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Date : 20060303

Dossier : T-719-05

Référence : 2006 CF 285

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

JOHN GIROUX

 

demandeur

 

et

 

 

PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER (ALBERTA)

 

CHARLES CHALIFOUX,

THERESA WILLIER, LEON CHALIFOUX, DARRYL SOUND,

CLAYTON TWIN

CONSEILLERS de la PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER

 

BUDDY GIROUX

GERALD GIROUX JUNIOR

 

RON SUNSHINE, PRÉSIDENT DES ÉLECTIONS

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. John Giroux, le demandeur, est membre de la Première nation de Swan River et a été réélu au conseil de bande par une majorité de trois voix le 11 mars 2005. D'autres membres de la Première nation de Swan River, à savoir Buddy Giroux et Gerald Giroux Junior, ont interjeté deux appels de ce résultat. Le comité d'appel en matière d’élections (le comité) de la Première nation de Swan River a accueilli les deux appels et a conclu que John Giroux avait fait des manoeuvres électorales frauduleuses et que des personnes qui n'avaient pas droit de vote avaient voté à l'élection de mars 2005. En conséquence, John Giroux a été destitué de son poste de conseiller de bande et une élection partielle à laquelle John Giroux a été déclaré inéligible devait être tenue. John Giroux demande en l’espèce le contrôle judiciaire de cette décision du comité.

 

OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[2]        Les défendeurs à la présente demande sont la Première nation de Swan River, quatre autres personnes élues au poste de conseiller de bande à l'élection de mars 2005, les deux personnes qui ont interjeté appel de l'élection de John Giroux et le président des élections. Une preuve de la signification, à tous les défendeurs, de l'avis de demande et du dossier de demande de John Giroux. Toutefois, aucun des défendeurs n'a déposé un avis de comparution, des éléments de preuve en réponse ou un dossier de demande.

 

[3]        Au début des plaidoiries, l'un des défendeurs désignés, le chef intérimaire M. Leon Chalifoux, a reçu l'autorisation de s'adresser à la Cour. Il a lu et présenté une déclaration écrite dans laquelle les anciens de la Première nation de Swan River indiquaient qu'ils appuyaient la décision du comité, que le conseil de bande et les membres sont, en vertu de leur code électoral coutumier, les seules entités dotées du pouvoir décisionnel, que la présente affaire n'est pas du ressort des tribunaux et qu'ils sont en faveur du règlement de ce différend au moyen de la création d'un nouvel organisme d'appel indépendant qui examinerait la décision de destituer John Giroux. L’extrait d'une lettre d'Affaires indiennes et du Nord Canada, en date du 26 août 2005, a été produit et confirme qu'un quorum du conseil de bande avait décidé de convoquer à nouveau le comité afin d’entendre l'appel de M. Giroux. Le comité devait être [traduction] « un organisme indépendant et anonyme [sic], composé de trois (3) personnes possédant des connaissances en matière électorale et juridique, et qui n’ont aucun lien avec la Première nation ou ses membres ».

 

[4]        M. Chalifoux et l'avocate de M. Giroux ont confirmé que, malgré cette décision du conseil de bande, aucun nouveau comité indépendant n'a été mis sur pied et qu’il n'y a pas eu d'élection partielle. Un siège au conseil de bande demeure donc vacant.

 

[5]        Comme je l'ai indiqué à M. Chalifoux, à l'avocate de M. John Giroux et aux membres de la Première nation de Swan River qui se sont présentés devant la Cour, je conviens que l’issue la plus souhaitable de la demande serait un règlement du litige, au sein même de la Première nation de Swan River, agréé par toutes les parties intéressées. Mais il reste qu'aucune solution n'a été trouvée au cours de la période d’environ un an qui s’est écoulée depuis l'élection.

 

[6]        M. Chalifoux a indiqué qu'il était convaincu qu'il serait possible d’en arriver à une solution dans les 30 jours. En conséquence, j'ai informé toutes les personnes présentes devant la Cour que j'entendrais les observations faites au nom de M. John Giroux et que je surseoirais au prononcé de ma décision jusqu'au 3 mars 2006 au moins. Si la question n'était pas réglée à cette date, la Cour rendrait sa décision. Les parties ont été invitées à faire de leur mieux pour régler le litige au sein de la collectivité avant la date fixée.

 

[7]        J'étais persuadée que je pouvais entendre les observations faites au nom de M. John Giroux en l'absence d’une contre‑preuve ou d'arguments en réponse parce que les défendeurs n'avaient pas envoyé d'avis de comparution (article 145 des Règles) et que j'étais convaincue qu'un avis d'audience avait été signifié aux défendeurs (article 38 des Règles).

 

[8]        Les parties ont informé la Cour qu'aucune solution n'a été trouvée. En conséquence, la présente décision est rendue, afin d'éviter tout autre retard. Pour les motifs exposés ci-après, j'ai décidé que la demande de contrôle judiciaire devait être accueillie et que la décision du comité sera annulée.

 

ÉLÉMENTS DE PREUVE PRODUITS PAR M. JOHN GIROUX

[9]        M. Giroux a produit trois affidavits dans lesquels il a affirmé sous serment les faits qui suivent.

 

[10]      La Première nation de Swan River regroupe six groupes familiaux principaux : les Giroux, Chalifoux, Courtoreille, David, Sowan (Sound) et Twin. Chaque famille élit un membre qui défend les intérêts de la famille au conseil de bande. Le 11 mars 2005, John Giroux a été élu conseiller de bande représentant la famille Giroux pour un mandat commençant en mars 2005 et se terminant en mars 2008. C'était son deuxième mandat au conseil de bande, puisqu'il avait été élu à l'élection précédente du 8 mars 2002. À l'élection de 2005, l'un des défendeurs, Buddy Giroux, s'est présenté sans succès contre John Giroux.

 

 

[11]      Les élections de la Première nation de Swan River sont régies par le règlement sur les élections coutumières (le Règlement), adopté le 12 mai 1993. Bien que rédigé en termes modernes, le Règlement visait à refléter les pratiques électorales coutumières de la bande. Sa rédaction a été précédée par un processus de consultation populaire, y compris des consultations avec les anciens de la Première nation de Swan River. Le Règlement a été modifié à deux reprises, en 1996 puis en 2002. Les modifications de 2002 ont été apportées à la lumière de l'arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que le fait de dénier aux membres des bandes indiennes résidant hors des réserves le droit de voter aux élections des bandes est incompatible avec l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne peut être justifié par l’application de l'article premier. Après les modifications du 5 février 2002, le Règlement autorisait notamment le vote par des membres résidant hors de la réserve.

 

[12]      En préparation pour l'élection de la Première nation de Swan River en 2005, vingt nouveaux électeurs potentiels appartenant aux différents groupes familaux ont présenté une demande d'appartenance à la bande. Ces demandes ont été examinées en 2004 par le comité d'appartenance, qui se compose d'un membre de chaque groupe familial. Voici sa composition en 2004 : Esther Giroux, Hugh Chalifoux, Ruby Sound, Darryl Davis, Wade Twin et Doris Courtoreille. Trois des vingt demandes d'appartenance provenaient de la famille Giroux : Peggy Lee-Ann Lafleur, Judy Boilly et Cara Laboucane. M. John Giroux affirme qu’en vertu du Code d'appartenance de la Première nation de Swan River (le Code), deux des demandes (Lafleur et Boilly) avaient un caractère « automatique », c'est-à-dire que leur appartenance n'était ni discrétionnaire, ni susceptible d'appel, tandis que l'appartenance à la bande de la troisième (Laboucane) avait été précédemment approuvée et que Laboucane avait bénéficié des avantages se rattachant à son statut, mais avait égaré ses pièces d'identité.

