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                                                                                                                        Date : 20050204

                                                                                                                      Dossier : IMM-994-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 175

ENTRE :

                                                             GENTIAN SARACI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, qui vise la décision rendue par un agent de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 5 janvier 2004. L'agent a déclaré que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

Le contexte

[2]                Le demandeur, Gentian Saraci, est un citoyen albanais de 29 ans.


[3]                Il prétend être un réfugié au sens de la Convention en raison de ses opinions politiques. Lui et sa famille sont liés au Parti démocratique (PD) de l'Albanie et il craint d'être persécuté, de risquer d'être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités à cause de ce fait.

[4]                Sa famille est bien connue des autorités : son grand-père ainsi que son grand-oncle ont été exécutés par les communistes et son père a été détenu et torturé pendant sept ans par les communistes, dans une prison, en Albanie, au cours des années 1970. Par la suite, en 1990, le père du demandeur a été un des membres fondateurs du PD et il a joué un rôle clé dans ce parti au niveau local.

[5]                Le demandeur soutient avoir participé activement aux activités du PD depuis son plus jeune âge. Il s'est joint au Forum jeunesse du PD en 1991 et, l'année suivante, il a fondé la section du Forum jeunesse du PD dans son école secondaire. Par la suite, en 1993, il est devenu membre du Comité directeur du Forum jeunesse du PD à son université, avant de se joindre en 1997 à la section principale du PD. En novembre 1999, le demandeur a été nommé secrétaire du PD à Palorto.

[6]                En raison de leurs activités politiques, le demandeur et sa famille prétendent qu'ils étaient constamment victimes de menaces et d'agressions physiques. En mars 1997, par exemple, le demandeur déclare que l'on a tiré dans les fenêtres de la résidence de sa famille et qu'on a lancé des bombes incendiaires à l'intérieur de sa maison. Des voisins ont affirmé que les agresseurs étaient des membres du Parti socialiste.


[7]                En avril 1998, le chef du PD s'est rendu dans la ville du demandeur. La famille de celui-ci a participé à la manifestation. Alors qu'ils rentraient chez eux, le demandeur et son frère ont été attaqués. Le demandeur affirme que la police a assisté à la raclée sans rien faire et a même encouragé les agresseurs socialistes. Le demandeur et son frère ont dû être soignés à l'hôpital à la suite de la raclée.

[8]                En mai 1998, le demandeur et sa famille ont protesté contre l'assassinat d'un démocrate du nom de Fredi Shehu. Après la manifestation, la police a détenu le demandeur, ainsi que son père et son frère. Ils ont appris qu'ils avaient été filmés sur caméra vidéo pendant la manifestation. Ils ont été amenés au poste de police, battus et détenus jusqu'au lendemain.

[9]                En septembre 1998, le demandeur et sa famille ont assisté aux funérailles d'Azem Hajdari, un membre influent du PD. Ils ont été arrêtés par la police pendant qu'ils rentraient chez eux. La police a trouvé des documents du PD dans le coffre du véhicule. Ils ont été conduits au poste de police de Gjirotasker où ils ont été détenus, admonestés et battus. Ils ont été relâchés une semaine plus tard.

[10]            En octobre 2000, pendant qu'ils faisaient campagne pour le PD, en compagnie du candidat du PD à la mairie de Gjirokaster, Edward Karagjozi, le demandeur a été arrêté, détenu et battu par la police.

[11]            Juste avant les élections de 2001, le demandeur, sa famille, et le candidat à la mairie ont été battus, avec des tuyaux et des bâtons, en présence de la police, par des membres du PS. La police a arrêté les membres du PD après cette attaque. Le demandeur a été détenu pendant deux jours.


[12]            Au cours des élections de 2001, le demandeur a constaté que le PS avait agi frauduleusement, comme son frère en a également été témoin, notamment en déplaçant les urnes et en faisant voter certains électeurs plusieurs fois. Le frère du demandeur et d'autres personnes ont refusé d'approuver les résultats. Un comité international a été mis sur pied pour faire enquête sur les fraudes électorales. Le demandeur a déclaré que toute personne qui était prête à témoigner à cette enquête était battue, menacée, intimidée et détenue par la police. La police a même menacé les employeurs des témoins éventuels.

