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Date : 19981028


Dossier : T-118-97

OTTAWA (Ontario), le 28 octobre 1998

EN PRÉSENCE du juge Rouleau

ENTRE :

     THE KUN SHOULDER REST INC.,

     demanderesse,

     et

     JOSEPH KUN VIOLIN AND BOW MAKER INC.,

     MARIKA KUN et MICHAEL KUN et

     M & M VIOLIN MAKING AND ACC. INC.,

     défendeurs.

     JUGEMENT

[1]      L'action de la demanderesse et la demande reconventionnelle des défendeurs sont toutes deux rejetées. Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

                             P. Rouleau

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 19981028


Dossier : T-118-97

ENTRE :

     THE KUN SHOULDER REST INC.,

     demanderesse,

     et

     JOSEPH KUN VIOLIN AND BOW MAKER INC.,

     MARIKA KUN et MICHAEL KUN et

     M & M VIOLIN MAKING AND ACC. INC.,

     défendeurs.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROULEAU

[1]      Dans la présente action, la demanderesse allègue que les défendeurs ont violé deux brevets canadiens qui lui appartiennent et qu'ils ont poursuivi des activités constituant une imitation frauduleuse.

[2]      Les deux brevets en question concernent des épaulières destinées à être utilisées avec des violons, altos et autres instruments de musique similaires. Le brevet canadien 1,290,961 accordé le 22 octobre 1991, aussi appelé " brevet visant un mécanisme de pivotement limité " ou " brevet '961 ", concerne un dispositif visant à protéger un instrument de musique contre les dommages pouvant être causés par l'épaulière pendant l'usage de l'instrument. Cette protection est assurée au moyen d'un mécanisme de pivotement qui est fixé à l'épaulière et qui permet à l'instrument de pivoter jusqu'à un certain degré tout en garantissant un contact entier de la face d'appui de l'épaulière avec l'épaule de l'instrumentiste.

[3]      Le brevet canadien no 2,139,719 accordé le 29 juillet 1997, également appelé " brevet visant les griffes rabattables sur l'élément de base " ou " brevet '719 ", concerne un dispositif permettant de plier et de ranger l'épaulière dans l'étui de l'instrument tout en conservant à l'épaulière sa souplesse et sa solidité.

[4]      La demanderesse, Kun Shoulder Rest Inc., fabrique et vend l'épaulière Kun dans le monde entier. L'âme dirigeante de la demanderesse est Marina Kun. En 1979, elle était mariée à Joseph Kun, l'inventeur de l'article visé dans le brevet '961 et le brevet '719 ainsi que le concepteur de l'épaulière Kun.

[5]      Marina et Joseph Kun se sont séparés en 1993 et, par suite de leurs accords de séparation, Marina a acquis l'entreprise de fabrication d'épaulières qu'exploite maintenant la demanderesse, y compris tous les droits de propriété intellectuelle s'y rapportant. Ces droits comprenaient certains brevets, tant des brevets déjà délivrés que d'autres qui faisaient l'objet d'une demande à l'époque, ainsi que les droits afférents à tout autre perfectionnement de l'épaulière que réaliserait Joseph Kun, les marques de commerce liées aux épaulières fabriquées et vendues sous les noms " Kun " et " Joseph Kun Violin and Bow Maker " et tout autre nom commercial et marque de commerce connexe.

[6]      Les défendeurs Michael et Marika Kun sont les enfants que Joseph Kun a eus de son premier mariage. Ils ont constitué deux sociétés, dont la première est actuellement connue sous le nom de Kadenza Violin Shoulder Rest Inc. (auparavant M & M Violin Making and Acc. Inc.), tandis que l'autre porte le nom de Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. À différents moments au cours de la période pertinente, chacune de ces deux sociétés devait se livrer à la fabrication et à la vente d'épaulières pour violons et altos ou a effectivement poursuivi ces activités. Les sociétés sont contrôlées et exploitées par Marika et Michael Kun, qui en sont les seuls dirigeants et administrateurs.

[7]      Marina Kun a témoigné au sujet de l'évolution de l'épaulière Kun ainsi que des différents événements à l'origine du présent litige. Elle a commencé à participer activement à l'exploitation de l'entreprise au milieu des années 1970 et continue à le faire. Dès le départ, j'aimerais souligner qu'elle m'a impressionné par la franchise et la sincérité de son témoignage, que j'accepte d'emblée en entier.

[8]      Joseph Kun et sa famille sont arrivés au Canada après avoir quitté la Tchécoslovaquie en 1969. Au début des années 1970, Joseph a conçu l'épaulière Kun originale et a commencé à en fabriquer un modèle commercial en métal. Entre 1972 et 1977, les ventes de l'épaulière ont été peu élevées. Joseph et Marina se sont rencontrés en 1975, lorsque Joseph donnait des cours de violon à la fille de Marina. Ils étaient tous les deux séparés à l'époque. Marina avait quatre enfants d'un mariage précédent, tandis que Joseph en avait deux. Après avoir épousé Marina en 1979, Joseph s'est installé chez elle, où vivaient également les quatre filles de celle-ci.

[9]      À l'époque, Joseph était renommé à l'échelle mondiale pour la qualité exceptionnelle des archets qu'il fabriquait. Il voulait également acquérir une renommée internationale dans le domaine de la fabrication des violons. C'était là ses véritables passions. Néanmoins, il s'était intéressé à la conception d'épaulières pour les instruments et c'est ainsi qu'il a obtenu le brevet canadien no 838406 en 1970.

