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Date : 20060705

Dossier : T‑159‑05

Référence : 2006 CF 848

OTTAWA (Ontario), le 5 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

ENTRE :

DEBBIE SUTTON

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C 1985, ch. F‑7, l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire contestant une décision datée du 5 octobre 2004 par laquelle une conseillère aux services opérationnels et de gestion (la conseillère), au Bureau de la gestion des différends (BGD) de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), a jugé que sa demande de révision par un tiers indépendant (RTI) concernait la révision d’une seule des décisions résultant du concours. La conseillère a estimé que, à défaut d’une demande plus précise de révision de chacune des opérations de dotation en personnel, la révision devait se limiter à la seule opération indiquée par la demanderesse.

 

[2]               La demanderesse, Debbie Sutton, est une employée de l’ADRC. Le 30 janvier 2002, des postes vacants de coordinateur, Équipe d’essais (AS‑03), ont été affichés. La demanderesse a posé sa candidature et s’est qualifiée pour le poste, en même temps que 18 autres candidats figurant sur la liste d’admissibilité.

 

[3]               Le 12 mai 2004, une décision de placement a été prise. Six candidats ont été retenus par quatre gestionnaires recruteurs. Les six sélections visaient le même poste AS‑03. Tous les candidats ont été choisis d’après les mêmes critères, et chaque poste était situé au Centre de technologie d’Ottawa. La demanderesse n’a pas été retenue.

 

[4]               L’avis d’affectation ne contient qu’un numéro de concours et confirme qu’une seule décision de placement devait être prise pour les postes AS‑03. L’avis d’affectation confirme aussi que les critères étaient les mêmes pour tous.

 

[5]               La demanderesse a contesté les décisions de placement. Comme prévu dans les Lignes directrices RTI, elle a demandé une rétroaction individuelle pour l’étape de placement. Cependant, la demanderesse n’a demandé une rétroaction qu’à deux des quatre gestionnaires en cause, William Gutknecht et William Buse. La demanderesse a rencontré M. Gutknecht le 26 mai 2004 et M. Buse le 27 mai 2004.

 

[6]               L’ADRC a publié et distribué des Lignes directrices portant sur la présentation et le traitement d’une demande de révision par un tiers indépendant (les réviseurs ne sont pas des employés, des agents ou des directeurs de l’ADRC). Parmi les Lignes directrices, il y a les suivantes :

Dépôt d’une demande

 

Le demandeur doit présenter une demande au Bureau de la gestion des différends (BGD) au moyen du formulaire « Demande de révision par un tiers indépendant » (numéro RC117), qu’il trouvera à son bureau local des ressources humaines, ou dans Infozone au http://inforzone.rc.gd.ca/francais/r2732472/conflict/dispute_independent.asp

Il doit également en envoyer une copie au gestionnaire qui a pris la décision visée par la révision (ci‑après le gestionnaire) ou à son bureau local des ressources humaines.

 

La demande doit être reçue au BGD dans les sept jours civils suivant la date où l’employé a reçu une réponse relative au processus obligatoire de règlement des griefs ou des plaintes fondé sur le droit des parties précédant le droit du demandeur de se prévaloir d’une RTI, par exemple la rétroaction individuelle (RI) liée à la phase du placement du processus de sélection.

 

Une demande faite auprès d’un gestionnaire ou du bureau local des ressources humaines dans les délais prescrits de sept jours et acheminée subséquent au BGD sera jugée conforme aux délais requis.

 

 

[7]               Le 2 juin 2004, la demanderesse déposait un formulaire de plainte en ligne dans lequel elle alléguait une violation de la politique de dotation en personnel et demandait une RTI. Elle n’a indiqué sur la demande que le nom de M. Gutknecht. Elle n’a pas mentionné M. Buse, ni les deux autres gestionnaires recruteurs. Selon les Lignes directrices, la demande doit donner des renseignements sur le gestionnaire décideur.

 

[8]               Après avoir reçu sa plainte, la conseillère a communiqué avec la demanderesse pour confirmer l’information figurant sur son formulaire de demande, et pour lui demander si, oui ou non, l’unique décision dont elle sollicitait la révision était la décision d’affectation prise par M. Gutknecht. La demanderesse lui a répondu qu’elle n’était pas certaine de la procédure à suivre, et la conseillère lui a dit de communiquer avec son délégué syndical.

 

[9]               Les 8 et 22 juin 2004, ainsi que le 7 juillet 2004, la conseillère a laissé des messages téléphoniques à la demanderesse, et, le 7 juillet, la demanderesse l’a rappelée. Durant cette conversation, l’information figurant sur la demande de RTI présentée par la demanderesse a été confirmée, de même que le nom du gestionnaire dont la décision était contestée, et la demanderesse a aussi communiqué le nom de son délégué syndical.

