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  T-2389-94

  DANS L’AFFAIRE d’une demande d’ordonnance

  d’interdiction en vertu du paragraphe 55.2(4) de la

  Loi sur les brevets et de l’article 6 du Règlement sur les

  médicaments brevetés (avis de conformité)

ENTRE :

  PFIZER CANADA INC. et

  PFIZER CORPORATION,

  requérantes,

  - et -

  APOTEX INC. et

  LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

 

  intimés,

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE RICHARD :

Contexte

  La présente demande a été déposée par Pfizer Canada Inc. et Pfizer Corporation (« Pfizer ») en vue d’obtenir une ordonnance, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « Règlement »), interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le « ministre ») de transmettre un avis ou des avis en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues (« avis de conformité ») à Apotex Inc. (« Apotex ») pour des comprimés de 50 mg, de 100 mg et de 200 mg de fluconazole jusqu’à l’expiration des lettres patentes canadiennes 1,181,076 (le « brevet de Pfizer »).

  Pfizer est propriétaire du brevet de Pfizer et constituée comme partie à la présente instance conformément au Règlement. Le brevet de Pfizer a été inclus dans trois listes de brevets présentées en vertu du paragraphe 4(1) du  Règlement par Pfizer Canada Inc. pour les avis de conformité qui lui ont été délivrés pour des comprimés de 50 mg, de 100 mg et de 200 mg de fluconazole.

  Pfizer Canada Inc. a obtenu le premier avis de conformité pour le fluconazole au Canada. Le fluconazole est un médicament antifongique pour le traitement d’infections systémiques et superficielles graves.

  Pfizer a lancé la présente procédure en réponse à un avis d’allégation du 16 août 1994 de la part d’Apotex.

Apotex a allégué dans son avis d’allégation qu’aucune revendication concernant le médicament lui-même et aucune revendication concernant l’utilisation du médicament ne seraient enfreintes par la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente par Apotex de comprimés de fluconazole pour lesquels elle avait déposé des observations en vue d’un avis de conformité. Les parties ne s’entendent pas pour dire que le fluconazole qu’Apotex veut fabriquer est identique au fluconazole du produit breveté de Pfizer.

  L’allégation d’Apotex se fonde sur deux éléments. Premièrement, Apotex affirme dans son avis d’allégation que le brevet de Pfizer n’est pas valide. Apotex fonde cette assertion selon laquelle le brevet de Pfizer n’est pas valide en indiquant que les revendications faites dans le brevet de Pfizer ne sont pas nouvelles ou étaient évidentes compte tenu de l’information divulguée dans le brevet 1,170,263 (le « brevet d’ICI », aussi appelé « brevet no 263 »), qui aurait la préséance.

  Deuxièmement, Apotex affirme dans son avis d’allégation que les revendications liées au fluconazole dans le brevet de Pfizer se limitent au fluconazole fabriqué conformément à un certain procédé ou à certains procédés, et que le fluconazole qui sera produit par Apotex sera fabriqué à l’aide d’un procédé qui ne contrefait pas le brevet de Pfizer.

  Apotex a produit un schéma du procédé de son fournisseur pour la fabrication du fluconazole (la « voie d’ACIC »).

  Il y a deux autres demandes connexes dans le dossier de la Cour no T-1352-93 et dans le dossier de la Cour no T-1299-95. Il s’agit de demandes de Pfizer en vue d’obtenir une ordonnance conformément au paragraphe 6(1) du Règlement interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues à Nupharm Inc. (« Nu-Pharm »).

  Dans le dossier de la Cour no T-1352-93, Nu-Pharm s’appuie sur la même allégation d’absence de contrefaçon qu’Apotex a invoquée dans le dossier de la Cour no T-2389-94. Nu‑Pharm a d’abord présenté deux procédés ou voies, mais elle a retiré le premier et s’est fiée seulement au second lors de l’audition de la demande.

  Dans le dossier de la Cour no T-1299-95, Nu-Pharm se fonde sur la même question d’invalidité soulevée par Apotex dans le dossier de la Cour no T-2389-94.

