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Date : 20060517

Dossier : T-1294-05

Référence : 2006 CF 610

Ottawa (Ontario), le 1mai 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

THOMAS MOAR

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Moar, qui a servi dans les Forces armées du Canada de 1961 à 1988, est atteint d’asthme. Il affirme que son état a été causé ou aggravé par deux événements précis qui se sont produits pendant son service militaire :

 

  • Au mois de mars 1965, M. Moar a accidentellement été éclaboussé de carburant JP4; le carburant est entré en contact avec le haut de son corps, et notamment avec ses yeux, ses oreilles, ses narines et sa bouche.

 

  • En 1972, M. Moar a passé un mois à s’occuper de l’avitaillement de torpilles Mark 46 à l’aide de carburant Otto II (le carburant Otto), un liquide toxique qui produit des vapeurs toxiques.

 

[2]        Le 8 mars 2004, le ministre responsable des Anciens combattants a rejeté la demande que M. Moar avait présentée le 15 septembre 2003 en vue d’obtenir une pension d’invalidité. Cette décision a été confirmée par un tribunal de révision (le Tribunal de révision), le 25 juin 2004, et encore une fois dans le cadre d’un appel entendu par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal ou TACRA) le 2 juin 2005. En rejetant l’appel interjeté par M. Moar, le Tribunal a conclu que [traduction] « la preuve médicale, tout en étant dans une certaine mesure vraisemblable ou possible, n’est pas étayée par les antécédents médicaux de l’appelant ».

 

Points litigieux

[3]        En l’espèce, il s’agit principalement de savoir si, en rejetant l’appel, le Tribunal a commis une erreur en concluant que les avis de deux experts en médecine n’étaient pas crédibles. Le défendeur reconnaît que, si la conclusion tirée par le Tribunal sur ce point n’est pas soutenable sur examen de la présente cour, la demande devrait être accueillie. M. Moar soulève également la question de savoir si, même en l’absence des avis médicaux, le Tribunal a commis une erreur en rejetant sa demande.

 

Contexte législatif

[4]        La principale disposition législative régissant la demande de M. Moar figure à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P‑6, qui énonce les conditions en vue de l’octroi d’une pension d’invalidité pour le service militaire en temps de paix; cette disposition est rédigée comme suit :

(a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l'annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d'invalidité causée par une blessure ou maladie -- ou son aggravation -- consécutive ou rattachée directement au service militaire;

[Non souligné dans l’original.]

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I; [emphasis added]

 

[5]        L’appel de M. Moar, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, a été interjeté en vertu de l’article 25 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi sur le TACRA). Deux autres dispositions ont également une importance particulière dans la présente instance, à savoir l’article 3, qui exige une interprétation large de la loi (l’article 2 de la Loi sur les pensions renferme une disposition similaire) et l’article 39, qui donne des directives au Tribunal au sujet de la façon d’examiner et de soupeser la preuve et d’arriver à une décision :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

 

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

(a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

(b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

 

 

(c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

Analyse

  1. Approche applicable à l’appréciation de la décision rendue par le Tribunal

[6]        En se prononçant sur une « invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – consécutive ou rattachée directement au service militaire » et par conséquent sur le droit à la pension, le Tribunal doit en fait examiner trois questions (Elliot c. Canada (Procureur général) (2003), 307 N.R. 344, 2003 CAF 298) :

 

a)      Existe‑t‑il une invalidité?

b)      La cause de cette invalidité peut‑elle être décelée?

c)      L’invalidité découlait-elle du service militaire?

 

[7]        La première question n’est pas contestée; le Tribunal a reconnu que M. Moar était atteint d’asthme – une invalidité. Eu égard aux faits de l’affaire, les deuxième et troisième questions se chevauchent. En effet, si l’invalidité dont est atteint M. Moar a été causée par les expositions au carburant, il s’ensuit que l’invalidité était consécutive à son service militaire. En réponse à la deuxième question, le Tribunal a examiné la preuve médicale présentée par M. Moar et il a conclu que cet élément de preuve n’était pas crédible. En d’autres termes, le Tribunal n’était pas convaincu que l’exposition au carburant pour jet et au carburant pour torpilles ait causé l’invalidité.