 

[13]      Le conseil de bande a approuvé les vingt demandes d'appartenance en décembre 2004. La liste des demandeurs approuvés n'a pas été affichée en raison d'une erreur du commis à l'appartenance, mais des résolutions ultérieures du conseil de bande approuvant l'appartenance de chaque demandeur ont été affichées. L'article 7.5 du Code prévoit qu'il est possible, dans un délai de 30 jours, d'interjeter appel de l'inclusion dans la bande de toute personne dont la demande a été approuvée. Aucun appel n'a été interjeté à l'égard de l'inclusion de trois nouveaux membres appartenant à la famille Giroux après l'affichage des résolutions du conseil de bande en décembre 2004, ni après que l'identité et les noms de ces trois demandeurs approuvés eurent paru dans la liste électorale affichée en février 2005.

 

[14]      Le conseil de bande a demandé et obtenu un avis juridique relativement à l’omission d'afficher la liste d'appartenance approuvée. Par voie d’une lettre datée du 3 février 2005, les avocats du conseil ont informé celui‑ci qu'il n'y avait aucune mesure à prendre pour corriger le problème parce que le Code d'appartenance n’exige pas expressément d'afficher la liste d'appartenance.

 

[15]      Comme il a été indiqué plus haut, John Giroux a remporté l'élection du 11 mars 2005 par une majorité de trois voix. Les défendeurs Buddy Giroux et Gerald Giroux Junior ont fait appel de ce résultat. Les appels des résultats des élections sont régis par le Règlement. Dans son appel, Gerald Giroux a accusé John Giroux d'avoir adopté le règlement électoral modifié en 2002 sans avoir mené les consultations qui s'imposaient. Buddy Giroux a axé son appel sur l’omission d'afficher les noms de Lafleur, Boilly et Laboucane, afin de permettre que leur inclusion dans la bande puisse être portée en appel.

 

[16]      John Giroux avait demandé d’autres précisions sur les accusations portées contre lui mais, avant l'audience, on lui a remis uniquement les avis d'appel de Buddy Giroux et de Gerald Giroux. Les avis ne précisaient pas les allégations qu'on entendait faire valoir contre John Giroux, mais ils citaient les articles du Règlement, du Code et de la Loi sur les Indiens, L.R. 1985, ch. I-5, sur lesquels chaque appelant comptait s'appuyer.

 

[17]      Avant l'audience, dans une lettre de son avocate, John Giroux a allégué sans fournir de précisions qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité, déclarant que [traduction] « certains membres du comité ont exprimé des vues et des opinions qui donnent naissance à une crainte raisonnable de partialité ». Malgré cette objection, aucun membre du comité n'a été déclaré inhabile à entendre l'appel.

 

[18]      À l'audience devant le comité, John Giroux a entendu Buddy Giroux et Gerald Giroux présenter leurs arguments contre lui. Chacun d’entre eux a exposé les motifs de son appel, a consulté des notes écrites et a fait comparaître des témoins. En réponse, John Giroux a présenté des documents relatifs à des poursuites judiciaires antérieures au cours desquelles il aurait été question de la validité des modifications apportées au Règlement en 2002. Il a aussi fait mention de l’avis juridique donné à la bande au sujet de l’omission d'afficher la liste des nouveaux membres.

 

[19]      L'appel a ensuite été ajourné pour permettre au comité de solliciter des avis juridiques, mais le comité n'en a reçu aucun. Le comité s'est réuni à nouveau le 24 mars 2005 et a informé John Giroux qu'il avait été déclaré coupable de manoeuvres électorales frauduleuses et qu'une élection partielle aurait lieu afin d'élire un autre représentant pour la famille Giroux. En vertu de l'article 17.3 du Règlement, John Giroux était inéligible à cette élection partielle, puisqu'elle avait été déclenchée à cause de sa destitution.

 

[20]      John Giroux a présenté une demande d'injonction interlocutoire à la Cour pour essayer de bloquer cette élection partielle. Le conseil de bande l'a alors informé que sa destitution serait réexaminée et qu'il réintégrerait son poste de conseiller. Dans une décision du 3 mai 2005, mon collègue le juge Pinard a rejeté la demande d'injonction interlocutoire qui était devenue sans objet, puisqu'une résolution du conseil de bande en date du 2 mai 2005 entendait annuler l'élection partielle. Mais cela n'a jamais été fait et, en juillet et en août 2005, plusieurs membres du conseil de bande ont essayé une fois encore d'organiser une élection partielle pour la famille Giroux.

 

[21]      Pour une raison ou une autre, aucune élection partielle n'a été déclenchée à ce jour.

 

DISPOSITIONS PERTINENTES DU CODE ET DU RÈGLEMENT

[22]      Le Code d'appartenance contient les dispositions suivantes :

[traduction]

5.1 Personnes ayant le droit de demander l'appartenance en vertu de la Loi sur les Indiens et ses modifications au 17 avril 1985 :

 

a) Les personnes suivantes ayant perdu leur appartenance et leur statut d’Indien avant le 17 avril 1985 ont droit à l'appartenance à la bande quand elles obtiennent le droit à l'inscription sous le régime de l'alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens :

(i)                   les femmes ayant épousé un non-Indien;

(ii)                 les personnes issues d'un mariage conclu après le 4 septembre 1951, âgées de vingt et un ans et dont la mère et la mère de leur père n'étaient pas des Indiennes inscrites;

(iii)                l'enfant illégitime d'une femme membre d'une bande indienne et dont le nom a été retranché de la liste d'appartenance à la bande par Affaires indiennes;

(iv)               les personnes qui ont été émancipées non volontairement.

b) Les personnes susmentionnées ont automatiquement le droit d'inscrire leur nom sur la liste d'appartenance à la bande de Swan River, tenue par la bande, sur présentation au conseil de bande d'une demande accompagnée d'une preuve écrite suffisante que leurs noms sont inscrits à nouveau au registre des Indiens, en vertu de l'alinéa 6(1)c).

c) L'appartenance accordée aux personnes ci-dessus n'est pas susceptible d'appel.

 

[...]

 

7.1    Toute demande d'appartenance à la bande doit être présentée par écrit au conseil de bande par le demandeur, ou le membre de la bande parent du demandeur mineur, avec toutes les pièces et les preuves nécessaires pour établir l'admissibilité du demandeur.

 

7.2    Le conseil de bande examine les demandes dans les quatre‑vingt‑dix (90) jours de leur réception.

 

7.3    Après avoir examiné les demandes des personnes admissibles en vertu des articles 4.1 et 5.1, et des alinéas 5.2a) et 5.2b), et avoir déterminé que toutes les preuves nécessaires ont été fournies, le conseil de bande inscrit leurs noms sur la liste d'appartenance. Cette décision n'est pas susceptible d'appel.

 

7.4    Le conseil de bande approuve ou rejette la demande, après avoir examiné les demandes des personnes admissibles en vertu de l'alinéa 5.2c) et des articles 5.3, 5.4 et 5.5, et avoir déterminé que :

 

a) le demandeur est dûment admissible à l'appartenance;

b) sa demande d'appartenance n’est pas préjudiciable aux intérêts de la bande;

c) le demandeur entend respecter les traditions et coutumes de la bande.

