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Date : 20051013

Dossier : IMM-1705-05

Référence : 2005 CF 1400

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

ENTRE :

JANETTE WILSON MALLETTE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 21 janvier 2005, dans laquelle la Commission a annulé le sursis d’exécution d’une ordonnance de renvoi, a rejeté l’appel de la demanderesse et maintenu l’ordonnance d’expulsion qui a été prononcée à l’encontre de la demanderesse le 21 janvier 2001, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur la l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               La demanderesse est arrivée au Canada en 1968 à titre de visiteuse. Elle s’est mariée alors qu’elle était au Canada et elle a été parrainée par son mari. Elle a été expulsée en 1976 parce qu’elle avait commis des vols et des actes de fraude. Elle est revenue au Canada en 1977 à titre de visiteuse sans documents. Il lui a été accordé une amnistie en 1986 et elle a obtenu le statut de résidente permanente au Canada le 8 janvier 1989.

 

[3]               Le 31 janvier 2001, elle a à nouveau fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion parce qu’elle avait été déclarée coupable de possession de stupéfiants aux fins de trafic. Cependant, le 25 juillet 2002, la Commission a accordé à la demanderesse le sursis d’exécution pour une période de cinq ans assorti de dix conditions précises. La demanderesse était notamment tenue de :

  • se présenter chaque mois au Centre d'Immigration Canada à Ottawa;
  • signaler tout changement d’adresse;
  • signaler toutes les accusations et les condamnations la visant;
  • continuer à recevoir du counselling de la société Elizabeth Fry une fois par semaine;
  • continuer à suivre régulièrement les programmes de désintoxication;
  • s’abstenir de faire usage de stupéfiants ou d’en vendre;
  • ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite.

 

[4]               Dans sa décision, la Commission a informé la demanderesse qu’une audience d’examen aurait lieu vers le 10 juillet 2003 et que la Commission examinerait l’affaire vers le 10 juillet 2007 ou à une date antérieure si nécessaire.

[5]               En février 2003, le représentant du ministre a demandé l’examen anticipé du sursis d’exécution, alléguant qu’il y avait eu plusieurs violations des conditions imposées. La demanderesse aurait notamment commis d’autres infractions pénales, fait usage de stupéfiants illégaux, vendu des stupéfiants et elle aurait aussi manqué à son obligation de ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite.

 

[6]               Une audience a donc été tenue en mai 2003. La demanderesse a alors reconnu ne pas avoir respecté un certain nombre des conditions qui lui avaient été imposées. Cependant, la Commission a conclu que l’annulation du sursis d’exécution aurait constitué une sanction trop lourde à ce moment; elle a plutôt décliné d’annuler le sursis et elle a modifié les conditions qui avaient été imposées à la demanderesse à l’origine.

 

[7]               Dans sa décision rendue le 29 mai, la Commission a informé la demanderesse qu’une [TRADUCTION] « audience de réexamen provisoire » de l’affaire aurait lieu vers le 16 mai 2004 et qu’un [TRADUCTION] « réexamen définitif » aurait lieu vers le 10 juillet 2007, ou à la date antérieure qu’elle pourrait éventuellement fixer.

 

[8]               Le 9 août 2004, la Commission a envoyé à la demanderesse un avis d’audience, qui indiquait qu’il y aurait alors une audience d’examen de l’ordonnance rendue par la Commission le 29 mai 2003.

 

[9]               Le 21 janvier 2005, la demanderesse s’est présentée à l’audience sans avocat et elle a déposé. Dans sa décision écrite le 18 février 2005, la Commission a annulé l’ordonnance de sursis au renvoi de la demanderesse et ordonné que celle-ci soit renvoyée le plus tôt possible.

 

[10]           La Commission a conclu que, depuis la décision du 29 mai 2003, la demanderesse avait eu des démêlés avec la justice; elle avait notamment été mêlée à des activités criminelles. Le 25 mai 2003, elle a été accusée de vol à l’étalage, bien que cette accusation ait été ultérieurement retirée. Le 5 novembre 2003 et le 18 février 2004, elle a été accusée de prostitution et déclarée coupable. Elle n’a pas toujours respecté l’obligation de se présenter aux autorités et elle a fait usage de stupéfiants illégaux.

 

[11]           La Commission n’a pas été convaincue que l’aide communautaire qu’elle recevait, notamment le suivi assuré par des groupes communautaires, serait d’une quelconque utilité. Elle avait violé les conditions qui lui avaient été imposées par les deux décisions rendues antérieurement par la Commission. Même si elle avait emménagé dans une résidence pour personnes âgées et même si elle avait un petit ami, le commissaire a estimé que rien dans la preuve ne donnait à penser qu’elle respecterait les conditions imposées par la décision d’origine.

