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Date : 20041022

Dossier : IMM-8909-03

Référence : 2004 CF 1477

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 OCTOBRE 2004

Présent :          L'HONORABLE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                ÉMILIO GONZALEZ ARGUELES

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                       

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Émilio Gonzalez Argueles, un citoyen cubain, présente devant cette Cour une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la mesure d'expulsion qui a été prise à son égard, le 29 octobre 2003, par le commissaire Michel Beauchamp de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de l'immigration (le tribunal).


[2]                Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent du Canada le 23 mars 1983. Le 3 avril 2003, suite à l'enregistrement d'un plaidoyer de culpabilité relativement à quatre chefs d'accusation portés en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, le demandeur a été condamné à 80 mois d'emprisonnement. Il purge actuellement sa sentence dans un pénitencier.

[3]                La Loi prévoit qu'un résident permanent ou un étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire pour grande criminalité dans le cas qui est notamment mentionné à l'alinéa 36(1) a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) qui se lit comme suit :


36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;                


[4]                Le 28 août 2003, le demandeur a fait l'objet d'un rapport préparé par un agent d'immigration aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. Ce rapport établit que le demandeur est interdit de territoire. Le rapport a été transmis au Ministre qui a déféré l'affaire au tribunal pour enquête. Le paragraphe 44(2) de la Loi prévoit en pareil cas :



44(2) S'il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu'il n'a pas respecté l'obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d'un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

44(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.


[5]                Le 29 octobre 2003, d'après la preuve produite à l'enquête, le tribunal a pris contre le demandeur une mesure d'expulsion conformément à l'alinéa 45 d) de la Loi qui se lit comme suit :


45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l'immigration rend telle des décisions suivantes_:

...

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l'étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n'est pas prouvé qu'il n'est pas interdit de territoire, ou contre l'étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire.

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

...

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.


[6]                Il y a lieu de noter que depuis l'entrée en vigueur de la Loi, aucun appel ne peut être interjeté devant la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel) de la décision du tribunal prononçant le renvoi dans le cas d'une interdiction de territoire pour grande criminalité, lorsqu'il s'agit par ailleurs d'une infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans (paragraphes 64(1) et (2) de la Loi), ce qui est le cas en l'espèce. Ceci étant dit, étant donné que le demandeur purge actuellement sa sentence dans un pénitencier, il y a sursis légal de la mesure de renvoi du tribunal (paragraphe 50 b) de la Loi).

[7]                D'autre part, l'interdiction de territoire du demandeur pour grande criminalité aura pour effet de limiter, dans le futur, toute demande de protection et d'examen des risques avant renvoi aux seuls éléments mentionnés à l'article 97 de la Loi (alinéa 112(3) b) et paragraphe 113 d) de la Loi). Dans ce dernier cas, advenant une détermination positive par l'agent ERAR, la décision accordant la demande de protection aura alors pour effet de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, ici Cuba, à la mesure de renvoi (paragraphe 114(1) de la Loi). Néanmoins, le principe général de non-refoulement énoncé au paragraphe 115(1) de la Loi ne s'applique pas à l'interdit de territoire pour grande criminalité qui, selon le Ministre, constitue un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada (paragraphe 115(2) de la Loi). Ceci étant dit, il n'y a eu aucune évaluation du risque et aucune opinion de danger en vertu de l'une ou l'autre de ces dispositions dans le cas du demandeur.

[8]                Le demandeur reconnaît que le tribunal a compétence générale en vertu de l'article 45 de la Loi pour prononcer une mesure d'expulsion et que la condition prévue à l'alinéa 36(1) a) de la Loi est remplie en l'espèce. Toutefois, le demandeur prétend, d'une part, que l'article 36 de la Loi est inopérant, et d'autre part, que la mesure d'expulsion qui découle de l'application de la Loi est contraire à ses droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte) aux articles 2, 7, 11 et 12. Le demandeur prétend également qu'il y a ici une violation aux articles 3, 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, Rés. AG 217 (III), Doc. Off. AGNU, 3e sess., supp. no 13, Docl. NU A/810 (1948).