  Chacune des deux instances connexes (T-1299-95 et T-1352-93) porte sur l’avis de conformité de Nu-Pharm pour le fluconazole, et ensemble, elles soulèvent les mêmes questions que celles soulevées par Apotex dans le dossier de la Cour no T-2389-94, à savoir un procédé non contrefait (T-1352-93) et l’invalidité du brevet de Pfizer (T-1299-95). Les trois instances sont liées au brevet de Pfizer et ont des questions de fait et de droit communes qui découlent des mêmes circonstances. Les trois demandes ont été entendues ensemble et les motifs de ma décision dans le dossier de la Cour no T-2389-94 s’appliquent à chacune des demandes connexes dans le dossier de la Cour no T-1352-93 et le dossier de la Cour no T-1299-95.

 


Le brevet de Pfizer

  La présente instance concerne le fluconazole pharmaceutique, qui est l’invention de M. Kenneth Richardson, Ph. D., de Sandwich, en Angleterre, actuellement directeur de la chimie de découverte à la Central Research Division de Pfizer Ltd.

  Le nom chimique du fluconazole est le 2-(2,4-difluorophényl)-1,3-bis(1H-1,2,4-triazol-1-yl)-propan-2-ol. La formule structurale pour le fluconazole est la suivante :

  Les revendications 1 à 9 portent sur les procédés liés à la synthèse du fluconazole.

  La revendication 10 revendique le fluconazole lorsqu’il est fabriqué à l’aide des procédés de la revendication 1, 2 ou 3 ou par un équivalent chimique évident.

  La revendication 11 revendique le fluconazole lorsqu’il est fabriqué à l’aide des procédés de la revendication 6, 7 ou 8 ou par un équivalent chimique évident.

  Pfizer s’appuie sur la revendication 1(a) et sur la revendication 10.

 

Invalidité

 Apotex fonde son assertion selon laquelle le brevet de Pfizer est invalide sur le fait que les revendications faites dans le brevet de Pfizer ne sont pas nouvelles ou étaient évidentes compte tenu de l’information divulguée dans le brevet canadien 1,170,263 (le « brevet d’ICI », aussi appelé « brevet no 263 »), qui aurait la préséance.

  Pfizer est d’avis que le brevet de Pfizer était valide à la date de délivrance et qu’il est toujours en vigueur.

Critère d’antériorité ou de nouveauté, et évidence

  Les principes à appliquer concernant l’antériorité, l’évidence, la présomption de validité et le fardeau de la preuve pour une partie qui attaque un brevet sont résumés dans les motifs de jugement du juge Décary dans la décision Diversified Products1 :

  1.   Présomption de validité

  En vertu de l’article 43 de la Loi sur les brevets, un brevet délivré est prima facie présumé valide.

 [...] [L]a description la plus exacte de la présomption est celle que le juge Pratte a évoquée dans l’arrêt Rubbermaid2 :

 

 

 Il est clair cependant que cet article [traduction] « ne vise que la charge de la preuve et non le degré de preuve. Il indique quelle partie a la charge de satisfaire la Cour et non le degré de la preuve que celle-ci doit apporter » : Blyth c. Blyth, [1966] 1 All W.R. 524 à la p. 535, Lord Denning. De plus, lorsque la partie qui attaque la validité du brevet a présenté des éléments de preuve, la Cour, en examinant ceux-ci aux fins de déterminer s’ils établissent la nullité du brevet, ne doit pas tenir compte de la présomption. On ne peut dire, d’une manière générale, si la présomption légale créée par l’article 47 est facile ou difficile à renverser; dans certains cas, les circonstances peuvent être telles que la présomption puisse être facilement repoussée, tandis que dans d’autres, il peut être très difficile, sinon impossible, d’y arriver.

 

 

  2.   Fardeau

 

 

  Le critère peut être formulé comme suit :

 

 

 [...] [C]ompte tenu des critères qui s’appliquent aux plaidoiries d’antériorité et d’évidence, qui, comme nous le verrons, ne sont pas des critères faciles à satisfaire, l’appelante a-t-elle prouvé, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités, que le brevet était invalide pour des raisons d’antériorité ou d’évidence?