 

7.5    Si la demande est approuvée, le nom du demandeur est inscrit sur la liste de bande, à condition qu'aucun appel de la décision ne soit interjeté dans les trente (30) jours.

 

7.6    Si la demande est rejetée, le demandeur est avisé par écrit de la décision et de ses motifs dans les dix (10) jours.

 

8. Appels

 

8.1    Un membre de la bande ou le demandeur peut interjeter appel de la décision du conseil de bande d'approuver ou de rejeter une demande en vertu de l'article 7.4.

 

8.2    L'appel et les motifs d’appel doivent être présentés dans une lettre signée et adressée au conseil de bande dans les trente (30) jours de la décision du conseil.

 

8.3    Dans les six (6) mois suivant l'appel, le conseil de bande tient un vote d'appartenance pour déterminer s'il faut ajouter le nom du demandeur à la liste d'appartenance.

 

8.4    Le conseil de bande nomme un président des élections chargé d’organiser le vote d'appartenance, notamment l’affichage des avis, l’organisation des bureaux de scrutin et la préparation des bulletins de vote, la supervision du scrutin, le décompte des votes et l’affichage des résultats.

 

8.5    Un préavis de trente (30) jours du vote d'appartenance est donné aux électeurs. L'avis est affiché dans des lieux publics de la réserve et précise l'heure, le lieu et la date du vote d'appartenance à la bande. Une liste des électeurs admissibles y est jointe. La liste des personnes dont la demande a fait l'objet d'un appel, précisant si le conseil de bande a approuvé ou rejeté leur demande, est affiché avec l’avis.

 

8.6    Le vote d'appartenance est secret. Le bulletin de vote est ainsi libellé :

 

« Approuvez-vous l'admission des personnes suivantes à titre de membres de la bande indienne de Swan River? »

 

La question est suivie de la liste des noms des demandeurs, avec en regard de leur nom une case qui indique OUI ou NON.

 

8.7    Les noms des personnes agréées par la majorité des électeurs de la bande sont ajoutés à la liste d'appartenance à la bande.

 

Le Règlement contient les dispositions pertinentes suivantes :

 

[traduction]

 

7.2    Obligation de s'inscrire

 

Tout électeur non inscrit dans un groupe familial sur la liste électorale doit, au moins vingt et un (21) jours avant la date fixée pour l'élection des conseillers, informer le président des élections du groupe familial dans lequel il souhaite être inscrit. Le président des élections met à jour la liste électorale (en tenant compte des noms joints aux avis de nomination) dans les vingt-quatre (24) heures de la réception d'un tel avis.

 

7.3    Demande de modification de la liste électorale

 

Tout électeur qui s'oppose à l'inscription d'un électeur dans un groupe familial donné peut, au moins quinze (15) jours avant la date fixée pour l'élection ou l'élection partielle des conseillers, demander par écrit au président des élections de modifier la liste électorale.

 

[...]

 

12.1 Motifs d’appel de l’élection de conseillers

 

Dans les cinq (5) jours qui suivent la date de l’élection, y compris le jour même de l'élection, ou, si un conseiller a été élu par acclamation, dans les cinq (5) jours qui suivent la date de l'assemblée de mise en candidature, y compris le jour même de l'assemblée, tout électeur d’un groupe familial peut interjeter appel à l'égard des résultats de l'élection, de l'élection partielle ou du scrutin de ballottage d’un conseiller pour le groupe familial s'il a des motifs raisonnables et probables de croire :

 

a)         qu'une erreur a été commise dans l'interprétation ou l'application du Règlement, laquelle touche directement et de façon importante le déroulement et le résultat de l'élection, de l'élection partielle ou du scrutin de ballottage;

b)         qu'un candidat ne respectait pas les conditions d'éligibilité énoncées à l’article 6.5;

c)         qu'un candidat a encouragé ou facilité des manoeuvres électorales frauduleuses, notamment la corruption ou les menaces et l’intimidation à l’égard des candidats, des électeurs, du président des élections ou des secrétaires du scrutin;

d)         qu'une personne qui n'a pas le droit de vote a voté;

e)         qu'il existe une circonstance ou qu'il s'est produit un événement influant directement ou d'une façon importante sur le déroulement et le résultat de l'élection, de l'élection partielle ou du scrutin de ballottage.

 

  [...]

 

12.3 Avis d'appel

 

a)         L'appel est interjeté au moyen d'un avis écrit adressé au président des élections, indiquant les motifs d'appel et est accompagné d'un dépôt en espèces de cent dollars (100 $).

b)         L'avis d'appel doit être reçu par le président des élections dans les cinq (5) jours qui suivent la date de l'élection.

 

12.4 Le président des élections :

 

a)         si un appel est interjeté à l'égard d'une élection, d'une élection partielle ou d'un scrutin de ballottage de conseillers, transmet l'avis d'appel à tous les candidats appartenant au même groupe familial que l'appelant;

 

[...]

 

b)         dans l'un ou l'autre cas, affiche un avis d'appel dans des lieux publics de la réserve de Swan River et dans tout autre lieu indiqué par le conseil.

 

12.5 Comité d'appel des élections

 

a)         le comité d'appel des élections saisi de l’appel de l'élection, de l'élection partielle ou du scrutin de ballottage d'un conseiller est formé des membres du conseil, à l'exclusion de la personne faisant l'objet de l'appel.

 

[...]

 

12.6 Réunion du comité d'appel des élections

 

Sous réserve du paragraphe 12.7, dans les quatorze (14) jours qui suivent la date de la réception de l'avis d'appel, le président des élections convoque une réunion du comité d'appel pour qu'il entende l'appel. La réunion est présidée par le président des élections, qui n'a pas droit de vote.

 

12.7    Un avis de réunion est affiché de la même façon que l'avis d'appel et est signifié à l'appelant au moins trois (3) jours avant la date fixée pour la réunion.

 

12.8      À la réunion, l'appelant, la personne visée par l'appel et les autres parties intéressées ou leurs représentants peuvent présenter des observations orales ou écrites au comité.

 

12.9      Dans les cinq (5) jours suivant la réunion, le comité prend rapidement l'une des décisions suivantes :

 

a)    il rejette l'appel pour le motif que la preuve présentée n'établit pas pleinement et de façon satisfaisante les motifs essentiels de l’appel;

 

b)    il accueille les motifs d'appel, mais il maintient le résultat de l'élection en cause parce que l'infraction n'a pas directement ou d’une façon importante affecté le résultat de l'élection;

 

c)     il accueille l'appel et déclenche :

 

(i)    une nouvelle élection, une élection partielle ou un scrutin de ballottage;

 

(ii)   une nouvelle élection, une élection partielle ou un scrutin de ballottage pour les postes directement en cause;

 

(iii)  un scrutin de ballottage.


12.10      Le président des élections avise sans délai les personnes touchées par la décision.

 

[...]

 

 

18.1            Approbation par le conseil

 

Toute modification du Règlement doit recevoir l'approbation préalable d'un quorum du conseil.

 

 

18.2            Approbation des modifications par les électeurs

 

Une fois que les modifications ont été approuvées par un quorum du conseil, elles doivent recevoir la sanction d'une majorité des électeurs appartenant à au moins quatre (4) des groupes familiaux qui doivent signifier leur approbation au moyen d'une pétition. La pétition comprend une copie des modifications proposées, le nom des électeurs et celui de leur groupe familial, leur approbation ou désapprobation des modifications proposées, leur signature et la date de signature. Chacun des électeurs doit apposer sa signature en présence d’un témoin âgé d’au moins dix-huit (18) ans.