[13]            En avril 2002, le demandeur et son frère ont été attaqués et ont essuyé des coups de feu, alors qu'ils revenaient chez eux après leur travail. En juillet 2002, ils ont assisté à une manifestation qui se tenait sur la place publique. Ils protestaient contre les résultats électoraux et demandaient que l'on procède à de nouvelles élections. Après la manifestation, le demandeur et son frère ont été accostés par deux policiers en uniforme et par une autre personne en civil. Ils ont été empoignés, battus et mis dans un véhicule de la police. Ils ont été battus pendant le trajet et battus à nouveau à la prison où ils ont été emmenés. Les policiers qui les ont détenus leur ont dit que s'ils ne quittaient pas immédiatement l'Albanie, ils viendraient chercher le demandeur et son frère pour les tuer. Ils ont été relâchés le lendemain. Après cette détention, il y avait un véhicule de la police stationné devant la résidence du demandeur.

[14]            Le demandeur est alors entré dans la clandestinité et il a quitté l'Albanie pour venir au Canada en passant par la Grèce. Il a présenté sa demande d'asile à son arrivée, le 17 août 2002.


La décision faisant l'objet du contrôle

[15]            La Commission a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. La Commission a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il n'avait pas de crainte fondée d'être persécuté en Albanie du fait de l'un des motifs énoncés dans la Convention. La Commission a également conclu que le renvoi du demandeur en Albanie ne l'exposerait pas personnellement à une menace pour sa vie, ni au risque de subir des traitements ou des peines cruels et inusités. La Commission a également conclu qu'il n'existait aucun motif sérieux de croire que son renvoi exposerait personnellement le demandeur au risque d'être torturé.

[16]            La Commission en est principalement arrivée à cette conclusion pour le motif que le demandeur n'avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que son profil politique entraînerait les incidents allégués ou le préjudice redouté. La Commission a étayé cette conclusion sur les éléments suivants :

a.          le demandeur a pu se joindre sans difficulté au Forum jeunesse du PD (1991-1997);

b.          la preuve a démontré que le demandeur n'était pas très engagé sur le plan politique et que ses activités en appui au PD consistaient à organiser des réunions, à distribuer des documents, à mettre sur pied un processus d'observation des élections ainsi qu'à fournir des services habituels de soutien aux candidats et étaient donc celles d'un membre ordinaire, et non pas d'un activiste;

c.          dans son FRP, le demandeur affirme avoir personnellement constaté des agissements frauduleux à l'occasion des élections mais, lorsqu'il a témoigné, il a reconnu qu'il n'avait pas personnellement été témoin d'irrégularités;


d.          le demandeur affirme qu'on l'a battu pour qu'il s'abstienne de témoigner devant le comité d'enquête qui avait été mis sur pied pour examiner le processus électoral, mais il a reconnu qu'il n'avait jamais eu, de quelque façon que ce soit, affaire au comité international qui avait été mis sur pied pour faire enquête sur la fraude électorale;

e.          aucun de ces événements n'ont été mentionnés dans la lettre d'attestation envoyée par le président du PD de Gjirokaster;

f.           d'après l'agent, le demandeur a déclaré qu'il se sentait en sécurité à l'extérieur de sa ville natale, mais qu'il n'irait pas ailleurs parce qu'il craignait de ne pas pouvoir trouver du travail.

[17]            Enfin, la Commission a conclu que la preuve objective contenue dans les documents relatifs au pays en cause ne confortaient pas les allégations du demandeur d'asile selon lesquelles il serait persécuté et ferait l'objet de mesures de représailles en raison de ses opinions politiques.

