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Date : 20060127

Dossier : IMM-1370-05

Référence : 2006 CF 84

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

JUN MEI LIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Lin, une citoyenne chinoise, prétend être une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger parce qu'elle est chrétienne. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande parce qu'elle n'a pas produit une preuve documentaire acceptable établissant sa nationalité chinoise. Mme Lin demande le contrôle judiciaire de cette décision. J'ai conclu que sa demande devait être accueillie.

FAITS

[2]                Mme Lin prétend qu'elle a commencé à s'intéresser au christianisme en février 2001 et à fréquenter régulièrement l'église au mois de mars suivant. Après l'arrestation de deux membres de l'église en octobre 2002, on lui a conseillé de se cacher. Pendant qu'elle vivait dans la clandestinité, elle a appris que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) l'accusait d'avoir participé à des activités religieuses illégales et était à sa recherche. Le BSP aurait fouillé sa maison et lui aurait ordonné de se rendre. Craignant d'être arrêtée, elle s'est enfuie du pays.

[3]                Pour établir son identité, Mme Lin a produit une carte de résident (CR), le certificat de naissance de sa fille, une fiche de ménage et un certificat d'études. La CR a fait l'objet d'une analyse judiciaire ayant pour but d'en vérifier l'authenticité et la GRC a conclu qu'il s'agissait d'un document falsifié. Mme Lin et son avocate ont été informées du résultat de l'analyse avant la date de l'audience. Mme Lin a ensuite produit une CR expirée qui avait été délivrée en 1988. Elle a indiqué que la première CR avait été confisquée par une « tête de serpent » (un passeur) jusqu'à ce qu'elle le paie et qu'elle lui avait été envoyée par sa famille. Elle affirmait ne pas savoir qu'il s'agissait d'un faux document.

DÉCISION

[4]                La SPR a conclu que l'identité de Mme Lin ne pouvait pas être établie car les documents produits par celle-ci n'étaient pas authentiques. Comme on avait conclu que la CR était un document falsifié, Mme Lin n'avait pas satisfait aux exigences de l'article 106 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la LIPR), et de l'article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés. En conséquence, la SPR a tiré une conclusion défavorable au regard de la crédibilité. Elle n'a accordé aucune valeur aux autres papiers d'identité qui lui avaient été présentés parce qu'ils ne possédaient pas les éléments de sécurité d'une CR et qu'il était facile d'obtenir de faux documents en Chine.

[5]                La SPR a conclu qu'elle ne pouvait pas établir l'identité de Mme Lin en se servant du document falsifié. Elle n'a pas accepté l'explication de Mme Lin selon laquelle sa carte avait été confisquée par un passeur, notamment parce que ce renseignement ne figurait pas dans le FRP. Aux yeux de la SPR, il était peu plausible qu'un passeur fournisse une fausse CR.

[6]                Se fondant sur Hussein c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 225 (C.A.F.), la SPR a affirmé que « si l'identité du demandeur d'asile n'est pas établie, il n'est pas nécessaire pour le tribunal de poursuivre son analyse de la preuve » .

QUESTION EN LITIGE

[7]                Énoncée brièvement, la question en litige consiste à déterminer si la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'ensemble de la preuve.

NORME DE CONTRÔLE

[8]                Les avocats n'ont pas parlé de la norme de contrôle. Dans Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 251 F.T.R. 258 (C.F.), le juge Martineau a décidé que la norme de contrôle applicable à une décision relative à l'identité d'un demandeur est la décision raisonnable simpliciter. La norme de la décision manifestement déraisonnable avait été appliquée dans certaines décisions antérieures : Al-Shammari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 23 Imm. L.R. (3d) 66 (C.F. 1re inst.); Ratheeskumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 25 Imm. L.R. (3d) 280 (C.F. 1re inst.). Dans les circonstances de l'espèce, la décision de la SPR doit être annulée, peu importe laquelle des deux normes est appliquée.

ANALYSE

[9]                C'est à la demanderesse qu'il incombe d'établir son identité. Le législateur a insisté tout particulièrement sur l'importance de produire des documents acceptables à l'article 106 de la LIPR. Toutefois, si des documents ne peuvent être produits, la SPR est tenue de se demander si le demandeur peut raisonnablement expliquer pourquoi il ne possède pas de tels documents ou s'il a pris les mesures voulues pour s'en procurer : Rasheed.