[10]      Immédiatement après avoir épousé Joseph, Marina a commencé à jouer un rôle actif au sein de l'entreprise de fabrication d'épaulières, même si elle n'avait aucune expérience antérieure en musique ou en fabrication de violons ou d'instruments de cette nature. Effectivement, la preuve indique assez clairement qu'elle était l'âme dirigeante de l'entreprise et qu'elle détenait les cordons de la bourse. Elle a compris que, s'ils voulaient gagner leur vie dans le domaine, Joseph et elle ne pourraient se contenter de la fabrication de violons et d'archets et devraient également se lancer dans la production massive d'épaulières. À cette fin, elle a commencé à promouvoir et à annoncer leurs produits et a engagé des frais pour envoyer Joseph à des conférences ainsi qu'à des ensembles à cordes, à des expositions et à des conventions d'envergure internationale. Au cours de leur mariage Mme Kun a payé tous les frais de l'entreprise en plus des dépenses du ménage. De plus, étant donné que Joseph avait du mal à s'exprimer en anglais, Marina rédigeait toute la correspondance de celui-ci et assistait aux réunions d'affaires avec lui.

[11]      Le premier brevet délivré à Joseph pour une épaulière était daté de 1970 et a expiré en 1987. En 1989, Joseph a entrepris des travaux de perfectionnement qui allaient déboucher sur l"obtention du brevet "961. Comme l'a dit Mme Kun, il fallait, après l"expiration de ce brevet, lancer un nouveau produit sur le marché. Joseph a mis trois ans à produire l"épaulière perfectionnée pour laquelle il a obtenu, le 22 octobre 1991, le brevet canadien no 1,290,961, dont l"objet était un dispositif limitant le pivotement des griffes servant à fixer l"épaulière à l"instrument de musique. L"invention est décrite comme suit :

     [TRADUCTION] Cette invention concerne une épaulière pour violons, altos et autres instruments de musique similaires.         
     Les épaulières servent à rendre plus confortable la tenue de l"instrument dans la position appropriée, quelles que soient les caractéristiques physiques de la personne qui en joue, comme la longueur du cou et la forme des épaules.         
     Une épaulière de bonne qualité permet de régler, entre autres, l"angle que forme le plan du dos de l"instrument avec celui de la face d"appui de l"épaulière. Autrement dit, la position dans laquelle est tenu le manche de l"instrument par rapport à l"horizontale doit pouvoir être réglée, et, en même temps, la face d"appui de l"épaulière doit demeurer entièrement en contact avec l"épaule. Cela est possible grâce à la capacité des griffes de l"épaulière qui s"attachent de chaque côté de l"instrument de pivoter autour d"un axe parallèle à l"axe longitudinal de l"épaulière.         
     Une des faiblesses de ce mécanisme de réglage est qu"au moment où on pose l"instrument de musique sur l"épaulière, celui-ci peut déraper avant que les griffes n"aient pu être mises correctement en place et faire tourner l"épaulière sur son axe longitudinal, le dos de l"instrument risquant alors d"être égratigné par un des bords de l"épaulière.         
     La présente invention a pour objet de perfectionner le type d"épaulière décrit ci-dessus afin notamment de réduire le risque d"endommager l"instrument avec lequel elle est utilisée, sans pour autant réduire la capacité de régler l"inclinaison dans le sens transversal de l"accessoire.         

[12]      Joseph et Marina se sont séparés à l'amiable. Le 4 mars 1993, le couple a conclu un accord de règlement familial par suite duquel Marina Kun a obtenu le transfert en sa faveur de l'entreprise d'épaulières, y compris les droits de propriété intellectuelle et l'achalandage s'y rapportant. Joseph devait demeurer lié à l'entreprise en qualité de consultant pendant sept ans et demi sans pouvoir faire concurrence à celle-ci, directement ou indirectement, pendant une période de quinze ans.

[13]      Le 15 avril 1993, Marina a créé la société demanderesse, The Kun Shoulder Rest Inc., qui a continué à fabriquer et à distribuer l'épaulière Kun.

[14]      Près d'un an plus tard, le 5 avril 1994, Joseph, Marina et la société demanderesse ont conclu une entente modifiant le règlement matrimonial initial. La seconde entente avait pour effet de confirmer certaines dispositions du règlement précédent, notamment quant au transfert à la demanderesse de l'achalandage lié à l'entreprise d'épaulières. Elle prévoyait également que tout perfectionnement ultérieur de la technique des épaulières que réaliserait Joseph pendant la durée de l'entente de consultation appartiendrait à la demanderesse. Une des clauses de l'entente énonçait que celle-ci liait les parties et leurs héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs et ayants droit. Par suite des ententes, la demanderesse détenait donc tous les droits de propriété intellectuelle afférents à l'entreprise, y compris les droits relatifs au brevet '961 ainsi que les droits afférents au brevet '719, qui devait faire l'objet d'une demande.

[15]      Après le divorce et la cession de l'entreprise d'épaulières à Marina ainsi qu'à la demanderesse en 1993, Joseph a continué à fabriquer et à acheter des violons et des archets et à en vendre au public sous le nom de Joseph Kun Violin and Bow Maker. Sa brochure a été distribuée jusqu'en avril 1996 et il a continué à participer aux foires musicales où il a présenté à la fois les épaulières Kun ainsi que les violons, altos et archets qu'il fabriquait lui-même. En 1996, il s'est rendu lui-même à la Musicora Fair, où il a présenté son ouvrage sur la fabrication d'archets ainsi que ses archets et les épaulières Kun. Il a également donné des échantillons d'épaulière Kun à la foire. Effectivement, comme l'a dit Mme Kun au cours de son témoignage, il avait tout intérêt à faire la promotion des épaulières, puisqu'il touchait un pourcentage de toutes les ventes.

[16]      Après la séparation des entreprises, aucun changement physique n'a été apporté à l'une ou l'autre d'entre elles. Les activités, dossiers et biens corporels de chacune sont restés intacts et Joseph et Marina sont demeurés au même endroit. Le seul changement visible a été le transfert de l'entreprise d'épaulières au nom de la société The Kun Shoulder Rest Inc. et l'envoi de deux avis aux distributeurs pour leur demander de faire leurs chèques à l'ordre de la société demanderesse et d'adresser leur correspondance à celle-ci.

