argument est sans fondement. La phrase illustre simplement le fait que les difficultés, qui sont nécessairement associées au fait de quitter le Canada, ne justifient pas la prise de mesures spéciales pour des raisons d’ordre humanitaire (voir l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 23). Il vaut également la peine de mentionner que le décideur est allé jusqu’à qualifier les relations en déclarant ce qui suit : [traduction« J’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve appuyant le fait que les relations susmentionnées sont caractérisées par un degré d’interdépendance et de confiance tel que, advenant une séparation, il serait justifié d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire » (la décision, page 4 de 6). Autrement dit, les relations varient en fonction de leur profondeur, ce dont il faut tenir compte. Je ne vois pas comment on pourrait affirmer que cela est déraisonnable. Dans leur analyse des termes, les demandeurs ont souligné l’utilisation du terme [traduction« difficultés » dans la phrase citée ci-dessus. Selon eux, l’utilisation de ce terme signifie que l’on mesure les relations par rapport à un seuil. Il n’en est rien. Il est évident que l’on emploie ce terme pour désigner la souffrance ou la privation que le départ du Canada entraînerait. Rien n’indique que le terme [traduction« difficultés » dans le contexte dans lequel il est employé soit associé à des circonstances inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Le terme « difficultés » signifie ce qu’il signifie, point à la ligne.

[32]  Fait quelque peu ironique, les demandeurs invoquent les [traduction« difficultés » liées au retour au Portugal comme motif à prendre en considération dans leur demande. Les demandeurs soutiennent que le rejet de l’allégation selon laquelle il est difficile de trouver un emploi aux Açores est arbitraire et illogique et que dès lors, il est déraisonnable.

[33]  Il semble que les demandes d’emploi aient été faites au moyen d’un échange de correspondance épistolaire. Les demandeurs ont critiqué le décideur parce qu’il a souligné que les demandes avaient été faites par des membres de la famille et que la qualité de l’information fournie aux employeurs potentiels était insuffisante. Cette critique n’est pas bien fondée. Dans le mémoire, les demandeurs indiquent qu’ils ont reçu des lettres de cinq employeurs éventuels en réponse à un contact direct établi par le demandeur principal. Étonnamment, les réponses ont trait à des contacts établis en 2015. En outre, les demandeurs semblent reconnaître que les demandes comportaient des lacunes au niveau des renseignements importants quant à leurs compétences, ce qui peut indiquer de la nonchalance; toutefois, le demandeur soutient que [traduction« l’on ne retrouve peut-être pas suffisamment d’information sur les ensembles de compétences qui ont été présentés étant donné que le fait qu’il n’y a pas de postes vacants ni de possibilités d’emploi constitue la principale information fournie dans la correspondance » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 39). Je ne vois pas en quoi la conclusion du décideur est déraisonnable en ce sens qu’elle ne s’inscrirait pas dans la gamme des issues possibles acceptables; le décideur a indiqué qu’il ne disposait pas de [traduction« suffisamment d’éléments de preuve objectifs quant aux ensembles de compétences ou aux profils d’emploi qui ont été présentés aux employeurs éventuels et qu’il ne disposait pas non plus d’éléments de preuve objectifs suffisants établissant que les personnes à la recherche d’un emploi avaient consulté des employeurs à l’échelle du Portugal » (la décision, page 4 sur 6). Cela est, à mon avis, inattaquable.

[34]  Les demandeurs se regimbent contre la possibilité de chercher un emploi ailleurs qu’aux Açores, soit au Portugal ou ailleurs dans l’Union européenne. Il n’a pas été démontré dans le présent dossier en quoi il est déraisonnable d’indiquer qu’il existe des possibilités d’emploi ailleurs qu’au Canada où les demandeurs ont tenté d’immigrer sans se soumettre aux exigences légales. En fait, les demandeurs ont fait preuve de résilience et d’ingéniosité, qualités pouvant être utilisées à leur avantage s’ils le désirent.