[9]                En l'espèce, le demandeur allègue qu'il est venu au Canada en 1983 en raison de l'absence de libertés civiles à Cuba. Une fois au Canada, le demandeur aurait joint un groupe de militants de la Diaspora cubaine connue sous l'acronyme C.I.D. (Cuba, Indépendant, Démocratique). Le demandeur affirme avoir participé à des manifestations organisées par cette organisation, dont quatre devant le consulat cubain à Montréal. Le demandeur soumet qu'il a pu être observé au cours de ces manifestations et que les autorités cubaines ont pu répertorier son nom à titre d'opposant au régime de Fidel Castro. Il craint donc un retour à son pays d'origine. Le demandeur soumet à cet égard que le pays de refoulement, Cuba, ne le traduira pas devant un tribunal indépendant et impartial. Ainsi, il craint qu'à son retour à Cuba, son statut d'opposant politique au régime Castro lui vaille d'être injustement accusé et condamné par les autorités cubaines.


[10]            Le demandeur allègue à cet égard ne pas avoir bénéficié à l'audience tenue à son sujet par le tribunal des garanties procédurales requises pour protéger son droit de « ne pas être expulsé vers un pays où il risque la torture ou la mort » (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3). Plus particulièrement, le demandeur soumet que lors de l'audience tenue en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, le président du tribunal a indiqué au procureur du demandeur qu'il n'avait pas compétence pour traiter de questions d'ordre constitutionnel. Le président du tribunal était apparemment d'opinion que toute contestation constitutionnelle d'une ordonnance de renvoi devait plutôt être effectuée par le biais d'un appel à la Section d'appel. Faisant valoir que l'article 64 de la Loi ne permet pas d'appel dans le cas en l'espèce, le procureur du demandeur aurait alors demandé au tribunal d'ajourner l'affaire aux fins qu'il puisse déposer un avis de question constitutionnelle soulevant l'inconstitutionnalité de l'article 64 de la Loi. Le tribunal a refusé d'ajourner l'affaire et a prononcé la mesure d'expulsion dont la légalité est en cause ici.


[11]            La Cour n'a pas un compte rendu complet des propos qui ont été échangés entre le procureur du demandeur et le président du tribunal à l'occasion de l'enquête tenue par ce dernier le 29 octobre 2003. Il ne saurait par ailleurs être question d'examiner ici, comme le souhaiterait le demandeur, la constitutionnalité de l'interdiction que l'on retrouve à l'article 64 de la Loi d'en appeler à la Section d'appel de la décision en cause du tribunal. Le tribunal ne pouvait en tout état de cause légalement se prononcer sur l'application ou la constitutionnalité d'une disposition extrinsèque à sa compétence d'attribution, ici l'article 64 de la Loi. Il s'agit d'un aspect relevant plutôt de la compétence de la Section d'appel de l'immigration de la Commission. De plus, aucun avis d'appel n'a été déposé par le demandeur à l'encontre de la mesure de renvoi, de sorte que la question de la constitutionnalité de l'article 64 de la Loi m'apparaît purement académique. Si la présente demande de contrôle judiciaire devait être accueillie, l'affaire en tout état de cause, ne pourrait être retournée qu'au tribunal. En effet, la Cour n'a aucune compétence pour renvoyer l'affaire à la Section d'appel de l'immigration de la Commission. S'il avait par ailleurs l'intention de contester devant le tribunal la constitutionnalité des articles 36, 44 ou 45 de la Loi, le demandeur se devait de déposer avant l'audience devant le tribunal un avis de question constitutionnelle tel que le requiert l'article 47 des Règles de la Section d'immigration, D.O.R.S./2002-229, ch. I-2.5, ce qui n'a jamais été fait en l'espèce. À mon avis, on ne saurait aujourd'hui reprocher au tribunal de ne pas s'être prononcé sur la constitutionnalité de ces dernières dispositions.

[12]            L'article 45 de la Loi n'accorde aucune discrétion au tribunal (antérieurement l'arbitre de l'immigration) pour refuser d'émettre une ordonnance de renvoi lorsque les faits mentionnés à l'article 36 de la Loi sont prouvés. Il s'agit uniquement de vérifier la véracité des allégations du rapport préparé en vertu de l'article 44 de la Loi. Lorsque la condition prévue à l'alinéa 36(1) a) de la Loi en portant interdiction du territoire est rencontrée, l'expulsion doit être prononcée par le tribunal. C'est le cas en l'espèce.

[13]            À mon avis, l'article 36 de la Loi n'est pas inopérant ou inconstitutionnel comme le prétend le demandeur dans ses procédures. Quant à la validité du processus d'examen par le tribunal prévu aux articles 44 et 45 de la Loi, je note que celui-ci n'est pas directement remis en cause par l'avis de question constitutionnelle déposé devant cette Cour le 7 mai 2004 et qui se limite à l'alinéa 36(1) a) et aux paragraphes 64(1) et (2) de la Loi. Quoiqu'il en soit, la question constitutionnelle que le demandeur soulève, et qui n'a pas été considérée par le tribunal, est par ailleurs déjà réglée de façon concluante par la jurisprudence.