[17]      Au cours de l'automne 1995, Joseph s'est rendu aux bureaux de Me Alex Macklin, avocat plaidant chevronné en matière de propriété intellectuelle du cabinet Gowling, Strathy & Henderson. Me Macklin était également une connaissance de Joseph et de Marina. Il a initialement été engagé pour représenter la demanderesse dans la présente action, mais il s'est désisté volontairement lorsque les défendeurs ont invoqué l'existence d'un conflit d'intérêts. Me Macklin était un témoin honorable et digne de foi et j'accepte son témoignage en entier.

[18]      Au cours de son témoignage, Me Macklin a dit que, lorsque Joseph est venu le voir à son bureau pendant l'automne pour consulter un agent de brevets, il a apporté avec lui un prototype d'épaulière repliable. Il a laissé le prototype à Me Macklin, qui l'a mis en garde au sujet de ses obligations juridiques découlant de l'accord matrimonial et lui a fortement conseillé de consulter son propre conseiller juridique. M. Kun a également parlé de la possibilité de financer son fils, le défendeur Michael Kun, afin de lui permettre de se lancer dans le domaine des épaulières. Me Macklin a avisé à nouveau Joseph des obligations qui lui incombaient aux termes de l'accord matrimonial. Environ une semaine plus tard, M. Kun est retourné au bureau et a repris le prototype.

[19]      Pendant cette période, les défendeurs Michael et Marika Kun, les enfants de Joseph, n'ont rien fait dans l'entreprise d'épaulières. Michael avait travaillé comme apprenti pour son père de 1983 environ jusqu'à l'automne de 1988 et a alors quitté l'entreprise en raison d'un conflit qui l'opposait à celui-ci. En fait, les enfants s'entendaient plutôt mal avec leur père. Michael a travaillé dans l'entreprise uniquement lorsqu'il a aidé Mme Kun à monter quelques épaulières parce qu'il avait besoin d'argent. À compter de 1988, il n'a rien fait dans l'entreprise. Pour sa part, Marika Kun travaillait pour le gouvernement du Canada et n'a joué aucun rôle au sein de l'entreprise.

[20]      Toutefois, en novembre 1995, Michael Kun s'est rendu au bureau de Julian Swann, ingénieur et agent de brevets, pour lui montrer une nouvelle épaulière à barre de torsion. L'invention a été brevetée aux États-Unis l'année suivante bien que, à ce jour, aucune version commercialisée de cette épaulière n'ait été mise en marché.

[21]      En novembre 1995, Michael a proposé pour la première fois à Marina Kun de se lancer avec lui dans le domaine des épaulières. Marina a refusé carrément. Par la suite, Michael a demandé à sa soeur Marika de l'aider sur le plan financier. À l'époque, vers la fin de 1995, l'intention était de commercialiser l'épaulière à barre de torsion que Michael avait conçue en même temps que le modèle Original Kun, étant donné que le brevet avait expiré. Le frère et la soeur ont donc formé une société de personnes; Michael était responsable de la fabrication, de la production et de la mise en valeur, tandis que Marika s'occupait de la commercialisation et de l'administration de l'entreprise.

[22]      Le 8 avril 1996, Joseph Kun est décédé. Michael et Marika ont immédiatement eu accès à l'appartement, au chalet, au véhicule et à l'atelier de travail de leur père, même s'ils n'étaient que bénéficiaires de sa succession et non ses exécuteurs testamentaires à l'époque. Environ une semaine après le décès de leur père, Michael et Marika se sont rendus à l'établissement de celui-ci et ont retiré un certain nombre d'articles, dont des violons, des altos et des dossiers. Même certains accessoires appartenant à Mme Kun ont été retirés.

[23]      Quelques jours plus tard, Michael et Marika sont allés voir Mme Kun pour lui proposer de former une coentreprise avec eux ou de leur vendre son entreprise. Mme Kun a rejeté les deux propositions sur-le-champ. Elle a demandé plus tard à Michael et Marika de retourner quelques-uns des articles qu'ils avaient pris, mais ils ne l'ont pas fait. À la fin d'avril 1996, Marika et Michael ont demandé à Ivan Straznicky, l'agent de brevets qui avait participé à la préparation de chacun des brevets relatifs aux épaulières de Joseph, de se désister comme fiduciaire de la succession, rôle qu'ils ont eux-mêmes repris.

[24]      Le 31 mai 1996, la demanderesse a demandé l'enregistrement de la marque de commerce KUN en liaison avec les épaulières pour violons et altos en invoquant un premier emploi remontant à 1976 ou avant.

[25]      Après le décès de leur père, Michael et Marika ont consulté un conseiller juridique au sujet des questions successorales et de leurs droits de propriété intellectuelle. Le 14 juin 1996, ils ont constitué la société M & M Kun Violin Making & Acc. Inc. Au cours du même mois, Michael s'est rendu au bureau de Julian Swann avec un modèle du tambour et de l'élément d'extrémité actuels de l'épaulière Kadenza Kompak. Ce modèle a servi de fondement aux dessins préparés par le dessinateur industriel de Julian Swann.

[26]      En juin et juillet 1996, Michael a rencontré M. Jerry Hvezda afin de discuter d'un nouveau mécanisme pouvant être utilisé en liaison avec une épaulière repliable. M. Hvezda est le beau-père d'au moins un des défendeurs et le voisin de Michael à Opah (Ontario). Au cours de son témoignage, il a dit que la première de ces rencontres a eu lieu au cours de l'été 1996 et que, à cette époque, seuls des croquis préliminaires ont été préparés, croquis que Michael a apportés pour concevoir le produit de travail. Il appert du témoignage de M. Hvezda que celui-ci a poursuivi les travaux au cours de l'été 1996 pour en arriver à un produit, au fur et à mesure qu'il recevait des éléments mis à jour par Michael. Toutefois, son témoignage va manifestement à l'encontre de celui de M. Swann, qui soutient avoir vu un prototype expérimental du mécanisme dès juin 1996. En tout état de cause, les entretiens entre M. Hvezda et Michael Kun auraient abouti à l'idée du mécanisme qui est actuellement intégré dans l'épaulière Kadenza Kompak des défendeurs.

