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Date : 20010817

Dossier : IMM-2197-00

Référence neutre : 2001 CFPI 906

Ottawa (Ontario), le vendredi 17 août 2001

EN PRÉSENCE DE Mme le juge Dawson

ENTRE :

                                     BASHIR BEN MILUD

                                                                                                  demandeur

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    M. Ben Milud est un citoyen de Libye, âgé de 31 ans, qui présente une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 avril 2000 par la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle il ne serait pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS                                                  

[2]    M. Ben Milud demande le statut de réfugié en disant que sa famille était persécutée par le gouvernement de Libye à cause des opinions politiques de son frère. M. Ben Milud a déclaré que ses problèmes familiaux avaient commencé en 1986 lorsque son frère avait été emprisonné pour activités politiques dans lesquelles il critiquait le gouvernement. Après quoi la famille serait devenue suspecte et aurait subi du harcèlement et des persécutions. M. Ben Milud a déclaré ce qui suit dans son témoignage sur certains événements particuliers :

[traduction]

1.          En 1988, il a été arrêté et détenu pendant 90 jours, période pendant laquelle il a été interrogé et battu;

2.          En 1990, pendant sa première année d'études de médecine, il a été arrêté et emprisonné pendant 66 jours;

3.          En 1993, son frère Abdelhamid a été renvoyé de l'armée et son frère Yunes a fui la Libye;

4.          En 1994, la boutique de son frère Saoud a été fermée par les autorités;

5.          En 1996, M. Ben Milud a été questionné par les agents du gouvernement mais n'a pas été arrêté;

6.          En 1997, il a terminé ses études de médecine;


7.          Vers la fin de 1998, M. Ben Milud a été questionné par un agent de la sécurité. Après quoi, sa réputation a commencé à souffrir dans l'hôpital où il travaillait à ce moment-là. Sous des pressions du gouvernement, il a été obligé de prendre des vacances assez longues et il a ensuite perdu son poste à l'hôpital. M. Ben Milud a déclaré ce qui suit dans son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ) : [traduction] « alors je sentais encore plus les menaces de la part des autorités et je savais qu'il me faudrait trouver un moyen de quitter la Libye » .

8.          Le 26 mai 1999, M. Ben Milud a quitté la Libye et est arrivé au Canada où il a demandé le statut de réfugié le 2 juin 1999.

[3]                 La SSR a conclu qu'il n'y avait pas de lien entre les circonstances du frère emprisonné et la situation de M. Ben Milud, du moins depuis 1990. La SSR a aussi trouvé plusieurs invraisemblances dans le témoignage de M. Ben Milud, ainsi que des incohérences entre son témoignage verbal et sa déposition écrite.

[4]                 De façon plus précise, dans ses motifs, le tribunal a fait valoir ce qui suit :

[traduction]

1.          La SSR n'a pas cru la prétention de M. Ben Milud à savoir que l'incident en décembre 1998 a été la goutte qui a fait déborder le vase pour lui faire quitter la Libye, parce que M. Ben Milud avait déjà communiqué avec un collège au Canada où il voulait faire ses études. La SSR a conclu que la décision de M. Ben Milud de venir au Canada avait été prise bien avant l'incident qui, selon son témoignage, lui avait fait quitter la Libye;


2.          Vu que M. Ben Milud a été effectivement contraint à prendre un congé de son emploi à l'hôpital après que les autorités l'eurent rencontré en entrevue en décembre 1998, la SSR a jugé invraisemblable que M. Ben Milud ait ensuite été autorisé à continuer de travailler comme bénévole dans le service de gynécologie de ce même hôpital;

3.          La SSR a jugé invraisemblable que M. Ben Milud, censément suspect sur le plan politique, se voit remettre une lettre élogieuse de l'administrateur de l'hôpital du gouvernement;

4.          La SSR a noté que le passeport de M. Ben Milud n'avait pas été annulé et qu'il avait voyagé à l'étranger et avait pu retourner en Libye, privilège qui n'était pas offert aux opposants du régime gouvernemental;

5.          La SSR a aussi noté que l'exposé narratif, dans le FRP de M. Ben Milud, ne faisait pas référence à certains incidents qui avaient été racontés par M. Ben Milud dans son témoignage verbal, notamment que ses frères avaient été aussi interrogés au moment où l'accusation avait été portée contre lui, qu'il y avait une voiture stationnée devant sa maison, que ses lignes téléphoniques étaient sur écoute et que ses amis et parents évitaient d'avoir des contacts avec lui.

[5]                 La SSR a conclu, d'après ces incohérences et invraisemblances, que le témoignage de M. Ben Milud n'était pas digne de foi ou fiable et qu'il n'y avait qu'une faible possibilité qu'il fasse face à des persécutions en Libye pour un motif énoncé dans la Convention.

[6]                 M. Ben Milud a contesté chaque conclusion sur le caractère improbable ou incohérent.


[7]                 En ce qui concerne la première conclusion, M. Ben Milud a soutenu que la SSR n'avait pas bien compris la déposition car il n'avait jamais dit que l'incident de décembre 1998 l'avait poussé à décider de quitter la Libye. M. Ben Milud a fait référence à son témoignage à l'audition selon lequel il avait l'intention de quitter la Libye depuis très longtemps, que lorsqu'il avait demandé à entrer dans un collège au Canada, il avait l'intention de demander le statut de réfugié et que l'incident de décembre 1998 avait simplement été la goutte qui avait fait déborder le vase.