 

[10]           Il a été conclu que la demanderesse avait validement présenté une demande de RTI à l’encontre de la décision de M. Gutknecht, et l’affaire fut soumise à un certain William Neville, pour révision indépendante.

 

[11]           Le 28 septembre 2005, M. Neville informait la conseillère que la demanderesse voulait contester les décisions d’affectation prises par M. Buse et M. Rutz (un troisième gestionnaire d’affectation), en plus de la décision de M. Gutknecht.

 

[12]           Le 5 octobre 2004, la conseillère informait M. Neville, le réviseur, que le BGD n’avait examiné que la décision d’affectation prise par M. Gutknecht, conformément à la demande déposée par la demanderesse. Elle a déclaré que, selon les Lignes directrices, la demanderesse devait demander expressément une RTI pour chaque gestionnaire dont elle contestait la décision et dont elle aurait obtenu une rétroaction.

 

[13]           M. Neville a procédé à la RTI pour la décision de M. Gutknecht et a rejeté la plainte de la demanderesse. Celle‑ci sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la conseillère de ne pas avoir inclus dans la RTI les décisions de M. Buse et de M. Rutz.

 

[14]           Malgré l’avis du réviseur selon lequel le processus devait englober chacune des décisions prises par les gestionnaires, la conseillère a conclu que la décision d’inclure ou d’exclure la décision d’un gestionnaire relevait de sa propre compétence, tandis que l’analyse subjective de chaque décision ressortissait au réviseur.

 

[15]           La principale prétention de la demanderesse est que la conclusion de la conseillère selon laquelle seule la décision de M. Gutknecht serait révisée est déraisonnable, et elle soutient qu’elle n’a pas renoncé à son droit de faire réviser chacune des décisions des gestionnaires même si elle n’a pas indiqué chacun de leurs noms sur le formulaire de demande de RTI.

 

[16]           Je suis convaincue que le rôle de la Cour est de revoir la décision et de dire si elle est raisonnable (voir par exemple l’arrêt Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, 2004 CSC 23). Il s’agit là manifestement d’une question mixte de droit et de fait, qui doit être revue selon la norme de la décision raisonnable.

 

[17]           On peut résumer ainsi l’argument de la demanderesse : elle dit que la conseillère a commis une erreur en concluant que seule la décision de M. Gutknecht devait être révisée. Elle divise son argument en deux parties. D’abord, elle dit que, lorsqu’une affaire est soumise à un réviseur, le réviseur a l’entière responsabilité de la gestion du processus de révision. En l’espèce, la demanderesse fait valoir que, une fois le réviseur saisi du dossier, c’est à lui que devrait revenir le choix d’inclure ou d’exclure la décision de tel ou tel gestionnaire. Deuxièmement, la demanderesse soutient qu’elle n’a pas renoncé à son droit d’obtenir une révision, même si elle n’a indiqué explicitement qu’un seul nom (celui de M. Gutknecht) sur son formulaire de demande de RTI. Elle soutient que la décision de la conseillère d’exclure les décisions d’affectation autres que celle de M. Gutknecht constitue une interprétation étroite et limitée des Lignes directrices RTI.

 

[18]           Avant d’examiner l’argument de fond de la demanderesse, je dirai, à titre préliminaire, que la demanderesse ne peut déposer une demande de révision des décisions prises par M. Rutz et Mme Willey, car elle n’a jamais demandé à l’un ou à l’autre, ni obtenu d’eux, une rétroaction individuelle.

 

[19]           Comme le disait ma collège la juge Dawson dans le jugement Sargeant c. Canada, 2002 CFPI 1043, au paragraphe 8, un candidat qui ne sollicite pas la rétroaction individuelle d’un gestionnaire ne peut pas contester la décision de ce gestionnaire. La juge Dawson s’exprimait ainsi :

Le recours qui est ouvert à l’étape du recrutement aux candidats reçus qui n’ont pas été choisis pour combler le poste à pourvoir commence par une demande de rencontres individuelles que le candidat présente au gestionnaire qui a pris la décision relative au placement.

 

 

[20]           En l’espèce, la demanderesse n’a obtenu une rétroaction individuelle que de M. Gutknecht et de M. Buse.

 

[21]           Puisque la demande de RTI soumise par la demanderesse pour la décision de M. Gutknecht a déjà été étudiée et rejetée, l’unique décision qui doit être considérée dans la présente demande de contrôle judiciaire est le refus de la conseillère de soumettre la décision de M. Buse au réviseur, étant donné que la demanderesse a sollicité et obtenu une rétroaction individuelle de M. Buse sans explicitement indiquer son nom sur le formulaire de demande de RTI. Je dois donc considérer si la décision de la conseillère d’exclure expressément le nom de M. Buse de la RTI est raisonnable.

