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Date : 20040203

Dossier : IMM-4906-02

Référence : 2004 CF 180

Ottawa (Ontario), le 3 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                                                  ALI AFKHAM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle la Commission a décidé que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]                Le demandeur allègue qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qu'on lui impute, et il soutient également qu'il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque d'être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités.

[3]                Dans sa décision, la Commission fait état des faits suivants :

[4]                Le demandeur est né le 17 mai 1980 à Téhéran, en Iran. Il est célibataire et ses parents et leurs deux autres enfants vivent en Iran. Il a environ quatorze années de scolarité et n'a aucun antécédent de travail.

[5]                Le demandeur prétend avoir étudié l'électrotechnique à l'université Azad de l'Imam Khomeini à Abhar. Durant sa dernière année d'études, un groupe d'étudiants l'a informé qu'une manifestation en faveur d'une plus grande liberté d'expression aurait lieu le 10 février 2001. À cette époque-là, le rédacteur en chef d'un journal avait été arrêté et son journal interdit. Les étudiants réclamaient sa mise en liberté.

[6]                La manifestation a dégénéré et des fanatiques islamiques s'en sont pris aux étudiants, en les arrêtant et en rudoyant ceux qui tentaient de s'enfuir. Quelques étudiants ont été matraqués et du gaz lacrymogène a été utilisé. Le demandeur a entendu quelques coups de feu et il a décidé de s'enfuir. Plus tard, il s'est rendu chez son cousin et il a téléphoné à un de ses amis qui avait pris part à la manifestation avec lui. Les parents de son ami l'ont alors informé que les autorités avaient découvert que leur fils avait participé à la manifestation et elles l'avaient arrêté.


[7]                Le demandeur a demandé à son cousin d'appeler chez lui d'une cabine téléphonique et d'informer ses parents que, pour quelque temps, il se ferait très discret. Alors qu'il habitait chez un parent, le demandeur a découvert qu'on le recherchait. Il prétend que les services secrets du gouvernement le recherchaient parce qu'ils avaient découvert que ses oncles, qui étaient également recherchés, avaient fui le régime islamique pour des motifs politiques.

[8]                Le demandeur soutient que le 14 février 2001, les forces de l'ordre se sont introduites chez lui et ont perquisitionné les lieux pour y trouver des pièces à conviction. Elles ont trouvé des copies d'un journal qui avait été interdit, quelques lettres de ses oncles ainsi que des documents liés à la manifestation. Craignant pour sa vie, le demandeur a pris des arrangements par l'intermédiaire de ses parents et d'un tiers pour quitter le pays, en laissant tout derrière lui, dans le but d'atteindre le Canada où il avait de la famille qui pouvait l'aider. Il allègue que des agents du gouvernement se rendent toujours chez lui à l'occasion et qu'ils importunent ses parents. Le demandeur est arrivé au Canada le 28 mai 2001 et, le jour même, il a demandé l'asile au Canada.

[9]                Le demandeur soutient que la Commission a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[10]            Lorsqu'un demandeur sollicite le contrôle d'une décision de la Commission qui a été fondée sur la crédibilité, le fardeau qui lui incombe est lourd. C'est au demandeur de prouver que la décision de la Commission ne peut être justifiée, compte tenu de la preuve présentée à l'audition :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire (Aguebor c. Canada (MEI), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

[11]            Dans l'affaire qui nous intéresse, le demandeur a soumis une longue liste de prétendues erreurs de fait de la part de la Commission et d'inférences erronées tirées par cette dernière.

[12]            Je suis convaincue, après avoir attentivement examiné la transcription des audiences, que les erreurs relevées dans la décision de la Commission sont déterminantes quant à sa conclusion en matière de crédibilité, que ces erreurs ont été commises sans qu'il n'ait été tenu compte des éléments de preuve soumis et qu'elles sont d'une importance telle qu'elles font en sorte que la décision est manifestement déraisonnable.

[13]            De plus, le demandeur avait présenté une preuve médicale de son séjour à l'hôpital et des blessures qu'on lui avait infligées pendant la manifestation, éléments de preuve dont il n'a pas été fait mention dans la décision. Le fait que la Commission n'a pas tenu compte des documents à l'appui de la demande du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle.

[14]            Le juge Evans, dans la décision Cepeda-Gutierrez c. MCI (1998), 157 F.T.R. 35 à la page 41, énonce ce qui suit :

Plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il disposait » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés.

[15]            Le fait que la Commission a déclaré qu' « à [s]a grande surprise » , le demandeur avait produit les documents universitaires à la deuxième audience, alors qu'il avait clairement dit, pendant la première audience, qu'il avait l'intention de le faire, jette un doute sur l'objectivité de la Commission qui a certainement omis de tenir compte du témoignage du demandeur sur ce point.

[16]            Le commentaire de la Commission, selon lequel le demandeur n'a pas su donner une réponse satisfaisante aux questions se rapportant à ces documents, est également curieux. Lors de la première audience, le demandeur a dit qu'il allait obtenir les documents de sa mère en Iran et, à la seconde audience, il a affirmé qu'il avait les enveloppes dans lesquelles les documents avaient été envoyés d'Iran et que, si la Commission l'exigeait, il pouvait les produire. Je conclus que les témoignages de la première et de la deuxième audience sont cohérents.

[17]            De plus, le demandeur a fourni son numéro de carte d'étudiant, ce qui aurait permis à la Commission de vérifier s'il était oui ou non un étudiant inscrit à cette université. Donc, la Commission n'avait aucun motif sérieux de pas accorder une valeur probante à ces documents.


[18]            Le fardeau de la preuve, dans de telles circonstances, est très lourd, mais je crois que le demandeur a démontré que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable. Le nombre élevé d'erreurs que la Commission a commises en prenant sa décision est suffisant pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[19]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

                                                                 « Danièle Tremblay-Lamer »          

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4906-02

INTITULÉ :                                                    ALI AFKHAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Christina Karadimos                                          POUR LE DEMANDEUR

Michel Pépin                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waïce Ferdoussi, avocats                                  POUR LE DEMANDEUR

1550, rue Metcalfe, pièce 903

Montréal (Québec) H3A 1X6

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

Ministère de la Justice

Montréal (Québec) H2Z 1X4


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