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Date : 19990427


Dossier : IMM-3018-98

Ottawa (Ontario), le 27 avril 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

     SONIA PATRICIA HOLDER,

                                     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


FREDERICK E. GIBSON


Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier,LL.B.

    


Date : 19990427


Dossier : IMM-3018-98

ENTRE :

     SONIA PATRICIA HOLDER,

                                     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :


[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'immigration a conclu qu"il n"y avait pas suffisamment de raisons d"ordre humanitaire justifiant que l'on examine au Canada même la demande de résidence permanente au Canada déposée par la demanderesse. Cette décision de l'agente d'immigration est datée du 27 mai 1998.


[2]      La demanderesse est originaire de la Barbade. Avec l'aîné de ses enfants, elle est arrivée au Canada munie d'un visa de visiteur en novembre 1990 alors que son enfant était encore en bas âge. Le visa de visiteur est venu à expiration. La demanderesse et son enfant sont restés au Canada. La demanderesse a maintenant trois enfants, les deux derniers étant nés au Canada. Elle habite avec sa mère, ses trois enfants et son conjoint, qui est le père d'un des enfants nés au Canada. La demanderesse a, au Canada, cinq frères et soeurs qui sont tous citoyens canadiens. Sa mère a reçu le droit d'établissement au Canada. La demanderesse a également deux frères et soeurs se trouvant encore à la Barbade.


[3]      La demanderesse, prenant elle-même l'initiative de régulariser son statut au Canada, déposa, sans quitter le pays, une demande de droit d'établissement. Elle a eu une entrevue au sujet de cette demande le 21 avril 1998. L'agente d'immigration a, à la suite de cette entrevue, consigné par écrit les commentaires suivants :

     [traduction]         
     Après avoir attentivement examiné l'ensemble des renseignements qui me furent donnés lors de l'entrevue, ainsi que les données consignées au dossier, j'estime que cette affaire ne justifie pas une décision favorable. À mon avis, Mlle Holder n'est pas, à proprement parler, installée au Canada. Elle se trouve au Canada depuis novembre 1990, mais elle n'a jamais eu d'emploi, et n'a pas non plus parfait ses aptitudes. Depuis son arrivée au Canada, elle n'est jamais parvenue à subvenir à ses propres besoins, et cette situation perdure. Mlle Holder, ses trois enfants, et sa mère, comptent pour leur entretien sur son ami, M. Junior Thompson (père du second enfant). Elle a également bénéficié des prestations d'aide sociale que le gouvernement lui a versées de septembre 1996 à janvier 1997. M. Junior Thompson touche actuellement un salaire annuel de 28 969,53 $. J'estime que ce revenu (selon le seuil de faible revenu) ne suffit pas à subvenir aux besoins d'une famille de cette taille. La mère de Mlle Holder éprouve actuellement des problèmes de santé et je pense que ses cinq frères et soeurs qui vivent au Canada s'occuperont de leur mère. Elle a elle-même déclaré que ses frères et soeurs contribuaient aux dépenses médicales de leur mère. Étant donné que Mlle Holder a trois enfants, respectivement âgés de huit, quatre et deux ans (ceux qui ont deux et quatre ans sont nés au Canada), je n'ai aucun doute que ces enfants pourraient s'adapter à la vie dans un autre pays. Elle se demande où elle pourrait bien vivre si elle était renvoyée à la Barbade étant donné que, d'après elle, leur maison familiale a été " rasée " en juin... . Je ne pense pas que cela constitue un motif d'ordre humanitaire justifiant l'examen de sa demande au Canada même. Je ne crois pas que, d'après le dossier, ce serait imposer à Mlle Holder et ses enfants des épreuves disproportionnées que d'exiger qu'elle quitte le Canada et dépose sa demande dans les conditions ordinairement prévues.         

                         [Non souligné dans l'original.]

[4]      L'avocat de la demanderesse prétend que l'agente d'immigration a abusé de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant compte que de la situation économique de la demanderesse, que c'est à tort qu'elle s"est fondée " sélectivement " sur les lignes directrices du ministre défendeur pour trancher les demandes de droit d'établissement présentées à l'intérieur même du Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, et que, en décidant que la demanderesse [traduction ] " ...n'est pas, à proprement parler, installée au Canada ", elle a tiré une conclusion de façon abusive.