 

  3.   Antériorité

  Le juge Décary a adopté la formulation du juge d’appel Hugessen dans l’arrêt Beloit3 :

 On se souviendra que celui qui allègue l’antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l’invention était connue du public avant la date pertinente. L’enquête porte sur l’invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l’évidence, sur l’état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu’il ressort du passage précité de la Loi, l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d’en arriver à l’invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne relève pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité.

 

  Il a ajouté que, quand une connaissance ou une utilisation antérieure est alléguée, « la preuve doit être soumise à un examen très attentif » et « quiconque allègue l’antériorité pour ce motif assume une lourde charge ».

  Il a cité les principes suivants qui devraient s’appliquer pour déterminer si une utilisation ou une réalisation est antérieure à l’invention :

  1)   indique-t-elle la combinaison de tous les éléments revendiqués?

  2)   nous apprend-elle la même chose que le mémoire descriptif de l’invention elle-même?

 

  3)   contient-elle des instructions claires et non ambiguës sur le mode d’utilisation?

 

  4)   les aspects essentiels de l’invention ou les éléments nécessaires ou importants visant à réaliser l’invention et à la rendre réellement utile doivent se retrouver en majeure partie dans la publication antérieure;

 

  5)   un dispositif qui n’est pas pratique et qu’on ne peut faire fonctionner ne constitue pas une réalisation antérieure.

  Dans l’arrêt Consolboard4, la Cour suprême du Canada a déclaré que la divulgation dans le document préalable doit contenir des instructions claires pour faire ou fabriquer quelque chose qui porterait atteinte au brevet dans le cadre d’une poursuite, si elle est effectuée après l’octroi. Les renseignements contenus dans la publication préalable doivent, à des fins d’utilité pratique, être équivalents à ceux fournis par le brevet dans le cadre de la poursuite5.

  Dans l’arrêt Farbwerke6 qui a précédé, la Cour suprême du Canada a conclu que le critère d’antériorité approprié est celui qui a été énoncé dans la décision Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp & Paper Mills, Ltd.7 par le vicomte Dunedin :

 Le critère d’antériorité a fait l’objet de nombreuses décisions. Elles ont été énumérées dans l’arrêt très récent British Thomson Houston Co. v. Metropolitan Vickers Electrical Co., 45 R.P.C. 1. Le passage suivant est tiré de ce jugement, ibid., 23 :

 

 

 [traduction] « Dans Otto v. Linford (1882), 46 L.T., 34, 46, le lord juge Holker a dit : “Nous avons dit dans Hill v. Evans (1862), 4 D.F. & J. 288, qu’il est établi en droit, et cela semble raisonnable, que le mémoire descriptif sur lequel est fondée l’antériorité d’une invention doit vous apprendre la même chose que le mémoire descriptif de l’invention elle‑même”. Et dans Flour Oxidising Co. v. Carr & Co. (1908), 25 R.P.C. 428, à la p. 457, le juge Parker (plus tard lord Parker) a dit : “Lorsqu’il s’agit seulement d’une publication antérieure il n’est pas suffisant, à mon avis, de prouver qu’un appareil décrit dans un mémoire descriptif antérieur aurait pu être utilisé pour produire tel ou tel résultat. On doit également démontrer que le mémoire descriptif contient des instructions claires et non ambiguës sur la manière de l’utiliser”. Et les remarques de lord Dunedin dans l’arrêt Armstrong, Whitworth & Co. v. Hardcastle (1925), 42 R.P.C. 543, à la p. 555, vont tout à fait dans la ligne de ces exigences. Le critère est énoncé dans cet arrêt (45 R.P.C. 1, à la p. 22), et si l’on va du particulier au général, on peut exprimer ce critère ainsi : une personne qui s’attaque au problème résolu par le brevet contesté sans avoir aucune connaissance de ce brevet aurait-elle dit “c’est tout à fait ce que je cherche”, si elle avait eu en main la prétendue antériorité? »

 

  Le juge Pigeon, s’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Farbwerke, a déclaré que le fait d’indiquer, de façon générale, le genre de réaction est bien loin de signifier « apprendre la même chose » ou fournir « des instructions claires et non ambiguës ».

