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Date : 20020307

Dossier : IMM-1276-01

Référence neutre : 2002 CFPI 258

Toronto (Ontario), le jeudi 7 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                     ADEGBOYEGA OLUSEYI ADEWUMI

                                                                                           demandeur

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]    Adegboyega Oluseyi Adewumi, un ressortissant nigérian âgé de 33 ans, dépose cette demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision en date du 5 février 2001 de la section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La SSR avait estimé que M. Adewumi n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]    Je suis convaincue que, en concluant ainsi, la SSR a commis une erreur parce qu'elle a estimé qu'il n'y avait aucun lien entre la revendication de M. Adewumi et un motif prévu par la Convention. Cependant, malgré les arguments sérieux de l'avocat de M. Adewumi, je suis également convaincue que la SSR pouvait raisonnablement conclure à l'existence d'une protection d'État au Nigéria, de telle sorte que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

LES FAITS

[3]    M. Adewumi a témoigné que, après avoir dit ce qu'il pensait du cultisme devant des étudiants et des autorités universitaires, sa voiture et son logement ont été vandalisés, il a été menacé de mort par les cultistes et il a été tabassé. M. Adewumi dit avoir signalé ces faits à la police, qui n'a rien fait jusqu'à ce qu'il dépose une troisième plainte, et qui lui a alors dit qu'elle communiquerait de nouveau avec lui après son enquête. M. Adewumi dit que, quelques semaines plus tard, il a été tabassé et détenu dans une pièce sombre pendant une journée par un groupe d'hommes affirmant être des agents de la force publique. Après sa remise en liberté, il s'est caché jusqu'en août 1999, lorsqu'il quitta le Nigéria pour Canada.


[4]                M. Adewumi dit qu'il craint de retourner au Nigéria parce qu'il croit qu'il ne peut bénéficier d'aucune protection d'État et qu'il sera tué par les cultistes. Sa revendication du statut de réfugié pour des motifs prévus par la Convention est fondée sur son appartenance à un groupe social, à savoir les victimes des persécutions de personnes bénéficiant de la complicité de l'État, ainsi que sur ses opinions politiques.

[5]                La SSR a estimé que le témoignage de M. Adewumi était crédible et digne de foi. Cependant, elle a estimé que M. Adewumi craignait de tomber aux mains des cultistes, de telle sorte qu'il n'y avait aucun lien avec un motif prévu par la Convention. Par ailleurs, la SSR a jugé que, en tout état de cause, M. Adewumi peut bénéficier d'une protection d'État contre les menaces de violence des cultistes et que le gouvernement du Nigéria fait des efforts raisonnables pour lutter contre les activités des cultistes.

ANALYSE

(i) Lien avec un motif prévu par la Convention

[6]                La SSR n'a appuyé d'aucune analyse sa conclusion selon laquelle la crainte de M. Adewumi ne résultait pas d'un motif prévu par la Convention. Après avoir noté que, selon elle, M. Adewumi était crédible et que les violences commises par les cultistes sont très répandues sur les campus partout au Nigéria, la SSR a simplement déclaré que « suivant les propos du revendicateur sur les menaces de mort et les agressions physiques dont il a fait l'objet, le tribunal considère que le revendicateur craint d'être la victime d'un crime commis par des membres d'un culte. Il n'existe donc aucun lien entre sa revendication et les motifs prévus dans la Convention » .


[7]                Dans l'arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 327, la Cour d'appel fédérale se demandait si la persécution exercée après qu'une plainte est déposée auprès d'autorités publiques régionales à propos de la corruption généralisée des fonctionnaires de l'État était une persécution résultant de l'expression d'opinions politiques. La Cour d'appel a conclu que, lorsque la corruption est si répandue au sein du gouvernement qu'elle fait partie de la structure de ce dernier, une dénonciation de cette corruption constitue l'expression d'une « opinion politique » . Les opinions politiques comprennent toute opinion sur une question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé.