 

LA DÉCISION DU COMITÉ

1. L'appel interjeté par Gerald Giroux Junior

[23]      Il ressort des motifs du comité joints à la résolution du conseil de bande du 4 avril 2005 destituant M. Giroux que le comité a conclu que John Giroux ne s'était pas acquitté de ses responsabilités envers les membres de sa famille en ce qui concerne les modifications apportées au Règlement en 2002. Le comité renvoie à l'article 5 de l'annexe B du Règlement, en vertu duquel M. Giroux aurait été tenu de présenter les modifications, de les examiner et de consulter des membres de son groupe familial à ce sujet. Le comité a conclu que [traduction] « John semble avoir consulté uniquement quelques membres choisis de sa famille, à l'exclusion de Gerald qui appartient à la famille Giroux ».

 

[24]      En ce qui concerne les modifications de 2002, le comité a également conclu que John Giroux a fait circuler des pétitions en contravention de l'article 18.2 et de l'annexe B du Règlement. L'article 18.2 prévoit que la pétition doit comprendre une copie des modifications proposées, le nom des électeurs et celui de leur groupe familial, leur approbation ou désapprobation des modifications proposées, leur signature, la date ainsi que la signature d'un témoin. Le comité a constaté que la pétition que John Giroux a fait circuler ne contenait pas les noms de tous les électeurs admissibles de la famille Giroux et qu’on n’a pas donné la possibilité à Gerald d'approuver ou de rejeter les modifications proposées.

 

[25]      Le comité a relevé des divergences entre la résolution du conseil de bande 457-38-01-02 du 28 janvier 2002 (qui accompagnait la pétition) et le procès-verbal du 28 janvier 2002 de la réunion qui a sanctionné les modifications. Ces divergences seraient les suivantes :

            [traduction]

1)             Le procès-verbal du 28 janvier 2002 approuvant les modifications ne contenait pas la modification de l'article 8.7; par contre, la RCB signée par John et diffusée avec la pétition comportait cette modification de l'article 8.7. L'inclusion de cette modification de l’article 8.7 n’a pas été approuvée dans le procès-verbal de la réunion du 28 janvier 2002.

 

Le comité estime que cela invalide la modification de l'article 8.7 du règlement sur les élections coutumières de Swan River, lequel traite de l'admissibilité des bulletins de vote postaux.

 

2)             La deuxième divergence est que, selon le procès-verbal, la modification de l'article 9.1 devait être supprimée, alors que l'article 9.1 lui-même n'a pas été supprimé dans la RCB 457‑38-01-02 [distribuée] avec les modifications proposées, et qu'il ne figure nulle part dans le procès‑verbal de la réunion du 28 janvier approuvant la modification proposée dudit article.

 

3)             La RCB [distribuée] avec les modifications proposées et avec la clause de modification de la section 9.1 qui aurait été supprimée, contenait une clause supplémentaire qui était absente du procès‑verbal approuvé du 28 janvier 2002. Le comité a estimé que John a commis une fraude quand il a distribué la résolution du conseil de bande 457-38-01-02 avec la pétition, tout en sachant que cette résolution contenait d'autres clauses qui n'avaient pas été approuvées lors de la réunion du 28 janvier.

 

[26]      Le comité a donc [traduction] « conclu que John Giroux est coupable des manoeuvres électorales frauduleuses visées à l'alinéa 12.1c), c'est-à-dire qu'il a commis une fraude en distribuant des modifications non approuvées de la résolution du conseil de bande qui ont permis à des personnes non admissibles d'être inscrites sur la liste électorale et de voter ». Le comité a conclu en outre que M. Giroux a contrevenu à l’alinéa 12.1c) en ne permettant pas [traduction] « à tous les membres de la famille Giroux de participer au processus de modification ». Enfin, le comité a estimé que John a contrevenu à l'alinéa 12.1c) en [traduction] « faisant preuve de sélectivité dans la façon d'approuver l'appartenance et les modifications relativement à son groupe familial, et en laissant de nouveaux électeurs voter aux élections de 2002 et de 2005, tout en sachant qu'ils n'étaient pas admissibles ». Ainsi, l'alinéa 12.1d) du Règlement a été violé, c'est-à-dire que des personnes qui n'avaient pas le droit ont voté à l'élection de 2005.

 

2. Appel de Buddy Giroux

[27]      Cet appel concernait l’omission du comité d'appartenance ou du conseil de bande d’afficher les noms des personnes dont l’ajout était proposé à la liste d'appartenance. Dans une lettre datée du 23 mai 1997, Jerome Slavik, l'avocat qui a participé à la création du code d'appartenance à la bande, a écrit :

 

[traduction] La décision du conseil (concernant les demandes approuvées) doit être affichée

pendant une période de 30 jours. Tous les membres ou demandeurs peuvent interjeter appel de

cette décision. Si aucun appel n'est soumis par écrit dans les 30 jours, la décision du conseil

est maintenue.

 

[28]      Le comité a souligné qu'étant donné que les noms des personnes dont l’ajout à la liste de bande avait été approuvé n’avaient pas été affichés, Buddy Giroux et le reste de la famille Giroux n’ont pas eu la possibilité d'examiner les demandes approuvées, puisqu'ils ignoraient totalement que de nouveaux membres étaient ajoutés à la liste de bande. Si John Giroux avait suivi la procédure établie [traduction] « en affichant les demandes récemment approuvées » « comme Jerome les lui avait transmises », Buddy Giroux aurait eu la possibilité d'examiner les décisions du conseil. Il a été jugé que John avait été [traduction] « malhonnête » parce qu’il avait permis qu'une telle situation se produise.

 

[29]      Le comité a estimé que des électeurs inadmissibles ont voté à l'élection de 2005, puisque leurs noms ont été ajoutés à la liste de bande en violation des dispositions du code d'appartenance de Swan River, ce qui a influencé les résultats de l'élection de 2005. Le comité a conclu en outre que ces agissements constituaient des manoeuvres électorales frauduleuses de la part de John Giroux qui avait donc violé l'alinéa 12.1c) du Règlement.

 

3. Questions soulevées par John Giroux

[30]      Les questions en litige peuvent être formulées de la manière suivante :

 

1. Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions d'équité procédurale?

 

2. Le comité a-t-il contrevenu aux exigences de l'équité procédurale en ce qui a trait aux éléments suivants :

            a. en refusant de fournir des précisions à M. Giroux;

            b. en refusant l'ajournement qui lui avait été demandé;

c. en omettant de remédier à une crainte raisonnable de partialité;

d. en omettant de fournir des motifs suffisants pour sa décision.

 

3. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de fond du comité?

 

4. Le comité a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle :

a. en fondant sa décision sur des considérations non pertinentes, en l'absence d'éléments de preuve;

b. en tirant une conclusion déraisonnable et arbitraire.

 

ANALYSE DES QUESTIONS EN LITIGE

1. Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions d'équité procédurale?

[31]      Je conviens avec M. Giroux qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’impose qu’à l’égard de l'examen de la décision de fond du comité pour déterminer la norme de contrôle applicable. L’analyse de la question de savoir si les exigences de l’équité procédurale ont été remplies est une question de droit, qui doit être tranchée par la Cour. Voir sur ce point l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, aux paragraphes 100 à 103.

