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Date : 20190614


Dossier : IMM‑5548‑18

Référence : 2019 CF 819

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2019

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ADNAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 12 octobre 2018 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La décision faisant l’objet du contrôle porte sur un appel interjeté à l’encontre de la décision rendue le 30 novembre 2016 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Dans la décision faisant l’objet du contrôle, il a été jugé que M. Adnan n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger (articles 96 et 97 de la Loi).

I.  Les faits

[2]  Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui déclare craindre des représailles de la part d’un imam extrémiste de son village, parce qu’il a aidé à l’organisation d’une campagne de vaccination contre la poliomyélite. Des deux mosquées du village, l’une est dirigée par un extrémiste religieux qui dirige aussi une madrasa (présentée comme étant une école coranique) dans laquelle dix enseignants forment environ 500 élèves.

[3]  Selon le demandeur, près de 20 à 30 p. cent des villageois (sur environ 10 000) soutiennent la mosquée dans laquelle les idées extrémistes sont véhiculées, notamment le fait de croire que la vaccination contre la poliomyélite est contre l’islam : le vaccin contiendrait des [traduction« composants interdits » et entraînerait l’infertilité.

[4]  L’un des amis de M. Adnan lui a demandé en mars 2016 d’apporter son aide à une campagne de vaccination qui devait se dérouler avec l’assistance de trois équipes envoyées au village. Le demandeur allègue que l’imam l’a averti par l’entremise de partisans de ne pas participer à la campagne; il y a pourtant participé par du porte‑à‑porte; environ 2 000 familles ont été touchées pendant une période de 20 jours. La vaccination a commencé le 4 mai 2016 et s’est poursuivie pendant deux autres semaines. Des tentes ont été érigées sur les terres du demandeur et des drapeaux indiquant l’endroit où la vaccination avait lieu flottaient. M. Adnan lui‑même a administré le vaccin à 40 enfants.

[5]  M. Adnan est arrivé au Canada un peu plus tard ce mois‑là, à l’occasion d’un voyage d’affaires qui devait durer une semaine. Au lieu de rentrer au Pakistan, le 3 août 2016, il a présenté une demande d’asile. Il alléguait que l’imam et des fidèles ont attaqué son père après son départ du Pakistan. Lorsque l’affaire a été signalée à la police, celle‑ci a refusé d’intervenir. Sa mère lui a raconté ces faits le 10 juin. En ce qui concerne l’ami qui a sollicité le demandeur pour qu’il participe à la campagne de vaccination, le demandeur déclare qu’il a disparu peu de temps après cela, selon un article de journal (du 20 juin). Un décret religieux (une fatwa) a été pris le 10 juillet, il incitait au meurtre du demandeur et de son père.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Dans sa décision datée du 12 octobre 2018, la SAR a confirmé que M. Adnan n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour l’essentiel, la SAR a souscrit à la décision de la SPR selon laquelle la prétention du demandeur était invraisemblable.

[7]  La SPR n’a pas cru de nombreux éléments avancés par le demandeur :

  • la SPR n’a pas cru que l’imam et les fidèles, qui avaient déjà averti le demandeur, n’auraient rien fait pour interrompre une telle campagne publique menée sur une longue durée;

  • il ne faut pas croire à la théorie du complot, avancée à un certain moment par le demandeur, entre la police et l’imam;

  • la preuve relative au passage à tabac du père et à la fatwa n’est pas convaincante;

  • l’absence de précision dans l’article rapportant la disparition de l’ami du demandeur limite considérablement sa valeur probante.

Pour l’essentiel, la SPR n’a pas cru que l’imam n’aurait pas été avisé d’une campagne de vaccination d’une telle ampleur : 2 000 enfants ont été vaccinés dans des efforts très publics sur une durée de deux semaines, à la suite d’une campagne d’information qui a duré quatre semaines.