 

  1. La norme de contrôle

[8]        La question de savoir ce qui a causé l’invalidité de M. Moar est une question de fait à l’égard de laquelle il a toujours été statué que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (McTague c. Canada (Procureur général), [2000] 1 C.F. 647, [1999] A.C.F. no 1559 (QL) paragraphe 46 (1re inst.); Comeau c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1091, [2004] A.C.F. no 1323 (QL) paragraphe 51; Bradley c. Canada (Procureur général), 2004 CF 996, [2004] A.C.F. no 1211 (QL) paragraphes 16 et 19; et Nisbet c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1106, [2004] A.C.F. no 1340 (QL) paragraphes 8 à 13). En d’autres termes, le Tribunal commet uniquement une erreur s’il a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose (Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58, [1998] A.C.F. no 890 (QL) paragraphe 18 (1re inst.), conf. par [1999] A.C.F. no 1800 (C.A.F.)).

 

[9]        La Cour suprême du Canada a décrit la décision manifestement déraisonnable comme étant une décision « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 52).

 

  1. La charge de la preuve

[10]      Comme il en a ci‑dessus été fait mention, le législateur, en édictant l’article 3 et l’article 39 de la Loi sur le TACRA, a exprimé l’intention que le Tribunal accepte et examine la preuve d’une façon qui ne répond peut‑être pas aux exigences d’un procès judiciaire. Conformément aux lignes directrices prévoyant une interprétation large et téléologique figurant au paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions ainsi qu’aux articles 3 et 39 de la Loi sur le TACRA, le Tribunal a l’obligation d’apprécier la demande et la preuve présentées par M. Moar et d’en tenir compte de la façon la plus favorable possible, en se demandant si M. Moar a prouvé sa demande selon la prépondérance des probabilités (Hunt c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1998), 145 F.T.R. 96, [1998] A.C.F. no 377 (QL), paragraphe 9 (1re inst.); Schut c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1323, [2003] A.C.F. no 1672 (QL), paragraphes 23 et 26; Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133, [2001] A.C.F. no 52 (QL), paragraphe 22 (1re inst.). Toutefois, cela n’annule pas la charge qui incombait à M. Moar de prouver sa cause selon la prépondérance des probabilités; il lui est peut‑être tout simplement plus facile de satisfaire à cette exigence préliminaire.

 

  1. Avis médicaux

[11]      M. Moar s’est principalement fondé sur les avis médicaux du docteur Peyton, un médecin de famille qui a soumis un avis, et du docteur Sproule, un spécialiste en la matière, qui a soumis trois avis. Le Tribunal a examiné chacun de ces avis.

 

    1. L’avis du docteur Peyton

[12]      Après avoir examiné l’historique des symptômes respiratoires manifestés par M. Moar, le docteur Peyton a conclu ce qui suit :

[traduction] Par conséquent, je suis encore d’avis que, lorsqu’il travaillait avec du « carburant Otto », M. Thomas Moar a été placé dans une situation qui risquait d’avoir des effets nocifs sur sa fonction pulmonaire, et ce, immédiatement et à long terme; je m’attends donc à ce que la demande qu’il a présentée soit sérieusement prise en considération.

 

[13]      Le Tribunal a rejeté l’avis du docteur Peyton, en disant ce qui suit :

[traduction]  Dans [son] rapport, le docteur Peyton fait mention des symptômes respiratoires manifestés par l’appelant depuis environ 1972. Toutefois, la preuve confirme qu’au cours des années 1960, l’appelant était atteint de bronchite. Le docteur Peyton fait mention de l’exposition au carburant Otto en 1972 et il déclare que les symptômes respiratoires de l’appelant ont initialement commencé à la suite de cette exposition, mais il n’existe aucune preuve médicale documentée établissant un rapport entre cette exposition et l’aggravation de l’état de santé de l’appelant.

                                                                           

Le Tribunal prend en considération les effets possibles du carburant Otto, mais il n’existe aucune preuve médicale documentée montrant qu’un mois d’exposition a causé ou aggravé le présumé état de l’appelant puisqu’il n’existe aucun élément de preuve crédible d’exposition chronique. Dans l’ensemble, le Tribunal n’estime pas crédible l’avis exprimé par le docteur Peyton, étant donné que cet avis n’est pas fondé sur les faits de l’affaire.