[14]            L'article 7 de la Charte a pour effet d'obliger le tribunal d'agir de façon équitable et de permettre au demandeur de donner sa version des faits quant au contenu des rapports. Concernant le caractère équitable de l'audition prévue en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52 (l'ancienne Loi), le juge MacGuigan au nom de la Cour d'appel fédérale écrivait dans l'affaire Kindler c. MacDonald, [1987] A.C.F. no 507 (C.A.) (QL), aux paragraphes 15 et 17 :

Il est vrai que la seule question en litige devant l'arbitre de l'immigration lors de l'enquête serait celle de savoir si les allégations de fait présentées [page 42] contre l'intimé sont vraies. Dans l'affirmative, l'expulsion doit s'ensuivre, puisque le paragraphe 32(6) de la Loi empêche l'arbitre de prendre en considération des circonstances spéciales lorsqu'il décide s'il prononcera une ordonnance d'expulsion dans une affaire comme celle-ci. Cependant, à cet égard, l'arbitre ne se trouve pas dans une situation différente de celle de tout autre juge des faits, comme le juge instruisant une affaire de meurtre, par exemple, qui n'a d'autre choix que d'imposer l'emprisonnement à vie si les faits sont établis. L'obligation de l'arbitre consiste à respecter scrupuleusement le principe de l'équité en prenant sa décision fondée sur les faits.

....

L'audition que la Loi sur l'immigration de 1976 prévoit relativement à une enquête respecte également, à mon avis, les exigences procédurales visant la justice fondamentale prévues par l'article 7 de la Charte : en effet, l'intimé, assisté d'un avocat, aurait l'entière possibilité d'exposer sa version des faits et de contester les faits présentés par l'autre partie. S'il était conclu que l'intimé est susceptible d'expulsion, le caractère équitable de l'audition ne serait aucunement affaibli par la prescription visant la peine.


[15]            Quelques années plus tard, dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, la Cour suprême du Canada a décidé qu'une ordonnance impérative d'expulsion, qui ne tient pas compte des circonstances de l'infraction ou des contraventions et qui vise des personnes déclarées coupables d'une infraction assortie d'une peine d'au moins cinq ans de prison, ne va pas à l'encontre de l'article 15 de la Charte ni des articles 7 ou 12 de la Charte, à supposer que ces deux dispositions soient applicables. Dans le cas d'un résident permanent, la Cour suprême a conclu que seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat.

[16]            L'alinéa 27(1) d), en les paragraphes 27(3) et (4) et le 32(2) de l'ancienne Loi, qui sont similaires aux dispositions actuellement applicables de la Loi, se lisaient comme suit :

27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en possession de renseignements indiquant qu'un résident permanent

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement

(i) pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée, ou

(ii) punissable d'au moins cinq ans de prison,

[...]

doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre à ce sujet.

(3) Sous réserve des instructions ou directives du Ministre, le sous-ministre saisi d'un rapport visé aux paragraphes (1) ou (2), doit, au cas où il estime que la tenue d'une enquête s'impose, adresser à un agent d'immigration supérieur une copie de ce rapport et une directive prévoyant la tenue d'une enquête.

(4) L'agent d'immigration supérieur qui reçoit le rapport et la directive visés au paragraphe (3), doit, dès que les circonstances le permettent, faire tenir une enquête sur la personne en question.

32. [...]

(2) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant l'objet d'une enquête est un résident permanent visé au paragraphe 27(1), doit, sous réserve des paragraphes 45(1) et 47(3) [réfugié au sens de la Convention], en prononcer l'expulsion.


[17]            En ce qui concerne la légalité de la mesure de renvoi, elle-même résultant de la perpétration d'une infraction grave, la Cour d'appel fédérale a également déterminé qu'une telle mesure ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte (Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 594 (C.A.); Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 1096 (C.A.) (QL); Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646, au paragraphe 15; Kroon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 857 (C.F. 1re inst.) (QL). Dans Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.), le juge MacGuigan, prononçant le jugement de la Cour d'appel fédérale, a tiré la conclusion suivante à la page 277, après avoir cité l'arrêt Chiarelli :

... bien que la Cour suprême, en se fondant sur la justice fondamentale pour trancher la question, ait laissé pendante la question de savoir si l'expulsion résultant de la perpétuation d'infractions graves peut être perçue comme une atteinte à la liberté en vertu de l'article 7, notre Cour, qui a déjà tranché dans la négative, se trouve liée par ses décisions antérieures : Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; Hurd c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 594.