Les questions en litige

[18]            Le demandeur soulève cinq questions :

a.          la Commission a-t-elle commis une erreur de droit en écartant des éléments de preuve, en prenant en compte des éléments non pertinents ou en interprétant mal les éléments dont elle disposait ou en tirant des conclusions de fait erronées sans tenir dûment compte des éléments dont elle disposait?

b.          l'effet cumulatif des erreurs commises par la Commission équivaut-il à une erreur de droit?

c.          la Commission a-t-elle commis une erreur en écartant des éléments de preuve ou en agissant de façon abusive et arbitraire?


d.          la Commission a-t-elle commis une erreur en formulant des conclusions défavorables quant à la crédibilité qui n'étaient pas justifiées par les éléments dont elle disposait?

e.          la Commission a-t-elle commis une erreur en se prononçant comme elle l'a fait sur la demande d'asile?

Les arguments

[19]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en s'intéressant uniquement à son profil politique et en ne tenant pas compte des éléments de preuve relatifs au profil de sa famille. Il fait valoir qu'il a décidé de s'enfuir en ne se fondant pas uniquement sur son rôle personnel mais également sur le rôle global qu'avait sa famille au sein du PD et dans la vie politique en général. Par conséquent, la Commission a mal compris le véritable fondement de sa demande.

[20]            Le demandeur soutient également qu'en plus d'avoir omis de tenir compte des liens politiques de sa famille, la Commission a mal formulé et mal interprété les faits qui touchaient directement le profil politique du demandeur. Il fait valoir qu'un membre ordinaire d'un parti politique ne serait pas le fondateur, ou le président, d'une section politique, ni un membre de la direction d'une section de ce parti. Il ajoute que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire actuelle, puisqu'elle s'est contentée de mentionner dans les notes de bas de page les titres de trois documents, sans énoncer les motifs qui l'ont amenée à conclure qu'il n'y avait plus de persécutions politiques en Albanie.


[21]            Le demandeur soutient également que la Commission n'a même pas fait mention d'un témoin clé lors de l'audience, un demandeur d'asile qui était un dirigeant au sein du PD et du Forum jeunesse du PD dans la même ville que le demandeur et qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié. Il soutient que la déposition de ce témoin touche directement les conclusions relatives à son profil politique et va à l'encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'avait pas le profil allégué.

[22]            Enfin, le demandeur a contesté les prétendues contradictions qui existeraient, selon la Commission, entre son FRP et son témoignage. Il revient sur la transcription de l'audience de la Commission et sur le contenu de son FRP pour essayer de démontrer qu'il n'a pas modifié sa version des faits.

[23]            Le demandeur affirme n'avoir jamais reconnu qu'il se sentait en sécurité dans un village à l'extérieur de sa ville d'origine. C'est l'agent qui a affirmé que le demandeur se sentait en sécurité à l'extérieur de sa ville d'origine. Le demandeur a déclaré qu'il se sentait uniquement en sécurité lorsqu'il se trouvait caché, à l'intérieur d'une maison. C'est la raison pour laquelle il n'a pas pu travailler.

[24]            Le défendeur soutient que la Commission n'a pas mal compris le fondement de la demande du demandeur. Le défendeur affirme que la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas de raison de craindre des répercussions politiques et il soutient que la conclusion de la Commission tranche la demande présentée par le demandeur soit en se fondant sur ses opinions politiques, soit en qualité de membre d'un groupe social.


[25]            Le défendeur soutient, à titre subsidiaire, que même si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a analysé les motifs mis de l'avant par le demandeur pour établir qu'il craignait d'être persécuté, cette erreur ne constitue pas un élément essentiel de la décision, étant donné les conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité.

[26]            Pour ce qui est de la preuve documentaire, le défendeur affirme que l'omission de la part de la Commission de mentionner la preuve documentaire ne vicie pas sa décision. Le défendeur soutient que le fait que la Commission disposait d'autres éléments de preuve ne veut pas dire que la preuve a été mise de côté ou mal interprétée.

[27]            Le défendeur note également qu'il existe une présomption selon laquelle la Commission a examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, de sorte que la Commission n'est pas tenue de faire référence à tous les éléments dont elle dispose. Le défendeur affirme que la Commission doit tenir compte de l'ensemble de la preuve et que c'est bien ce qu'elle a fait ici.