  4.   Évidence

  Le Décary a écrit qu’il n’existe aucune disposition particulière de la Loi sur les brevets concernant l’inventivité ou la conception originale, mais qu’il a été établi et qu’il n’est plus contesté que par l’utilisation des mots « invention » ou « inventeur » , le législateur entend que l’inventivité ou la conception originale est requise en vue de l’obtention d’un brevet valide. Il est bien établi qu’une simple « étincelle de génie inventif » suffit pour justifier la validité d’un brevet. Les tribunaux ont choisi de définir « manque d’inventivité » plutôt que « inventivité » et l’ont appelé « évidence ». L’inventivité peut coexister avec la facilité et la simplicité.

  Dans l’affaire Diversified Products8, le juge Décary examiné divers facteurs pour déterminer l’inventivité. Il a énuméré les facteurs suivants :

  1.   le dispositif est nouveau et supérieur à ce qui était disponible jusqu’alors;

 

  2.   depuis lors, il a été largement utilisé de préférence à d’autres dispositifs;

 

  3.   les concurrents ainsi que les experts dans ce domaine n’avaient jamais songé à la combinaison;

 

  4.   la première publication a causé l’étonnement;

 

  5.   le succès commercial.

Même pris isolément, aucun de ces facteurs ne détermine nécessairement la question de l’évidence, il est possible d’examiner leur effet cumulatif. La preuve relative à cette demande établit que le composé fluconazole a été un succès commercial et a été largement utilisé, en particulier parce qu’il est non tératogène.

  L’avis d’allégation de l’intimée ne cite que le brevet d’ICI no 263 en ce qui concerne sa prétention d’invalidité en raison d’un manque de nouveauté ou de l’évidence. Le brevet d’ICI no 263 a été délivré le 3 juillet 1984, bien après la date de dépôt du brevet de Pfizer le 4 juin 1982. Le brevet de Pfizer a été demandé et délivré avant les modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1987. Par conséquent, les décisions relatives à la validité sont régies par l’ancienne loi9.

  Les articles pertinents de l’ancienne loi pour déterminer si un brevet est nouveau sont les paragraphes 27(1) et 61, anciennement les paragraphes 28(1) et 63 de la Loi sur les brevets, qui ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Consolboard10 :

 Le paragraphe 28(1) de la Loi sur les brevets décrète notamment qu’une personne peut n’obtenir un brevet que pour une invention que si celle-ci « n’était pas connue ou utilisée par une autre personne avant qu’[elle-même] l’ait faite ». Le paragraphe 63(1) de la Loi restreint le sens de « connue ou utilisée par une autre personne ».

 

 

 L’alinéa 63(1)b) ne s’applique que dans les cas qui auraient « dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Le paragraphe 45(1) énonce le critère que le commissaire des brevets doit appliquer pour déterminer s’il y a conflit :

 

 

  45(1) Se produit un conflit entre deux ou plusieurs demandes pendantes

 

 

  a)  lorsque chacune d’elles contient une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention, ou

 

 

  b)   lorsqu’une ou plusieurs revendications d’une même demande décrivent l’invention divulguée dans l’autre ou les autres demandes.

 

  Il faut tenir compte de ces articles parce que les brevets de Pfizer et d’ICI étaient en co‑instance. Par conséquent, le brevet d’ICI pourrait, s’il est anticipé, être cité en vertu de ces dispositions s’il définit essentiellement la même invention ou décrit l’invention divulguée dans l’autre demande. Dans l’affirmative, les deux demandes de brevet auraient dû être en conflit11.

  Le brevet d’ICI est un brevet d’origine, tandis que le brevet de Pfizer est un brevet de sélection12. Le premier revendique le genre; le deuxième revendique l’espèce. Le brevet d’ICI no 263 vise généralement les triazoles et les imidazoles fongicides. Le fluconazole n’est pas décrit précisément et son efficacité supérieure et inconnue n’était pas décrite ou connue. Le brevet d’ICI ne comprenait pas le composé fluconazole. ICI n’a pas été le premier inventeur de ce composé et ne l’a jamais fabriqué.