[8]                En l'espèce, le témoignage de M. Adewumi a été accepté par la SSR comme un témoignage crédible et digne de foi. Selon ce témoignage, après qu'il eut donné, à l'Université du Bénin, une conférence dirigée contre les cultes, conférence durant laquelle il avait condamné les activités des cultes et critiqué la police et le gouvernement pour leur inertie devant de graves infractions criminelles, y compris le meurtre, il avait été la cible de cultistes.


[9]                Vu que les critiques de M. Adewumi s'étendaient à la police et à l'État, et compte tenu de la preuve présentée à la SSR concernant la mesure dans laquelle les cultistes bénéficient de la complaisance des pouvoirs en place, il est très possible que l'action de s'opposer publiquement à l'immunité de fait accordée aux cultistes fût une affaire qui engageait l'appareil étatique, gouvernemental et politique du Nigéria. À tout le moins, une analyse de la question était nécessaire, et la SSR a commis une erreur en affirmant, sans s'appuyer sur la raison ou les précédents, que ce que craignait M. Adewumi, c'était d'être la victime d'actes criminels.

(ii) Protection de l'État

[10]            Les principes juridiques applicables sont les suivants :

i)           Sauf un effondrement complet de l'appareil étatique, l'existence d'une protection d'État est présumée. Un revendicateur doit donc produire une preuve manifeste et convaincante de l'incapacité de l'État de protéger ses citoyens. À titre d'exemple, un revendicateur pourrait témoigner de la situation analogue de personnes que l'État n'a pas pu ou n'a pas voulu protéger, ou témoigner d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.


ii)          Lorsque l'État exerce une véritable autorité sur son territoire, qu'il a mis en place des instances militaires, policières et civiles et qu'il fait de réels efforts pour protéger ses citoyens, le simple fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffira pas à établir que les victimes ne peuvent bénéficier d'une protection de l'État.

Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, en particulier au paragraphe 57; Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[11]            En l'espèce, il existait devant la SSR une preuve crédible selon laquelle, vers la fin de 1999, les activités cultistes avaient diminué, un nombre croissant d'étudiants ayant dénoncé publiquement leur appartenance à ces cultes, et que les activités hors campus des cultes d'origine universitaire étaient limitées.


[12]            Dans une correspondance échangée avec la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le directeur général du Centre for Responsive Politics, à Port Harcourt, au Nigéria indiquait que, dans l'ensemble, le système policier fonctionne, quoi qu'en pensent les Nigérians, et que, autant qu'il sache, la police réagit promptement aux menaces de violence, de dommages ou de mort qui lui sont rapportées. Il mentionnait que la police nigériane comptait plusieurs sections, de telle sorte que les citoyens insatisfaits des enquêtes menées ou des mesures prises par une section peuvent demander et obtenir le transfert de leurs dossiers à d'autres sections. Le directeur général indiquait aussi que, si, après enquête, une plainte est jugée fondée et susceptible de poursuites, la police dépose des accusations ou renvoie l'affaire au ministère public pour avis juridique. Le ministère public engage des poursuites s'il est convaincu de l'existence d'un commencement de preuve contre l'accusé.

[13]            Le directeur général du Centre a reconnu que les attaches d'un policier peuvent influer sur sa réaction à une plainte, mais il a noté que les policiers ne prennent pas eux-mêmes les décisions, de telle sorte que, lorsqu'un plaignant croit qu'un policier est un membre ou un sympathisant d'un culte, la plainte sera transmise aux instances policières supérieures. Finalement, le directeur général aurait déclaré que la majorité des policiers s'efforçaient de faire leur travail et qu'il ne suffisait plus à un policier de simplement obéir aux ordres, parce que les ordres doivent aussi être conformes à la loi.