 

2. Le comité a-t-il contrevenu aux exigences de l'équité procédurale?

[32]      Le contenu de l’obligation d'équité n'est pas constant ou absolu, mais varie d'une situation à l'autre et doit être décidé en fonction des circonstances de chaque cas. Il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances pour établir ce qu’exige l'obligation d'équité procédurale dans un cas donné. Comme l'ont fait observer les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22, les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision, de sorte que les personnes visées par la décision puissent présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve afin qu'ils soient considérés par le décideur.

 

[33]      Pour établir ce qu'impose l'obligation équité, plusieurs facteurs doivent être pris en considération, notamment les suivants :

a) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

b) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit le décideur;

c) l'importance de la décision pour les personnes visées;

d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

e) les choix de procédure que le décideur fait lui-même.

Voir l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 23 à 27.

 

[34]      La Cour a déjà analysé ces facteurs dans le contexte de la procédure d'appel prescrite par le Règlement dans la décision Sound c. Première nation de Swan River, [2004] 1 R.C.F. 336. Dans cette décision, ma collègue la juge Heneghan a écrit aux paragraphes 47 à 52 :

47            Si je tiens compte de ces facteurs en l'espèce, j'arrive à la conclusion que le comité n'a pas respecté son obligation d'équité. Le demandeur n'était pas saisi des allégations précises de Robert Sound, ou de la preuve soumise par Robert Sound à l'appui de ces allégations. La lettre contenant l'avis d'appel ne donne qu'un bref aperçu des allégations. Selon moi, cette lettre ne donne pas assez de renseignements au sujet des prétendues irrégularités dans les pratiques électorales pour que le demandeur puisse connaître la nature exacte de la preuve à son encontre et des assertions qu'il doit réfuter.

 

48            Premièrement, la décision en cause est de nature réglementaire et contradictoire. L'objectif du processus d'appel et de la décision du comité est d'identifier une conduite irrégulière dans le cadre d'une élection et de punir les coupables en conséquence, en les privant de leur statut de personnes élues. Un autre objectif est d'assurer l'intégrité du processus électoral établi par la nation de Swan River. Au vu de la preuve qui lui est présentée, le comité doit décider, en vertu de l'alinéa 12.1c) du Règlement, si on peut pleinement et correctement démontrer que le demandeur était coupable de manoeuvres électorales frauduleuses.

 

49            Deuxièmement, le Règlement régit tous les aspects liés aux élections et au fait de détenir un poste électif au sein de la Première nation de Swan River. Le régime a pour but de refléter la coutume électorale de la Première nation de Swan River. Son adoption date de 1993, suite à un processus de consultation de la communauté. Le processus suivi en matière d'appels est celui d'une audition par le comité, comme l'exige le Règlement. Lors de cette audition, la personne qui fait appel, le candidat dont l'élection est sujette à l'appel, et toutes les autres parties intéressées peuvent présenter leurs arguments par écrit ou de vive voix au comité. Le fait de prévoir une audition par le comité indique déjà un certain degré de transparence et d'équité dans le processus.

 

50            Troisièmement, la décision soumise à l'examen en est une qui aura un impact significatif sur l'emploi du demandeur et sur sa stabilité financière. Le contre-interrogatoire de Leon Chalifoux indique que les conseillers de bande reçoivent un salaire mensuel et sont remboursés de leurs dépenses de voyage. Encore plus important peut-être, l'impact de cette décision est lourd de conséquences pour la réputation du demandeur dans sa communauté. De plus, le défendeur Robert Sound a aussi un intérêt important dans la décision du comité, puisqu'il semble croire aux allégations de manoeuvres électorales frauduleuses qu'il expose dans son avis d'appel et qu'il désire participer à une élection partielle pour le poste détenu par le demandeur pour le groupe familial Sound.

 

51            Quatrièmement, il ne ressort pas que le demandeur avait une attente légitime quant à l'utilisation par le comité d'une procédure donnée, sauf ce qui est exprimé expressément dans le Règlement. En tant que conseiller de bande à l'époque, le demandeur a siégé au comité qui a entendu l'appel de Dwain Davis. M. Davis en appelait de [traduction] « toute l'élection ». Selon moi, on ne peut se fonder sur le fait que le demandeur ne s'est pas opposé à la procédure suivie dans l'appel Davis pour conclure qu'il ne peut maintenant prétendre que les principes de justice naturelle n'ont pas été respectés lors de l'audition de l'appel de Robert Sound visant l'élection du demandeur.

 

52            Cinquièmement, en l'espèce la procédure choisie par le comité lui-même prévoyait que la personne faisant appel et le candidat dont l'élection était sujette à l'appel, ainsi que d'autres parties intéressées, comme les anciens et les membres de la famille de Robert Sound, devaient avoir l'occasion de présenter de vive voix leurs points de vue au comité, sans qu'on leur accorde l'occasion d'entendre le point de vue de la partie adverse. Aucune des parties n'a reçu de prétentions écrites avant l'audition. Le demandeur n'a reçu qu'un bref avis d'appel déposé par Robert Sound.

 

[35]      Je reprends à mon compte l'application que la juge Heneghan a faite des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker au Règlement et aux éléments de preuve dont j’ai été saisie. J’aimerais ajouter les trois observations suivantes. En premier lieu, en ce qui concerne la nature du régime législatif, le Règlement ne prévoit aucun mécanisme d'appel des décisions du comité, bien que ses décisions puissent être révisées par la Cour. En deuxième lieu, il faut garder à l'esprit, pour juger de l'importance de la décision, que les résultats d'une élection ont une incidence profonde non seulement sur un candidat, mais aussi sur les membres de la collectivité que le candidat doit représenter. En troisième lieu, comme dans la décision Sound, la preuve en l'espèce n’établit pas l’existence d’une attente légitime quant à la procédure, si ce n’est que cette procédure doit être conforme aux responsabilités énoncées par la Cour dans la décision Sound, où la juge Heneghan a écrit, au paragraphe 54 :

54            Selon moi, le comité aurait dû donner au demandeur l'occasion d'entendre, ou de recevoir par écrit, les allégations spécifiques avancées par le défendeur Robert Sound. Idéalement, il aurait fallu procéder ainsi avant l'audition, en accordant une période de temps raisonnable au demandeur pour qu'il prépare sa réponse aux allégations. De plus, le défendeur Robert Sound aurait dû alors obtenir copie des prétentions du demandeur, avant l'audition devant le comité. Toutefois, ceci aurait pu être fait à l'audition elle-même, en autorisant le demandeur à entendre les allégations et la preuve présentées par Robert Sound et en autorisant Robert Sound à faire de même pour la preuve du demandeur. N'ayant pas établi une procédure équitable, le comité a violé l'obligation d'équité qu'il avait envers le demandeur, ainsi qu'envers le défendeur Robert Sound.

 

[36]      Si nous examinons maintenant la conclusion à tirer après analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, la nature de la décision, le processus exigé par le Règlement, l'absence de tout droit d'appel et l'importance de la décision nous amènent à donner au contenu de l'obligation d’équité une interprétation large plutôt qu'étroite. Néanmoins, il faut aussi tenir compte des choix de procédure faits par le comité.

 

[37]      Cela étant, je vais maintenant examiner les points particuliers soulevés par M. Giroux.

 

a) Le comité était-il tenu, pour respecter l'obligation d'équité, de fournir avant l'audience des précisions sur les allégations avancées contre M. Giroux?