[8]  Les motifs d’appel à la SAR reposaient sur les éléments suivants : la décision de la SPR était fondée sur des conjectures; il était déraisonnable de se fonder sur le comportement de tierces parties; aucune valeur probante n’aurait dû être accordée à la preuve documentaire présentée par le demandeur.

[9]  Premièrement, la SAR a rejeté les arguments de M. Adnan selon lesquels les conclusions de la SPR étaient des conjectures et étaient fondées sur le comportement de tierces parties. La SAR a cru que M. Adnan avait participé à une campagne de vaccination, mais a conclu qu’il était invraisemblable qu’il fût maintenant persécuté en raison de cette participation (Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 10; Ansar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1152, au paragraphe 17). La SAR a aussi souligné les motifs de la SPR selon lesquels, si l’imam était un extrémiste ayant une si grande influence, les gens auraient entrepris des démarches pour mettre un terme à la campagne en son absence; les autres imams de la mosquée et la madrasa, les parents des élèves étudiant à la madrasa, les fidèles, les personnes liées au même groupe extrémiste que l’imam ou les policiers étaient toutes des personnes pouvant entreprendre les démarches nécessaires pour mettre un terme à la campagne de vaccination qui a été présentée comme étant si offensante pour les extrémistes.

[10]  En ce qui concerne la preuve de la persécution, la SAR a relevé les attaques documentées commises par les groupes extrémistes islamiques à l’égard des vaccinateurs contre la poliomyélite. Toutefois, étant donné que la campagne de vaccination a duré six semaines sans aucun incident, la SAR a conclu que l’imam (s’il existait) et ses fidèles ne s’opposaient pas à la vaccination. Pour l’essentiel, il y aurait eu une intervention beaucoup plus tôt. Rien n’indique que la campagne était clandestine. En fait, il appert qu’elle était très publique.

[11]  Enfin, la SAR a confirmé que les éléments de preuve documentaires suivants n’auraient pas dû se voir accorder de valeur probante : (i) la plainte du père à la police, l’affidavit du père, le certificat médical, une lettre d’un avocat refusant de s’occuper de l’affaire et la fatwa, parce qu’une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité peut englober les documents et qu’il n’y avait aucune preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 (Sellan), au paragraphe 3; Moriom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 588, aux paragraphes 24 à 27), (ii) l’article de journal concernant l’ami du demandeur, en raison du manque de renseignements sur sa source. La SAR a aussi souligné, même si cela n’était pas déterminant, qu’il y avait une différence dans l’orthographe du nom du père et que les articles en ligne sur la vaccination contre la poliomyélite étaient suivis d’articles proposés sur des échappatoires pour obtenir de l’argent au Canada.

III.  Les questions en litige

[12]  Les trois questions suivantes sont soulevées dans le cadre du contrôle judiciaire :

  • L’absence d’une analyse indépendante des éléments de preuve;

  • la décision est conjecturale et ne tient pas compte de certains faits;

  • la méconnaissance de la situation dans le pays.

[13]  Je fais remarquer que le demandeur n’a présenté aucune nouvelle preuve à la SAR et aucune audience n’a eu lieu. En outre, comme l’enseigne l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157, la SAR applique en appel la norme de la décision correcte, ce qui signifie que la SAR n’a pas à faire preuve de retenue quant aux conclusions tirées par la SPR, et ce, conformément à la conclusion de la Cour d’appel.

[97]  Au lieu d’une deuxième audience obligatoire en appel – laquelle pourrait retarder la décision définitive de la SAR à l’égard d’une demande d’asile – le « deuxième essai » en appel consenti au demandeur (par. 88 ci‑devant) devait reposer sur le dossier présenté à la SPR, sauf dans des cas exceptionnels dans lesquels de nouveaux éléments de preuves pouvaient être admis et sous réserve du respect des exigences du paragraphe 110(6).

