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                                                                                                                                 Date : 20001018

                                                                                                                    Dossier : IMM-1400-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 OCTOBRE 2000

DEVANT : Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :

CAO HUIQIAO

                                                                                                                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

Une demande de contrôle judiciaire ayant été présentée à la suite de la décision par laquelle l'agente des visas a refusé, le 23 février 1999, la demande que le demandeur avait présentée en vue de résider en permanence au Canada;

Les documents qui ont été déposés ayant été lus et les observations des parties ayant été entendues;

Pour les motifs d'ordonnance prononcés en ce jour :

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

1)                   La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 23 février 1999 est infirmée et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un agent des visas différent;


2)                   Aucune question ne sera certifiée.

         « Dolores M. Hansen »         

      J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                 Date : 20001018

                                                                                                                    Dossier : IMM-1400-99

ENTRE :

CAO HUIQIAO

                                                                                                                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]         Le 24 avril 1997, Cao Huiqiao, qui est citoyen de la République populaire de Chine, a demandé à résider en permanence au Canada à titre de membre de la catégorie des entrepreneurs. Dans le cadre de ce contrôle judiciaire, il conteste la décision par laquelle l'agente des visas a refusé sa demande le 23 février 1999.

[2]         Le demandeur invoque deux motifs à l'appui du contrôle judiciaire : l'équité procédurale n'a pas été respectée parce que l'agente des visas a refusé la demande sans répondre à l'offre qu'il avait faite en vue de fournir des renseignements additionnels; de plus, l'agente des visas a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées.


[3]         Le demandeur déclare posséder et exploiter la briqueterie Renhe Town Xicheng (la briqueterie Xicheng), qu'il a fondée en 1985. Auparavant, il était directeur d'usine. Le demandeur déclare en outre avoir travaillé pour un entrepreneur en construction connu sous le nom de Shiqiang Enterprises Dev. Co. Ltd. (Shiqiang).

[4]         Compte tenu de son expérience et de ses contacts au sein de l'industrie de la construction chinoise ainsi que du fait qu'il savait que le marché des cloisons sèches était en plein essor, le demandeur envisageait de s'établir au Canada en vue d'exporter des cloisons sèches en Chine.

[5]         Le 1er juin 1998, le demandeur s'est présenté à une entrevue devant l'agente des visas, à Détroit, au Michigan. Dès le début, il y a eu de la confusion au sujet du statut professionnel du demandeur, et en particulier au sujet de la question de savoir s'il était un homme d'affaires indépendant comme il l'affirmait l'être, possédant à 100 p. 100 sa propre entreprise, ou s'il était employé par une autre compagnie, ou encore si la compagnie dont il affirmait être propriétaire était simplement une filiale d'une entreprise commerciale plus importante. La confusion semble avoir été attribuable au fait que le demandeur avait des relations d'affaires avec d'autres entreprises, à part la briqueterie Xicheng. De fait, en 1998, le demandeur était venu au Canada comme conseiller en matière de ventes et comme directeur des ventes de Shiqiang en vue de participer à l' « Asia Pacific Business & Trade Convention » à Toronto.


[6]         Au cours de l'entrevue, l'accent a été mis sur la présence du demandeur au congrès et sur les relations qu'il entretenait avec Shiqiang. Malgré la présence d'un interprète, le demandeur n'a pas pu préciser d'une façon satisfaisante la nature de cette relation. Dans les notes qu'elle a consignées dans le STIDI, l'agente dit ce qui suit : [TRADUCTION] « [...] il ne comprend pas. Je lui ai montré la lettre de Shiqiang Enterprises. Il ne peut pas expliquer [...] problème de langue [...]. » [1] En fin de compte, le fait que le demandeur n'a pas pu expliquer les relations qu'il entretenait avec Shiqiang a été un facteur crucial puisque cela laissait planer un doute sur le fait qu'il était propriétaire de la briqueterie Xicheng.

[7]         Après l'entrevue, l'agente des visas a demandé des documents additionnels à l'appui de la demande, lesquels ont été fournis le 14 août 1998. Le 15 octobre 1998, n'ayant pas obtenu de réponse, le demandeur a écrit à l'agente des visas pour savoir quels documents additionnels il devait fournir, le cas échéant, en vue de faire avancer sa demande. N'ayant pas reçu de réponse, il a de nouveau écrit le 10 novembre 1998, et encore une fois le 3 décembre 1998. Le 8 décembre 1998, l'agente des visas a répondu; elle a demandé des documents additionnels établissant le capital net du demandeur et les liens qu'il avait avec la briqueterie Xicheng.