[10]            Les avocats conviennent que le précédent sur lequel la SPR s'est réellement appuyée est Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (C.F. 1re inst.), plutôt que l'arrêt de la Cour d'appel citée dans sa décision. Dans Husein, le juge Joyal a décidé qu'il n'est pas nécessaire que la SPR « poursuive son analyse de la preuve » lorsque l'identité n'est pas établie. Je suis d'accord avec lui. Il faut cependant tenir compte du contexte dans lequel ces propos ont été formulés. À mon avis, Husein ne dit pas que la SPR n'a pas à tenir compte de l'ensemble de la preuve lorsqu'elle doit statuer sur la question de l'identité. Le juge Joyal voulait plutôt dire que, lorsque l'identité d'un demandeur n'a pas été établie (par l'ensemble de la preuve), la SPR n'est pas tenue d'analyser le bien-fondé de la demande. Il ressort clairement des paragraphes 11 et 12 de la décision Husein que le juge Joyal a considéré que la SPR devait fonder sa décision concernant l'identité sur l'ensemble de la preuve.

[11]            Il faut alors déterminer si la SPR a tenu compte de l'ensemble de la preuve en l'espèce. À mon avis, elle ne l'a pas fait. Je suis d'accord avec le défendeur qu'il appartient à la SPR de déterminer le poids qu'il convient d'accorder à la preuve. Or, il ne peut le faire de manière appropriée s'il ne prend pas en considération la preuve dont il dispose.

[12]            Le fait que la première CR a été considérée comme un faux document ne signifie pas nécessairement que la deuxième CR, le certificat de naissance de l'enfant, le certificat d'études et la fiche de ménage le sont également. Comme il a été mentionné précédemment, la SPR a rejeté tous les documents produits au motif que la CR était un faux document et qu'il était facile d'obtenir de faux documents en Chine. Rien n'a été fait pour vérifier l'authenticité des autres documents. Mme Lin affirmait que ces documents étaient authentiques et qu'elle ignorait que la CR ne l'était pas. La seule explication qu'elle pouvait donner, c'est que la carte avait été en possession de la « tête de serpent » jusqu'à ce qu'elle paie cette personne. Cette explication n'a pas convaincu la SPR parce que Mme Lin n'en avait pas parlé auparavant dans son FRP. On ne semble pas s'être demandé pourquoi elle aurait fourni un tel renseignement alors que, d'après ce qu'elle dit, elle ignorait que la carte était un faux document. Le FRP indique en fait que la CR était en Chine.

[13]            Fait plus important, je constate, à la lecture de la transcription, que la SPR n'a rien dit dans ses motifs au sujet de la preuve assez abondante produite à l'audience par Mme Lin. Celle-ci a répondu à de nombreuses questions concernant son passé et la région où elle prétendait avoir vécu en Chine. À mon avis, cette preuve aurait dû à tout le moins être prise en considération par la SPR pour déterminer si Mme Lin avait établi son identité. Il me semble que la SPR n'en a tenu aucun compte.

[14]            La question de l'identité est au centre de la demande d'asile en l'espèce. Il est incontestable que la SPR pouvait considérer que l'identité n'avait pas été établie. Cependant, pour arriver à cette conclusion, elle devait d'abord tenir compte de l'ensemble de la preuve dont elle disposait. Or, il ne me semble pas que c'est ce qu'elle a fait. Si elle a tenu compte de l'ensemble de la preuve, ses motifs ne l'indiquent pas clairement. De toute façon, la décision de la SPR est manifestement déraisonnable parce que je suis incapable de conclure qu'elle a été rendue sur la foi de la preuve dont disposait le commissaire de la SPR. En conséquence, la décision doit être annulée.

[15]            Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier, et aucune question semblable n'est soulevée en l'espèce.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés afin qu'une nouvelle décision soit rendue.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1370-05

INTITULÉ :                                                        JUN MEI LIN

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 25 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                   LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                      LE 27 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Shelley Levine                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Robert Bafaro                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

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