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Date : 20001120

Dossier : T-2146-99

ENTRE :

                                         NELL WING et

                 THE STEPPING STONES FOUNDATION,

                                                                                       requérantes,

ET :

                               ELLIE VAN VELTHUIZEN

                  C.O.B.A. GRATITUDE PRESS CANADA,

                                                                                               intimée.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    Il s'agit d'une requête introduite en vertu des dispositions relatives à la procédure sommaire du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) et de l'alinéa 300 b) des Règles de la Cour fédérale (1998), au sujet d'une violation du droit d'auteur sur une oeuvre littéraire. Les demanderesses cherchent à obtenir une ordonnance visant :


1)    un jugement déclaratoire établissant que le journal personnel de Lois Wilson, intitulé « The Diary of Two Motorcycle Hobos » [Le journal de deux motards vagabonds], est une oeuvre protégée, à l'égard de laquelle la requérante Nell Wing est titulaire du droit d'auteur, et que l'intimée a violé le droit d'auteur à l'égard du Journal;

2)    des dommages-intérêts préétablis de 20 000 $, en vertu de l'article 38.1 de la Loi;

3)    la remise aux requérantes de tous les exemplaires de contrefaçon du Journal en possession ou sous le contrôle de l'intimée;

4)    une rectification au registre des droits d'auteurs par la radiation du numéro d'enregistrement 469260 rétroactivement au 5 mai 1998, date de l'enregistrement;

5)    une injonction permanente interdisant à l'intimée de copier ou d'offrir en vente le Journal ou de violer d'une autre manière au droit d'auteur à l'égard du Journal;

6)    des dommages-intérêts exemplaires de 50 000 $;

7)    des intérêts sur le montant de tout jugement obtenu, conformément à l'article 37 de la Loi sur la Cour fédérale.

[2]    Les requérantes demandent également les dépens de la requête sur la base-avocat-client.

[3]    L'intimée, qui se représente elle-même, n'a déposé aucun document ni aucune preuve à l'égard de la requête.


Dispositions applicables de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42

[4]                Les dispositions applicables de la Loi sur le droit d'auteur sont ainsi conçues :

2. [...] « pays signataire » Pays partie à la Convention de Berne ou à la Convention universelle ou membre de l'OMC; [...]

2.2(3) Pour l'application de la présente loi – sauf relativement à la violation du droit d'auteur –, une oeuvre ou un autre objet du droit d'auteur n'est pas réputé publié, représenté en public ou communiqué au public par télécommunication si le consentement du titulaire du droit d'auteur n'a pas été obtenu.

3.(1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante;[...] Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes.

5.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale si l'une des conditions suivantes est réalisée :

a) pour toute oeuvre publiée ou non, y compris une oeuvre cinématographique, l'auteur était, à la date de sa création, citoyen, sujet ou résident habituel d'un pays signataire; [...]

5.(1.01)Pour l'application du paragraphe (1), le pays qui devient un pays partie à la Convention de Berne ou un membre de l'OMC après la date de création ou de publication de l'oeuvre est réputé avoir adhéré à la convention ou être devenu membre de l'OMC, selon le cas, à compter de cette date, sous réserve du paragraphe (1.02) et de l'article 29.

5.(1.02) Le paragraphe (1.01) ne confère aucun droit à la protection d'une oeuvre au Canada lorsque la durée de protection accordée par le pays visé a expiré avant que celui-ci ne devienne un pays partie à la Convention de Berne ou un membre de l'OMC, selon le cas.

5.(1.03) Les paragraphes (1.01) et (1.02) s'appliquent et sont réputés avoir été applicables, que le pays en question soit devenu un pays partie à la Convention de Berne ou membre de l'OMC avant ou après leur entrée en vigueur.

6. Sauf disposition contraire expresse de la présente loi, le droit d'auteur subsiste pendant la vie de l'auteur, puis jusqu'à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès.

7.(1) Sous réserve du paragraphe (2), lorsqu'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, ou une gravure, qui est encore protégée à la date de la mort de l'auteur [¼] n'a pas été publiée, [¼] le droit d'auteur subsiste jusqu'à sa publication, [¼] puis jusqu'à la fin de la cinquantième année suivant celle de cette publication [¼].

7.(2) Le paragraphe (1) ne s'applique que dans les cas où l'oeuvre a été publiée [...] avant l'entrée en vigueur du présent article.


7.(3)L'oeuvre, qu'elle soit ou non publiée [¼] après la date d'entrée en vigueur du présent article, continue d'être protégée par le droit d'auteur jusqu'à la fin de l'année de l'entrée en vigueur de cet article et pour une période de cinquante ans par la suite, dans le cas où :

a) elle n'a pas été publiée [¼] à l'entrée en vigueur du présent article;

b) le paragraphe (1) s'y appliquerait si elle l'avait été;

c) le décès mentionné au paragraphe (1) est survenu au cours des cinquante années précédant l'entrée en vigueur du présent article.

13.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'auteur d'une oeuvre est le premier titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre.

13.(4) Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé.

14.(1) Lorsque l'auteur d'une oeuvre est le premier titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre, aucune cession du droit d'auteur ni aucune concession d'un intérêt dans ce droit, faite par lui – autrement que par testament – après le 2 juin 1921, n'a l'effet d'investir le cessionnaire ou le concessionnaire d'un droit quelconque, à l'égard du droit d'auteur sur l'oeuvre, pendant plus de vingt-cinq ans à compter de la mort de l'auteur; la réversibilité du droit d'auteur, en expectative à la fin de cette période, est dévolue, à la mort de l'auteur, nonobstant tout arrangement contraire, à ses représentants légaux comme faisant partie de ses biens; toute stipulation conclue par lui concernant la disposition d'un tel droit de réversibilité est nulle.

27.(1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.

27.(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l'exemplaire d'une oeuvre, d'une fixation d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'une fixation d'un signal de communication alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit :

a) la vente ou la location;

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

c) la mise en circulation, la mise ou l'offre en vente ou en location, ou l'exposition en                             public, dans un but commercial;

d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c);

e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c).

34.(1) En cas de violation d'un droit d'auteur, le titulaire du droit est admis, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, à exercer tous les recours – en vue notamment d'une injonction, de dommages-intérêts, d'une reddition de compte ou d'une remise – que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit.


34.(3) Les frais de toutes les parties à des procédures relatives à la violation d'un droit prévu par la présente loi sont à la discrétion du tribunal.

34.(4) Les procédures suivantes peuvent être engagées ou continuées par une requête ou une action :

a) les procédures pour violation du droit d'auteur ou des droits moraux;[...]

34.1(1) Dans toute procédure pour violation du droit d'auteur, si le défendeur conteste l'existence du droit d'auteur ou la qualité du demandeur :

a) l'oeuvre, la prestation, l'enregistrement sonore ou le signal de communication, selon le cas, est, jusqu'à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d'auteur;

b) l'auteur, l'artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu'à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d'auteur.

36.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire d'un droit d'auteur, ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit par le titulaire peut, individuellement pour son propre compte, en son propre nom comme partie à une procédure, soutenir et faire valoir les droits qu'il détient, et il peut exercer les recours prévus par la présente loi dans toute l'étendue de son droit, de son titre et de son intérêt.

38.1(1) Sous réserve du présent article, le titulaire du droit d'auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l'ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), des dommages-intérêts préétablis dont le montant, d'au moins 500 $ et d'au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l'occurrence, pour toutes les violations – relatives à une oeuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d'auteur – reprochées en l'instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables.