[8]         Le demandeur a informé l'agente des visas que même si ces documents avaient déjà été soumis, il se conformerait à la demande. Le 5 janvier 1999, il a fourni les documents en question.

[9]         Ces documents comprenaient le certificat de témoin de l'avocat en date du 12 décembre 1998, lequel est ainsi libellé :


[TRADUCTION]

Le 3 juillet 1993, M. Cao Hui Qiao a enregistré et fondé la briqueterie Renhe Town Xicheng, à Guangzhou, district administratif de Baiyaun pour l'industrie et le commerce de Guangzhou. Il s'agit d'une entreprise privée; M. Cao Hui Qiao possède la totalité des actions de l'entreprise (le permis d'exploitation est joint aux présentes). Au 30 novembre 1998, le profit net de la briqueterie Renhe Town Xicheng, à Guangzhou, s'élevait à 5 836 964,39 yuans RMB (l'état financier est joint aux présentes).

M. Cao Hui Qiao possède maintenant quatre maisons, dont la valeur totale s'élève à 984 785 yuans RMB, ce qui correspond environ à 200 000 $ CAN.

[...]

M. Cao Hui Qiao a un compte à la China Construction Bank dans lequel il y a 750 436,60 $ HK, ce qui correspond à environ 150 000 $ CAN et un montant de 640 000 yuans RMB, ce qui correspond à environ 120 000 $ CAN (le certificat notarié est joint aux présentes).

Mme Cao (Luo Hui Ling) a un compte à la China Construction Bank dans lequel il y a un montant de 351 869,93 yuans RMB, ce qui correspond à environ 65 000 $ CAN (le certificat notarié est joint aux présentes).[2]

[10]       L'état financier mentionné dans ce certificat comprenait le bilan et l'état des profits de la briqueterie Xicheng. Un certificat de Shiqiang, imprimé sur du papier à en-tête de Shiqiang Enterprises Development Co. Ltd., était également joint aux documents. Des explications y sont données au sujet de ce qui a initialement entraîné des doutes en ce qui concerne l'allégation du demandeur selon laquelle il était propriétaire à 100 p. 100 de la briqueterie Xicheng : la présence du demandeur au congrès sous les auspices de Shiqiang. Le certificat est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Notre compagnie a participé à l'Asia Pacific Business & Trade Convention, qui a eu lieu au Toronto Trade & Exhibition Center, Toronto, Canada, du mois de mars au mois d'août 1998; il s'occupait de la vitrine d'exposition.

Étant donné que M. Cao (de la briqueterie Xicheng) est l'expert en ce qui concerne la fabrication et l'utilisation de matériaux de construction et de briques résistantes à l'usage, etc., notre compagnie a retenu ses services à titre de conseiller en matière de ventes et de directeur des ventes pour qu'il collabore avec elle au cours de l'exposition qui a eu lieu au Canada.[3]


[11]       Les documents soumis étaient accompagnés de certificats notariés attestant leur authenticité.

[12]       Dans la lettre de refus du 23 février 1999, l'agente des visas cite plusieurs motifs justifiant le rejet de la demande. Premièrement, elle explique que l'expérience professionnelle du demandeur avait uniquement été acquise au sein d'une entreprise étatique et que le demandeur était uniquement copropriétaire d'une briqueterie en Chine. L'expérience que le demandeur avait acquise en dirigeant l'usine en Chine ne convainquait pas l'agente des visas que celui-ci était en mesure de contribuer de manière significative à la vie économique canadienne.[4]

[13]       Toutefois, le dossier ne renferme aucun élément de preuve à l'appui de la déclaration selon laquelle le demandeur est uniquement copropriétaire de la briqueterie Xicheng. Au contraire, le certificat de témoin de l'avocat atteste que le demandeur était propriétaire à 100 p. 100 de l'entreprise. La chose est en outre corroborée par le permis d'exploitation que le demandeur a soumis. De plus, la lettre de Shiqiang a mis fin à la confusion qui régnait lors de l'entrevue au sujet des relations d'affaires existant entre Shiqiang et le demandeur.