[14]            Le directeur général du Projet concernant les droits fondamentaux aurait, selon la Direction de la recherche, exprimé l'avis que la police est aujourd'hui plus respectueuse des droits des citoyens et que la culture de l'impunité a disparu.


[15]            Dans une demande de contrôle judiciaire, il ne s'agit pas de savoir si la preuve soumise au tribunal aurait pu justifier une conclusion différente, mais de savoir si les conclusions du tribunal ont été tirées d'une manière abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments de preuve dont disposait le tribunal. La conclusion de la SSR selon laquelle M. Adewumi n'avait pas apporté une preuve manifeste et convaincante montrant que l'État ne voulait pas ou ne pouvait pas le protéger était raisonnablement autorisée par la preuve dont disposait la SSR, et l'on ne saurait donc dire qu'elle est arbitraire ou abusive ou qu'elle a été tirée au mépris des éléments dont disposait la SSR.

[16]            Avant de conclure ainsi, j'ai pris en compte le témoignage de M. Adewumi, qui a déclaré qu'il avait demandé la protection des autorités et que les autorités n'avaient pu lui offrir cette protection. Selon M. Adewumi, c'était là le signe de l'incapacité de l'État à le protéger.

[17]            La police a peut-être réagi mollement lorsqu'il s'est plaint d'actes de vandalisme et de notes anonymes renfermant des menaces de mort, mais, après que M. Adewumi s'est plaint d'avoir été tabassé, la police lui a promis d'enquêter sur sa plainte et de lui communiquer ses conclusions une fois l'enquête terminée. Après cela, M. Adewumi n'a pas réussi à obtenir une audience auprès du commissaire de police ou le comité spécial sur le cultisme. M. Adewumi n'a pas alors signalé à la police les graves incidents ultérieurs.


[18]            La SSR a examiné ce témoignage et estimé qu'il lui était impossible de conclure que l'absence de réaction de la police s'expliquait par l'incapacité ou le manque d'empressement de la police à protéger M. Adewumi, parce que la preuve était insuffisante et ne permettait pas de tirer cette conclusion. Comme M. Adewumi a quitté le Nigéria peu après avoir signalé à la police les coups qu'il avait reçus, et puisqu'il n'a pas signalé les autres incidents à la police, il était à mon avis loisible à la SSR de conclure, compte tenu de l'ensemble de la preuve, notamment la preuve documentaire, que la preuve ne permettait pas de dire que la police ne pouvait pas ou ne voulait pas protéger M. Adewumi.

[19]            En définitive, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20]            L'avocat de M. Adewumi a demandé que la question suivante soit certifiée :

Lorsque le témoignage d'un revendicateur, au cours duquel le revendicateur affirme avoir tenté, sans succès, d'obtenir la protection de l'État, est jugé crédible et digne de foi, ce témoignage peut-il satisfaire à l'élément objectif requis dans la définition d'un réfugié au sens de la Convention?

[21]            Il s'agit là d'une question ouverte, et ce n'est pas à mon avis une question de portée générale. Chaque cas doit être résolu d'après l'ensemble de la preuve soumise à la SSR. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

IL EST ORDONNÉ CE QUI SUIT :

1.    La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.    Aucune question n'est certifiée.

          « Eleanor R. Dawson »          

Juge                         

Toronto (Ontario)

le 7 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           IMM-1276-01

INTITULÉ :                                                    ADEGBOYEGA OLUSEYI ADEWUMI

                                                                                           demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 12 DÉCEMBRE 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE JEUDI 7 MARS 2002

ONT COMPARU :

M. Kingsley Jesuorobo                                      pour le demandeur

M. John Loncar                                                             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo                                                       pour le demandeur

Avocat

968, avenue Wilson

3e étage

North York (Ontario)

M3K 1E7

Morris Rosenberg                                                          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 20020307

                    Dossier : IMM-1276-01

ENTRE :

ADEGBOYEGA OLUSEYI ADEWUMI

                                          demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                          

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                          


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