[27]      Michael et Marika ont décidé de constituer une deuxième société du nom de Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. afin de poursuivre les travaux de leur père défunt. Cette société a été constituée le 29 juillet 1996. En novembre de cette même année, les défendeurs avaient convenu d'utiliser la deuxième société, Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc., parce qu'ils avaient hérité des biens de leur père et qu'ils estimaient avoir le droit de s'en servir comme nom commercial pour leur entreprise.

[28]      Le 31 octobre 1996, la défenderesse Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. a présenté au Bureau des marques de commerce du Canada la demande no 827,578 afin d'enregistrer la marque de commerce en liaison avec les marchandises suivantes :

     [TRADUCTION] (1) Les épaulières, violons, altos, violoncelles, basses, violons baroques, altos baroques, violoncelles baroques, basses baroques et archets relatifs à ces instruments;         
     (2) Les sourdines, lutrins, cordes pour instruments de musique, étuis pour instruments de musique, mentonnières, cordiers, hausses, chevilles, touches, nettoyants, huiles et vernis, incrustations et fixations, ainsi que les instruments et accessoires servant à la fabrication de violons et d'archets.         

[29]      Le 1er novembre 1996, l'avocat des défendeurs a écrit à celui de la demanderesse afin de lui proposer la tenue d'une rencontre visant à permettre aux parties d'examiner les différents problèmes les opposant en matière de propriété intellectuelle. Une rencontre a eu lieu le 17 décembre 1996, mais aucun règlement n'a été conclu. Les parties ont convenu qu'aucune autre mesure ne serait prise avant le début de la nouvelle année, après la saison des Fêtes.

[30]      Après cette rencontre, Marina Kun et la demanderesse ont été mises au courant de l'existence d'une carte de " souhaits " que les défendeurs avaient envoyée notamment aux distributeurs et clients de la demanderesse au Canada, aux États-Unis et à l'étranger. Même si la carte de souhaits avait été envoyée avant la rencontre du 17 décembre, les défendeurs n'en ont alors nullement fait mention. Les défendeurs s'y présentaient comme les successeurs de Joseph Kun et annonçaient une [TRADUCTION] " nouvelle génération d'épaulières pour violons " qui seraient exposées à une foire musicale devant avoir lieu à Francfort (Allemagne) à compter du 26 février 1997. La carte de souhaits contenait le message suivant :

     [TRADUCTION] NOTRE HÉRITAGE - Notre père, Joseph Kun, a transmis son talent, sa compétence, sa magnifique compréhension de l'âme du violoniste et son entreprise à nous, ses enfants, Michael et Marika Kun.         
     Présentation des produits KADENZA (fabriqués au Canada - Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc.), la nouvelle génération d'épaulières pour violons.         
     Votre invitation. Vous êtes invités à voir notre Kadenza Klasik et notre Kadenza Kompak et à en faire l'expérience à la Frankfurt Musikmesse qui doit débuter le 26 février 1997. C'est avec plaisir que nous vous accueillerons à notre exposition située au Hall 80, Stand M.         
     Le nom et l'esprit de Kun continueront à vivre dans la musique de nos violons, archets et épaulières, parce que nous nous appelons Michael et Marika Kun.         
     Notre avenir repose sur la bonne volonté de tous ceux que notre père a servis. Nous les remercions chaleureusement et souhaitons à chacun bonheur, prospérité et musique à satiété.         
     Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc., entreprise spécialisée dans la vente et la réparation d'instruments et d'archets de qualité.         
     Voici notre nouvelle adresse :         
     1305 Royal York Road         
     Toronto, Ontario (Canada) M9A 5E6         
     Téléphone : (416) 236-7275 Télécopieur : (416) 236-0944         

[31]      La carte comprenait une photo de Joseph Kun tenant un violon et un archet ainsi qu'un portrait surimprimé de Michael dans la même position et un portrait surimprimé de Marika Kun.

[32]      En réponse à cette carte de souhaits, la demanderesse a avisé ses distributeurs et clients, dans une lettre datée du 30 décembre 1996, qu'il n'y avait aucun lien, juridique ou commercial, entre les défendeurs et son entreprise et que celle-ci était le seul propriétaire de toutes les inventions, des droits de propriété intellectuelle et de l'achalandage liés aux épaulières pour altos et violons conçues par Joseph Kun. L'avis a également été publié dans le magazine Strad et dans le magazine de la Violin Society of America.

[33]      Le 23 janvier 1997, la demanderesse a préparé et signifié sa déclaration. À la même date, elle a déposé une requête en vue d'obtenir une injonction provisoire interdisant aux défendeurs de présenter ses épaulières à la foire de Francfort en liaison avec le nom de Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. Dans une ordonnance datée du 13 février 1997, le juge Nadon a prononcé une injonction provisoire qui s'appliquait uniquement à la foire de Francfort et aux foires de musique subséquentes et qui avait pour effet d'interdire aux défendeurs de promouvoir et de vendre leurs épaulières Kadenza en liaison avec les noms " Kun ", " Joseph Kun ", " Violin and Bow Maker " ou " Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. ".

[34]      Les épaulières comportant la marque de commerce KADENZA ont été présentées à la foire et Michael et Marika Kun ont distribué leurs cartes d'affaires, dépliants et listes de prix se rapportant à leurs produits. Le nom Kun n'était mentionné nulle part dans ces documents, sauf comme nom de famille des défendeurs. La demanderesse a subséquemment présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant aux défendeurs d'établir les raisons pour lesquelles une ordonnance d'outrage au tribunal ne devrait pas être rendue relativement à l'injonction provisoire du juge Nadon. Dans une décision datée du 18 juin 1997, Madame le juge Tremblay-Lamer a rejeté la requête au motif que les défendeurs n'avaient pas transgressé l'ordonnance du juge Nadon.