38.1(2) Dans les cas où le défendeur convainc le tribunal qu'il ne savait pas et n'avait aucun motif raisonnable de croire qu'il avait violé le droit d'auteur, le tribunal peut réduire le montant des dommages-intérêts préétablis jusqu'à 200 $.

38.1(5) Lorsqu'il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

b) le comportement des parties avant l'instance et au cours de celle-ci;

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l'égard de violations éventuelles du droit d'auteur en question.

38.1(7) Le choix fait par le demandeur en vertu du paragraphe (1) n'a pas pour effet de supprimer le droit de celui-ci, le cas échéant, à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs.

55.(1) La demande d'enregistrement d'un droit d'auteur sur une oeuvre peut être faite par l'auteur, le titulaire ou le cessionnaire du droit d'auteur, ou le titulaire d'une licence accordant un intérêt dans ce droit, ou en leur nom.


55.(2) Elle doit être déposée au Bureau du droit d'auteur avec la taxe dont le montant est fixé par les règlements ou déterminé en conformité avec ceux-ci, et comporter les renseignements suivants :

a) les nom et adresse du titulaire du droit d'auteur;

b) une déclaration précisant que le demandeur est l'auteur, le titulaire ou le cessionnaire de ce droit ou le titulaire d'une licence accordant un intérêt dans celui-ci; [¼]

e) le nom de l'auteur et, s'il est décédé, la date de son décès si elle est connue; [¼]

57.(4) La Cour fédérale peut, sur demande du registraire des droits d'auteur ou de toute personne intéressée, ordonner la rectification d'un enregistrement de droit d'auteur effectué en vertu de la présente loi :

a) soit en y faisant une inscription qui a été omise du registre par erreur;

b) soit en radiant une inscription qui a été faite par erreur ou est restée dans le registre par erreur;

c) soit en corrigeant une erreur ou un défaut dans le registre.

Pareille rectification du registre a effet rétroactif à compter de la date que peut déterminer la Cour.

La preuve des requérantes

[5]    Les requérantes produisent en preuve les affidavits d'Eileen Giuliani et de Nell Wing.

a) L'affidavit d'Eileen Giuliani

[6]    Eileen Giuliani est la directrice générale de la requérante The Stepping Stones Foundation (Stepping Stones), poste qu'elle occupe depuis 1991. Dans son affidavit, elle explique les circonstances qui ont entouré la création de l'oeuvre littéraire visée ainsi que le contexte du litige.


[7]                Selon l'affidavit de Mme Giuliani, Lois B. Wilson et son mari, Bill, fondateur des Alcooliques Anonymes, ont parcouru les États-Unis en motocyclette dans les années 20 et Mme Wilson a tenu un journal de voyage. En 1973, elle avait fait dactylographier les inscriptions de son journal, sous le titre "The Diary of Two Motorcycle Hobos" (le Journal). Un exemplaire du Journal forme la pièce A jointe à l'affidavit. Le 18 septembre 1981, Lois Wilson a enregistré son droit d'auteur sur le Journal sous le numéro d'enregistrement Txu : 78-635, à titre de texte inédit (pièce B).

[8]                Mme Giuliani indique que Lois Wilson est morte en 1988, son Journal étant demeuré non publié. Dans son testament, elle a légué à la requérante Stepping Stones, parmi d'autres biens, le manuscrit original et le texte dactylographié du Journal. Le droit d'auteur sur le Journal a été légué comme partie du reliquat à un certain nombre de bénéficiaires, dont la requérante Nell Wing. Une copie du testament figure à la pièce C jointe à l'affidavit.

[9]                Selon l'affidavit de Mme Giuliani, la requérante Nell Wing a accordé à la requérante Stepping Stones une licence non exclusive pour exploiter le droit d'auteur sur le Journal (pièce D). Cette licence comporte le droit et le pouvoir d'intenter des actions en justice au nom de Nell Wing ou pour son compte en cas de violation du droit d'auteur ou d'utilisation non autorisée du Journal.


[10]            Mme Giuliani explique qu'elle a rencontré pour la première fois l'intimée le 8 août 1998, lorsque celle-ci s'est présentée au bureau de la Stepping Stones avec un exemplaire du Journal. L'intimée a déclaré à Mme Giuliani qu'elle était entrée en possession du Journal, l'avait édité et publié sous forme de livre et en vendait des exemplaires sous le nom de Gratitude Press. Un exemplaire du Journal publié par Gratitude Press et un exemplaire d'une carte postale annonçant la vente de cette publication sont joints à l'affidavit comme pièce E.

[11]            En février 1999, Mme Giuliani a découvert que l'intimée exploite un site Web à l'adresse « www.gratitudepress.com » , où elle offre en vente le Journal par l'entremise de Gratitude Press et de libraires détaillants. Mme Giuliani affirme avoir eu accès au site Web et elle croit que l'intimée continue d'annoncer et de vendre des exemplaires du Journal sans avoir droit de le faire. La pièce F jointe à l'affidavit comporte des sorties d'imprimante du site Web.


[12]            Mme Giuliani expose ensuite dans son affidavit que l'avocat américain de la requérante Stepping Stones a écrit à l'intimée en mars 1999 pour exiger qu'elle cesse immédiatement de violer le droit d'auteur sur le Journal (pièce G). Dans sa lettre de réponse datée du 31 mars 1999 (pièce H), l'intimée a indiqué qu'elle avait demandé et obtenu l'enregistrement au Canada du droit d'auteur à l'égard du Journal et elle a fourni une copie du certificat d'enregistrement obtenu au Canada le 5 mai 1998. L'intimée a écrit une deuxième fois à l'avocat américain de la requérante Stepping Stones le 29 avril 1999 (pièce I), prétendant être titulaire du droit d'auteur au Canada et aux États-Unis sur le Journal publié. Elle a admis que le Journal avait été publié au complet et a offert de vendre le droit d'auteur au Canada à la requérante Stepping Stones pour la somme de 125 000 $US.

[13]            La pièce J de l'affidavit comporte d'autres lettres de l'intimée. Des lettres des avocats américain et canadien de la requérante Stepping Stones réitérant que l'intimée ne détient pas les droits de publication du Journal sont jointes comme pièces L et M. Selon Mme Giuliani, malgré cette correspondance, l'intimée a refusé de cesser la commercialisation, la vente et la distribution d'exemplaires du Journal, a poursuivi ces activités et continue toujours de violer le droit d'auteur sur le Journal.

[14]            À_ l'audience, les requérantes ont demandé et obtenu l'autorisation de produire un affidavit supplémentaire d'Eileen Giuliani. Dans cet affidavit, daté du 2 novembre 2000, Mme Giuliani déclare avoir eu connaissance, à la fin d'octobre 2000, de l'offre en vente du Journal sur le site Web « www.recovery.org » , site hébergé par M. Bill Casti, résident de l'État de Virginie aux États-Unis. M. Casti et ses employeurs avaient, semble-t-il, acheté de l'intimée le reste du stock invendu du Journal, soit au moins 4 000 exemplaires imprimés. Le Journal est offert en vente au prix de 6,95 $US l'unité.

b)         L'affidavit de Nell Wing


[15]            Dans son affidavit, Nell Wing explique qu'elle était une amie intime de Lois Wilson et qu'au cours de cette relation d'amitié, elle avait appris que Mme Wilson avait écrit le Journal. Mme Wing indique qu'à sa connaissance, Mme Wilson n'avait jamais publié son Journal, même si elle avait pris le soin de faire dactylographier son manuscrit original.

