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Date : 19980824


Dossier : IMM-3871-97

Entre :

     AGBODOH-FALSCHAU Kouassi,


Partie requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

     DE L'IMMIGRATION DU CANADA,


Partie intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]      Le requérant est de citoyenneté togolaise. Au soutien de sa revendication, il allègue avoir une crainte raisonnable de persécution en raison de ses opinions politiques.


[3]      Le requérant est membre fondateur de l'Association des jeunes forces patriotiques pour le changement (AJFPC). Il s'agit d'un parti affilié au parti d'opposition UFS.


[4]      Il prétend avoir été arrêté le 1er février 1993 par les militaires alors qu'il distribuait des tracts réclamant l'arrestation des militaires tueurs.


[5]      Sa maison fut criblée de balles le 25 mars 1993. Son frère fut grièvement blessé au cours de l'incident. Par la suite, sa famille décide de s'exiler au Bénin et au Ghana.


[6]      Le 30 août 1993, le requérant fut de nouveau arrêté par des gendarmes pour la distribution de tracts, la tenue de propos diffamatoires à l'encontre du chef de l'État et la tenue de réunions interdites. Il fut détenu pendant deux semaines, torturé et privé de nourriture.


[7]      Le 20 février 1996, le requérant écrit un tract dénonçant l'arrestation de Gilchrist Olympio, le leader de l'UFC, à l'aéroport de Milan. Le tract fut découvert par les autorités qui ont menacé d'arrêter les auteurs. En mars 1996, le requérant quitte son pays.


[8]      Le tribunal a rejeté la revendication. Il a jugé que le témoignage du requérant n'était pas crédible compte tenu essentiellement de la preuve documentaire qui n'appuyait pas les prétentions du requérant.


[9]      Plus précisément, le tribunal a conclu que la preuve documentaire, c'est-à-dire le rapport d'Amnistie international de 1996 et le Country Reports on Human Rights Practices, 1996, ne faisait pas état d' « aucune pression indue envers les membres du AJFPC » .


[10]      Il est vrai que les deux rapports ne contiennent aucune mention de l'AJFPC. Cependant il est erroné de dire qu'elles n'appuient pas les prétentions du requérant. Les deux rapports décrivent l'intolérance et l'hostilité du gouvernement d'Eyadema à l'égard de l'opposition politique. Le rapport d'Amnistie internationale indique :

                 Tout au long de l'année, des sympathisants de l'opposition et des défendeurs des droits de l'homme auraient été la cible de manoeuvres d'harcèlement et d'intimidation de la part des Forces armées togolaises (FAT).                 

[11]      Le Country Reports on Human Rights Practices, 1996 note ce qui suit :

                 The Government does not openly restrict the functioning of political opponents, but the President uses the strength of the military and his government allies to intimidate and harass citizens and opposition groups. "... >                 
                 The Government's human rights record is poor. "... > Security forces were responsible for extrajudicial killings, beating, arbitrary detention, and interference with citizens' movement and privacy rights. "... > There were instances of infringement of freedom of speech and the press by security forces and the Government, including investigative detention to harass journalists and political opponents, and suspension of newspaper publication.                 

[12]      Le tribunal ne pouvait donc inférer que le récit du requérant était invraisemblable en s'appuyant sur cette preuve documentaire.


[13]      De plus, dans ses motifs le tribunal ne fait aucune référence au rapport médical déposé en preuve. Ce rapport est dat\'e9 du 16 juillet 1996 et fut pr \'e9par\'e9 par le docteur Pierre Dongier qui a examin\'e9 le requ\'e9rant ici au Canada. Le rapport corrobore jusqu'\'e0 un certain point les all\'e9gations du requ\'e9rant. En effet, le docteur Dongier d\'e9clare que le requ\'e9rant « présente les marques physiques, ainsi que des symptômes psychologiques compatibles avec sa description des violences qu'il aurait subies » .

[14]      Bien que le tribunal n'avait pas à commenter toute la preuve au dossier il devait à mon avis traiter de ce rapport et expliquer pourquoi il ne lui attribuait pas de poids. Comme l'affirmait le juge Gibson dans Atwal c. Canada (Secretary of State) :

                 It is trite to say that a Tribunal is not obliged to refer in its reasons for decision to all of the evidence that was before it. The fact that a Tribunal fails to do so does not, in ordinary circumstances give rise to a conclusion that the Tribunal has failed to take into account all of the evidence that is before it. But I conclude that that principle does not apply to a failure to make reference to a case-specific document that is evidence directly relevant to the central issue addressed in the Tribunal's decision.                 

[15]      La même conclusion s'applique à d'autres éléments de preuve, dont la lettre datée du 12 mars 1997 et signée par Monsieur Messan Setodji, secrétaire international adjoint de l'AJFPC. Monsieur Setodji confirme que le requ\'e9rant a occup\'e9 le poste de coordinateur de l'association depuis le mois d'octobre 1994. Il confirme \'e9galement que le requ\'e9rant fut arr\'eat\'e9 le 30\~ao\'fb t 1993 et fit l'objet d'intimidation de la part des autorit\'e9s togolaises. Cette lettre corrobore directement le r\'e9cit du requ\'e9rant. Le tribunal ne donne aucune explication quant \'e0 la valeur probante de ces documents. \par

[16]      Ces erreurs sont suffisamment sérieuses pour vicier la décision du tribunal. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du tribunal est annulée et le dossier est renvoyé à un autre panel pour qu'il procède à un nouvel examen.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 24 août 1998.


__________________

1      Pièce A-1, Dossier du tribunal à la p. 101.

2      Pièce A-2, Dossier du tribunal à la p. 103.

3      Pièce R-2, Dossier du tribunal à la p. 52.

4      Ibid. à la p. 53.

5      (July 20, 1994), IMM-4470-93 (C.F. 1re inst.).

6      Pièce R-7, Dossier du tribunal à la p. 68.

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