  Il n’est pas contesté que le fluconazole soit visé par la vaste portée générique des revendications du brevet d’ICI et, de même, par les procédés, mais il n’y est pas expressément indiqué.

  Le brevet d’ICI dévoile une énorme catégorie de composés. Les composés du brevet d’ICI qui sont structurellement plus proches du fluconazole sont tératogènes, c’est-à-dire qu’ils causent des malformations congénitales.

  L’invention de M. Kenneth Richardson est une sélection, à partir d’un très grand nombre de possibilités, d’un composé, appelé fluconazole, qui a une forte activité antifongique, mais qui n’a pas l’effet secondaire indésirable du composé présenté spécifiquement par ICI, à savoir l’effet secondaire tératogène.

  En ce qui concerne la question de l’invalidité, Pfizer s’est fondée sur la preuve par affidavit de M. Peter C. Richardson, Ph. D. Apotex s’est fondée sur l’affidavit de M. Robert Allan McClelland, Ph. D. L’affidavit de M. Martin J. Marcus a également été déposé à l’appui de l’allégation d’invalidité de Nu-Pharm dans le dossier de la Cour no T-1299-95.

Peter C. Richardson, Ph. D.

  M. Peter C. Richardson a signé deux affidavits au nom de Pfizer à l’égard de la validité du brevet de Pfizer.

  M. Richardson est titulaire d’un doctorat en chimie de l’Université de Nottingham, en Angleterre. Il est avocat et membre des barreaux de l’État de New York et du New Jersey. Il pratique le droit des brevets aux États-Unis et à l’étranger depuis 1975. Il est avocat général adjoint principal et avocat général des brevets de Pfizer Inc.

  Dans son affidavit, M. Richardson a expliqué que compte tenu de sa date de délivrance, le brevet canadien d’ICI ne peut pas être examiné dans le contexte d’une attaque fondée sur le manque de nouveauté ou sur l’évidence et que, de toute façon, le brevet d’ICI ne divulgue pas, n’exemplifie pas et ne suggère pas d’aucune façon le fluconazole, sa préparation ou les matières de base de celui-ci. M. Richardson explique en outre que Pfizer a obtenu des brevets dans presque tous les pays du monde où une demande de brevet a été déposée pour le fluconazole en tant que nouveau composé et nouveau procédé de préparation. M. Richardson a également expliqué que le fluconazole possède des propriétés thérapeutiques non apparentes et avantageuses par rapport aux composés expressément mentionnés dans le brevet d’ICI, à savoir qu’en plus d’être un puissant antifongicide, le fluconazole n’est pas tératogène.

  Il est soluble dans l’eau et peut donc être utilisé pour l’administration parentérale (injection). En revanche, les dérivés du 2,4-dichloro du brevet d’ICI sont tératogènes et sont pratiquement insolubles dans l’eau, ce qui les rendrait impropres à l’injection parentérale. Le dérivé 4‑fluorophényle est un agent antifongique beaucoup moins puissant que le fluconazole.

  M. Richardson a également discuté de la demande de brevet finlandaise no 75341 dans la mesure où une partie limitée de celle-ci a été traduite en anglais. Il a conclu qu’elle n’anticipe pas ni ne rend évident le brevet de Pfizer pour le fluconazole et le procédé de préparation de ce brevet pour les mêmes raisons que celles dont il a été question relativement au brevet d’ICI.

  M. Richardson a également commenté le brevet d’ICI 4,205,075 des États-Unis, qui n’a pas non plus été inclus dans l’avis d’allégation, à l’égard duquel il a fait remarquer que les compositions et processus antifongiques visent à combattre les champignons dans les plantes et les semences. Aucun des composés divulgués dans ce brevet n’est un dérivé du bis-triazole et ce brevet ne divulgue ni ne suggère le fluconazole ou même un dérivé du bis-triazole. Par conséquent, il a conclu qu’il n’aurait pas été évident dans ce brevet, qui porte sur une composition pour les semences et les plantes comprenant des composés n’ayant qu’un seul composant triazole, de remplacer les atomes de chlore dans les dérivés du bis-triazole.