[38]      Comme la juge Heneghan l’a fait remarquer dans la décision Sound, l'idéal aurait été que M. Giroux soit mis au courant avant l'audience des allégations précises avancées contre lui. Si les précisions sont fournies à l'audience, il y a un risque que l'équité procédurale exige, une fois que les allégations des opposants à l'élection ont été entendues, que l'audience soit ajournée afin d'accorder à l'élu un délai raisonnable pour lui permettre de préparer une réponse. En l'espèce, toutefois, le comité a choisi de suivre une procédure qui consistait à fournir les précisions à l'audition de l'appel.

 

[39]      Vu les faits particuliers de l'espèce, je conclus que le choix de cette procédure par le comité n'a pas contrevenu aux exigences de l'équité procédurale, étant donné que le procès‑verbal de l'audience devant le comité établit que M. Giroux a pu répondre aux allégations en faisant référence à la décision Sound, et à une autre décision, sur la question de la validité des modifications apportées au Règlement en 2002. Il a été en mesure de produire des copies de la lettre d'avis juridique adressée à la bande sur la question de l’omission d’afficher la liste des demandes d'appartenance approuvées, de même que des résolutions du conseil de bande concernant l’acceptation des demandes d'appartenance des trois nouveaux membres de la famille Giroux. M. Giroux n'a pas sollicité d’ajournement après avoir entendu les allégations avancées contre lui; il n'a pas non plus présenté à la Cour des preuves montrant qu'il lui a été impossible de produire ou de faire valoir des faits, des éléments de preuve ou des arguments parce qu'il n'avait pas reçu avant l’audience des précisions sur les allégations avancées contre lui. Compte tenu de ces éléments de preuve, M. Giroux ne m'a pas convaincue qu’il ne disposait pas d’informations suffisantes pour répondre avec intelligence aux accusations portées contre lui.

 

[40]      Je conclus donc que les droits de participation de M. Giroux de présenter complètement ses éléments de preuve et ses arguments n'ont pas été violés parce que le comité n’a pas veillé à ce que les précisions soient fournies avant l'audience. Je souligne toutefois qu'il serait possible, dans une autre affaire, d'en arriver à une conclusion différente en fonction d'éléments de preuve différents. Je me fais l'écho de la juge Heneghan quand elle dit qu'idéalement, les précisions devraient être fournies avant toute audience devant le comité. Il serait facile d'y arriver, par exemple en exigeant des avis d'appel détaillés qui seraient fournis, avant l’audience, à la personne visée par l'appel.

 

b) L'obligation d'équité exigeait-elle que le comité ajourne l’audience à la demande de M. Giroux afin qu'il puisse obtenir des précisions?

[41]      Comme il est indiqué plus haut, M. Giroux n'a pas sollicité un ajournement après le début de l'audition de l'appel. Un ajournement a été demandé uniquement pour permettre à M. Giroux d'obtenir des précisions avant le début de l’audience. Pour les motifs donnés au sujet de la demande de précisions de M. Giroux, je conclus que l'équité procédurale n’exigeait pas que l’audience soit ajournée à cette fin.

 

(c) Existait-il une crainte raisonnable de partialité?

[42]      La Cour suprême du Canada a décrit le critère applicable en droit pour établir l'existence d’une crainte raisonnable de partialité dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » [Non souligné dans l'original.]

 

[43]      Le droit exige qu'une norme rigoureuse soit appliquée pour déterminer la partialité ou la crainte de partialité. Voir R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, à la page 532, et Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 76.

 

[44]      En l'espèce, la preuve établit qu’il n’a été que vaguement question devant le comité d’une crainte de partialité. Voici comment l'avocate de M. Giroux a exprimé cette crainte dans une lettre adressée au président des élections :

[traduction] De plus, notre client s’interroge sur la composition du comité d'appel et estime que certains de ses membres ont exprimé des avis et opinions de nature à engendrer une crainte raisonnable de partialité. C’est pourquoi notre client fera opposition, le lundi 21 mars 2005, à la composition du comité d’appel.

 

[45]      Voici la totalité de la preuve avancée dans cette procédure pour le compte de M. Giroux à l'appui de son allégation de partialité :

[traduction]

54.       En outre, en raison de mes rapports antérieurs avec plusieurs membres du comité d'appel, j'ai contesté la composition du comité, car j'estimais qu'il existait une crainte raisonnable de partialité de la part de certains des membres.

 

[...]

 

66.       Mon avocate m'informe que ma demande de contrôle judiciaire est fondée, ce que je crois aussi, pour les motifs suivants :

 

a)                Le comité d'appel des élections a contrevenu aux principes de la justice naturelle pour les raisons suivantes :

 

                   [...]

 

(ii)   il existait une a crainte raisonnable de partialité de la part de l'un des décideurs, puisque le défendeur Leon Chalifoux était encore membre du comité d'appel des élections, même s’il avait précédemment interjeté appel de mon élection.

 

[46]      Selon moi, cet élément de preuve est loin de satisfaire au critère minimal nécessaire pour établir la partialité. Même si M. Chalifoux avait interjeté appel d'une élection précédente de M. Giroux, je ne suis pas convaincue, en l'absence de preuve relative aux motifs d'un tel appel, qu'une personne renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que M. Chalifoux ne rendrait pas une décision juste sur les questions qui lui sont soumises.

 

[47]      Pour dire les choses plus simplement, il est impossible, compte tenu de la preuve dont je dispose, de déterminer avec certitude si une crainte raisonnable de partialité découlait de la présence de M. Chalifoux au comité.

 

d) Le comité a-t-il contrevenu à son obligation de fournir des motifs suffisants?

[48]      Le comité a en fait motivé sa décision. La question est de savoir si ces motifs sont suffisants.

 

[49]      Dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, la Cour d'appel fédérale a examiné l'obligation de fournir des motifs suffisants. Le juge Sexton, s'exprimant au nom de la Cour, a ainsi décrit cette obligation :

21            L'obligation de motiver une décision n'est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants. Ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce. Toutefois, en règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu'ils remplissent les fonctions pour lesquelles l'obligation de motiver a été imposée. Pour reprendre les termes utilisés par mon collègue le juge d'appel Evans [traduction] : « [t]oute tentative pour formuler une norme permettant d'établir le caractère suffisant auquel doit satisfaire un tribunal afin de s'acquitter de son obligation de motiver sa décision doit en fin de compte traduire les fins visées par l'obligation de motiver la décision ». [Note 7 ci-dessous]

 

22            On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion [Note 8 ci-dessous]. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. [Note 9 ci‑dessous] Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur [Note 10 ci‑dessous] et l'examen des facteurs pertinents [Note 11 ci‑dessous].                                                                                                                                                                                             [Renvois omis]

 

[50]      En l'espèce, les motifs joints à la résolution du conseil de bande destituant M. Giroux sont suffisants pour que celui-ci sache pourquoi il a été destitué et quels sont les éléments de preuve et les facteurs dont a tenu compte le comité pour prendre sa décision. Ils sont également suffisants pour permettre à la Cour de déterminer le bien-fondé ou le caractère raisonnable de la décision du comité. Je conclus donc que les motifs du comité étaient suffisants.

 

[51]      Ayant conclu que la preuve dont j’ai été saisie n’établit pas un manquement aux exigences de l'équité procédurale, je vais maintenant examiner le fond de la décision du comité. Mais il convient auparavant de déterminer le degré de retenue qui s’impose, en droit, à l’égard de cette décision, par l'application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

3. La norme de contrôle applicable à la décision de fond du comité

[52]      M. Giroux soutient que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte et il fonde sa conclusion sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle suivante :

 

1.   Existence d'une clause privative : la Loi sur les Indiens permet que les questions relatives aux élections soient régies par les règlements des bandes. Ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement de la Première nation de Swan River ne contiennent de clause privative.