[18]            L'article 11 de la Charte traite du droit des inculpés dans le contexte des affaires criminelles et pénales. Par conséquent, l'article 11 de la Charte ne s'applique pas ici. En effet, une mesure d'expulsion ne constitue pas une inculpation criminelle ou pénale (Chiarelli, précité); Akthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 32 (C.F. 1re inst.); Seth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 348 (C.F. 1re inst.); Ahani c. Canada, [1996] A.C.F. no 937 (C.A.) (QL); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Athwal, [1998] 1 C.F. 489 (C.A.)).


[19]            D'autre part, la Cour suprême, dans les affaires Chiarelli, précité, et Deghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053 a également décidé qu'une mesure d'expulsion prise en raison d'une infraction criminelle ne contrevient pas à la dignité humaine et ne constitue pas une peine disproportionnée au sens de l'article 12 de la Charte. Voir également les affaires Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053; Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 1096 (C.A.) (QL); Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 FC 270 (C.A.).

[20]            Quant au droit absolu de rester au Canada, il est conféré par le paragraphe 6 (1) de la Charte. À ce sujet, le paragraphe 6(1) de la Charte ne s'applique pas au demandeur puisqu'il n'est pas un citoyen canadien (Steven Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1416 (C.A.) (QL)). En ce qui concerne le paragraphe 6(2) de la Charte, il ne confère pas le droit de rester au Canada mais bien le droit de s'y déplacer et s'établir, une fois admis au Canada. En effet, les deux droits conférés par le paragraphe 6(2) de la Charte se rapportent uniquement au déplacement dans une autre province, soit pour y établir sa résidence, soit pour y travailler sans y établir sa résidence (Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357). Par ailleurs, le droit conféré au paragraphe 6(2) de la Charte n'est pas absolu. Il est limité par les paragraphes 6(3) et (4) de la Charte et bien sûr par l'article 1 de la Charte (Black c. Law Society of Alberta,[1989] 1 R.C.S. 591).

[21]            Enfin, comme la mesure d'expulsion prise à l'encontre du demandeur n'est pas une mesure prise en matière pénale, il n'y a donc aucune contravention aux articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

[22]            Par conséquent, considérant le langage clair utilisé aux articles 36, 44 et 45 de la Loi, ainsi que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et la Cour d'appel fédérale, le tribunal ne pouvait refuser d'émettre une mesure de renvoi au motif que le demandeur serait personnellement exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peines cruels et inusités advenant son renvoi à Cuba. En tout état de cause, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée. En effet, même si une mesure d'expulsion a été prononcée par le tribunal, l'étape de l'exécution de cette mesure n'a pas été atteinte. D'ailleurs, à la lumière des faits au dossier, les craintes du demandeur sont très spéculatives. Notamment, il n'existe aujourd'hui aucune preuve concrète établissant qu'advenant un retour à son pays d'origine, le demandeur serait sujet à des procédures pénales et qu'il serait incarcéré.


[23]            En l'espèce, il est important de souligner ici que la Loi ne subordonne par la validité de la mesure de renvoi à son exécution ou à son caractère exécutoire. La Loi sépare nettement les deux processus (Kalombo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 615 (C.F. 1re inst.) (QL); Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.), aux pp. 708-9). Lorsque le tribunal a pris une mesure de renvoi, la question de savoir quand et où la personne visée sera renvoyée relève entièrement du ministre (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 74). On ne peut donc présumer, à ce stade, que la mesure d'expulsion sera exécutée par le Ministre.

[24]            Or, la personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) de la Loi (danger pour le public au Canada ou la sécurité du Canada), peut présenter une demande de protection si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet, (paragraphe 112(1) de la Loi). Il est vrai que l'article 96 de la Loi est inapplicable à cause de l'interdiction pour grande criminalité. Toutefois, l'article 97 de la Loi est applicable et se lit comme suit :



97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée_:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant_:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(I) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and