[16]            Mme Wing déclare aussi dans son affidavit qu'à la mort de Mme Wilson, celle-ci lui a légué par testament un intérêt dans le reliquat, qui comprenait le Journal inédit. Par conséquent, Mme Wing estime être titulaire du droit d'auteur à l'égard du Journal. Mme Wing indique qu'elle n'a jamais accordé à l'intimée l'autorisation de reproduire des exemplaires du Journal et de les vendre.

[17]            En outre, Mme Wing confirme dans son affidavit avoir accordé à la requérante Stepping Stones une licence en vue d'exploiter le droit d'auteur sur le Journal, cette licence habilitant Stepping Stones à engager des poursuites au nom de Mme Wing pour toute utilisation non autorisée du Journal.

Les observations des requérantes

[18]            Les requérantes prétendent que, depuis mai 1996 ou aux environs, l'intimée a violé le droit d'auteur sur le Journal de Lois Wilson par les actes suivants :

a)         la vente d'exemplaires du Journal au Canada et dans d'autres pays;

b)         la distribution commerciale d'exemplaires du Journal;

c)         la présentation et l'offre en vente au public du Journal;


d)         la possession d'exemplaires du Journal à ces fins.

[19]            Les requérantes soutiennent que l'intimée a enregistré un droit d'auteur sur le Journal au Bureau du droit d'auteur du Canada le 5 mai 1998 sans apparence de droit et en prétendant être titulaire du droit d'auteur à l'égard du Journal. Elles font également valoir que contrairement à l'impression que donne son site Web, l'intimée n'a en aucun temps eu le droit d'éditer, de publier, de vendre, de reproduire ou de distribuer le Journal.

[20]            Les requérantes soulèvent plusieurs points. Je les résumerai un par un.

a)          Obtention du droit d'auteur

[21]            Les requérantes soulignent en premier lieu que le droit d'auteur existe sur toute oeuvre littéraire originale dans le cas où l'auteur était, à la date de la création de l'oeuvre, citoyen, sujet ou résident habituel d'un pays signataire (alinéa 5(1)a) de la Loi). Elles indiquent également que le « pays signataire » comprend tout pays membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) (article 2 et paragraphe 5(1.01) de la Loi) et qu'un pays qui devient membre de l'OMC après la date de création de l'oeuvre est réputé être devenu membre de l'OMC à compter de cette date (paragraphes 5(1.01) et 5(1.02) de la Loi).


[22]            Les requérantes font valoir que le Journal est une oeuvre littéraire originale, créée entre 1925 et 1927, époque où Lois Wilson était citoyenne des États-Unis. Elles indiquent que les États-Unis sont devenus membre de l'OMC le 1er janvier 1995, c'est-à-dire un « pays signataire » pour l'application de la Loi, et qu'en vertu du paragraphe 5(1.01) ils sont réputés être devenus membre de l'OMC à compter de la date de la création du Journal. Par conséquent, les requérantes prétendent qu'en vertu de l'alinéa 5(1)a) et des paragraphes 5(1.01) et 5(1.03) de la Loi, le droit d'auteur sur le Journal existe au Canada.

[23]            S'agissant de la durée du droit d'auteur, les requérantes affirment que la Loi comporte une disposition spéciale sur la durée de protection des oeuvres posthumes : lorsqu'une oeuvre littéraire n'a pas été publiée à la date de la mort de l'auteur, le droit d'auteur subsiste pour une période de cinquante ans à compter de la fin de l'année civile de publication de l'oeuvre (article 6 et paragraphe 7(3) de la Loi).


[24]            Les requérantes indiquent qu'au moment de la mort de Lois Wilson en 1988, le Journal n'était pas encore publié, que le certificat d'enregistrement délivré par l'Office de la propriété intellectuelle du Canada à l'intimée identifie le Journal comme oeuvre inédite et que l'intimée, dans sa correspondance avec l'avocat des requérantes et sur son site Web, a reconnu que le Journal n'avait jamais été publié. Les requérantes soutiennent que l'intimée a par la suite publié le Journal, mais qu'elle l'a fait sans le consentement des titulaires du droit d'auteur, ce qui signifie que le Journal est réputé non publié selon le paragraphe 2.2(3) de la Loi. Elles prétendent donc que, s'agissant d'une oeuvre non publiée, la durée de protection du droit d'auteur à l'égard du Journal n'est pas encore expiré. Par conséquent, puisque qu'il existe un droit d'auteur sur le Journal au Canada et que la durée de ce droit d'auteur n'est pas venue à expiration, le Journal jouit de la protection de la Loi.

[25]            En outre, les requérantes veulent se prévaloir des présomptions prévues à l'article 34.1 de la Loi. Comme l'intimée a prétendu qu'elle-même ou Gratitude Press était titulaire du droit d'auteur sur le Journal, les requérantes font valoir que l'intimée conteste l'existence du droit d'auteur et la qualité des requérantes comme titulaires de ce droit d'auteur, ce qui donne lieu à l'application de l'article 34.1. Par conséquent, les requérantes prétendent que leur droit d'auteur sur le Journal est présumé exister jusqu'à preuve du contraire par l'intimée.

b)         Propriété du droit d'auteur


[26]            Les requérantes font valoir que l'auteur d'une oeuvre étant le premier titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre (paragraphe 13(1) de la Loi) et que l'intimée ayant reconnu que l'auteur du Journal était Lois Wilson, Lois Wilson a été la première titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre. Elles exposent encore que le titulaire du droit d'auteur peut céder ce droit et concéder par une licence un intérêt dans ce droit, sous réserve que la cession ou la concession soient rédigées par écrit et signées par le titulaire du droit (paragraphe 13(4) de la Loi). Selon les requérantes, ce document peut prendre la forme d'un testament, ainsi qu'il est prévu au paragraphe 14(1) de la Loi. Les requérantes prétendent également que le droit d'auteur peut être légué par testament aux légataires du reliquat même si le testament ne mentionne pas expressément le droit d'auteur (Underwriters' Survey Bureau Ltd. v. Massie & Renwick Ltd., [1938] 2 D.L.R. 31 (C. de l'É.)).

[27]            Par conséquent, en se fondant sur les paragraphes 13(4) et 14(1) de la Loi, les requérantes affirment que Lois Wilson était autorisée à céder son droit d'auteur sur le Journal par testament écrit et signé par elle, en qualité de titulaire du droit d'auteur. De plus, en s'appuyant sur l'affaire Underwriters' Survey, précitée, elles soutiennent que le droit d'auteur sur le Journal a été légué avec le reliquat de la succession de Lois Wilson, et qu'à titre de légataire du reliquat, la requérante Nell Wing est une co-titulaire valide du droit d'auteur.

c)         Licence


[28]            Les requérantes soutiennent que le titulaire du droit d'auteur peut concéder par une licence un intérêt dans ce droit, sous réserve que la concession soit rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit (paragraphe 13(4) de la Loi). Elles relèvent qu'en qualité de titulaire du droit d'auteur, la requérante Nell Wing a concédé à la requérante Stepping Stones une licence en vue d'exploiter le Journal et d'engager toute poursuite pour violation du droit d'auteur ou pour utilisation non autorisée, et que cette concession a pris la forme d'une lettre adressée au conseil d'administration de la fondation Stepping Stones, signée par Nell Wing le 27 septembre 1999.

d)         Droit d'engager des poursuites

[29]            Les requérantes plaident que Nell Wing et Stepping Stones sont toutes deux habilitées à introduire la présente requête pour faire valoir leurs droits respectifs de titulaire du droit d'auteur et de licenciée (paragraphe 36(1) de la Loi). En outre, les requérantes soutiennent qu'en vertu du pouvoir exprès que confère la licence de Stepping Stones, aux termes de laquelle Nell Wing a autorisé Stepping Stones à intenter des poursuites en son nom ou pour son compte, Stepping Stones est habilitée à présenter la requête pour le compte de Nell Wing.

e)         Violation du droit d'auteur

[30]            Les requérantes font valoir que l'intimée a admis avoir produit et reproduit le Journal sans le consentement du titulaire du droit d'auteur (pièce I de l'affidavit Giuliani). Elles affirment que l'intimée a de ce fait violé leurs droits exclusifs de produire et reproduire le Journal, ce qui contrevient au paragraphe 3(1) de la Loi, et l'a mis en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur, en contravention à l'alinéa 27(2)b) de la Loi.