[35]      Par la suite, le 29 juillet 1997, la demanderesse a obtenu, par lettres patentes canadiennes no 2,139,719, le " brevet visant les griffes rabattables sur l'élément de base ". Voici comment cette invention est décrite dans le brevet :

     [TRADUCTION] Il s'agit d'un dispositif visant à atténuer le problème susmentionné de manière à obtenir une épaulière entièrement réglable ayant une base solide qui pourrait être pliée et rangée avec le violon lorsque l'instrument n'est pas utilisé, dans un espace restreint de l'étui du violon, tout en demeurant entièrement réglable, solide et élastique jusqu'à un certain point lorsqu'elle n'est pas pliée. En d'autres termes, le dispositif vise à conserver tous les avantages de l'épaulière, soit la solidité et l'adaptabilité, tout en permettant de la ranger dans un espace restreint.         

[36]      Le 2 septembre 1997, M & M Kun Violin Making and Acc. a remplacé son nom par celui de Kadenza Violin Shoulder Rest Inc., qui fabrique et vend actuellement des épaulières pour altos et violons en liaison avec la marque de commerce KADENZA. Plus précisément, les épaulières de la société défenderesse sont vendues sous deux noms commerciaux, soit KADENZA KLASIK et KADENZA KOMPAK.

[37]      Avant de poursuivre avec l'analyse du droit et des faits en l'espèce, il convient de formuler les commentaires suivants au sujet de la preuve présentée à l'instruction. Comme je l'ai déjà mentionné, Mme Kun m'a semblé un témoin irréprochable. De la même façon, j'accepte en entier la version de Me Macklin. À mon avis, le témoignage de ces deux personnes était la preuve la plus fiable présentée par les deux parties.

[38]      Michael Kun a également témoigné au cours de l'instruction. Plusieurs facteurs permettent de mettre en doute sa crédibilité et j'estime que son témoignage n'est pas digne de foi pour les raisons suivantes. D'abord, il a admis avoir fait une fausse déclaration sous serment devant la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) dans une instance connexe dont cette dernière est actuellement saisie. Il a également confirmé que sa soeur Marika avait fait de fausses déclarations sous serment dans cette même instance. Il est indubitable que ces déclarations ont été faites de manière délibérée et qu'elles ont permis à Michael Kun et à sa soeur Marika d'obtenir des avantages financiers en qualité de fiduciaires de la succession de leur père défunt. Effectivement, en octobre 1997, par suite du faux témoignage des deux défendeurs, un séquestre a été nommé à l'égard de leurs biens et a également été désigné comme observateur de l'entreprise défenderesse.

[39]      Le témoignage que Michael Kun a présenté à l'instruction en l'espèce comportait de nombreuses incohérences et déclarations peu plausibles. Ainsi, Michael Kun a admis avoir retiré sans autorisation de l'argent de l'entreprise familiale en 1988, date à laquelle il a quitté l'entreprise et a rompu tous ses liens avec son père pendant plusieurs années. M. Kun a expliqué que, au cours de la semaine qui a suivi son départ de l'entreprise, il a été victime d'un accident d'automobile et a eu besoin d'argent pour réparer sa nouvelle voiture.

[40]      Il explique sa conduite en soutenant avoir ajouté à la lettre d'adieu qu'il avait écrite à son père (pièce D-32) un post-scriptum dans lequel il a indiqué la somme d'argent qu'il avait prise et le mobile de son geste. Toutefois, cela n'explique pas comment il a pu retourner et modifier la lettre une semaine après l'avoir écrite. De son propre aveu, il avait rédigé cette lettre la semaine précédente aux petites heures du matin et l'avait laissée sur le bureau de son père pour que celui-ci en prenne connaissance le même jour, à son retour de vacances.

[41]      La crédibilité de Michael Kun est également mise en doute lorsqu'il demande à la Cour de croire qu'à 3h 30, après avoir rédigé cette lettre à son père, il a eu la présence d'esprit de photocopier la lettre et de la conserver pendant quinze ans. C'est la seule explication qui est compatible avec son témoignage puisque, si la copie de la lettre avait été trouvée dans les dossiers de Joseph Kun, soit ceux que Michael et sa soeur avaient pris après le décès de leur père, elle aurait certainement comporté le post-scriptum que Michael soutient avoir ajouté.

[42]      Franchement, il est très difficile pour la Cour d'accorder plus qu'une valeur négligeable au témoignage du défendeur. C'est pour cette raison que la disparition du prototype d'une épaulière repliable Kun, suivie, peu de temps après, de la conception du modèle d'épaulière repliable des défendeurs, m'apparaît très suspecte. Il est indubitable que le prototype existait. Me Macklin l'a vu et l'a conservé dans son bureau pendant une semaine. Il est également indéniable que Michael et Marika Kun ont eu accès à l'atelier de travail et à l'appartement de leur père après le décès de celui-ci et qu'ils ont retiré un certain nombre d'articles.

[43]      De plus, il est difficile d'ignorer le fait que la défenderesse Marika Kun, qui aurait dû être en mesure de corroborer une bonne partie du témoignage de son frère, n'a pas témoigné. Il est évident qu'elle était disponible, puisqu'elle se trouvait dans la salle d'audience à plusieurs occasions au cours de l'instruction. En raison de son silence, il est permis de se demander si elle aurait effectivement été en mesure de corroborer le témoignage de son frère d'une façon crédible.

[44]      J'en arrive maintenant aux allégations de la demanderesse et aux règles de droit applicables. D'abord, la demanderesse soutient que les épaulières de la défenderesse Kadenza Violin Shoulder Rest Inc. prêtent à confusion avec sa marque de commerce distinctive. Elle fait valoir que la représentation visuelle des produits des défendeurs est identique à celle de ses propres produits sur le plan des dimensions, de la forme, de la couleur et du toucher, et que la seule façon de discerner une différence entre les deux produits est de les examiner de près. La demanderesse s'oppose également à l'utilisation abusive de la lettre " K " par les défendeurs, notamment à l'emploi erroné des mots Kadenza, Klasik et Kompak, qui sous-entendraient selon elle l'existence d'un lien avec KUN.