Robert A. McClelland, Ph. D.

  Dans son affidavit, M. McClelland fait référence à deux documents qui ne figurent pas dans l’avis d’allégation, à savoir la demande de brevet finlandaise no 75341 et le brevet américain 4,205,075.

  M. McClelland ne laisse pas entendre que le brevet d’ICI, la demande de brevet finlandaise ou le brevet américain 4,205,075 divulguent le fluconazole ou que le brevet de Pfizer est rendu invalide faute de nouveauté. Tout l’affidavit de M. McClelland est fondé sur l’évidence.

  M. McClelland mentionne le brevet 4,205,075 des États-Unis, mais encore une fois, il n’indique pas que le fluconazole est divulgué dans ce brevet. Il ne dit pas non plus que ce brevet vise le traitement des plantes et des semences plutôt que des humains.

Martin J. Marcus

  M. Marcus est un agent de brevets enregistré. Il atteste que la demande de brevet finlandaise no 75341 appartient à la même famille que le brevet d’ICI et compare les revendications 1 et 2 de la demande de brevet finlandaise à celles du brevet d’ICI. Il ne fournit aucune preuve d’opinion quant à la validité du brevet de Pfizer.

  M. Richardson a commenté ces affidavits.

  Il a réaffirmé que les revendications 1 et 2 du brevet finlandais d’ICI ne divulguent pas ou ne suggèrent pas le fluconazole ou les avantages thérapeutiques inattendus du fluconazole.

  En ce qui concerne le brevet d’ICI, M. Richardson a déclaré ce qui suit :

 [traduction] [...] dans le brevet canadien d’ICI, il n’y a absolument aucune divulgation spécifique du 2,4-difluorophényl, et il n’y a rien dans le brevet canadien d’ICI qui laisse entendre que le fluconazole devrait être fabriqué ou qui énonce ses avantages thérapeutiques.

 

 

 [...] M. McClelland ne fait pas référence aux données présentées dans le brevet canadien de Pfizer établissant que les composés du brevet canadien d’ICI qui sont structurellement plus proches du fluconazole sont tératogènes, c’est-à-dire qu’ils causent des malformations congénitales [...].

 

 

 Plus précisément, le brevet canadien de Pfizer décrit que, à la suite d’études de tératologie, le dérivé 2,4-dichlorophényle s’est révélé être tératogène alors que, de façon inattendue, le fluconazole (composé 2,4-difluorophényle) n’est pas tératogène.

 

 

 En outre, il a été démontré que le dérivé 4-fluoro est un agent antifongique beaucoup moins puissant que le fluconazole.

 

 

 De plus, j’ai été informé par M. Kenneth Richardson, l’inventeur nommé, et je crois sincèrement que le fluconazole est soluble dans l’eau par rapport au dérivé tératogène 2,4‑dichloro, qui est pratiquement insoluble. C’est crucial pour l’administration du composé pharmaceutique. Il peut être souhaitable, voire essentiel, de pouvoir s’injecter le médicament par voie parentérale, par exemple par voie intraveineuse, intramusculaire ou sous-cutanée, comparativement à une administration par voie orale, et le composé doit être soluble pour ce faire.

 

 

 Ainsi, le grand avantage du fluconazole, et la caractéristique surprenante du fluconazole par rapport à ces autres composés, n’est pas seulement qu’il s’agit d’un puissant agent antifongique, mais qu’il n’est pas tératogène. Cette combinaison de propriétés n’est pas représentée par les composés structuralement similaires les plus proches présentés dans le brevet canadien d’ICI, ce qui rend le fluconazole (composé de 2,4-difluorophényle) particulièrement adapté au traitement des infections fongiques humaines. En fait, il s’agit du seul composé spécifique de la catégorie générale de composés établie dans le brevet canadien d’ICI qui a reçu une autorisation de mise en marché pour le traitement de telles infections; aucun des composés d’ICI illustrés et décrits dans la divulgation ne convient au développement commercial.