[28]            Le défendeur affirme que la Cour doit faire preuve de la plus grande retenue à l'égard de l'appréciation qu'a faite la Commission de la crédibilité du demandeur. Tant que les conclusions quant à la crédibilité sont raisonnablement justifiées, la Cour ne devrait pas intervenir.

[29]            Le défendeur affirme également que la Commission a déduit de la lecture des notes de l'agent prises au port d'entrée que le demandeur se sentait en sécurité dans un village à l'extérieur de sa ville d'origine. Le défendeur affirme que sa déduction est raisonnable, étant donné que la Commission pouvait légitimement se fonder sur les notes prises par l'agent.

Analyse


[30]            L'issue de la présente demande de contrôle judiciaire repose sur un facteur essentiel et déterminant : la crédibilité du demandeur. La Commission a conclu qu'il ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou des peines cruels ou inusités s'il retournait en Albanie. De son côté, le demandeur soutient que lui et sa famille ont un profil politique qui amènerait l'État à s'intéresser à eux.

[31]            La Commission est un tribunal spécialisé qui possède de l'expertise lorsqu'il s'agit d'évaluer les conditions objectives qui règnent dans un pays et elle a l'avantage de pouvoir observer directement les témoins; par conséquent, il convient de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de ses conclusions quant à la crédibilité. Comme l'a déclaré la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]

[32]            Autrement dit, la Cour n'interviendra pas dans les conclusions de la Commission quant à la crédibilité, même si elle en serait arrivée à une conclusion différente, à moins que ces conclusions ne soient manifestement déraisonnables. En l'espèce, j'en suis arrivé à la conclusion que le demandeur a réussi à démontrer qu'il s'agissait là d'un des rares cas où une intervention de la Cour serait justifiée.


[33]            Pour arriver à cette conclusion, j'ai tenu compte de la présomption énoncée dans l'arrêt Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, selon laquelle la Commission est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont elle disposait. Par conséquent, la Commission n'est pas tenue de formuler des commentaires sur tous les éléments de preuve (documentaires et oraux) qui lui ont été présentés. Cependant, comme la Cour d'appel l'a déclaré dans l'arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), [traduction] « plus la preuve qui n'est pas expressément mentionnée et analysée est importante, plus il est probable qu'une cour de révision tire de l'omission d'avoir mentionné cette preuve la conclusion qu'on l'a écartée » . Ce raisonnement s'applique de la même façon à la Section de la protection des réfugiés.

[34]            La lecture attentive de la décision du tribunal révèle que celui-ci a écarté de nombreux aspects du témoignage du demandeur ou n'en a pas tenu compte. Il est également troublant de constater que la Commission a omis de formuler des observations concernant des éléments de preuve matériels importants ou pertinents.

[35]            Par exemple, il est difficile de comprendre comment la Commission a pu ne pas parler du profil politique éminent que semblait avoir la famille du demandeur en Albanie. La Commission n'a peut-être pas commis une erreur en concluant que la demande du demandeur fondée sur ses opinions politiques n'était pas distincte de celle fondée sur le fait d'appartenir à un groupe social. Mais comme l'avocat du défendeur l'a volontiers reconnu à l'audience, le fait d'être membre d'une famille ayant une longue tradition d'opposition politique ne peut que renforcer la crédibilité du profil du demandeur. À tout le moins, on se serait attendu à ce que la Commission formule quelques observations sur ce facteur très pertinent. En fait, il ressort du dossier de la CISR (à la page 1013) que tous les membres de la famille ont déménagé en Grèce à la suite des derniers événements rapportés par le demandeur.


[36]            De la même façon, la Commission a jugé que les activités que le demandeur exerçait pour appuyer le Parti démocratique étaient celles d'un membre ordinaire et elle a fait référence aux activités les plus banales, tout en ne tenant pas compte des plus importantes comme le fait qu'il a fondé et présidé le Forum jeunesse du PD dans son école secondaire, qu'il était un dirigeant de l'aile adulte du même parti et qu'il s'est montré avec des candidats sur des podiums au cours de campagnes électorales.