IV.  La norme de contrôle et l’analyse

[14]  Il est indubitable que la norme de contrôle appliquée par la SAR dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la SPR est celle de la décision correcte, c’est le célèbre « deuxième essai ». Toutefois, dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de la SAR, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Cela signifie qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision, car la décision raisonnable tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Il incombait au demandeur de convaincre la Cour que la décision de la SAR n’était pas raisonnable; un fardeau dont il ne s’est pas acquitté avec succès.

[15]  Premièrement, je ne vois pas pourquoi l’adhésion de la SAR aux conclusions tirées par la SPR révèle une absence d’analyse indépendante dans le cadre de l’appel. Nous ne sommes pas en présence d’une affaire très complexe. Au cœur de la présente affaire, il y a un imam dont on dit qu’il est un extrémiste religieux, qui a averti le demandeur, par l’entremise de fidèles ‑ après que celui‑ci eut été amené par un ami à participer à une campagne en faveur d’une vaccination à grande échelle contre la poliomyélite dans son village ‑, de ne pas appuyer la campagne. On dit que l’imam est puissant et qu’il a le soutien de 30 p. cent de la population du village. Néanmoins, le demandeur est au cœur de cette campagne qui a duré six semaines, mais il n’est menacé d’aucune manière par les villageois, les fidèles, les enseignants de la madrasa ni l’imam lui‑même. Le fait que l’imam puisse avoir été à l’extérieur du village n’explique pas comment la campagne fut méconnue; elle était loin d’être clandestine et la vaccination contre la poliomyélite est censée être interdite par certains fanatiques religieux.

[16]  La campagne de vaccination était à peine terminée que le demandeur quittait son pays pour le Canada en voyage d’affaires, mais muni d’un visa de visiteur délivré le 18 avril 2016, qui lui a permis d’entrer au Canada le 31 mai (la vaccination en soi a commencé le 4 mai et il nous a été dit qu’elle a duré deux semaines). Le demandeur qui est le benjamin d’une famille de sept enfants n’a pas donné beaucoup de détails sur son entreprise (de biens de cuir) et sur le voyage d’affaires qu’il l’a amené à Montréal. Le formulaire Fondement de la demande d’asile recense les principaux faits. Je tiens à souligner que l’affidavit du père ne fournissait aucune précision quant à l’historique de base.

[17]  Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve qui n’aurait pas été pris en compte, et l’argument selon lequel la SAR n’a pas appliqué la norme de la décision correcte à laquelle elle était tenue n’est pas fondé. J’accepte l’observation du défendeur selon laquelle la commissaire de la SAR a bien effectué une analyse indépendante du dossier. Le fait qu’elle a tiré les mêmes conclusions que celles tirées par la SPR n’indique pas en soi qu’elle n’a pas effectué d’analyse indépendante. Elle a peut‑être répété beaucoup des conclusions de la SPR, mais, dans tous les cas, elle semble avoir évalué les éléments de preuve avant de souscrire à l’opinion de la SPR. Elle a tiré ses propres conclusions concernant l’invraisemblance de la persécution, étant donné le soutien du village à la campagne de vaccination (décision de la SAR, aux paragraphes 24 et 25), le défaut de preuve de persécution de la part de l’imam et de son groupe religieux (décision de la SAR, aux paragraphes 28 à 30), le défaut de valeur probante à accorder à la preuve documentaire (décision de la SAR, aux paragraphes 36 à 38), la différence d’orthographe du nom du père (décision de la SAR, au paragraphe 39), les indices de recherches antérieures effectuées par le demandeur sur les échappatoires pour avoir accès à de l’argent facilement au Canada (décision de la SAR, au paragraphe 40).

[18]  L’argument selon lequel la SAR a rendu une décision fondée sur des conjectures n’est pas plus fondé que le précédent. Cet argument ne s’élève jamais au‑delà d’un désaccord avec l’évaluation des éléments de preuve faite par la SAR. Le demandeur semble s’opposer en particulier à la conclusion de la SAR selon laquelle l’imam jouissait d’une très forte influence dans le village.