[31]            De plus, les requérantes prétendent que l'intimée a reconnu avoir publié le Journal par l'entremise de Gratitude Press (pièce I de l'affidavit Giuliani) et qu'elle a violé leur droit exclusif de publier une oeuvre non publiée, en contravention au paragraphe 3(1) de la Loi. Elles exposent également qu'en autorisant Gratitude Press à reproduire et publier des exemplaires du Journal, l'intimée a violé le droit exclusif du titulaire du droit d'auteur d'autoriser les actes visés ci-dessus, en contravention au paragraphe 3(1) de la Loi.

[32]            Les requérantes affirment aussi que l'intimée a admis avoir offert en vente les exemplaires de contrefaçon du Journal (pièce I de l'affidavit Giuliani). Elles prétendent donc que l'intimée a violé leur droit de vendre des exemplaires du Journal, en contravention à l'alinéa 27(2)a) de la Loi, et de les distribuer, exposer ou offrir en vente dans un but commercial, en contravention à l'alinéa 27(2)c) de la Loi.

f)         Recours

[33]            Les requérantes indiquent que le paragraphe 34(1) de la Loi prévoit que lorsque le droit d'auteur sur une oeuvre a été violé, le titulaire du droit est admis à exercer tous les recours, en vue notamment d'une injonction, de dommages-intérêts, d'une reddition de compte ou d'une remise, que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit.


i)          Injonction

[34]            Les requérantes exposent que la Section de première instance de la Cour fédérale a accordé une injonction permanente ordonnant à la défenderesse de cesser de publier, vendre, imprimer ou distribuer l'oeuvre de contrefaçon, dans le cas où la partie contrevenante a continué sans autorisation à usurper le droit d'auteur (Prise de Parole Inc. et al. c. Guérin, éditeur Ltée (1996), 66 C.P.R. (3d) 257 (C.F.1re inst.); 91439 Canada Ltée c. Éditions JCL Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 245 (C.F.1re inst.)).

[35]            Les requérantes soutiennent que, puisque l'intimée a admis avoir l'intention de continuer à violer le droit d'auteur sur le Journal (pièce I de l'affidavit Giuliani) et que cette violation peut causer un préjudice aux co-titulaires et à la réputation de la requérante Stepping Stones, il faut une injonction interdisant à l'intimée de reproduire ou d'offrir en vente le Journal ou de violer de toute autre manière le droit d'auteur sur le Journal.

ii)        Dommages-intérêts préétablis


[36]            Les requérantes choisissent de recouvrer des dommages-intérêts préétablis de 20 000 $, comme le permet l'article 38.1 de la Loi. Elles font valoir que l'intimée a violé de façon flagrante les droits des titulaires du droit d'auteur, a enregistré de manière délibérée un droit d'auteur au Canada sur le fondement de faux renseignements qu'elle a fournis sur la propriété du droit d'auteur, a refusé à plusieurs reprises de cesser de violer le droit d'auteur au moment où elle avait été prévenue des droits du titulaire et du licencié et a cherché à obtenir des requérantes un paiement de 125 000 $, comme l'indique sa correspondance, et que tous ces faits justifient des dommages-intérêts de 20 000 $, compte tenu des facteurs prévus au paragraphe 38.1(5) de la Loi.

iii)       Remise

[37]            Les requérantes allèguent qu'en cas de violation du droit d'auteur, le titulaire du droit est admis à exercer tous les recours que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit, notamment la remise (paragraphe 34(1) de la Loi;91439 Canada Ltée c. Éditions JCL Inc., précité). Par conséquent, les requérantes demandent une ordonnance de remise de toutes les marchandises de contrefaçon en la possession ou sous le contrôle de l'intimée.

iv)        Rectification

[38]            Les requérantes soutiennent que, bien que l'intimée ait obtenu l'enregistrement du droit d'auteur sur le Journal, elle n'est pas l'auteur du Journal, ni la titulaire du droit d'auteur sur le Journal, ni la titulaire d'une licence accordant un intérêt dans ce droit et elle n'a pas été autorisée à demander l'enregistrement du droit d'auteur pour le compte de l'auteur, du titulaire du droit d'auteur ou du licencié. Les requérantes prétendent donc que l'intimée n'avait pas qualité pour demander l'enregistrement d'un droit d'auteur sur le Journal (paragraphe 55(1) de la Loi).


[39]            Les requérantes indiquent qu'en vertu du paragraphe 57(4) de la Loi, la Cour fédérale peut ordonner la rectification d'un enregistrement au registre des droits d'auteur par la radiation d'une inscription qui a été faite par erreur ou qui est restée dans le registre par erreur. Elles font valoir que l'enregistrement n º 469260 ayant été fait par erreur sur le fondement de faux renseignements fournis par l'intimée, la Cour devrait ordonner au registraire des droits d'auteur de rectifier le registre en radiant l'enregistrement de l'intimée.

v)          Dommages-intérêts exemplaires ou punitifs

[40]            Les requérantes relèvent que le choix de demander des dommages-intérêts préétablis en vertu du paragraphe 38.1(1) n'a pas pour effet de supprimer le droit du titulaire du droit d'auteur à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs (paragraphe 38.1(7) de la Loi). Les requérantes soutiennent aussi que des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires peuvent être accordés dans les cas où la violation du droit d'auteur est flagrante, frauduleuse ou malicieuse (Prise de Parole Inc. et al. C. Guérin, éditeur Ltée, précité; Prism Hospital Software Inc. et al. v. Hospital Medical Records Institute et al. (1994), 57 C.P.R. (3d) 129 (C.S.C.-B.)).

[41]            Les requérantes prétendent qu'au vu du mépris flagrant et continu manifesté par l'intimée à l'égard des droits des requérantes, il serait justifié d'accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires d'un montant de 50 000 $.


Analyse

[42]            À mon avis, il est clair en l'espèce que l'intimée a violé le droit d'auteur des requérantes. Bien que la violation du droit d'auteur repose sur une totale incompréhension du droit applicable en matière de droit d'auteur, elle demeure néanmoins une violation de ce droit et les réparations demandées par les requérantes doivent être accordées.

[43]            La décision sur l'existence d'une violation du droit d'auteur implique en premier lieu d'établir qu'il existe un droit d'auteur valide au Canada sur le Journal et que les requérantes sont les titulaires de ce droit.