(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[25]            Le demandeur bénéficiera d'une évaluation des risques avant renvoi sur la base des éléments mentionnés à l'article 97 de la Loi, où il aura alors l'occasion d'argumenter qu'il est sujet à un risque de retour dans son pays d'origine (paragraphe 112(3) et 113 d) de la Loi). À mon avis, le processus d'examen actuellement mis en place dans la Loi respecte l'article 7 de la Charte. Dans l'hypothèse où une demande de protection du demandeur était accordée, cette décision aurait par ailleurs l'effet légal de surseoir à la mesure de renvoi (article 114 de la Loi). De plus, le demandeur pourra toujours déposer une demande de dispense de visa pour motifs humanitaires. Advenant que les décisions éventuelles concernant l'évaluation des risques avant renvoi ou une demande de dispense pour des considérations humanitaires seraient négatives, le demandeur pourra déposer des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire devant cette Cour. Il en est de même si le Ministre prenait une décision en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi déclarant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada. À cette occasion, la Cour pourra vérifier si les décisions en cause ou l'exécution de la mesure de renvoi sont illégales et vont à l'encontre de la Charte. Avant de se prononcer à ce sujet, la Cour pourra également émettre un sursis si les conditions habituelles sont remplies (question sérieuse, préjudice irréparable et balance des inconvénients).

[26]            À ce sujet, il est utile de se référer aux propos suivants du juge Gibson dans la décision Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 384 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 20 :


Enfin, je suis convaincu que, selon encore une fois la norme de contrôle de la décision raisonnable, la commissaire pouvait tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée selon laquelle il était - j'emploie ici mes mots et non les siens - [TRADUCTION] "prématuré" d'entendre une allégation de violation de la Charte vu les autres recours dont disposait encore le demandeur pour faire examiner sa demande en raison du traitement dont il risquait de faire l'objet s'il retournait en Iran.

[27]            Le demandeur a proposé que les présentes questions soient certifiées par la Cour, à savoir :

Question 1

La Loi fournit-elle au demandeur, eu égard aux faits de l'espèce, une garantie suffisante à la sécurité de sa personne et ce en rapport avec les trois volets de celle-ci, sa sécurité physique, psychologique et économique lesquels volets sont compris à l'article 7 de la Charte et en relation avec les garanties procédurales de l'alinéa 2 de la Déclaration canadienne des droits (L.R.C. (1985), App III)?

a)          Si non, est-il nécessaire d'ajouter au texte législatif de sorte à inclure cette protection pour le demandeur?

b)          Si non toujours, est-il nécessaire de soustraire du texte législatif un ou des éléments afin d'assurer cet objectif?

Question 2 :


L'ordonnance d'interdiction de territoire assortie de la mesure de renvoi prise contre le demandeur par un membre du tribunal constitue-t-elle, vu les circonstances de l'espèce, une violation de son droit à la sécurité de sa personne telle que défini aux dispositions supra législatives devant régir le tribunal?

Question 3 :

Les dispositions législatives entraînant l'interdiction de territoire et la mesure de renvoi, en relation avec leurs effets sur la personne du demandeur, sont-elles compatibles avec le droit fondamental canadien?

[28]            Pour les raisons déjà indiquées et compte tenu de la jurisprudence à laquelle il est fait référence dans les présents motifs, je suis d'avis que les réponses à ces questions sont les suivantes :

Question 1 :

Oui.

Question 2 :

Non.

Question 3 :

Oui.

[29]            Ceci étant dit, je suis d'avis que les questions soumises par le demandeur, dont les réponses sont données par la Cour au paragraphe précédent, ne transcendent pas les intérêts des parties au litige, n'abordent pas des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL) compte tenu du fait que ces questions ont déjà été tranchées par la jurisprudence (Chiarelli, précité; Canepa, précité). Je suis également d'avis que la première question proposée n'a pas un caractère déterminant quant à l'issue d'un appel éventuel (Lyanagamage, précité). D'une part, la question est prématurée. D'autre part, quant au fond, je désire préciser ici que le demandeur n'a pas fait la preuve devant cette Cour du risque qu'il invoque. Les allégations générales de risque soumises à l'appui de la présente demande de contrôle judiciaire ne sont pas convaincantes. En effet, le demandeur est venu au Canada en tant que résident permanent parrainé. Il n'a présenté aucune preuve devant cette Cour à l'effet qu'il est recherché ou ciblé par les autorités cubaines. Je suis donc d'avis que le demandeur n'a pas démontré de façon satisfaisante devant cette Cour que son retour à Cuba risque de porter atteinte au droit à sa vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. En conséquence, la mesure d'expulsion ne va pas à l'encontre de l'article 7 de la Charte. De façon générale, la Cour ne devrait pas certifier des questions qui ont un caractère théorique, ce qui est le cas en l'espèce.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-8909-03

INTITULÉ :               ÉMILIO GONZALEZ ARGUELES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 30 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 22 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

DANIEL DROUIN                                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

SHERRY RAFAI FAR                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DANIEL DROUIN                                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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