[19]  Tel que je comprends l’argument, la SAR aurait eu tort de conclure que l’imam avait ce type d’influence. Cela est difficile à concilier avec le fait que le demandeur a lui‑même affirmé cette influence dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, lorsqu’il a écrit : [traduction« la police de proximité n’a jamais pris aucune mesure contre Qari Inoam et son groupe religieux, car il est puissant et corrompt la police pour que celle‑ci continue de protéger ses intérêts dans la région » (DCT, à la page 21). Le demandeur tente maintenant de faire valoir que l’influence est très limitée compte tenu de la conclusion de la SAR selon laquelle l’imam aurait certainement été informé de la campagne de vaccination à grande échelle. Au lieu de cela, l’argument est maintenant que seul 30 p. cent de la population (10 000 villageois et 2 000 vaccinations) soutient l’imam.

[20]  Le demandeur a tenté de se fonder sur un affidavit qu’il a présenté a posteriori, c’est‑à‑dire après que les deux décisions de la SPR et de la SAR eurent été rendues. Ce nouveau témoignage a été déclaré irrecevable par la Cour (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263) comme ne faisant pas partie du dossier dont disposaient les Commissions. En fait, le demandeur tentait de présenter à nouveau sa preuve en faveur d’un large soutien à la vaccination et d’un appui limité de l’imam dans le village. Cependant, le demandeur ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : à la SPR (et à la SAR), le formulaire Fondement de la demande d’asile évoque le pouvoir de l’imam qui corrompt la police dans le but de démontrer que le danger est réel et, une fois que la SAR conclut que si l’imam est si puissant, il n’est pas plausible que la vaccination ait pu avoir lieu sans une intervention, l’imam devient soudainement sans influence, parce qu’il a le soutien de seulement 30 p. cent de la population. Il n’y a pas de conjectures sur le pouvoir et l’influence de l’imam si l’on doit croire l’exposé circonstancié présenté par le demandeur. En fait, les conjectures viennent du demandeur, dans le cadre du contrôle judiciaire où il suppose que ce sont les 70 p. cent de la majorité qui sont en faveur de la campagne de vaccination contre la poliomyélite, qui [traduction« sont exactement pourquoi le demandeur n’a pas été freiné par les autres imams de la madrasa, les élèves, les villageois et en particulier par la police » (Mémoire des faits et du droit, au paragraphe 19). Non seulement cette affirmation est nouvelle et n’est pas étayée par l’exposé circonstancié présenté à la SPR et à la SAR, mais elle ne tient pas compte de l’avertissement que le demandeur a reçu des partisans de l’imam et des deux visites au commissariat de police. Ainsi, même s’il en est tenu compte malgré le fait que la nouvelle thèse est irrecevable, cette nouvelle version n’a aucun poids. Les conjectures de la SAR n’ont pas été prouvées.

[21]  Troisièmement, le demandeur prétend qu’il y a eu un manque de compréhension de la situation au Pakistan. Cet argument est fondé sur certaines recherches dans Internet faites par le demandeur à partir du Canada, lesquelles confirment qu’il y a eu dans le passé des attaques menées contre [traduction« des vaccinateurs contre la poliomyélite ».

[22]  La situation dans le pays à laquelle le demandeur fait référence pour aider à documenter les incidents tragiques vise [traduction« des vaccinateurs contre la poliomyélite » au fil des ans, mais l’existence d’incidents n’apporte pas de précision à l’exposé circonstancié du demandeur qui a été jugé comme manquant de cohérence interne.

[23]  Dans un dernier effort, le demandeur a contesté la conclusion selon laquelle la preuve documentaire a été rejetée parce que la SAR n’a pas cru son exposé circonstancié en raison de son caractère invraisemblable. Le demandeur soulève ainsi la question suivante : [traduction« La commissaire de la SAR aurait dû se demander si, malgré les questions de "crédibilité" [...] les documents à l’appui de la demande peuvent mener à une conclusion selon laquelle les faits se sont produits et que la demande peut être acceptée » (Mémoire des faits et du droit, au paragraphe 39).