[44]            Aux termes de l'alinéa 5(1)a), pour qu'il existe un droit d'auteur au Canada sur le Journal, le Journal doit être une oeuvre littéraire originale et l'auteur doit avoir été, à la date de la création de l'oeuvre, citoyen, sujet ou résident habituel d'un pays signataire. En l'espèce, la preuve a été faite que le Journal est une oeuvre littéraire originale créée dans les années 20, comme en témoigne l'affidavit de Mme Giuliani. Ce point n'est pas contesté par l'intimée et il en est fait mention sur la couverture de sa version publiée du Journal (pièce E de l'affidavit Giuliani). Une preuve abondante établit que l'auteur du Journal était Lois Wilson. Outre la mention de ce fait dans l'affidavit de Mme Giuliani, le nom de Lois Wilson figure comme auteur sur la formule d'enregistrement du droit d'auteur aux États-Unis (pièce B de l'affidavit Giuliani) et sur la page couverture du Journal publié par l'intimée (pièce E de l'affidavit Giuliani). Il est incontestable que Mme Wilson est l'auteur du Journal.

[45]            Le Journal est une oeuvre qui a été créée aux États-Unis. Comme les États-Unis sont devenus membre de l'OMC en 1995, ils constituent un pays signataire pour l'application de la Loi, suivant la définition du « pays signataire » à l'article 2 de la Loi. En outre, aux termes du paragraphe 5(1.01) de la Loi, les États-Unis sont réputés être devenus pays signataire à compter de la date de la création du Journal. Comme Mme Wilson était citoyenne des États-Unis au moment de la création de l'oeuvre, je suis d'accord avec la prétention des requérantes qu'il existe un droit d'auteur au Canada.


[46]            S'agissant de la durée du droit d'auteur, l'article 7 de la Loi traite le cas d'oeuvres non publiées à la date de la mort de l'auteur. Je reconnais le bien-fondé de l'argumentation des requérantes qui allèguent, sur le fondement du paragraphe 2.2(3) de la Loi, que le Journal ayant été publié par l'intimée sans le consentement des titulaires du droit d'auteur, il demeure une oeuvre non publiée pour l'application de la Loi. Par conséquent, suivant le paragraphe 7(3) de la Loi, applicable en l'espèce du fait que le Journal n'avait pas été publié avant l'entrée en vigueur de l'article 7 (le 31 décembre 1998) et que la mort de Lois Wilson est survenue au cours des cinquante années précédant l'entrée en vigueur de l'article 7, le Journal non publié jouit de la protection du droit d'auteur pour une période de cinquante ans après la fin de l'année 1998. Le Journal est donc protégé par la Loi étant donné que la durée du droit d'auteur n'est pas encore arrivée à expiration.

[47]            Les requérantes se prévalent également des présomptions prévue à l'article 34.1 de la Loi. Elles font valoir que, comme l'intimée a prétendu être titulaire du droit d'auteur, elle conteste l'existence du droit d'auteur et que les présomptions de l'article 34.1 sont applicables. Il est vrai que, dans sa correspondance avec les requérantes, l'intimée affirme être titulaire du droit d'auteur sur le Journal. Je ne suis toutefois pas persuadé que cela peut être considéré comme « contester » l'existence du droit d'auteur. J'estime que comme l'intimée n'a pas déposé d'observations ou de prétentions formelles auprès de la Cour, on ne peut conclure qu'elle conteste l'existence du droit d'auteur dans la poursuite pour violation du droit d'auteur.


[48]            De toute façon, qu'en droit strict l'intimée conteste ou ne conteste pas l'existence du droit d'auteur, le résultat est le même. Dans le cas où l'on considère les déclarations de sa correspondance comme une contestation de l'existence du droit d'auteur, la présomption s'applique et l'intimée doit par sa preuve renverser la présomption. Comme elle n'a rien déposé, elle ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve et le droit d'auteur à l'égard du Journal est réputé exister. Dans le cas où l'on considère que l'intimée n'a pas contesté l'existence du droit d'auteur, alors les requérantes n'ont pas à établir l'existence du droit d'auteur, celle-ci n'étant pas contestée par l'intimée. Dans l'un ou l'autre cas, le résultat est le même : il existe un droit d'auteur à l'égard du Journal au Canada et le Journal jouit de la protection de la Loi.

[49]            La question suivante concerne la propriété du droit d'auteur. Aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi, Lois Wilson a été la première titulaire du droit d'auteur à titre d'auteur du Journal, ce qui a été indiqué précédemment. Le paragraphe 13(4) de la Loi prévoit que le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit. En outre, comme l'ont fait remarquer les requérantes, les mots « autrement que par testament » du paragraphe 14(1) de la Loi reconnaissent que le droit d'auteur peut être cédé par testament. Je conviens avec les requérantes qu'aux termes des paragraphes 13(4) et 14(1), Lois Wilson était habilitée à céder son droit d'auteur sur le Journal par la voie d'un testament écrit et signé.

[50]            Les requérantes exposent aussi que le droit d'auteur peut être légué par voie testamentaire aux légataires du reliquat même si le testament ne mentionne pas expressément le droit d'auteur. Dans l'affaire Underwriters' Survey Bureau Ltd. v. Massie & Renwick Ltd., précitée, le défunt Charles Edward Goad a légué par testament tous ses « [TRADUCTION] biens immeubles et meubles de toute nature dans le Dominion du Canada » à la Toronto General Corporation. Il n'a pas mentionné spécifiquement ses droits d'auteur dans le testament. La question soulevée était de savoir si les droits d'auteur de M. Goad avaient été légués à l'exécuteur testamentaire parmi les « biens immeubles et meubles de toute nature » . Le juge Maclean a déclaré à la page 39 :


[TRADUCTION] Dans l'affaire Dickens v. Hawksley (1934), 51 T.L.R. 181, il semble qu'après certains legs mobiliers, le testateur, Charles Dickens, a légué tous ses biens réels et personnels à Georgina Hogarth et John Foster « en fiducie pour qu'à leur ... discrétion ils "procèdent à la vente ou à la liquidation immédiate de ces biens immeubles et meubles (y compris mes droits d'auteur) » au bénéfice des légataires du reliquat. La comparaison des termes employés dans le testament de Dickens avec ceux du testament de Goad mentionnés ci-dessus révèle une étroite ressemblance dans la formulation des deux testaments, sous réserve que Goad n'a pas employé le mot « droits d'auteur » pour désigner une partie du reliquat, comme l'a fait Dickens. Mais sur ce point, il importe de se référer à ce que le juge Maugham a déclaré dans l'affaire Dickens, à la page 188 : -- « Si le testament n'avait aucunement fait mention des droits d'auteur, ceux-ci auraient été transmis par le legs du reliquat. » . Je ne vois donc aucune raison pour contester la validité du titre des frères Goad sur tout droit d'auteur que possédait leur père à l'égard de tout plan, au moment de son décès.

[51]            Par conséquent, comme je n'ai pu trouver de jurisprudence en sens contraire, il appert qu'un droit d'auteur qui n'est pas mentionné dans le testament est transmis aux légataires du reliquat. J'estime donc avec les requérantes qu'à titre de bénéficiaire du patrimoine de Lois Wilson, la requérante Nell Wing est une co-titulaire valide du droit d'auteur.

[52]            En outre, il convient de noter que l'intimée ne semble pas contester que les requérantes soient titulaires du droit d'auteur sur la version non publiée du Journal. Dans sa lettre à l'avocat des requérantes (pièce I de l'affidavit Giuliani), elle signale que « Stepping Stones jouit d'un droit d'auteur sur un manuscrit non publié. Gratitude Press est titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre publiée » .