 

[14]      M. Moar affirme que cette conclusion est [traduction] « irrationnelle » et qu’elle est donc manifestement déraisonnable. En particulier, M. Moar signale le manuel technique intitulé « Otto Fuel II Safety, Storage and Handling Instructions » (Instructions concernant la sécurité, l’entreposage et la manipulation du carburant Otto II), en date du 15 décembre 1980. Dans la section 3‑14 du manuel, il est déclaré que l’inhalation de vapeurs de carburant Otto peut causer des effets nocifs. Dans la section 3‑15, il est dit que [traduction] « les effets chroniques de l’exposition de longue durée au carburant Otto II […] ne sont pas connus ». M. Moar soutient que, compte tenu de cet élément de preuve, le Tribunal a commis une erreur en disant qu’il n’y avait pas de preuve médicale documentée établissant un rapport entre l’exposition au carburant pour torpilles et son état de santé qui permette de conclure que l’avis exprimé par le docteur Peyton n’est pas crédible. M. Moar affirme que l’avis du docteur Peyton constituait la preuve médicale documentée même qui établit ce lien.

 

[15]      Je ne suis pas convaincue que le Tribunal ait commis une erreur en rejetant l’avis du docteur Peyton. Le dossier de la preuve ne contient aucune publication médicale établissant que l’exposition au carburant JP4 ou au carburant Otto pourrait causer de l’asthme. Au mieux, le manuel indiquait, en ce qui concerne le carburant Otto, certains effets aigus sur la respiration par suite du contact avec le carburant ou de l’inhalation du carburant et il était mentionné que les effets chroniques de [traduction] « l’exposition de longue durée » ne sont pas connus. Cela est bien loin de permettre de conclure que le carburant Otto aurait pu causer ou aggraver le problème de santé de M. Moar.

 

[16]      En outre, le Tribunal a noté l’absence de preuve documentée indiquant que M. Moar avait longtemps été exposé au carburant Otto. Le Tribunal a isolé ce facteur en tant que facteur important parce que le manuel donnait à entendre que l’inhalation et l’exposition de longue durée pouvaient avoir des effets nocifs (en fait, le manuel est ambigu sur ce point, puisqu’il est déclaré que les effets à long terme de l’exposition chronique [traduction] « ne sont pas connus ». Selon la preuve qu’il a présentée, M. Moar a été exposé aux vapeurs du carburant Otto pendant un mois. Par conséquent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur en disant qu’il n’existait aucune preuve d’exposition chronique au carburant, et la connaissance des faits du docteur Peyton ne va pas à l’encontre de cette conclusion. De fait, le docteur Peyton ne parle jamais de la question de savoir si l’exposition peut être considérée comme [traduction] « chronique ».

 

[17]      Enfin, le Tribunal a souligné avec raison que l’avis exprimé par le docteur Peyton [traduction] « n’était pas fondé sur les faits de l’affaire ». Plus précisément, le docteur Peyton n’a pas mentionné un certain nombre de faits pertinents, notamment en ce qui concerne :

 

  • les symptômes respiratoires ou la bronchite dont le demandeur était atteint avant 1972;
  • le fait que le demandeur a été éclaboussé de carburant pour jet en 1965 ou en 1966;
  • le dossier médical concernant les troubles respiratoires éprouvés par M. Moar de 1972 à 1974;
  • les tests positifs d’immunologie subis par le demandeur pendant son service; et
  • l’intervalle de treize à quinze ans qui s’est écoulé entre le moment où le demandeur s’est retiré du service et le diagnostic d’asthme.

 

[18]      En somme, sur ce point, la conclusion du Tribunal selon laquelle l’avis exprimé par le docteur Peyton n’était pas [traduction] « crédible » est amplement étayée par la preuve.

 

    1. Les avis du docteur Sproule

[19]      Le docteur Sproule a remis trois avis à M. Moar. Dans un addenda accompagnant le premier avis, en date du 27 octobre 2004, le docteur Sproule a conclu ce qui suit :

[traduction] [À] mon avis, il est impossible d’établir un rapport convaincant entre son état de santé actuel, l’hyperréactivité légère des bronches qu’il présente depuis un certain temps, et le fait qu’il a été exposé, il y a bien longtemps, aux vapeurs du carburant pour aéronefs.