[45]      Je ne puis souscrire aux arguments de la demanderesse sur ce point. Il y a quatre grandes marques d'épaulières à l'échelle internationale, soit les épaulières de marques Resonans, Wolf, Kun et Playonair. Toutes sont offertes dans différentes tailles et différents modèles. Le marché des épaulières se compose de ces principaux intervenants ainsi que de quelques entreprises moins importantes. Il s'agit d'un marché établi qui n'évolue pas beaucoup et que peu de nouveaux concurrents, s'il en est, ont réussi à pénétrer.

[46]      De façon générale, en raison du petit nombre de concurrents réels, le public n'identifie pas la source d'une épaulière donnée par son apparence. Sur le plan de la vente au détail, les personnes qui se présentent dans une boutique pour acheter une épaulière demandent habituellement une épaulière de tel ou tel nom. De plus, ce n'est pas seulement l'apparence qui distingue une épaulière d'une autre, mais plutôt un certain nombre de facteurs combinés à l'apparence, notamment la conception, les matériaux utilisés, l'emballage et l'identification de la marque.

[47]      Contrairement à ce que la demanderesse soutient, il existe entre l'épaulière Kun Original et l'épaulière Kadenza Klasik des différences qui sont évidentes sans qu'il soit nécessaire d'examiner les deux épaulières de près. La différence la plus remarquable réside dans le tube jaune clair que comportent les épaulières Kun, comparativement au revêtement noir des épaulières Kadenza.

[48]      Bien que les dimensions extérieures de l"élément de base des épaulières Kadenza Kompak et Klasik soient sensiblement les mêmes que celles de l"élément de base de l"épaulière Kun Original, la forme desdits éléments de base n'est pas exactement la même. Par exemple, la jonction entre la partie creuse et le reste de l"élément ne se trouve pas au même endroit; la ligne de démarcation est visible sur l"épaulière Kun Original, alors qu"elle ne se voit pas sur les épaulières Kadenza. La paroi latérale, ou le rebord, de l"élément de base des épaulières Kadenza est légèrement plus mince par endroits (l"épaisseur de ce rebord a une incidence sur la rigidité de l"épaulière). L"élément de base des épaulières Kun et celui des épaulières Kadenza n"ont pas la même épaisseur. Le dessus de l"élément de base de l"épaulière Kun présente une saillie, alors que les épaulières Kadenza en sont dépourvues. Et, bien entendu, les moules impriment les noms différents KUN et KADENZA.

[49]      Les tambours des deux marques d"épaulières sont aussi différents. Dans les épaulières Kadenza, le tambour a la forme d"une larme avec un renflement au sommet. Les tambours du modèle Kun Original n"ont pas de renflement. De plus, les tambours des épaulières Kadenza sont plus ronds et plus lisses que ceux du modèle Kun Original.

[50]      En fait, il existe sur le marché d'autres épaulières qui ressemblent davantage à celles de la demanderesse que les épaulières fabriquées par les défendeurs. Ainsi, une comparaison entre l'épaulière M5402 et le modèle Kun Original indique que les seules différences entre les deux résident, exception faite des marques de commerce inscrites sur la base, dans le matériau de plastique utilisé sur les éléments de celle-ci et dans le tube de caoutchouc qui recouvre les éléments de la griffe de fixation.

[51]      Malgré sa ressemblance frappante avec le modèle Kun Original, l'épaulière M5402 est disponible au Canada depuis les années 1980. Même si je n'ai pas accepté Peter Mach comme témoin expert, je l'ai cru lorsqu'il a dit avoir commandé personnellement l'épaulière M5402 à la société SAGA de San Francisco par catalogue et l'avoir vendue dans sa boutique. L'épaulière est encore annoncée dans le catalogue de ce grand distributeur. Nandor Szederkenyi a dit au cours de son témoignage qu'il connaît l'épaulière M5402 depuis quelques années. Il a mentionné que, lorsqu'il a vu les deux produits pour la première fois, il s'est demandé comment il était possible qu'une épaulière semblable à l'épaulière Kun existe sur le marché. Quant à Peter Dawson, il a déclaré qu'il avait vendu ces épaulières depuis environ 1987 et qu'il les vend actuellement à sa boutique. Au moins trois distributeurs canadiens ont annoncé ces épaulières dans leur catalogue. À l'extérieur du Canada, un certain nombre de distributeurs offrent également l'épaulière M5402, y compris un des premiers distributeurs de violons au monde, Bear & Son, entreprise située au Royaume-Uni. Ayant voyagé à maintes reprises un peu partout au Canada, M. Dawson sait personnellement que l'épaulière M5402 est vendue dans un certain nombre de boutiques de Vancouver à Halifax. Il a mentionné lui aussi que certaines personnes avaient remarqué les similitudes entre l'épaulière M5402 et le modèle Kun Original, mais qu'il n'avait jamais entendu de commentaires similaires à propos des épaulières Kadenza.

[52]      Enfin, il existe des différences sur le plan du marquage et de l'emballage des produits concernés. La marque KUN est inscrite en toutes lettres sur l'épaulière de la demanderesse, tandis que la marque KADENZA figure sur chacune des épaulières des défendeurs. De la même manière, l'emballage utilisé par la demanderesse comporte le mot KUN inscrit en lettres distinctes, tandis que la marque KADENZA est écrite en lettres distinctes sur l'emballage utilisé par les défendeurs. Contrairement à ce que la demanderesse soutient, je ne crois pas que l'utilisation de la lettre " K " suffise en soi à créer de la confusion entre les produits ou constitue une imitation frauduleuse.

[53]      Sur l'emballage de l'épaulière KUN, il est permis de voir la moitié d'une silhouette, qui figure également sur tous les emballages des produits de la demanderesse. Les dimensions de la boîte utilisée par la demanderesse varient en fonction de la taille de l'épaulière et les couleurs des boîtes varient selon les modèles. Pour sa part, l'emballage du produit KADENZA est présenté dans une seule taille et une seule couleur.