[37]            Dans le même sens, il est difficile de comprendre pourquoi la Commission a omis de faire référence à une lettre envoyée par un candidat à la mairie, dans laquelle celui-ci attestait que le demandeur était un membre actif et reconnu du PD. Il en va de même pour les dossiers médicaux présentés par le demandeur, lesquels semblent confirmer l'affirmation du demandeur selon laquelle il a été battu à plusieurs reprises, étant donné qu'il a été hospitalisé à la suite des événements qu'il allègue dans son témoignage.

[38]            La Commission semble plutôt s'être limitée aux contradictions apparentes existant entre la demande du demandeur et la preuve, mais il semble que le demandeur ait réussi à expliquer au moins une partie de ces prétendues contradictions à l'audience tenue devant la Commission. Par exemple, la Commission a déclaré que la lettre d'attestation émanant du président de la section locale du PD ne mentionnait pas l'implication politique du demandeur après les élections de 2000 en Albanie, ni les agressions et les détentions qui ont suivi les élections de juin 2001. Pourtant, le dossier montre que cette même personne a envoyé une seconde lettre qui est beaucoup plus explicite (ce qui a d'ailleurs été rappelé au membre de la Commission au cours de l'audience) et le demandeur a déclaré qu'il n'avait pas signalé tous ces événements au président. Cet aspect n'est même pas abordé dans les motifs de la Commission.


[39]            Il serait possible de poursuivre dans cette veine, étant donné qu'il existe d'autres omissions troublantes ou incompréhensions apparentes relativement à la preuve. Il suffira de mentionner que pour être en mesure de trancher la question de savoir si le demandeur exerçait des activités politiques, la Commission doit tenir compte de tous les éléments de preuve matériels pertinents.

[40]            Il y a lieu de faire une dernière remarque au sujet des conditions objectives régnant dans le pays. Pour en arriver à sa conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas en danger s'il retournait en Albanie, la Commission s'est contentée de faire allusion à trois documents relatifs à ce pays (le Country Report on Human Rights Practices (Albania) du Département d'État des États-Unis (2002), l'Albania Assessment du Home Office du Royaume-Uni, 2002 et le Rapport sur l'Albanie de Citoyenneté et Immigration Canada (2002)) qui sont mentionnés dans une note de bas de page. Ce serait sans doute trop demander que la Commission procède à une analyse détaillée de ces documents bien souvent volumineux pour appuyer ses conclusions. Par contre, il semblerait que la justice naturelle et le droit d'être informé des motifs à l'origine d'une décision d'une telle importance exigent que la Commission fournisse quelques indications au sujet des faits et du raisonnement qui l'ont amenée à se prononcer dans un sens ou dans l'autre, en particulier lorsque les rapports sont nuancés et sont susceptibles d'ajouter foi aux allégations du demandeur.

[41]            En l'espèce, le Rapport sur l'Albanie du CIC reconnaît que des représentants d'ONG (dossier du tribunal, à la page 208) estimaient qu'il y avait eu, il n'y a pas très longtemps, quelques cas isolés d'intimidation politique. En outre, le demandeur avait fourni des éléments montrant que l'Albanie était le théâtre de persécutions et de vengeances pour des raisons politiques, mais le commissaire n'a même pas mentionné ces éléments de preuve lorsqu'il a examiné la situation du pays. À la lumière de tout ceci, il aurait été approprié que la Commission ne se contente pas d'une seule ligne dans laquelle elle affirme laconiquement que [traduction] « les éléments de preuve objectifs contenus dans la documentation sur le pays n'appuient pas les allégations du demandeur quant à la persécution et à la vengeance pour des raisons politiques » .


[42]            Par conséquent, la Cour est convaincue que la décision de la Section de la protection des réfugiés de la CISR attaquée ici est pleine d'erreurs de fait qui, en raison de leur importance et de leur nombre, touchent le coeur des prétentions du demandeur et minent indubitablement le caractère raisonnable des conclusions du tribunal.

                                                                                                                           « Yves de Montigny »                   

                                                                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-994-04

INTITULÉ :                                          GENTIAN SARACI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 18 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                         LE 4 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Jeffrey Goldman                                                                                           POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Goldman                                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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