[8]                 D'après l'examen que je fais de la transcription dans son ensemble, il est clair que M. Ben Milud s'est vu donner largement d'occasions d'expliquer comment sa demande de visa d'étudiant pouvait être cohérente avec sa crainte de persécution alléguée et avec sa déclaration selon laquelle l'incident de décembre 1998 avait été le fait qui l'avait poussé à quitter la Libye. Au vu de sa déclaration claire dans son FRP selon laquelle ce fut après l'épisode de décembre 1998 qu'il avait compris qu'il devait trouver un moyen de quitter la Libye, je ne conclus pas que la déclaration de la SSR selon laquelle M. Ben Milud avait décidé de venir au Canada bien avant qu'il n'ait vécu ce qu'il appelle dans son témoignage, la goutte qui a fait déborder le vase, soit déraisonnable au point de justifier une intervention.


[9]                 En ce qui concerne la deuxième et la troisième conclusions de la SSR, je n'estime pas que la SSR ait manqué de rationalité en concluant que, dans un régime politique aussi dur que celui de la Libye, comme il est décrit dans les documents sur la situation du pays en cause, M. Ben Milud n'avait pas beaucoup de possibilités de se voir autoriser à continuer à travailler dans un hôpital d'où il avait été renvoyé pour des motifs apparemment politiques et qu'il n'aurait pas obtenu une lettre de recommandation officielle de l'employeur, sachant qu'il était un suspect sur le plan politique.

[10]            Il a été aussi soutenu que lorsque la SSR a formulé ses conclusions, elle n'a pas bien compris le témoignage de M. Ben Milud et a manqué au devoir d'agir équitablement en ne posant pas plus de questions. Je ne trouve pas de fondement pour conclure que la SSR ait soit mal compris la déposition de M. Ben Milud, soit n'en ait pas tenu compte. La SSR n'est pas tenue de faire référence à tous les éléments de la preuve qui lui sont présentés ni d'alerter un demandeur sur les préoccupations qu'elle a à propos du caractère plausible du témoignage, lorsqu'elle reçoit un témoignage clair. Voir sur ce dernier point l'affaire Appau c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 91 F.T.R. 225 (1re inst.).


[11]            Quant à la quatrième conclusion de la formation, l'ingérence négative de la SSR à cause du fait que M. Milud n'aurait pas pu quitter la Libye sans que le gouvernement ne l'y ait autorisé n'était pas non plus selon moi dépourvue de caractère raisonnable. Elle a été appuyée par la preuve documentaire la plus récente, le Rapport national de Libye de 1998 préparé par le U.S. Department of State, qui a signalé que le gouvernement exigeait des citoyens qu'ils aient des permis de sortie pour pouvoir voyager à l'étranger.

[12]            Quant à la dernière conclusion de la SSR sur l'omission de son FRP, M. Milud a soutenu qu'il s'agissait là d'une partie mineure de sa demande et qu'il était évidemment déraisonnable de l'accuser d'avoir omis de mentionner ces points, en particulier compte tenu du caractère grave des arrestations antérieures. Contrairement à cette affirmation, je conclus que la SSR dans sa conclusion sur les omissions n'a pas été déraisonnable. L'écoute téléphonique, les autos stationnées devant la maison de M. Ben Milud et les amis et parents qui évitaient le contact avec lui pouvaient très bien être considérés comme importants, vu la nature de sa demande et la quantité de temps qui s'était écoulée depuis les arrestations de M. Ben Milud en 1988 et 1990.


[13]            Enfin, M. Ben Milud a soutenu qu'il n'était pas clair, au vu des motifs de la SSR, que la SSR ait cru ou non à la totalité de sa preuve, en particulier en ce qui concerne le mauvais traitement de ses frères, les incidents antérieurs d'arrestation et le harcèlement de son père. Il a été prétendu que, vu la preuve documentaire sur laquelle s'est appuyée la SSR en ce qui concerne les droits de la personne en Libye, celle-ci aurait dû tenir compte de l'ensemble de la preuve de façon à établir qu'il y avait un risque pour les citoyens de Libye s'ils étaient le moindrement soupçonnés d'opposition politique. Ainsi, il a été conclu qu'il s'agissait d'une erreur susceptible de contrôle judiciaire, pour la SSR, que d'omettre de tenir compte des parties du témoignage de M. Ben Milud qui n'étaient pas discréditées dans son raisonnement et de déterminer ensuite s'il y avait là de quoi fonder des craintes de persécution. M. Ben Milud a invoqué l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168.

[14]            Il est sûr que la SSR aurait pu analyser de façon plus détaillée la question de savoir si c'était vrai que la situation de la famille de M. Ben Milud correspondait à de la persécution, mais je reconnais que dans les circonstances de l'espèce, la SSR n'était pas tenue de le faire parce que la SSR avait conclu, comme elle avait le droit de le faire, qu'à cause du temps passé, il n'y avait pas de lien entre l'emprisonnement du frère de M. Ben Milud et les actes dirigés contre M. Ben Milud.

[15]            En conséquence, malgré les observations compétentes de l'avocat de M. Ben Milud, j'ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée.

[16]            Les avocats n'ont pas proposé de questions pour une certification et aucune question n'est certifiée.

    

ORDONNANCE

[17]            IL EST PAR CONSÉQUENT ORDONNÉ QUE :

Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

   

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                              IMM-2197-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                           BASHIR BEN MILUD c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                le 7 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR            Mme LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                                    17 AOÛT 2001

ONT COMPARU :                                           

Byron Pfeiffer                                                        POUR LE DEMANDEUR                 

Suzanne Perreira                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Byron Pfeiffer                                                        POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

  

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR

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