[53]            En ce qui concerne la licence et le droit d'intenter une action en justice, il ne fait aucun doute à mes yeux qu'en vertu du paragraphe 13(4) de la loi, la requérante Nell Wing avait le droit d'accorder une licence à la requérante Stepping Stones par une lettre datée du 27 septembre 1999. Il n'est pas contestable non plus qu'aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi, Nell Wing et Stepping Stones sont habilitées à déposer la présente requête en qualité respectivement de titulaire du droit d'auteur et de licenciée. De plus, selon l'accord de licence, la requérante Stepping Stones est également autorisée à présenter la requête pour le compte de la requérante Nell Wing.

[54]            J'estime qu'on a établi qu'il existe un droit d'auteur valide sur le Journal au Canada et que les requérantes, à titre de titulaire de ce droit et de licenciée, sont habilitées à présenter leur requête. Il incombe ensuite aux requérantes de démontrer que l'intimée a violé le droit d'auteur. En raison de l'absence d'arguments de la part de l'intimée, j'examinerai plus en détail les observations de requérantes sur ce point et sur la question des recours, le fardeau de la preuve en matière de violation du droit d'auteur reposant sur les requérantes.

a)         Violation du droit d'auteur

[55]            La violation du droit d'auteur est régie par l'article 27 de la Loi. Selon le principe général, énoncé au paragraphe 27(1), constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la Loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir. Par conséquent, dans le cas où une personne accomplit un acte réservé au titulaire du droit d'auteur en vertu du paragraphe 3(1), elle viole le droit d'auteur si elle n'a pas obtenu le consentement du titulaire.


[56]            Dans l'arrêt Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357, la Cour suprême du Canada a jugé qu'il y a violation du droit d'auteur aux termes du paragraphe 27(1) sans égard au fait que la personne sache ou ne sache pas qu'elle viole le droit d'auteur. Le juge Estey a déclaré à la page 375 :

Aux termes du par. 17(4), lorsque la contrefaçon consiste en « la vente, la distribution, l'importation ou l'exposition en public d'une oeuvre » , il faut prouver que le présumé contrefacteur sait que l'oeuvre viole un droit d'auteur.[...] Cependant l'art. 3 et le par. 17(1) n'exigent pas la preuve de la connaissance de l'existence du droit d'auteur ni du fait que l'acte constitue une contrefaçon. La contrefaçon consiste simplement en l'exécution d'un acte que seul « le titulaire [du droit d'auteur] a la faculté d'exécuter » .

[57]            De plus, l'ignorance de la loi ou de la protection de l'oeuvre par un droit d'auteur ne constitue pas une défense ou une excuse. Dans l'affaire Zamacoïs v. Douville, [1944] Ex. C.R. 208, le juge Angers a dit aux paragraphes 105, 107, 108 et 111 :

L'ignorance dans laquelle pouvaient être les défendeurs du fait que l'article de Zamacoïs était protégé par un droit d'auteur ne peut être une excuse pour sa violation. [...]

Le droit d'auteur du demandeur n'était pas enregistrée [sic]; cette formalité, au reste, n'est pas nécessaire pour l'existence du droit d'auteur.

Les défendeurs ont soutenu qu'ils ignoraient l'existence d'un droit d'auteur sur un article du genre de celui du demandeur et qu'ils croyaient qu'en vertu de l'article 9 de la Convention cet article pouvait être reproduit. Étaient-ils justifiables d'ignorer l'existence de ce droit d'auteur? Non [...].

[...] S'ils ont cru que la chronique en question était aux termes du paragraphe (2) de l'article 9 de la Convention un article d'actualité de discussion économique ou politique, ils se sont trompés; ils l'ont fait de bonne foi, comme je l'ai déjà dit, mais leur bonne foi, malheureusement, ne les excuse point; personne n'est censé ignorer la loi.

[58]            J'estime que la preuve des requérantes établit hors de tout doute que l'intimée a violé le droit d'auteur.


[59]            D'abord, il est évident que le Journal publié par l'intimée est une copie exacte du Journal sur lequel les requérantes ont un droit d'auteur. Il est également évident d'après le Journal publié que l'intimée a publié une oeuvre non publiée et produit ou reproduit l'oeuvre, actes qui sont tous deux réservés au titulaire du droit d'auteur aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi, et qui constituent une violation du droit d'auteur selon le paragraphe 27(1) de la Loi.

[60]            En outre, l'intimée a admis avoir accompli ces actes dans sa correspondance avec les requérantes. Dans sa lettre aux requérantes qui figure à la pièce I de l'affidavit Giuliani, elle mentionne avoir reçu une photocopie complète du Journal et l'avoir produite et publiée « [TRADUCTION] sous un format lisible par tous » . Elle poursuit en expliquant pourquoi elle a publié le Journal et pourquoi elle croit qu'elle était autorisée à le publier. L'intimée admet également sur son site Web (pièce F de l'affidavit Giuliani) avoir publié le Journal.


[61]            S'agissant du troisième motif allégué de violation du droit d'auteur au titre des paragraphes 27(1) et 3(1), soit la violation du droit du titulaire du droit d'auteur d'autoriser la reproduction et la publication, je ne suis pas persuadé qu'il s'applique en l'occurrence. L'intimée exerce une activité commerciale sous la dénomination de Gratitude Press, mais Gratitude Press ne semble pas être constituée sous forme de personne morale (d'après ce que je peux déduire de la page couverture du Journal publié par l'intimée). Par conséquent, l'intimée s'est autorisée elle-même à publier et reproduire le Journal. À mes yeux, ce fait ne constitue pas un motif de violation du droit d'auteur. Quoi qu'il en soit, ce motif n'est pas nécessaire en l'espèce puisqu'il existe déjà une preuve abondante de la violation du droit d'auteur selon le paragraphe 27(1) de la Loi.

[62]            Les requérantes plaident aussi la violation du droit d'auteur selon les alinéas 27(2)a), b) et c) de la Loi. Contrairement à la violation visée au paragraphe 27(1), la violation prévue au paragraphe 27(2) prévoit que la « personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir » que l'acte constitue une violation du droit d'auteur. Les requérantes doivent donc établir que l'intimée savait ou devait savoir qu'elle violait le droit d'auteur des requérantes.

[63]            Encore une fois, les requérantes ont établi hors de tout doute que l'intimée a vendu, distribué, exposé ou offert en vente des exemplaires du Journal, ce qui contrevenait aux alinéas 27(2)a) et c) de la Loi. La pièce F de l'affidavit Giuliani comprend une sortie d'imprimante du site Web de Gratitude Press sur laquelle l'intimée offre en vente le Journal, et des sorties d'imprimante des sites Web amazon.com et bn.com (Barnes & Noble) sur lesquels le Journal publié par l'intimée est offert en vente.


[64]            De plus, l'intimée a reconnu dans sa lettre à l'avocat des requérantes, reproduite comme pièce I annexée à l'affidavit Giuliani, qu'elle a offert en vente et vendu des exemplaires du Journal. Par conséquent, bien qu'elle ait pu prétendre qu'elle ne savait pas au départ qu'elle violait le droit d'auteur, comme il n'y avait aucune indication de droit d'auteur sur le Journal non publié, elle ne peut pas prétendre qu'elle ne savait pas qu'elle violait le droit d'auteur après avoir reçu la lettre de l'avocat des requérantes (reproduite comme pièce G annexée à l'affidavit Giuliani), datée du 1er mars 1999, qui en faisait état et après y avoir répondu le 31 mars 1999 (pièce H) et le 29 avril 1999 (pièce I). Je dois également ajouter que l'intimée ne nie pas avoir vendu le reste des exemplaires du Journal en sa possession au site Web Recovery après avoir été avisée par l'avocat des requérantes.