 

  J’accepte le témoignage de M. Richardson.

Conclusion

  J’estime que le fluconazole, l’objet du brevet de Pfizer, possède des propriétés inattendues et précieuses qui ne sont pas possédées par les composés structuralement les plus proches divulgués dans le brevet d’ICI et la demande de brevet finlandaise, dans la mesure où celle-ci a été traduite, y compris le fait que le fluconazole n’est pas tératogène.

  L’invention du brevet de Pfizer n’a pas été divulguée dans les documents de brevet canadiens ou finlandais d’ICI sur lesquels s’appuie Nu-Pharm, peu importe les dates de priorité ou de publication.

  Ni le brevet canadien d’ICI ni la demande finlandaise en tant que publication imprimée n’ont été publiés plus de deux ans avant la date de dépôt du brevet de Pfizer pour remplir le critère d’antériorité en vertu de l’alinéa 27(1)b) de la Loi sur les brevets.

  Ni la demande de brevet finlandaise ni le brevet américain 4,205,075, accordé à ICI le 27 mai 1980, n’ont été nommés dans l’avis d’allégation de Nu-Pharm 1er mai 1995 comme éléments qui rendent le brevet de Pfizer invalide en raison d’un manque de nouveauté et de l’évidence.

  Le brevet américain 4,205,075 d’ICI (le « brevet d’ICI no 075 ») ne divulgue ni ne suggère de fluconazole ni même de dérivé du bis-triazole.

  L’allégation d’invalidité des intimés en raison de l’antériorité et de l’évidence échoue.

Contrefaçon du brevet de Pfizer

  Apotex a déclaré, dans son avis d’allégation, que les revendications liées au fluconazole dans le brevet de Pfizer se limitent au fluconazole fabriqué conformément à un certain procédé ou à certains procédés, et que le fluconazole qui sera produit par Apotex sera fabriqué à l’aide d’un procédé qui ne contrevient pas au brevet de Pfizer.

  Comme je l’ai mentionné plus tôt, il n’y a pas de désaccord entre les parties selon lequel le fluconazole que l’on cherche à fabriquer pour Apotex est identique au fluconazole du produit breveté de Pfizer. On s’entend également pour dire que le procédé d’ACIC n’empiète pas littéralement sur la revendication 1(a) du brevet de Pfizer.

  Pfizer est d’avis que la partie pertinente du procédé d’ACIC, qui serait utilisée par le fournisseur d’Apotex pour la fabrication du fluconazole d’Apotex, à savoir la voie d’ACIC, violera le brevet de Pfizer et que, par conséquent, toute vente de fluconazole par Apotex violera le brevet de Pfizer. En particulier, la voie d’ACIC, selon une interprétation téléologique du brevet de Pfizer, s’inscrit dans la portée des revendications 1(a) et 10 du brevet de Pfizer et, par conséquent, l’allégation d’Apotex n’est pas justifiée au motif d’un procédé non contrefait.

  Afin d’évaluer si la voie d’ACIC viole le brevet de Pfizer, le brevet doit d’abord être interprété.

  Bien que l’invention importante ait été le produit, le fluconazole et ses propriétés, le paragraphe 41(1) comportait l’exigence, au moment où le brevet de Pfizer a été délivré, que les revendications relatives au produit soient sous une forme dépendante du procédé.

  41(1) Lorsqu’il s’agit d’inventions couvrant des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l’alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne doit pas comprendre les revendications pour la substance même, excepté lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes13.

 

  Toutefois, pour ce qui est du paragraphe 41(1), le breveté aurait eu droit à une revendication de produit pour le composé fluconazole quand il est fabriqué selon n’importe quel procédé. Les types de réactions incluses dans les revendications étaient des réactions générales connues à l’époque du brevet de Pfizer et il n’y avait rien d’inventif dans l’idée d’utiliser ces réactions. Ils ont été inclus uniquement pour se conformer au paragraphe 41(1) afin que les demandes de brevet comprennent les limites des procédés. Par conséquent, ces caractéristiques ne sont pas essentielles. Cette conclusion est étayée par le fait que l’invention sous-jacente est le fluconazole et non le procédé revendiqué.