 

[20]      Dans son deuxième avis, en date du 13 décembre 2004, le docteur Sproule a dit ce qui suit :

[traduction] [I]l est possible que l’exposition à divers allergènes inhalés et vapeurs provenant de divers types de carburant pour aéronefs contribue à l’apparition d’une hyperréactivité des bronches.

 

Toutefois, en exprimant son avis, le docteur Sproule n’a établi aucun lien entre cette possibilité et l’[traduction] « hyperréactivité légère des bronches » manifestée par M. Moar.

 

[21]      Le dernier avis est daté du 8 mars 2005. Voici ce que le docteur Sproule a dit :

[traduction] J’ai exprimé l’avis selon lequel ce problème n’était probablement pas attribuable à son exposition passée aux vapeurs du carburant pour aéronefs.

 

Toutefois, j’ai examiné le cas et j’ai évalué les possibilités et probabilités, et je crois qu’il est vraisemblable que le fait qu’il a été exposé, il y a bien longtemps, aux vapeurs du carburant pour aéronefs aurait pu déclencher en partie l’hyperréactivité continue des bronches qu’il a continué à manifester. À mon avis, il est impossible de quantifier l’importance de ce facteur, mais il s’agit de fait d’un facteur contributif possible.

 

[22]      Le Tribunal a examiné les trois avis et il a conclu ce qui suit :

[traduction] Dans l’ensemble, le Tribunal conclut que le docteur Sproule n’est pas convaincu de l’existence d’un rapport entre l’exposition au carburant pour aéronefs ou au carburant Otto et l’asthme, et son avis n’est pas convaincant, compte tenu du nombre d’avis qu’il a donnés. En outre, il n’a pas pris en considération tous les facteurs qui influeraient sur l’évolution de la maladie.

 

[23]      Le Tribunal est tenu d’invoquer des motifs solides pour justifier son rejet d’un avis médical (Jones c. Canada (Procureur général), 2005 CF 620, [2005] A.C.F. no 767 (QL), paragraphe 18); or, M. Moar affirme que le Tribunal a omis de le faire en l’espèce. M. Moar fait d’abord valoir que le Tribunal a commis une erreur en n’indiquant pas les facteurs dont le docteur Sproule n’a pas tenu compte. Je ne suis pas d’accord. En déterminant si le Tribunal a invoqué des motifs solides pour justifier son rejet de l’avis du docteur Sproule, il faut lire la décision en entier et non simplement le seul paragraphe sur lequel M. Moar se fonde en invoquant cet argument. Dans de nombreuses sections de sa décision, le Tribunal a minutieusement énoncé les facteurs qui auraient pu influer sur l’état de santé de M. Moar. La personne qui lit les avis exprimés par le docteur Sproule et la décision au complet se rend bien compte des facteurs dont ce spécialiste n’a pas tenu compte. L’omission du Tribunal d’énoncer les facteurs dans ce paragraphe particulier ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

 

[24]      M. Moar affirme également que le Tribunal a mal compris l’avis exprimé par le docteur Sproule en disant qu’il [traduction] « n’[était] pas convaincu de l’existence d’un rapport entre l’exposition au carburant pour aéronefs ou au carburant Otto et l’asthme ». De l’avis de M. Moar, le docteur Sproule a clairement déclaré que, selon lui, il existait un rapport entre les deux.

 

[25]      À mon avis, le Tribunal n’a pas mal compris les avis exprimés par le docteur Sproule. Les mots employés par le docteur Sproule, au dernier paragraphe de son dernier avis, sont fort vagues. Sur ce point, l’avis du docteur Sproule est fondamentalement différent de celui que la Cour a examiné dans la décision Jones, précitée, où l’on affirmait « catégoriquement que les troubles psychiatriques de M. Jones étaient entièrement et directement liés à son service militaire ». En outre, le docteur Sproule déclare de nouveau qu’à son avis, l’état de M. Moar [traduction] « n’était probablement pas attribuable à son exposition passée aux vapeurs du carburant pour aéronefs ». Je n’interprète pas le dernier paragraphe de l’avis exprimé par le docteur Sproule comme modifiant cette conclusion; il indique plutôt simplement la possibilité d’un lien entre l’état asthmatique de M. Moar et son exposition au carburant Otto. L’avis n’était pas concluant et il était loisible au Tribunal de lui donner une interprétation différente de celle que M. Moar lui donnait. La Cour doit faire preuve d’énormément de retenue à l’égard de l’expertise du Tribunal lorsqu’il pondère des données médicales non concluantes (Powell c. Canada (Procureur général), 2005 CF 433, [2005] A.C.F. no 537 (QI), paragraphe 15).