[65]            Dans l'affaire Roy Export Co. Establishment c. Gauthier, [1973] A.C.F. n º 401 (1re inst.), la demanderesse avait écrit au défendeur pour lui expliquer que ses actes constituaient une violation du droit d'auteur. Le défendeur avait répondu, mais continuait de violer le droit d'auteur. Le juge Walsh avait conclu, au paragraphe 7 :

Il semble que le défendeur, bien qu'il ait été de bonne foi lorsqu'il a acheté et commencé à distribuer les films en question au Canada, ne pouvait pas, après avoir reçu la lettre de l'avocat de la demanderesse en date du 24 janvier 1972, prétendre ignorer que la demanderesse soutenait que cela constituait une violation de son droit d'auteur au Canada.

[66]            De la même façon, j'estime que l'intimée dans la présente affaire ne peut prétendre qu'elle ne savait pas qu'elle pouvait violer un droit d'auteur existant. Par conséquent, je suis d'avis que l'intimée a violé le droit d'auteur des requérantes selon les alinéas 27(2)a) and c) de la Loi.


[67]            S'agissant de la prétention des requérantes qu'il y a eu violation du droit d'auteur selon l'alinéa 27(2)b) de la Loi, elle est mal fondée, les requérantes n'ayant produit aucune preuve du préjudice subi.

[68]            Donc, à mon avis, la violation du droit d'auteur est incontestable. Les déclarations de l'intimée aux requérantes dans sa correspondance, à savoir que le Journal pouvait être publié, qu'il appartenait toujours au domaine public puisqu'aucune mesure de publication n'avait été prise au cours des 60 ans depuis la date de sa création et qu'elle pouvait le publier parce qu'elle « [TRADUCTION] avait la propriété » du droit d'auteur ne font que manifester sa totale incompréhension de la notion du droit d'auteur et de la Loi sur le droit d'auteur. Elles démontrent également son incompréhension du fait que l'absence d'enregistrement du droit d'auteur au Canada n'entraîne pas l'inexistence d'un droit d'auteur sur l'oeuvre et du fait que l'obtention de l'enregistrement du droit d'auteur ne lui confère pas de droits qui n'existent pas. Nul ne peut publier un exemplaire qu'il obtient d'une oeuvre en présumant qu'il n'y a pas de droit d'auteur. Malheureusement pour l'intimée, comme je l'ai déjà mentionné, l'ignorance de la loi ne constitue pas une défense. J'estime que les requérantes ont le droit d'exercer les recours prévus au paragraphe 34(1) de la Loi et j'examinerai maintenant cette question.


b)         Recours

i)         Injonction

[69]            La jurisprudence indique que le titulaire du droit d'auteur qui a fait la preuve d'une violation de son droit peut obtenir une injonction permanente même s'il n'a pas démontré ou subi un préjudice. Dans l'affaire R. c. James Lorimer and Co., [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.), le juge Mahoney, s'exprimant au nom de la Cour, a exposé ce qui suit à la page 1073 en matière d'injonctions et de remise :

La Loi est claire. Pour qu'il y ait contrefaçon il n'est pas nécessaire que l'oeuvre contrefaite soit en compétition sur le marché avec l'oeuvre originale :_il suffit que l'auteur de la contrefaçon exécute un acte que seul le titulaire a la faculté d'exécuter. Il s'ensuit que, lorsque la contrefaçon du droit d'auteur a été établie, le titulaire du droit d'auteur a droit prima facie à une injonction qui interdit de continuer ces activités fautives. Il s'ensuit également que, une fois établi que l'oeuvre contrefaite comprend une partie importante de l'oeuvre protégée, le titulaire du droit d'auteur est réputé avoir la propriété de tous les exemplaires de l'oeuvre contrefaite ainsi que de toutes les planches qui ont servi à sa confection et a, prima facie, droit à l'aide de la Cour pour en prendre possession. Il incombe au contrefacteur d'établir des motifs qui justifieraient la Cour, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser un tel recours [Massie & Renwick, Limited v. Underwriters' Survey Bureau Limited et al., [1937] R.C.S. 265.]. Ces motifs doivent se fonder sur la conduite du titulaire du droit d'auteur et non sur la conduite ou les mobiles du contrefacteur. On ne peut refuser une injonction au motif que la contrefaçon n'a entraîné aucun dommage pour le titulaire du droit d'auteur [Bouchet v. Kyriacopoulos (1964), 45 C.P.R. 265 (C. de l'É.); appel rejeté, [1966] R.C.S. v.].

[70]            Les requérantes ont également renvoyé à l'affaire Prise de Parole Inc. et al. c. Guérin, éditeur Ltée, précitée, où la Cour a accordé une injonction permanente ordonnant à la défenderesse de cesser de publier, vendre, imprimer ou distribuer l'oeuvre de contrefaçon comme la défenderesse continuait sans autorisation d'annoncer la vente de l'oeuvre de contrefaçon, et à l'affaire 91439 Canada Ltée c. Éditions JCL Inc., précitée, où la Cour a également accordé une injonction permanente.


[71]            J'estime qu'il y a lieu en l'espèce d'accorder une injonction ordonnant à l'intimée de cesser de publier, imprimer, distribuer, offrir ou annoncer en vente et vendre le Journal. La violation du droit d'auteur a été clairement établie par les requérantes et il semble que la violation du droit ne cessera pas à moins d'injonction. Il a été notifiée à l'intimée à plus d'une reprise qu'elle violait le droit d'auteur des requérantes, mais elle n'a pas mis fin à la violation. Elle a indiqué dans sa lettre à l'avocat des requérantes (pièce I de l'affidavit Giuliani) qu'elle ne cesserait la publication du Journal que si les requérantes « [TRADUCTION] achetaient » son droit d'auteur pour une somme de 125 000 $US. Il est clair que l'intimée ne comprend pas qu'elle n'est pas titulaire du droit d'auteur et qu'elle ne mettra fin à la violation que s'il elle y est forcée. L'injonction est accordée.

ii)        Dommages-intérêts préétablis

[72]            Les requérantes demandent des dommages-intérêts préétablis en se fondant sur l'article 38.1 de la Loi, au montant de 20 000 $. Les dispositions sur les dommages-intérêts préétablis ont pris effet le 1er octobre 1999. Pour cette raison, il n'y a pas de jurisprudence sur ce point actuellement.


[73]            Conformément au paragraphe 38.1(5), dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'accorder des dommages-intérêts préétablis, la Cour doit tenir compte notamment des facteurs suivants : la bonne ou mauvaise foi du défendeur, le comportement des parties avant l'instance et au cours de celle-ci et la nécessité de créer un effet dissuasif à l'égard des violations éventuelles du droit d'auteur en question.

