Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20020709

   Dossier : T-1868-98

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 756

ENTRE :

                                                                 DENHARCO INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                             (défenderesse reconventionnelle)

                                                                                   et

                                                                 FORESPRO INC. et

                                                        QUADCO EQUIPMENT INC.

                                                                                   

                                                                                                                                              défenderesses

                                                                                                       (demanderesses reconventionnelles)

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PINARD

[1]                 Par leur requête déposée le 17 juin 2002, les défenderesses en appellent de l'ordonnance rendue par le protonotaire Aronovitch en date du 6 juin 2002, concernant des objections par la demanderesse à certaines questions posées par les défenderesses à l'inventeur Laurent Denis, dans le cadre de son interrogatoire préalable. Le dépôt des avis de requête amendés subséquents, auquel s'est objectée la demanderesse, n'a pas été autorisé par cette Cour.

[2]                 Le 6 juin 2002, les défenderesses présentaient une requête devant le protonotaire Aronovitch pour faire trancher les objections concernées aux huit questions suivantes :

a) en ce qui concerne la demande correspondante qui a été refusée aux États-Unis :

1)          "Est-ce qu'il est exact de dire que la demande de brevet correspondante qui a été déposée aux États-Unis n'a jamais été acceptée par le bureau des brevets américains?" (Q. 568);

2)          "Est-ce que votre agent de brevet vous a communiqué, à l'époque, les raisons pour lesquelles la demande de brevet correspondante américaine n'avait pas été acceptée?" (Q. 570);

3)          "Pouvez-vous m'indiquer pour quel motif la demande de brevet correspondante, qui a été déposée aux États-Unis, a été refusée?" (Q. 571a);

4)          "Alors j'aimerais obtenir une copie de la décision finale ou de la dernière lettre officielle émanant du bureau des brevets américains, par laquelle on a refusé la demande de brevet" (Q. 571b);


5)          "Et si cette décision est fondée, notamment sur des pièces d'art antérieur, j'aimerais savoir sur quelles pièces d'art antérieur" (Q. 571c);

b)          en ce qui concerne la déclaration extra-judiciaire de l'inventeur concernant l'invalidité du brevet '627 :

6)          "Et si je vous disais que lors d'une conversation téléphonique que vous avez eue avec lui [Jean Sigouin] très peu de temps après le début des procédures judiciaires par Denharco contre Forespro, vous lui auriez dit de lire attentivement le brevet dont on vient de parler parce que, selon vous, il était invalide, est-ce que c'est quelque chose que vous auriez pu dire?" (Q. 653);

7)          "Mais eu égard à ce brevet-là, à quoi plus particulièrement faisiez-vous référence?" (Q. 654);

8)          "Et qu'est-ce que c'est les choses que vous avez soulignées à monsieur Sigouin?" (Q. 655).


[3]                 Par ordonnance écrite non motivée rendue le même jour, le protonotaire Aronovitch a maintenu les objections à l'égard des questions ci-dessus 1 à 3 et 5 à 8, permettant uniquement la question 4.                                 

[4]                 La norme de révision applicable dans le cas d'un appel d'une ordonnance discrétionnaire du protonotaire a été bien énoncée par le juge MacGuigan dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 aux pp. 462-463 (C.A.) :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

                a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

                b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

(renvoi omis).

                               * * * * * * * * * * * * * * * * *

[5]                 En ce qui concerne d'abord les questions 568, 570, 571a) et 571c), toutes relatives à la demande de brevet correspondante américaine, il est intéressant de noter que dans Samsonite Corp. v. Holiday Luggage (1988), 20 C.P.R. (3d) 291 à la page 314, Madame le juge Reed a admis en preuve semblable information contenue dans des dossiers dits "file wrappers", considérant cette preuve pertinente pour établir l'art antérieur susceptible de contrer la présomption de validité d'un brevet émis.

[6]                 Je suis aussi d'avis qu'il s'agit ici d'un cas où les propos suivants de Madame le juge Reed, dans une décision subséquente (Foseco Trading A.C. et al. v. Canadian Ferro Hot Metal Specialties, Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35, p. 47), doivent recevoir leur pleine application :

It seems clear that information contained in file wrappers, either domestic or foreign, may be relevant for some purposes on some occasions. It may be that much of the information obtained by asking question relating thereto will turn out to be irrelevant but that is a decision for the trial judge to decide in the context of the case as presented. It is often difficult to know whether the answer to a question is relevant before one knows what the answer is and how it fits into the defendant's theory of its case. Accordingly, I am of the view that the prothonotary proceeded on a wrong principle in refusing to require that the questions be answered. The train of inquiry is one that the defendant is entitled to pursue at this stage. In the light of the jurisprudence set out above, it is my view, that it is premature at the discovery stage to prevent questions being asked concerning information contained in file wrappers.

[7]                 M'appuyant donc sur cette jurisprudence, je dois conclure que le protonotaire, en l'espèce, a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe lorsqu'elle a refusé d'exiger réponse à chacune de ces questions.

                               * * * * * * * * * * * * * * * * *

[8]                 Concernant les questions 653, 654 et 655, je ne suis par ailleurs pas convaincu que la décision du protonotaire est entachée d'erreur flagrante, pas plus qu'elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Le fait que la décision attaquée ne soit pas motivée ne veut pas dire pour autant que l'appel doit procéder de novo. (voir Hayden Manufacturing Co. v. Canplas Industries Ltd. (1998), 86 C.P.R. (3d) 17 (F.C.T.D.) aux pp. 19-20).

[9]                 Ici, les trois questions concernées ont trait et/ou sont reliées à l'opinion d'une personne, laquelle n'est pas partie au litige, sur la validité du brevet de la demanderesse, une question de droit qui doit être déterminée par la Cour, non par l'inventeur (Westinghouse Electric Corp. et al. v. Babcock & Wilcox Industries Ltd. (Trading under Name and Style Bailey Controls et al.) (1987), 15 C.P.R. (3d) 447 (F.C.T.D.) à la page 451; et Nekoosa Packaging Corp. v. AMCA International Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 470 (F.C.A.) à la page 480). Il serait donc inapproprié, en regard de ces trois questions, de substituer l'exercice de ma discrétion à celle du protonotaire.

                               * * * * * * * * * * * * * * * * *   

[10]            Pour toutes ces raisons, l'appel est maintenu en partie et l'ordonnance du protonotaire est modifiée en remplaçant ses paragraphes 1, 2 et 3 par ce qui suit :

1.          La requête est accordée à l'égard des éléments suivants, elle est autrement rejetée.


2.          La demanderesse devra, dans les meilleurs délais, se présenter à nouveau pour répondre aux questions 568, 570, 571a) et 571c) ci-dessus, et elle devra en outre fournir les informations et documents demandés à la question 571b) ci-dessus.

3.          Vu le succès partagé, les frais sont dans la cause.

                                                                                               Yvon Pinard             

                                                                                                             Juge                  

Montréal (Québec)

Le 9 juillet 2002

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.