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Date : 19990924


Dossier : IMM-6309-98



Entre :

     YIZHI SHANG,

     Demanderesse,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la "section du statut") rendue le 29 octobre 1998, selon laquelle la demanderesse, citoyenne de la République populaire de Chine, n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]      Comptable et agent de communication à la Compagnie de développement des nouvelles de Binhaï en 1993 et 1994, la demanderesse a découvert que l'un des responsables de la compagnie était impliqué dans des affaires de corruption avec d'autres employés supérieurs. Elle lui en a fait part et l'a dénoncé auprès des patrons. Choqué, il a accusé la demanderesse à son tour d'avoir conclu un contrat avec une compagnie, sans y être autorisée, ce qui a entraîné l'arrestation de celle-ci pour fraude le 15 juillet 1994.

[3]      La demanderesse a été emprisonnée durant plus de cinq mois et a été libérée le 26 décembre 1994. Le 30 août 1995, un tribunal a acquitté la demanderesse mais le Parquet a interjeté appel en septembre 1995. Au départ de la demanderesse de la Chine en septembre 1997, le résultat de cet appel n'était toujours pas connu. La demanderesse craint d'être arrêtée si elle retourne en Chine pour avoir enfreint une loi interdisant de quitter le pays avant le règlement d'un litige.

[4]      Dans une courte décision rendue dès après l'audience, la section du statut a rejeté la demande de statut de réfugiée de la demanderesse, en notant d'abord une contradiction importante entre son récit et son témoignage. Je reviendrai sur cette question dans les paragraphes suivants. Le tribunal lui a aussi reproché certaines lacunes et invraisemblances, sur lesquelles il ne m'apparaît pas nécessaire de m'attarder, pour enfin conclure qu'il n'y avait pas de lien entre la poursuite judiciaire pour corruption, suite à des fausses dénonciations, et l'un des cinq motifs énoncés à la Convention.

[5]      Au soutien de la demande de contrôle judiciaire, le procureur de la demanderesse plaide que le tribunal a erré en voyant des contradictions entre le récit et le témoignage de sa cliente. Il estime en effet qu'en l'absence d'une partie importante de la transcription de l'audience, il n'est pas en mesure, même avec l'affidavit de sa cliente, de démontrer à cette Cour les erreurs commises par le tribunal.

[6]      Il importe de reproduire le premier motif invoqué par la section du statut pour rejeter la demande:

     Pour commencer, nous avons noté une contradiction importante entre votre récit et votre témoignage à l'audience aujourd'hui. Dans votre récit, vous avez fait état de la persécution du bureau de la Sécurité publique, qui vous empêchait de gagner votre vie et qui vous empêchait de trouver du travail. À l'audience, vous avez cependant reconnu que vous avez pu occuper quatre emplois différentes après votre libération de prison, entre janvier 1995 et mars 1996.


[7]      Je signale immédiatement que même si le témoignage de la demanderesse a fait l'objet d'un enregistrement mécanique, une partie importante de la transcription ne se retrouve pas au dossier du tribunal.1

[8]      Dans Syndicat canadien de la fonction publique c. Montréal, [1997] 1 R.C.S. 793, la Cour suprême a énoncé les principes régissant l'absence ou l'insuffisance de la transcription d'une audience en regard des règles de la justice naturelle. Dans cette affaire, la Cour suprême a en somme jugé que, saisie d'une demande de contrôle judiciaire pour ce motif, une cour de justice ne doit ordonner une nouvelle audience que s'il y a une possibilité sérieuse que la partie manquante de la transcription contienne une erreur ou que cette omission prive le demandeur d'un moyen d'appel ou de révision. La juge L'Heureux-Dubé, au nom de la Cour, s'est exprimée ainsi:

Même dans le cas où la loi prévoit le droit à un enregistrement de l'audition, les tribunaux ont conclu que le requérant doit démontrer qu'il existe une possibilité sérieuse d'une erreur dans le dossier ou d'une erreur telle que l'absence d'enregistrement l'empêche de faire valoir ses moyens d'appel [...] (p.840)
. . .
En l'absence d'un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d'appel ou de révision. Si c'est le cas, l'absence d'une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d'une transcription. Étant donné que cet enregistrement n'a pas à être parfait pour garantir l'équité des délibérations, il faut, pour obtenir une nouvelle audience, montrer que certains défauts ou certaines omissions dans la transcription font surgir une "possibilité sérieuse" de négation d'un moyen d'appel ou de révision. (p.842)


Dans l'affaire Kulmiye c. M.C.I., IMM-3553-96, 27 janvier 1998, où le demandeur avait demandé que soit cassée la décision de la section du statut en raison de l'absence des deux tiers de la transcription de l'audience, M. le juge Heald s'est exprimé ainsi:

[. . .] counsel for the respondent submits that the absence of a transcript is determinative only in cases where that defect prejudices in some way the applicant's ability to present his case for judicial review. I agree with counsel for the respondent.


[9]      En l'espèce, la section du statut reproche à la demanderesse, tel que démontré plus haut, une contradiction importante entre son récit des événements contenu dans sa fiche de renseignements personnels (FRP) et son témoignage à l'audience, à propos des quatre emplois différents qu'elle aurait occupés après sa libération de prison. La demanderesse soutient que sa FRP faisait état de ces événements2, et dans l'affidavit qu'elle a déposé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, elle atteste3 avoir témoigné à ce sujet à l'audience. En l'absence d'une partie de la transcription, la Cour n'est pas en mesure de faire les vérifications nécessaires à savoir si la demanderesse s'est contredite. Il est vrai que son affidavit aurait pu être beaucoup plus explicite sur ce que contenait son témoignage à l'enquête, et en particulier indiquer là où, selon elle, le tribunal aurait erré dans l'appréciation de son témoignage. J'estime cependant que son affidavit contient suffisamment d'information pour soulever une possibilité sérieuse de négation d'un moyen de révision. En effet, en l'absence de cette transcription, la demanderesse n'est pas en mesure de contester les éléments qu'a retenus le tribunal pour conclure qu'elle ne s'était pas déchargée du fardeau d'établir qu'elle avait une crainte raisonnable de persécution. Cette question avait pourtant fait l'objet d'un débat durant son témoignage.

[10]      La Cour, en l'absence d'une partie importante de la transcription, n'est pas en mesure de vérifier si le tribunal a erré en concluant avoir "noté une contradiction importante" entre son récit et son témoignage.

[11]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le procureur de la demanderesse a proposé, à la fin de l'audition, deux questions qu'il souhaitait voir certifier aux fins d'un appel. Vu les conclusions auxquelles j'en viens, il n'y a pas matière à certifier de questions.



                                 _________________________

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

le 24 septembre 1999

__________________

     1      L'inscription suivante apparaît à la page 286 du dossier du tribunal: "Procès-verbal de l'audience incomplet, car la cassette no 1 n'est pas disponible. Johanne Hébert, agent préposé au cas."

     2      À la question 37 (p. 25 du dossier de la demanderesse), celle-ci écrit: Ma vie a été difficile après ma libération. Les gens du Bureau de vérification menaçaient ceux qui m'employaient. Personne n'osait s'opposer à eux à cause de leur pouvoir. C'est pourquoi aucune compagnie ne voulait m'employer.

     3      Paragraphes 24 à 26 de son affidavit, page 13 du dossier de la demanderesse.

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