[74]            Je suis d'avis d'accorder des dommages-intérêts préétablis. La violation du droit d'auteur est ici flagrante; l'intimée a reproduit le Journal dans son intégralité. Bien que l'intimée n'ai pas publié le Journal de mauvaise foi au départ, elle a été avertie à plusieurs reprises que son comportement violait le droit d'auteur des requérantes. Elle a refusé de manière répétée de mettre fin à sa violation du droit d'auteur et a tenté de vendre « son » droit d'auteur aux requérantes pour la somme de 125 000 $US. À mes yeux, à compter du moment où la violation du droit d'auteur lui a été notifiée, son comportement était répréhensible. En outre, en ce qui concerne le troisième facteur, compte tenu du comportement de l'intimée, il est absolument nécessaire de la dissuader de poursuivre sa violation du droit d'auteur en question. Par conséquent, je juge que les requérants ont droit à une somme de 10 000 $US à ce titre.

iii)       Remise

[75]            Suivant le paragraphe 34(1) de la Loi, les requérantes ont droit à la remise. Je reprendrai l'extrait de la décision R. c. James Lorimer and Co., précitée, à la page 1073, sur la question de la remise :


[...] Il s'ensuit également que, une fois établi que l'oeuvre contrefaite comprend une partie importante de l'oeuvre protégée, le titulaire du droit d'auteur est réputé avoir la propriété de tous les exemplaires de l'oeuvre contrefaite ainsi que de toutes les planches qui ont servi à sa confection et a, prima facie, droit à l'aide de la Cour pour en prendre possession. Il incombe au contrefacteur d'établir des motifs qui justifieraient la Cour, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser un tel recours [Massie & Renwick, Limited v. Underwriters' Survey Bureau Limited et al., [1937] R.C.S. 265.]. Ces motifs doivent se fonder sur la conduite du titulaire du droit d'auteur et non sur la conduite ou les mobiles du contrefacteur.

[76]            Je suis d'avis d'accorder la remise de tous les exemplaires de contrefaçon. L'intimée n'a établi aucun motif qui justifierait de refuser cette réparation. Elle pourrait ne pas mettre fin à la vente ou à la distribution des exemplaires en sa possession.

iv)         Rectification

[77]            Comme les requérantes l'ont souligné, le paragraphe 55(1) de la Loi prévoit que la demande d'enregistrement d'un droit d'auteur doit être faite par l'auteur, le titulaire ou le cessionnaire du droit d'auteur, ou le titulaire d'une licence accordant un intérêt dans ce droit. L'intimée n'entre pas dans le champ d'application de cette disposition. Elle n'était donc pas habilitée à demander et à obtenir un droit d'auteur à l'égard du Journal.

[78]            Que l'intimée ait obtenu l'enregistrement du droit d'auteur n'indique d'aucune façon qu'elle avait droit de l'obtenir. Comme la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans l'arrêt Circle Film Enterprises Inc. v. Canadian Broadcasting Corp., [1959] S.C.R. 602, à la page 606 :


[TRADUCTION] Le seul élément de preuve qui existe est le certificat d'enregistrement. Il n'y a pas de faits probatoires dans l'alinéa 20(3)b) qui suffiraient à eux seuls à déduire que l'auteur conserve la propriété du droit d'auteur. Dans le cas où des preuves contredisent le certificat, la valeur du certificat peut être touchée, mais en l'absence de telles preuves la valeur du certificat ne doit pas être diminuée parce qu'aucune preuve de titre n'est prescrite dans une demande d'enregistrement et que le Bureau du droit d'auteur n'assume aucune responsabilité à l'égard de la véracité des faits allégués dans la demande et ne mène aucun examen indépendant. Une demandeur qui produit ce certificat se trouve à fournir une preuve à l'appui de sa prétention, et cette preuve est suffisante à imposer au juge des faits de pencher en sa faveur, en l'absence d'une preuve contradictoire. (Non souligné dans l'original).

et comme le juge McDermid l'a affirmé dansHanis v. Teevan, [1995] O.J. No. 981 (C. Ont. (Div. gén.)) au paragraphe 301 :

[TRADUCTION] [...] S'agissant des certificats, je note qu'aucune preuve de titre n'est exigée à l'appui d'une demande d'enregistrement de droit d'auteur. Le demandeur n'est pas tenu de déposer un exemplaire de l'oeuvre ou un affidavit à l'appui de sa demande. Le Bureau du droit d'auteur ne mène aucun examen indépendant des faits allégués dans la demande. Aucun avis public de la demande n'est publié.[,]

le Bureau du droit d'auteur n'enquête pas pour savoir si la personne qui demande l'enregistrement du droit d'auteur est habilitée à le demander.

[79]            À mon avis, l'enregistrement du droit d'auteur de l'intimée a été fait par erreur. Aux termes de l'alinéa 57(4)b) de la Loi, la Cour peut ordonner la rectification la rectification d'un enregistrement au registre des droits d'auteur par la radiation d'une inscription qui a été faite par erreur. L'enregistrement de l'intimée devra être radié du registre, comme l'ont demandé les requérantes.

v)          Dommages-intérêts punitifs ou exemplaires

[80]            Enfin, les requérantes demandent des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires d'une valeur de 50 000 $. Elles citent les décisions Prise de Parole Inc. et al. c. Guérin, éditeur Ltée, précitée, et Prism Hospital Software Inc. et al. v. Hospital Medical Records Institute et al., précitée, qui ont accordé des dommages punitifs.


[81]            Dans l'affaire Prise de Parole Inc., la défenderesse, une grande maison d'édition, avait reproduit dans un manuel scolaire le tiers d'un roman écrit par l'un des demandeurs. Un avis de violation du droit d'auteur a été notifié à la défenderesse, qui a reconnu la violation du droit d'auteur. Néanmoins, la défenderesse a continué à vendre son manuel et manifesté un manque de respect pour les droits des demandeurs dans sa correspondance avec eux. Le juge Denault, à la page 268, a déclaré :

J'estime qu'en l'instance, la conduite de la défenderesse est inexcusable. Après avoir admis sa responsabilité dès qu'on l'eût prise en défaut, elle a continué à vendre délibérément son manuel scolaire au détriment des demandeurs, sans se préoccuper des conséquences de son geste. [...]

En raison de la conduite délibérée et intentionnelle de la défenderesse et du mépris apparent qu'elle a démontré envers les demandeurs, j'estime que les demandeurs, Prise de parole et Doric Germain, ont chacun droit à une indemnité de $10,000.

[82]            Dans l'affaire Prism Hospital Software Inc., poursuite où les parties étaient deux sociétés de logiciels, la défenderesse n'a pas répondu à la correspondance de la demanderesse et « [TRADUCTION] de manière intentionnelle et délibérée » a fallacieusement incité la demanderesse à fournir ses services et son expertise pour aider la défenderesse à copier le logiciel de la demanderesse. La Cour a conclu que la défenderesse avait dès le départ l'intention de copier le logiciel et a qualifié son comportement de « [TRADUCTION] scandaleux, cynique, honteux, intentionnel et malveillant » .


[83]            Dans la présente affaire, bien que le comportement de l'intimée ne se compare pas à celui des parties défenderesses dans Prise de Parole Inc., précité, et dans Prism Hospital Software Inc., précité, j'estime néanmoins devoir accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires aux requérantes. Je fixe ces dommages-intérêts à 3 000 $.

[84]            Enfin, les requérantes ont droit aux dépens sur la base avocat-client.

Marc Nadon

Juge

VANCOUVER (Colombie-Britannique)

Le 20 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                            AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DU GREFFE :                                          T-2146-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Nell Wing et al.

c.

Ellie Van Velthuizen

LIEU DE L'AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 6 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON

EN DATE DU :                                             20 novembre 2000

ONT COMPARU :

M. Aaron Schwartz                                          Pour les requérantes

Ellie Van Velthuizen                                          Pour l'intimée (pour son propre compte)

AVOCATS AU DOSSIER :

Smith Lyons

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)                                             Pour les requérantes

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