 

[22]           Avant d’évaluer si la décision de la conseillère est ou non raisonnable, j’examinerai l’argument de la demanderesse selon lequel c’est le réviseur, et non la conseillère, qui aurait dû décider si la décision de M. Buse devait ou non être incluse dans la RTI. Le réviseur a exprimé l’avis que la demanderesse contestait les quatre décisions des gestionnaires, ajoutant que la présente affaire ressemblait à un autre dossier dont il avait eu récemment la responsabilité en tant que réviseur. Après avoir conduit une conférence préparatoire, le réviseur a envoyé à la conseillère un rapport de situation. La conseillère a répondu au réviseur en lui envoyant le courrier électronique suivant :

[traduction] En application de la Politique de l’Agence sur la dotation en personnel, la possibilité de demander une RTI est offerte chaque fois qu’une décision de placement est prise. La demande de RTI reçue de Mme Sutton ne mentionnait qu’une seule décision d’affectation, et le mandat dont vous êtes investi en tant que réviseur ne concerne donc que cette décision.

 

 

[23]           Le cœur de l’argument de la demanderesse est que, lorsqu’une décision est soumise à un réviseur, lui seul a le pouvoir d’établir les paramètres de la RTI; le réviseur seul aurait dû pouvoir inclure dans la RTI, ou en exclure, les décisions des gestionnaires, dont celle de M. Buse. Je ne trouve pas convaincant l’argument de la demanderesse.

 

[24]           Je reconnais avec la demanderesse que, une fois qu’une décision est soumise à un réviseur, le fond de cette décision relève du mandat du réviseur. Cependant, la portée de la décision dont il s’agit ici était limitée par le fait que la demanderesse n’avait pas explicitement indiqué le nom de M. Buse sur le formulaire de demande de RTI. En conséquence, le mandat apparent du réviseur se limitait à la décision de M. Gutknecht, dont le nom figurait expressément sur le formulaire. Lorsqu’il a envoyé le rapport de situation à la conseillère, le réviseur s’est effectivement informé de la portée de la révision. Le réviseur a bien exprimé l’avis selon lequel la demanderesse contestait le concours tout entier (les six postes disponibles qui relevaient des quatre gestionnaires), mais la conseillère a précisé la portée de la RTI et a donc circonscrit le mandat du réviseur. Celui‑ci pouvait encore examiner au fond la décision de M. Gutknecht et les limites de son mandat n’excédaient pas le pouvoir discrétionnaire de la conseillère.

 

[25]           Il incombe à la conseillère de s’adresser à des tiers pour les révisions à effectuer, et il incombe au réviseur d’examiner la demande de RTI. La portée de la révision devrait donc être établi par la conseillère. En l’espèce, la conseillère a estimé que la révision se limitait à la décision de M. Gutknecht, dont la demanderesse avait fait état sur son formulaire de demande de RTI.

 

[26]           Compte tenu que la conseillère avait le pouvoir de délimiter la révision, la seule question restante est de savoir si, ce faisant, elle a agi raisonnablement. Une décision raisonnable est une décision que la conseillère a le loisir de prendre, compte tenu des circonstances (voir l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 48). En l’espèce, les Lignes directrices RTI indiquaient les formalités à suivre pour déposer une demande de RTI. Le formulaire de demande doit indiquer notamment le nom et le numéro de téléphone du gestionnaire décideur. En l’espèce, le formulaire présenté par la demanderesse n’indiquait que le nom de M. Gutknecht, pour lequel elle demandait une RTI. Il n’est pas établi qu’un formulaire de demande de RTI indiquait le nom de M. Buse (le seul autre gestionnaire à l’égard duquel la demanderesse avait sollicité une rétroaction individuelle). Je suis d’avis que la conseillère a agi raisonnablement en limitant la révision à la décision de M. Gutknecht, et la décision de la conseillère ne devrait pas être modifiée par la Cour.

 

[27]           L’avocat de la demanderesse prétend que les Lignes directrices ne sont que ce qu’elles indiquent, des lignes directrices, et qu’elles n’ont pas à être strictement observées. Si la Cour devait accepter ce raisonnement, il n’en résulterait que chaos et incertitude.

 

[28]           La demanderesse n’est pas fondée à déposer des demandes de RTI pour les décisions de M. Rutz et de Mme Willey, car elle ne leur a pas demandé, ni n’a obtenu d’eux, une rétroaction individuelle. La demanderesse ne m’a pas convaincu que les aspects se rapportant à la portée de la révision (par opposition au fond de la révision) échappent à la compétence de la conseillère, et elle ne m’a pas convaincu non plus que la décision de la conseillère de limiter la révision à la décision de M. Gutknecht était déraisonnable.

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑159‑05

 

 

INTITULÉ :                                       DEBBIE SUTTON

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 JUIN 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 JUILLET 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

 

POUR LA DEMANDERESSE

Alexandre Kaufman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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