 

2.   Expertise du tribunal : les questions de savoir si le Règlement a été correctement modifié et s'il est nécessaire d'afficher les demandes d'appartenance approuvées sont des questions de droit. Les tribunaux possèdent une plus grande expertise des questions de droit que le comité, qui n’a aucune expertise particulière en matière de pratiques électorales ou de tenue des audiences. Il y a donc lieu à un examen plus approfondi par la Cour.

 

3.   Objet de la Loi dans son ensemble et de la disposition en cause : l'intention de la Loi est d'assurer l'autonomie de groupes comme la Première nation de Swan River, ce qui suppose un examen moins approfondi par voie de révision. Toutefois, la décision ne tient pas compte de considérations « polycentriques », puisque les appels concernaient l'opposition bipolaire des parties au lieu d'un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties différentes. De plus, les tribunaux ont reconnu que l’objectif d'autoréglementation n'interdit pas à une cour de soumettre les procédures électorales d'une bande à un contrôle judiciaire.

 

4.   Nature du problème : les questions de savoir si le Règlement modifié est valide et si la loi oblige à afficher les demandes d'appartenance approuvées sont des questions de droit, qui nécessitent un examen approfondi par le tribunal saisi du contrôle.

 

[53]      Pour résumer, M. Giroux fait valoir que la majorité des éléments de l'analyse pragmatique et fonctionnelle commandent un examen approfondi par le tribunal saisi du contrôle et que la norme de contrôle applicable en l'espèce est donc celle de la décision correcte.

 

[54]      Je ne puis souscrire à une telle conclusion. Voici mon opinion quant aux différents éléments de l'analyse pragmatique et fonctionnelle :

 

1.         L'absence de toute clause interdisant ou accordant le droit d'interjeter appel des décisions du comité est un facteur neutre, qui ne commande ni la retenue ni un examen plus rigoureux.

 

2.         Les tribunaux possèdent une plus grande expertise en matière d’interprétation des lois et règlements, mais le comité a une bien meilleure connaissance des questions comme les coutumes de la bande (par exemple sur la question de savoir si les demandes d'appartenance ont été affichées dans le passé), ou des questions de fait, comme celle de savoir si la pétition de 2002 que M. Giroux aurait distribuée contenait les noms de tous les électeurs admissibles.

 

3.         Je reconnais que la Loi sur les Indiens et le Règlement visent à assurer l'autonomie de bandes comme la Première nation de Swan River, et que ce fait nous incite à faire preuve de retenue. Cependant, un examen plus rigoureux de la décision du comité est justifié dans la mesure où celui-ci statuait sur le droit de M. Giroux d'occuper sa charge.

 

4.         Je ne suis pas d'accord pour dire que le problème soumis au comité devrait être considéré comme une pure question de droit. L’analyse était beaucoup plus axée sur les faits : M. Giroux a‑t‑il commis des manoeuvres frauduleuses et des électeurs inadmissibles ont‑ils voté à l'élection? Une grande retenue s’impose à l’égard des conclusions de fait du comité. Par contre, dans la mesure où le comité a été obligé d'examiner ce qui constitue en droit une manoeuvre électorale frauduleuse en vertu du Règlement, le degré de retenue dont il y a lieu de faire preuve à l’égard de son interprétation juridique du Règlement est faible.

 

[55]      Pour résumer, je conclus qu'il convient d'examiner l'interprétation juridique qu’a faite le comité du Règlement selon la norme de la décision correcte et ses conclusions de fait selon la norme commandant le degré le plus élevé de retenue, soit celle de la décision manifestement déraisonnable. Pour les questions mixtes de fait et de droit, il faut appliquer la norme intermédiaire de la décision raisonnable simpliciter.

 

4. Le comité a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire quand il a pris sa décision?

[56]      On peut résumer la décision du comité de la manière suivante :

 

            1.         M. Giroux était coupable de manoeuvres électorales frauduleuses pour les raisons suivantes :

                        (i)         lorsque les modifications au Règlement ont été proposées en 2002, M. Giroux :

                               -a contrevenu à son obligation, en vertu de l'article 5 de l'annexe B du Règlement, de consulter tous les membres de son groupe familial;

                           -a contrevenu au Règlement parce que les électeurs admissibles appartenant à la famille Giroux n'étaient pas tous inscrits sur la pétition qui a été distribuée en 2002, de sorte que cette pétition n'était pas conforme à l'article 18.2 du Règlement;

                             -a fait preuve de malhonnêteté parce qu'il a fait circuler, avec la pétition, une résolution du conseil de bande qui n'était pas conforme au procès-verbal de la réunion du conseil de bande à laquelle la résolution a été adoptée;

 

(ii)        il a permis à de nouveaux électeurs de voter aux élections de 2002 et de 2005 alors qu’il savait qu’ils n’avaient pas le droit de vote;

 

(iii)        il savait que la décision du conseil de bande approuvant de nouveaux membres doit être affichée pendant 30 jours; l’omission de se conformer à l'obligation d'afficher la liste des membres approuvés constituait une manoeuvre électorale frauduleuse;

 

(iv)       il a nié à Buddy Giroux, à l'ensemble de la famille Giroux et aux membres de la bande le droit véritable d'interjeter appel de la décision parce qu’il n’a pas affiché la liste des membres approuvés;

 

2.         M. Giroux a permis à des personnes qui n'avaient pas le droit de vote de voter à l'élection de 2005.

 

[57]      À mon humble avis, le comité a commis une erreur de droit en tenant compte dans sa décision de questions non pertinentes, dans la mesure où il s'est fondé sur l'inconduite alléguée de M. Giroux concernant le processus qui a mené à la modification du Règlement en 2002.

 

[58]      Interprété correctement, l'article 12.1 du Règlement doit viser une conduite qui touche directement ou d'une façon importante le déroulement et le résultat de l'élection en cause. Je fonde ma conclusion sur le sens ordinaire des mots employés à l'article 12.1, notamment à l'alinéa 12.1e) qui se rapporte à [traduction] « une circonstance ou un événement influant directement ou d'une façon importante sur le déroulement et le résultat de l'élection » et aussi, comme je l'explique ci-après, parce que toute autre interprétation entraînerait un résultat absurde.

 

[59]      Je reconnais que les modifications apportées au Règlement en 2002 ont élargi l'électorat et, en ce sens, auraient des répercussions sur toutes les élections à venir. Mais même en supposant, sans trancher la question, que M. Giroux a commis des actes irréguliers qui ont entraîné la modification du Règlement en 2002, ces irrégularités étaient, en 2005, trop éloignées dans le temps pour être assimilables à une manoeuvre électorale frauduleuse. Toute autre conclusion entraînerait un résultat absurde, à savoir que M. Giroux ne pourrait jamais remporter une élection sans être frappé de disqualification pour avoir encouragé ou facilité des manoeuvres électorales frauduleuses en conséquence de ses activités en 2002.

 

[60]      Il aurait fallu soulever les questions concernant la validité des modifications de 2002 à cette époque. Depuis, deux élections ont eu lieu en conformité avec le Règlement modifié; une contestation judiciaire de la validité des modifications de 1996 et de 2002 a été rejetée sur consentement; aucun appel n'a été interjeté (en application de l'article 8.1 du Code) concernant l'approbation de l'appartenance de toute personne qui, de l'avis des appelants, n'avait pas le droit de voter en 2005; après que la liste électorale pour l'élection de 2005 a été close, nul n'a interjeté appel de l’inscription d'un des nouveaux électeurs dans un groupe familial (comme l'autorise l'article 7.3 du Règlement).