[54]      Au cours de l'instruction, la Cour a eu la possibilité d'examiner un certain nombre d'épaulières fabriquées par différentes sociétés. J'ai pu constater facilement que toutes ces épaulières sont fondamentalement conçues de la même façon, qu'elles comportent les mêmes caractéristiques pratiques et fonctionnelles et que les différents fabricants ont simplement utilisé les caractéristiques communément reconnues sur le marché et décrites dans le brevet initial de Joseph Kun ayant expiré en 1987. Cette utilisation en soi ne constitue pas une imitation frauduleuse. Comme la Cour l'a dit dans l'arrêt Payton and Co. v. Snelling, Lampard & Co. (1899), 17 R.P.C. 48 (C.A.), cité dans Stiga Aktiebolag c. S.L.M. Canada Inc. (1990), 34 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), aux pages 232 et 233 :

     La question vraiment importante lorsqu'on examine les produits finis et la forme de leur emballage est la suivante : veut-on, par ces choses, abuser le public? À mon avis, la réponse est ici négative. Les deux parties ont simplement pris ce qui était courant dans le métier, et la défenderesse a toujours pris bien soin de mentionner clairement que les marchandises qu'elle vendait étaient fabriquées par elle, en apposant son nom commercial " Reliable " à tous les articles, sauf un ... Les boîtes de l'entreprise de la défenderesse sont marquées sur le dessus et sur les quatre côtés du mot " Reliable " et, sur deux côtés, apparaissent au complet le nom et l'adresse de la défenderesse [...] La défenderesse ne cherche aucunement à abuser le public quant à la source de fabrication de ses articles, et elle n'a aucune raison de vouloir l'abuser. La ressemblance résidait dans les marchandises elles-mêmes.         

[55]      Ce raisonnement s'applique également en l'espèce.

[56]      En réalité, ce que la demanderesse reproche aux défendeurs Michael et Marika Kun, c'est de faire affaires dans le domaine des épaulières et d'utiliser leur nom de famille en liaison avec cette entreprise. Toutefois, même si la Cour peut interdire la promotion et la vente d'une épaulière pour violons en liaison avec le nom Kun, ce que le juge Nadon a fait dans l'affaire Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin & Bow Maker Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 487 (C.F. 1re inst.) 492, elle ne peut empêcher des personnes d'utiliser leurs propres noms de famille sur des cartes d'affaires et sur la correspondance qu'elles envoient. Il n'est tout simplement pas possible pour une personne d'acquérir un monopole sur un nom de famille de façon à empêcher une autre personne portant le même nom d'utiliser honnêtement celui-ci en liaison avec ses produits ou son entreprise. Ce principe de droit a été énoncé comme suit dans l'arrêt Jamieson & Co. v. Jamieson (1989), 15 R.P.C. (C.A.), p. 181 :

     [TRADUCTION] La Cour ne devrait pas empêcher un homme de faire affaires sous son propre nom pour la simple raison qu'il y a des gens qui font la même chose et qui seront lésés de ce fait. Il serait intolérable que la Cour intervienne et empêche des gens de faire affaires sous leurs propres noms et de faire concurrence de cette façon à d'autres personnes ayant le même nom. La preuve doit aller beaucoup plus loin : elle doit indiquer que la personne qui fait affaires sous son propre nom agit de manière à faire passer ses produits pour ceux d'une autre personne.         

[57]      J'en arrive maintenant à la question de la contrefaçon de brevet. La demanderesse soutient que l'épaulière Kadenza Kompak des défendeurs constitue une contrefaçon des brevets '961 et '719.

[58]      Pour décider s'il y a eu contrefaçon de brevet, il faut d'abord interpréter les revendications de celui-ci. La Cour doit ensuite décider, en comparant l'article visé par l'allégation de contrefaçon avec le texte des revendications, si l'article en question est visé par la portée desdites revendications. Dans l'affirmative, il y aura effectivement contrefaçon.

[59]      Lorsque la Cour interprète les revendications d'un brevet, elle doit éviter d'en reprendre la rédaction. Comme l'a dit la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Eli Lilly & Co. c. O'Hara Mfg. Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 1, p. 7 :

     Lorsqu'un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu'il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu'il se trompait.         

[60]      Je suis convaincu que l"épaulière Kadenza Kompak ne constitue pas une contrefaçon du brevet "961 délivré à la partie demanderesse. L"objet du brevet "961 vise à empêcher l"élément de base de l"épaulière de toucher le dos du violon et de l"endommager. La première revendication de ce brevet concerne des butées associées à l"articulation et destinées à en limiter le mouvement, et la deuxième revendication précise un angle de pivotement d"environ 5 à environ 25 degrés.

[61]      L"objet du brevet "961 ne constitue cependant pas une entière nouveauté. D"autres brevets ont été délivrés antérieurement pour des épaulières comportant des mécanismes de pivotement, notamment les épaulières Hrdlicka, Resonans et Wolf. Le mécanisme à angle de pivotement limité pour lequel un brevet a été délivré à la partie demanderesse ne constitue qu"un léger perfectionnement de mécanismes déjà bien connus dans l"art. Le problème que Joseph Kun cherchait à résoudre était d"empêcher l"élément de base de l"épaulière de toucher le dos de l"instrument de musique et de l"endommager, et la solution qu"il a trouvée et qui lui a valu la délivrance du brevet "961 était de limiter l"angle de pivotement des griffes de fixation. C'est cet angle précis de pivotement qui constitue l"invention du brevet "961.

[62]      Pour sa part, l"épaulière Kadenza Kompak peut pivoter jusqu"à un angle de trente-cinq à quarante degrés, ce qui signifie que l"élément de base de l"épaulière risque de toucher le dos de l"instrument de musique. De plus, la troisième revendication du brevet "961 de la partie demanderesse concerne une saillie radiale dans le mécanisme de pivotement, qu"on ne retrouve pas dans l"épaulière Kadenza Kompak. La cinquième revendication concerne une pièce en forme de canal, à parois latérales faisant office de butées pour limiter l"angle de pivotement des griffes. On ne trouve pas non plus de dispositif de butée dans l"épaulière Kadenza Kompak.