[35]  En bout de ligne, l’agent d’immigration a pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Les demandeurs ont fait valoir qu’il n’est pas dans l’intérêt supérieur de leur enfant qu’elle retourne dans son pays de nationalité. Le rôle que doit jouer l’intérêt supérieur de l’enfant dans la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été décrit de la façon suivante dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 SCR 817 [l’arrêt Baker] :

74  [...] Par conséquent, l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable. Même s’il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d’immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d’une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles-mêmes soutiennent cette approche. Toutefois, la décision en l’espèce était incompatible avec cette approche.

75  La question certifiée demande s’il faut considérer l’intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l’examen du cas d’un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.  Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[Souligné dans l’original.]

L’arrêt Kanthasamy se situe dans la même veine que l’arrêt Baker. En effet, les paragraphes qui viennent d’être reproduits sont également cités en détail dans l’arrêt Kanthasamy. Il me semble que les directives supplémentaires fournies par l’arrêt Kanthasamy se reflètent au paragraphe 39 de celui-ci, qui se lit ainsi :

[39]  Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9-12 (CanLII)).

[36]  Je suis d’avis que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant aurait pu être plus exhaustive. Elle est toutefois suffisante (arrêt Newfoundland and Labrador Nurses, au paragraphe 12). En l’espèce, le décideur n’a pas simplement déclaré qu’il fallait tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il l’a examiné et en est arrivé à une conclusion. Le décideur a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de cette enfant.

[37]  Dans un sens, les demandeurs soutiennent qu’il vaut mieux qu’un enfant demeure au Canada. En fait, une entente en ce sens peut être conclue la plupart du temps. Si cela devenait déterminant, il ne serait pas nécessaire d’examiner quelque autre question. Il est certainement vrai que cette enfant vit au Canada depuis six ans et on nous dit que sa maîtrise du portugais laisse à désirer puisque l’anglais est devenu sa langue maternelle. Elle a des intérêts en jeu dans l’établissement d’enseignement qu’elle fréquente et perdra inévitablement l’accès à ses autres activités. L’agent a conclu qu’il n’existait pas d’éléments de preuve objectifs selon lesquels son intérêt supérieur serait compromis si elle retournait au Portugal en compagnie de ses parents, au point d’octroyer une dispense au titre de l’article 25 de la Loi. Il n’existe pas d’élément de preuve indiquant que le fait de déménager au Portugal et de s’y réinstaller aurait un impact négatif sur cette enfant. L’agent en est finalement arrivé à la conclusion qu’il était raisonnable d’estimer que l’enfant pourrait s’adapter à des situations en évolution à l’aide du soutien continu de ses parents.

[38]  Si je comprends bien l’argument des demandeurs, l’intérêt supérieur de l’enfant exige qu’elle demeure au Canada où elle vit depuis six ans. Leur argument se limite à cela. Comme l’a conclu l’agent d’immigration, on ne semble pas avoir soulevé de circonstances spéciales qui auraient nécessité considération. L’agent a écrit : [traduction« [l]es demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve objectif selon lequel leur fille serait incapable de fréquenter l’école, d’obtenir des soins de santé, de participer à des activités parascolaires ou que son intérêt supérieur serait compromis ou qu’elle serait privée de tout droit si elle retournait au Portugal » (la décision, page 5 sur 6). Les demandeurs s’appuient plutôt sur le fait que l’anglais serait devenu sa langue principale, qu’elle a peu de souvenirs du Portugal et qu’elle a vécu au Canada pendant six de ses neuf années de vie. Il est difficile de voir comment on peut reprocher à l’agent d’avoir abordé ces questions en concluant que l’enfant pourra s’adapter avec le soutien de ses parents au Portugal. Ni dans leur mémoire, ni dans la présentation faite à la Cour par leur avocat ne trouve-t-on ce que le décideur a omis de considérer concernant l’intérêt supérieur de l’enfant.