[14]       Deuxièmement, la lettre de refus de l'agente des visas dit ce qui suit : [TRADUCTION] « [...] Je ne puis être certaine que vous possédez réellement les biens que vous alléguez posséder [...]. » Toutefois, le demandeur a soumis des documents faisant état de ses affaires financières, tant sur le plan personnel que commercial[5]. Étant donné que l'agente des visas ne semble pas remettre en question l'authenticité des documents et, en l'absence d'éléments de preuve donnant à entendre que le demandeur ne possède pas ces biens, la déclaration de l'agente des visas n'est pas fondée.

[15]       Troisièmement, la lettre de refus de l'agente est ainsi libellée : [TRADUCTION] « [...] Vous avez énuméré certains de vos biens, mais vous n'avez pas du tout fait état de vos dettes; or, dans une entreprise active telle qu'une usine, il n'est pas possible qu'il n'y ait pas de dettes [...] [je souligne]. » Cette déclaration n'est pas conforme aux documents versés dans le dossier du tribunal. Le bilan de la briqueterie Xicheng renferme une liste des dettes habituelles, comme les prêts à court terme, les sommes à payer, les prêts à long terme et les autres dettes à long terme qui seraient normalement mentionnés dans le bilan d'une entreprise. Cette déclaration de l'agente des visas n'est clairement pas étayée par la preuve.


[16]       Même si elle n'a pas été faite dans le contexte d'une affaire d'immigration, la remarque que la Cour d'appel fédérale a faite dans l'arrêt Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc.[6] est particulièrement intéressante lorsque la décision d'un tribunal est contestée pour le motif que la preuve n'étaye pas les conclusions de fait :

Lorsque la décision d'un tribunal administratif fédéral est contestée pour le motif qu'elle est fondée sur des conclusions de fait qui ne sont pas étayées par la preuve, le point de départ de l'analyse doit être la norme de révision prescrite à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire qu'il s'agit de savoir si la conclusion du Tribunal a été « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispos[ait]. Essayer de déterminer si cela équivaut à la norme du caractère « manifestement déraisonnable » ou simplement à la norme du caractère « déraisonnable » ne nous avance pas beaucoup. [...] Lorsqu'un tribunal fonde une décision discrétionnaire sur des conclusions de fait, la cour de révision doit examiner ces conclusions de façon à s'assurer qu'elles sont rationnellement fondées sur les éléments dont disposait le tribunal. [...] Afin d'établir que le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision, la demanderesse et les intervenantes devaient démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la conclusion du Tribunal n'était pas rationnellement étayée par les éléments dont le Tribunal disposait.

[17]       En l'espèce, la décision de l'agente des visas était fondée sur les conclusions de fait qu'elle avait tirées au sujet de la question de savoir si le demandeur était propriétaire de la briqueterie Xicheng ainsi qu'au sujet de ses biens et des dettes de la briqueterie Xicheng, lesquelles ne sont pas étayées par la preuve. Étant donné qu'il s'agissait de conclusions cruciales au point de vue de l'expérience du demandeur et par conséquent de sa capacité d'établir une entreprise au Canada, la décision doit être infirmée.

[18]       Ayant tiré cette conclusion, je n'ai pas à examiner la question de l'équité que le demandeur a soulevée.


[19]       Par conséquent, la décision du 23 février 1999 est infirmée et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un agent des visas différent.

[20]       Ni l'une ni l'autre partie n'a soumis une question aux fins de la certification.

         « Dolores M. Hansen »         

      J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO),

le 18 octobre 2000.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-1400-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Cao Huiqiao c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 28 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Hansen en date du 18 octobre 2000

ONT COMPARU :

Ricardo Aguirre                                                             POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ricardo Aguirre                                                             POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            Dossier certifié, aux pages 13 à 15.

[2]            Dossier certifié, aux pages 113-114.

[3]            Dossier certifié, à la page 52.

[4]            Dossier certifié, à la page 2.

[5]            Dossier certifié, aux pages 30-59.

[6]            [2000] 3 C.F. 282 à la p. 284, [2000] A.C.F. no 286.

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