[63]      Je ne suis pas convaincu non plus que l'épaulière Kadenza Kompak constitue une contrefaçon du brevet visant les griffes rabattables sur l'élément de base, le brevet '719.

[64]      L"objet du brevet "719 est une épaulière offrant les mêmes possibilités de réglage des griffes de fixation à l"instrument de musique que celle décrite précédemment et dont les griffes se rabattent sur l"élément de base pour faciliter le rangement dans l"étui de l"instrument. Les épaulières à griffes qui s"escamotent pour faciliter le rangement sont bien connues. L"épaulière de modèle Kun Original, qui remonte aux années 1970, est dotée de griffes qui se rabattent vers le bas et sur le côté. L"épaulière de marque Resonans, pièce P16, a aussi des griffes qui se rabattent vers le bas et sur le côté. Le brevet "916 délivré à Wolf en 1969 avait pour objet une épaulière pliante. Le brevet américain no 222,478 accordé à Colbentson concerne une épaulière dont certaines parties se replient. Le brevet britannique no 871,826 délivré à Stewart a pour objet une épaulière en forme de pont munie de pinces pour la fixer au violon. Le mécanisme de pivotement des pinces permet de les replier contre l"épaulière, dans le même plan que l"élément de base de cette dernière, afin de pouvoir ranger l"accessoire avec l"instrument de musique dans son étui. Ce concept remonte à 1961. Enfin, l"épaulière du brevet américain no 3,372,614 dont Galster est le titulaire comporte une charnière permettant de plier l"accessoire pour le ranger.

[65]      La différence entre les épaulières antérieures au brevet "719 et celle du brevet "719 de la partie demanderesse est que les premières comportent des parties qui se replient sur le côté de l"épaulière, alors que dans la seconde, ces parties se replient sur l"élément de base. Une des raisons derrière cette invention est le fait que les épaulières dotées d"un mécanisme de butée pour limiter le mouvement de pivotement des griffes, comme celle qui a donné lieu au brevet "961, ne peuvent pas se plier de la même façon que les autres. Les griffent ne peuvent pas être repliés sur le côté. L"épaulière du brevet "719 comporte une articulation supplémentaire qui permet de rabattre les griffes sur l"élément de base de l"accessoire.

[66]      Le mécanisme d"escamotage des griffes de l"épaulière Kadenza Kompak est différent de celui du brevet "719. L"épaulière Kun Collapsible, une réalisation du brevet "719, comporte une pièce en L articulée à l"élément d"extrémité de l"épaulière. C"est cette pièce en L qui, en pivotant, abaisse les griffes contre la face supérieure de l"épaulière. Dans le modèle Kadenza Kompak, c"est un tambour pivotant sur l"élément d"extrémité qui est articulé de manière à pouvoir s"abaisser sur le côté

[67]      En outre, l"épaulière Kadenza Kompak n"est pas construite de la même façon que l"épaulière du brevet "719. Le modèle Kompak comporte aussi une pièce en L, fixée à l"élément de base de l"épaulière. Cependant, cette pièce n"est pas articulée comme dans le mécanisme d"escamotage du brevet "719; c"est le tambour qui est articulé. Contrairement au mécanisme du brevet "719 réalisé dans le modèle Kun Collapsible, le tambour du modèle Kadenza Kompak ne peut pas être abaissé simplement en le poussant; il faut d"abord retirer l"axe. Enfin, le modèle Kun Collapsible comporte deux pivots distincts, alors que le Kadenza Kompak n"en a qu"un, qui permet à la fois le réglage de l"inclinaison et l"escamotage des griffes.

[68]      La dernière question à examiner concerne la demande reconventionnelle des défendeurs, qui est fondée sur certaines déclarations fausses et trompeuses que la demanderesse et Marina Kun auraient formulées au sujet des produits qu'ils vendaient. En termes simples, les défendeurs reprochent à Mme Kun d'avoir déclaré à des distributeurs et à d'autres personnes que lesdits défendeurs avaient reproduit ses épaulières, les produits visés par les brevets de la demanderesse, et d'avoir cherché à dissuader les clients d'acheter leurs produits.

[69]      Je ne suis pas disposé à tirer de conclusions à ce sujet. Il suffit de souligner que tout ce litige découle des relations acrimonieuses qui existent entre Marina Kun et les défendeurs Michael et Marika Kun, dont la conduite et les motifs ont été discutables tout au long de cette période. Il n'est pas difficile de comprendre les agissements de Mme Kun. C'est elle qui, en collaboration avec Joseph, a mis en valeur l'entreprise des épaulières et a fait de l'épaulière Kun une des épaulières les plus connues et les plus respectées dans le monde entier. Elle a consacré beaucoup de temps et investi beaucoup d'argent à cette fin. Pour leur part, Michael et Marika Kun n'ont jamais vraiment participé à l'entreprise et n'ont manifesté aucun intérêt à son égard avant le décès de leur père. Néanmoins, même si j'éprouve beaucoup de sympathie à l'endroit de Mme Kun, aucune réparation ne peut lui être accordée en l'espèce.

[70]      Par ces motifs, l'action de la demanderesse et la demande reconventionnelle des défendeurs sont toutes deux rejetées. Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

                             P. Rouleau

                                     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 28 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-118-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      The Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. et al

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :      3 juin 1998 - 5 juin 1998

                     8 juin 1998 - 12 juin 1998

                     15 juin 1998 - 18 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              28 octobre 1998

ONT COMPARU :

Me William Richardson          POUR LA DEMANDERESSE

Me Matthew Snell

Me Bruce Stratton              POUR LES DÉFENDEURS

Me Henry Lue

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault

Avocats

Toronto (Ontario)              POUR LA DEMANDERESSE

Dimock Stratton Clarizio

Avocats

Toronto (Ontario)              POUR LES DÉFENDEURS

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