[5]      En ce qui concerne les remarques de l'agente d'immigration précitées, la situation de la demanderesse m'inspire une grande compréhension. La demanderesse tient beaucoup à ses enfants, et à sa mère qui éprouve divers problèmes de santé appelant soins et encouragements. On peut raisonnablement supposer que ses enfants et sa mère comptent sur elle du point de vue émotionnel et social. Cela étant, on comprend mal comment l'on pourrait affirmer que la demanderesse " n'est pas, à proprement parler, installée au Canada ". L'installation au Canada n'est pas simplement une question d'argent ou du fait d'avoir, comme on l'entend traditionnellement, un " travail " ou un " emploi ". On pourrait dire que la demanderesse est, au contraire, bien installée au Canada, même si elle n'a pas de revenu, étant donné qu'il y a des personnes ici qui comptent sur elle. D'ailleurs, selon le dossier, la demanderesse fait du bénévolat au sein de sa communauté, activité qui pourrait être un indice supplémentaire de son installation au Canada.

[6]      Compte tenu de l'ancienneté de sa présence ici et de l"ensemble de sa situation, la courte période pendant laquelle elle a compté sur l'aide sociale pourrait être considérée comme un indice favorable de son installation ici plutôt qu'un facteur défavorable. En outre, le fait qu'elle et son conjoint, ses trois enfants et sa mère subviennent à leurs besoins avec le revenu relativement faible de ce dernier pourrait également être retenu comme indice de responsabilité sociale plutôt que comme facteur défavorable.

[7]      Cela dit, je sais que, dans le cadre d'une demande telle que celle-ci, c'est à la demanderesse qu'il incombe d"établir le bien-fondé de sa demande. Dans l"arrêt Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)1 le juge Hugessen a écrit, en ce qui concerne de telles décisions, à la page 239 :

             Cette décision relève entièrement de son jugement et de son pouvoir discrétionnaire et la Loi ne confère aucun droit au requérant en ce qui a trait au dispositif de cette décision.             

[8]      Dans la décision Vidal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)1 le juge Strayer, membre à l'époque de la Section de première instance, a écrit, à la page 130:

             Je ferai remarquer en passant qu'il s'ensuit comme corollaire du raisonnement tenu par le juge en chef adjoint Jérome dans l'arrêt Yhap, qu'un requérant ne peut pas se plaindre si un agent d'immigration omet ou refuse de se conformer aux lignes directrices du ministre. Il ne peut pas non plus se plaindre si un agent d'immigration applique un autre facteur à la place de ceux qui sont prévus dans les lignes directrices dans la mesure où il agit de bonne foi, et à condition que le facteur ne soit pas totalement dénué de lien avec une idée acceptable de ce qui constitue des raisons d'ordre humanitaire. Qui plus est, c'est à l'agent qu'il appartient de décider s'il est convaincu de la véracité des dires du requérant, à moins peut-être qu'il ne formule des conclusions de faits clairement dénués de lien avec tout le dossier dont il est saisi. Il n'appartient pas à la Cour de siéger en appel pour trancher sur les conclusions de faits de l'agent ou la manière dont il a pondéré les différents facteurs.             

Il incombe donc à la Cour non pas de dire si elle aurait, compte tenu du dossier, conclu dans le même sens que l'agente d'immigration, mais de dire si l'agente d'immigration pouvait raisonnablement parvenir à la décision qu"elle a prise. Je conclus, à regret, que c'est effectivement le cas et que l'agente d'immigration, en prenant sa décision sur le simple fondement de son pouvoir discrétionnaire, n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[9]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l'un ni l'autre des avocats n'ayant demandé la certification d'une question, aucune question ne sera certifiée par la Cour.

FREDERIC E. GIBSON

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3018-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SONIA PATRICIA HOLDER c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 23 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. le juge Gibson

DATE :                  le 27 avril 1999

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                      POUR LA DEMANDERESSE

Susan Nucci                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lorne Waldman                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada         

__________________

         1      (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.) .

         2      (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 123 (C.F. 1re inst.) .

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