 

[12]           La Commission a donc annulé le sursis d’exécution de l’ordonnance de renvoi, rejeté l’appel, et maintenu l’ordonnance d’expulsion rendue contre la demanderesse le 31 janvier 2001.

[13]           La Commission aurait-elle dû ajourner l’audience lorsque la demanderesse a signalé qu’elle n’avait pas d’avocat ?

 

[14]           Le droit d’être représenté par un avocat n’est pas absolu. En matière d’immigration, la jurisprudence enseigne que la décision rendue n’est pas valable si l’absence d’avocat a privé le demandeur de son droit à une audience équitable. Dans la décision Mervilus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1460 (QL), 2004 C.F. 1206, le juge Harrington a passé en revue la jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, qu’il a ainsi résumée au paragraphe 25 :

On peut donc dégager les principes suivants de la jurisprudence : bien que le droit à l'avocat ne soit pas absolu dans une procédure administrative, le fait de refuser au justiciable la possibilité de se constituer un avocat en n'accordant pas une remise est susceptible de contrôle judiciaire si les facteurs suivants sont en jeu : la cause est complexe, les conséquences de la décision sont graves, le justiciable n'a pas les ressources, qu'il s'agisse de capacité intellectuelle ou de connaissances juridiques, pour bien représenter ses intérêts.

 

 

 

[15]           Je conclus que tous ces facteurs sont présents en l’espèce. Il est manifeste que la demanderesse n’était pas capable de se représenter elle-même.

 

[16]           Elle a officiellement reçu deux avis l’informant que la Commission avait l’intention de vérifier si la demanderesse avait respecté les conditions assortissant le sursis d’exécution de l’ordonnance d’expulsion la visant; cependant, il est évident qu’elle a cru qu’il s’agissait de l’examen annuel de son état et de ses progrès, semblables à ses entrevues mensuelles relatives à son sursis. C’est pour cette raison, dit-elle, qu’elle ne s’est pas fait accompagner par un avocat pour la représenter.

 

[17]           Dans son affidavit, la demanderesse déclare que, environ 10 minutes après le début de l’audience, elle a commencé à se sentir nerveuse et confuse. Elle n’a pas compris plusieurs des questions qui lui ont été posées et elle a été surprise de se voir poser des questions au sujet de ses condamnations antérieures et des audiences d’immigration précédentes.

 

[18]           Environ 27 minutes après le début de l’audience, le dialogue suivant a eu lieu entre Mme Julie Ryan, avocate du Ministre, et la demanderesse :

 

[TRADUCTION]

Mme Ryan :           À la page 5, nous avons le certificat de déclaration de culpabilité  relativement à cette accusation. Avez-vous obtenu cette pièce, le dossier ? Elle a été envoyée à votre ancienne adresse.

 

La demandeure:    Non, je ne l’ai pas obtenue. Si j’avais su, j’aurais emmené un avocat.

 

[19]           En outre, l’examen de la transcription montre qu’elle a eu des troubles de mémoire, qu’elle n’a pas compris des questions simples qui lui ont été posées et qu’elle s’est effondrée à plusieurs reprises. Elle a été totalement incapable de défendre sa cause. Les conséquences de cette décision sont très graves. Si elle est expulsée, la demanderesse, après avoir vécu au Canada pendant presque 20 ans, sera expulsée vers l’Écosse, où elle n’a apparemment pas de famille, à l’âge de 61 ans. Cela réduira à néant les progrès qu’elle a fait relativement à sa désintoxication et à sa réadaptation en général.

 

[20]           Le fait que la Commission n’a pas ordonné l’ajournement de l’audience afin de donner à la demanderesse la possibilité de trouver un avocat l’a privée de son droit à une audience équitable.

 

[21]           La Commission a aussi commis une erreur lorsqu’elle a refusé à la demanderesse la possibilité de produire des éléments de preuve. Comme la demanderesse s’est présentée à l’audience sans avocat, et en possession d’un certain nombre de lettres indiquant ses progrès concernant sa désintoxication et ses problèmes de prostitution, la Commission n’aurait pas dû empêcher la demanderesse de verser au dossier ces éléments de preuve pertinents dont elle avait besoin pour établir que son état était, en fait, en évolution. Il ne revient pas à la Cour de dire si elles auraient amené la Commission à tirer des conclusions différentes, mais il est manifeste que ces lettres auraient pu aboutir à une issue différente.

 

[22]           Par conséquent, la décision de la Commission dans laquelle elle a annulé le sursis d’exécution de l’ordonnance de renvoi, rejeté l’appel de la demanderesse et maintenu l’ordonnance de renvoi qui a été prononcée contre la demanderesse le 31 janvier 2001 sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Les parties n'ont pas demandé que des questions soient certifiées.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

[1]        La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[2]        L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1705-05

 

INTITULÉ :                                       JANETTE WILSON MALLETTE

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 13 OCTOBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 OCTOBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

George Brown                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

Lynn Marchildon                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

George Brown

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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