[39]  Si l’on est disposé à supposer qu’un enfant se portera mieux s’il bénéficie du statu quo, comme semblent le laisser entendre les demandeurs, cela ne règle pas la question. Ce qui a été soulevé par les demandeurs en l’espèce n’est pas différent de ce que serait la situation de tout enfant dont les parents doivent partir du Canada. En l’espèce, l’agent a tenté d’expliquer que l’intérêt supérieur de l’enfant consiste à être avec ses parents dans son pays de nationalité, où elle bénéficiera de leur soutien continu. Le fait de se rendre aux arguments des demandeurs signifierait que la présence d’un enfant qui a passé un certain temps au Canada doit être déterminante dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Malheureusement, tel n’est pas l’état du droit.

[40]  Les demandeurs cherchent à reprocher à l’agent d’avoir apparemment envisagé deux options, à savoir soit que l’enfant parte du Canada avec ses parents, ou soit qu’elle demeure au Canada sans eux. Il s’agit bien sûr d’un dilemme cornélien qui est probablement plus hypothétique que réel. La possibilité privilégiée par les demandeurs vise à conserver le statu quo, c’est-à-dire que la famille demeure au Canada. Cette troisième option semble aller à l’encontre de ce qui a été reconnu par les demandeurs comme étant l’état du droit en ce sens que [traduction« l’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emportera pas toujours sur d’autres considérations dans le cas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 48), et [traduction] qu’« il est bien établi que la présence d’enfants ne nécessite pas que l’on fasse état de certains résultats » (autre mémoire des faits et du droit, paragraphe 54). La suggestion présentée par les demandeurs relativement au maintien du statu quo exigerait que l’on fasse état d’un résultat particulier dans chaque affaire mettant en cause un enfant. En l’espèce, on n’a rien fait valoir qui permettrait de comprendre l’intérêt supérieur de l’enfant outre le fait que la vie qu’elle a menée au Canada représente l’issue de prédilection.

[41]  Les demandeurs se sont plaints de l’approche cloisonnée de la décision envers leurs trois considérations. Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne souscris pas à leur prétention. On a procédé à un examen de chaque considération afin de déterminer la pondération qu’on peut lui accorder. Dans les trois derniers paragraphes de la décision, le décideur met les trois considérations en balance pour conclure qu’elles ne suffisent pas à justifier une dispense des obligations qui existent en vertu de notre droit lorsqu’une personne cherche à devenir un résident permanent.

[42]  À mon avis, il est essentiel que les motifs invoqués à l’appui d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire soient examinés afin d’établir leur pondération relative. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la pondération accordée à ces motifs, puisque le législateur a choisi de laisser au ministre le soin d’en disposer, sous réserve que ce soit fait de manière raisonnable. La Cour doit intervenir lorsqu’une décision est déraisonnable parce qu’elle ne fait pas partie des issues possibles acceptables ou en l’absence de justification, de transparence et d’intelligibilité dans le processus décisionnel. En l’espèce, l’issue se situe dans la fourchette appropriée. Le processus suivi par le décideur est également adéquat. On retrouve l’élément de la justification dans la décision, tandis que le processus décisionnel est empreint de transparence et d’intelligibilité. De toute évidence, la présente affaire suscite la sympathie. Mais cela ne suffit pas; il incombe aux demandeurs de démontrer que les faits, établis par la preuve, seraient de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs « justifient l’octroi d’un redressement spécial aux fins des dispositions de la Loi » (arrêt Kanthasamy, au paragraphe 13). En l’espèce, le ministre a conclu que ce n’était pas le cas et les demandeurs n’ont pas convaincu la Cour que la décision était déraisonnable.

[43]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Je suis d’accord avec les parties pour dire que l’issue de la présente affaire est fonction de ses faits particuliers et qu’il n’existe aucune question grave de portée générale exigeant qu’une question soit certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4279‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est soulevée.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de juillet 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4279‑18

INTITULÉ :

JOAO HENRIQUE SILVEIRA DE SOUSA, CARLA SORAIA SOUSA, JACQUELINE SORAIA SOUSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 JuIN 2019

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

POUR LES DEMANDEURS

 

Norah Dorcine

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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