[24]  Il est difficile de voir comment une version de faits précis qui n’est pas crédible peut être recouvrée par des éléments de preuve documentaires généraux qui manquent également de précision. La SAR a conclu que lesdits éléments de preuve (affidavit du père, lettre d’un avocat refusant simplement de s’occuper de l’affaire, fatwa et certificat médical) n’avaient aucune valeur probante. La même chose est dite de l’article de journal de cinq lignes. La preuve est jugée n’être ni crédible ni indépendante. À mon avis, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, permet de trancher la question :

[2]  Le juge a aussi certifié une question, en l’occurrence : Lorsqu’il existe une preuve objective pertinente susceptible d’étayer une demande de protection et que la Section de la protection des réfugiés estime que la preuve subjective présentée par le demandeur n’est pas crédible, sauf en ce qui concerne l’identité, la Section de la protection des réfugiés doit‑elle apprécier cette preuve objective au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[3]  À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[4]  Ce qui nous amène à la question de savoir s’il y avait au dossier présenté à la Commission une preuve permettant d’étayer une décision favorable à l’intimée. À notre avis, il est clair que cette preuve n’était pas au dossier. Nous sommes convaincus que si le juge avait examiné le dossier, comme il était tenu de le faire, il en serait sans aucun doute arrivé à la même conclusion. Dans ces circonstances, il serait inutile de renvoyer l’affaire à la Commission.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Je n’accepterais pas facilement qu’une question de crédibilité l’emporte sur tout. En fait, ce n’est pas ce que la Cour d’appel déclare dans l’arrêt Sellan. C’est en raison du danger inhérent de ne pas prendre en compte d’autres éléments de preuve allant en sens contraire que la décideure a centré son attention sur la crédibilité d’un témoin jugé, en l’occurrence, simplement sur son comportement. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a saisi la question, dans l’arrêt Faryna c Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, lorsqu’elle a écrit que [traduction« le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin dans une telle affaire doit être sa correspondance à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien renseignée reconnaîtrait facilement comme raisonnable lorsqu’elle est à cette place et dans ces conditions » (paragraphe 11). Telle était la question en l’espèce : ce n’est pas que le comportement du demandeur soulevait des doutes quant à sa crédibilité, mais plutôt que le récit manquait de cohérence. Il était invraisemblable. En outre, les circonstances devant être prises en considération devraient inclure d’autres éléments de preuve qui tendraient à étayer le récit d’un témoin. Pour se voir accorder du poids, cette preuve doit être crédible en soi et avoir une certaine valeur probante en raison de la qualité de l’exposé circonstancié, car, en l’occurrence, les détails fournis qui apportaient de la précision ou d’autres renseignements corroborants font partie du dossier. Humblement, il n’y a pas eu une telle preuve en l’espèce. L’incohérence interne du récit avec, d’une part, un imam puissant ayant beaucoup de fidèles qui considèrent la vaccination antipoliomyélitique si offensante qu’une fatwa est prise et, d’autre part, une campagne de vaccination menée ouvertement pendant une période de six semaines, sans incident ni perturbation, a été fatale au demandeur. Il était raisonnable que la SAR considère que les deux parts ne peuvent pas être conciliées. Le demandeur n’a pas été en mesure de s’acquitter de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

[26]  Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La Cour souscrit à l’avis des avocats selon lequel il n’y a pas de question grave de portée générale devant être certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5548‑18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. il n’y a aucune question grave de portée générale.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de juillet 2019.

L. Endale, traductrice


 COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5548‑18

INTITULÉ :

ADNAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mai 2019

Jugement et motifS :

Le juge ROY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 14 juin 2019

COMPARUTIONS :

Dan M. Bohbot

Pour le demandeur

Mario Blanchard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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