 

[61]      Bien que tous les éléments dont il a été question ci‑dessus suffisent pour conclure que le comité n'avait pas le droit d’examiner la conduite alléguée de M. Giroux en ce qui a trait à la modification du Règlement en 2002, je souligne que les obligations auxquelles renvoie le comité se trouvent au paragraphe 5 de l'annexe B du Règlement et incombent au chef et aux conseillers dans leur ensemble. L'annexe B prévoit, au paragraphe 5, que les pouvoirs dont sont investis les chef et les conseillers sont notamment les suivants :

                        [traduction]

5.             Formuler, examiner et approuver les modifications du Code d'appartenance, du règlement sur les élections coutumières, des règlements administratifs, de la législation ou des autres lois ou politiques de la Première nation, et consulter les membres à l'égard de toute modification de cette nature.

 

[62]      Le comité n'a pas expliqué comment il en était arrivé à la conclusion que ces obligations incombaient uniquement à M. Giroux. Même à supposer que le chef et les conseillers aient délégué à M. Giroux des responsabilités relativement aux membres de sa famille, le comité n'a pas expliqué pourquoi une irrégularité dans la modification du Règlement n'a pas entaché la validité de l'élection de 2002, ni l’élection des quatre autres conseillers de bande en 2005. Ces quatre conseillers composaient le comité qui a examiné les appels.

 

[63]      Je vais maintenant analyser la décision du comité voulant que M. Giroux ait commis une manoeuvre électorale frauduleuse en ajoutant en 2005 trois électeurs à la liste électorale, à titre de membres de la famille Giroux, et que trois personnes inadmissibles aient voté à l'élection.

 

[64]      Le Code prévoit que les demandes d'appartenance doivent être présentées par écrit au conseil de bande (article 7.1), qui est l'entité responsable de l'examen et de l'approbation ou du rejet des demandes (articles 7.2, 7.3 et 7.4). Comme il est indiqué plus haut, il est important que M. Giroux, à la date pertinente, n'ait pas été membre du comité d'appartenance, dans la mesure où ce comité peut faire des recommandations au conseil de bande. Il est donc révélateur que le comité n’ait pas examiné les faits et les points pertinents suivants dans ses motifs :

 

1.         Étant donné qu'il appartient au conseil de bande de se prononcer sur les demandes d'appartenance, apparemment sur la recommandation du comité d'appartenance, comment a‑t‑on pu attribuer à M. Giroux la responsabilité personnelle d'afficher la liste des demandes approuvées, de sorte que l'omission d'afficher cette liste constituait de sa part une manoeuvre électorale frauduleuse?

 

2.         Le code ne prévoit aucune obligation d'afficher la liste des nouveaux membres approuvés.

 

3.         La Première nation de Swan River avait l'habitude d'afficher les noms des nouveaux membres pendant 30 jours (concurremment avec la période d'appel), mais elle a reçu de son avocat un avis juridique par écrit, en date du 3 février 2005, l'informant que l'octroi de l'appartenance à vingt nouveaux membres avant l'élection était valide, et que les nouveaux membres avaient droit à tous les avantages qui se rattachent à l'appartenance à la bande.

 

4.         Les renseignements concernant les nouveaux membres ont été affichés environ 45 jours après que le conseil eut approuvé les demandes le 6 décembre 2004. Les résolutions du conseil de bande approuvant ces demandes ont été affichées aux environs de la première semaine de janvier 2005. Aucun appel n'a été interjeté à l'égard de l'un de ces nouveaux membres.

 

5.         Aucune demande de modification de la liste électorale n’a été présentée au président des élections.

 

6.         Vingt nouveaux membres ont été ajoutés à la bande, dont trois seulement pour la famille Giroux, contre 17 pour les autres groupes familiaux. Si l'omission d'afficher la liste des nouveaux membres a vicié leur appartenance, pourquoi n'a-t-on pas invalidé l'élection des autres conseillers de bande parce que des personnes n’ayant pas le droit de vote ont voté à l'élection?

 

[65]      À mon humble avis, il s’agit d’éléments importants et pertinents que le comité était tenu d’examiner pour prendre sa décision. Lorsqu’un décideur omet de mentionner, dans ses motifs, des éléments de preuve dont il a été saisi et qui sont pertinents à sa décision mais qui mènent à une conclusion différente de la sienne, le tribunal saisi du contrôle peut conclure que le décideur a pris sa décision sans tenir compte de la preuve dont il disposait. En l'espèce, les éléments signalés ci‑dessus étaient d'une importance telle que le comité aurait dû les aborder dans ses motifs. Comme il ne l’a pas fait, je conclus que la décision du comité sur les effets de l'ajout de trois nouveaux membres à la bande en 2005 a été prise sans tenir compte de la preuve dont disposait le comité. Une telle erreur nécessite l’intervention de la Cour, même eu égard à la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue.

 

[66]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du comité est annulée.

 

[67]      M. Giroux sollicite en outre une ordonnance qui valide son élection, une ordonnance portant que sa rémunération doit lui être versée rétroactivement au 11 mars 2005 et une ordonnance enjoignant au comité de publier un avis indiquant qu'il a été dûment élu et n’est pas coupable de manoeuvres électorales frauduleuses, avec les dépens.

 

[68]      À mon avis, il n'appartient pas à la Cour de déterminer la validité de l'élection de M. Giroux, surtout à la lumière de la preuve dont elle disposait; il conviendrait plutôt que cette décision soit prise au sein de la Première nation par un comité d'appel des élections composé de membres différents.

 

[69]      Je ne vois aucune raison qui fasse obstacle à ce que des dépens soient versés à M. Giroux. En droit, les dépens sont en général adjugés à la partie qui obtient gain de cause. Je statue donc que M. Giroux a droit à ses dépens, qui sont payables par la Première nation de Swan River. Je fixe les dépens à 3 500 $, au titre des frais, débours et TPS. J'ai établi le montant de ces dépens en fonction d'une taxation faite conformément à la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/2004-283.

 

ORDONNANCE

 

[70]      EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du comité d'appel des élections portant que M. Giroux était coupable de manoeuvres électorales frauduleuses à l'élection de 2005 est annulée.

 

2.         L'affaire est renvoyée pour un nouvel examen, en conformité avec les présents motifs, à un comité d'appel des élections composé de membres différents de la Première nation de Swan River. Ce comité doit être un organisme indépendant composé de trois personnes possédant des connaissances en matière électorale et juridique, conformément à la décision du conseil de bande telle qu'elle ressort de l'extrait de la lettre d'Affaires indiennes et du Nord canadien que les défendeurs ont produite devant la Cour comme pièce B et la déclaration des anciens produite comme pièce A.

 

3.       La Première nation de Swan River doit payer sans délai à John Giroux les dépens de la présente demande. Les dépens sont fixés à 3 500 $, au titre des frais, débours et TPS.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-719-05

 

INTITULÉ :                                                   JOHN GIROUX

 

                                                                        et

 

                                                            PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER (ALBERTA) et al.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 31 JANVIER 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE               

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 MARS 2006

 

COMPARUTIONS :

 

CHANTELL M. GHOSH                                POUR LE DEMANDEUR

 

PERSONNE N'A COMPARU                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MILLER THOMSON LLP                        POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS

EDMONTON (ALBERTA)

 

PERSONNE N'A COMPARU                       POUR LES DÉFENDEURS

 

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