 

[26]      Étant donné le contenu des avis exprimés par le docteur Sproule, le fait que trois avis ont été donnés et le fait que le docteur Sproule ne semble pas avoir tenu compte de tous les facteurs pertinents, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de rejeter ces avis.

 

  1. Autres éléments de preuve

[27]      En l’absence d’avis médicaux crédibles, lesquels (comme il en a ci‑dessus été fait mention) ont été rejetés par le Tribunal, le seul élément de preuve qui milite en faveur de M. Moar est le simple fait qu’il a été exposé au carburant pour jet et au carburant Otto, ainsi que les avertissements de danger contenus dans le manuel technique de 1980 concernant le carburant Otto. Ces avertissements de danger étaient rédigés comme suit :

[traduction] 3-13 SANTÉ. L’ingrédient du carburant Otto II qui suscite des préoccupations sur le plan médical est le dinitrate du propylèneglycol (PGDN). Les esters nitrés sont reconnus pour leurs effets aigus sur le corps humain, notamment congestion nasale, maux de tête, étourdissements, nausée, dilation des vaisseaux sanguins, baisse de la pression artérielle et difficulté à respirer.

 

3-14         Effets toxiques. Les effets toxiques peuvent être causés par l’inhalation de vapeurs du carburant Otto II, l’inhalation des sous‑produits de la combustion […] et l’absorption par contact direct avec la peau, ou l’ingestion.

 

3-15         Effets chroniques. Les effets chroniques de l’exposition de longue durée au carburant Otto II ou au PGDN ne sont pas connus. La gravité des effets toxiques varie selon la concentration, la durée de l’exposition et la température du propergol.

 

[28]      Le manuel renferme des avertissements au sujet des effets aigus, notamment la congestion nasale et la difficulté à respirer, et des effets chroniques résultant de l’exposition de longue durée, lesquels ne sont pas connus. Par conséquent, toute [traduction] « exposition chronique » (c’est‑à‑dire une exposition de longue durée) au carburant était une considération pertinente. La preuve présentée par M. Moar établissait qu’il avait été exposé au carburant pendant un mois. De l’avis du Tribunal, cela ne constituait pas une preuve [traduction] d’« exposition chronique »; il ne s’agit pas d’une conclusion manifestement déraisonnable.

 

Conclusion

[29]      Je reconnais que la charge qui incombe à M. Moar sur le plan de la preuve est moins exigeante que dans certaines affaires judiciaires et que le Tribunal doit apprécier la demande et la preuve de la façon la plus favorable possible. Néanmoins, il incombait à M. Moar de présenter des éléments de preuve permettant au Tribunal de conclure, d’une façon raisonnable, que l’asthme dont il était atteint était causé ou aggravé par son exposition au carburant Otto ou au carburant JP4. Comme le juge Nadon l’a dit au paragraphe 46 de la décision Elliot, précitée : « Une déduction raisonnable est donc celle qui n’est pas nécessairement probable mais qui est néanmoins davantage qu’une simple possibilité. » J’ai examiné la décision du Tribunal et la preuve dont celui‑ci disposait, et je suis convaincue que le Tribunal n’a pas commis d’erreur et que la preuve dont il disposait établissait au plus une simple possibilité que le problème de santé de M. Moar ait été causé ou aggravé pendant qu’il était membre des Forces armées du Canada.

 

[30]      Pour ces motifs, la demande sera rejetée, les dépens étant adjugés au défendeur.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

    1. La demande est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1294-05

 

INTITULÉ :                                                   THOMAS MOAR

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 MAI 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Gillian Clarke

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Barber

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Witten LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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