  En plus du libellé particulier de la revendication 10 du brevet de Pfizer concernant des « équivalents chimiques évidents » et du libellé similaire du paragraphe 41(1), le Règlement sur les brevets prévoit que le procédé mis de l’avant par Apotex ne doit pas contrefaire les revendications de produit par le procédé liées au fluconazole ou les équivalents chimiques évidents de ces procédés.

  En ce qui concerne la question de la contrefaçon du brevet de Pfizer par la voie d’ACIC, E. J. Corey, Ph. D., a témoigné au nom de Pfizer. À l’appui de la position d’Apotex selon laquelle le procédé de la voie d’ACIC n’empiète pas sur le brevet de Pfizer, les témoins suivants ont présenté une preuve par affidavit : Keshava Murthy, Ph. D., et Robert Allan McClelland, Ph. D.

Elias J. Corey, Ph. D.

  M. Corey est un chimiste organique de renommée mondiale qui a reçu le prix Nobel de chimie en 1990 pour ses travaux en chimie organique synthétique.

  M. Corey a analysé à la fois la voie de Pfizer, revendication 1(a), et la voie d’ACIC pour déterminer si la voie d’ACIC s’inscrit dans la portée des revendications du brevet de Pfizer et si la voie d’ACIC est la même que l’un des procédés revendiqués dans le brevet, ou chimiquement équivalente à ceux-ci.

  Dans son témoignage, M. Corey a déclaré, concernant la voie d’ACIC, qu’il y a un certain nombre d’étapes et d’intermédiaires qui mènent à la production du fluconazole, mais parmi ceux‑ci, les seules étapes qui sont pertinentes pour examiner la contrefaçon sont les deux dernières étapes qui servent à convertir le sulfate cyclique en fluconazole.

  Dans la production du fluconazole, l’époxyde et le sulfate cyclique sont fonctionnellement équivalents parce qu’ils mènent tous deux à la production de fluconazole grâce à l’activation du même atome de carbone pour mener à la substitution par le 1,2,4-triazole, c’est-à-dire que l’époxyde de la voie de Pfizer dans la revendication 1(a) et le sulfate cyclique de la voie d’ACIC fonctionnent de la même manière et génèrent le même résultat.

  La présence du sulfate cyclique n’est requise que pour activer l’atome de carbone terminal et ne sert par la suite à aucune autre fin, et par conséquent, pour synthétiser le fluconazole, il faut l’éliminer au cours d’une étape subséquente d’hydrolyse. Ainsi, le but du sulfate cyclique est identique à celui de l’époxyde, c’est-à-dire l’activation du carbone terminal primaire.

  Le comportement fonctionnellement similaire et parallèle d’un époxyde et d’un sulfate cyclique dans des réactions de déplacement nucléophile, comme celles faisant intervenir le triazole (1,2,4-triazole anion) illustrées dans la voie de Pfizer et dans la voie d’ACIC, a été documenté à plusieurs reprises dans la littérature et fait partie du vocabulaire chimique standard des chimistes synthétiques en exercice.

  Le fait que le sulfate cyclique soit un équivalent synthétique de l’époxyde est confirmé par les publications qui ont comparé les deux comme suit : [traduction] « Sulfites cycliques et sulfates cycliques : synthons de type époxyde »14.

  Le groupe fonctionnel du sulfate cyclique dans la voie d’ACIC est un équivalent chimique et fonctionnel évident et bien connu du groupe de l’époxyde dans la voie de la revendication 1(a) de Pfizer.

Robert Allan McClelland, Ph. D.

  L’affidavit de M. McClelland fournit une preuve d’opinion sur la question de la contrefaçon et de la validité. Voici ses opinions sur la contrefaçon.

  M. McClelland, dans son analyse des voies d’ACIC et de Pfizer, se concentre sur les détails de la divulgation du brevet de Pfizer lorsqu’il examine l’équivalence des deux voies.

  M. McClelland affirme que sa position sur l’équivalence est que les procédés globaux ne sont pas équivalents. En arrivant à cette position, M. McClelland a indiqué qu’il est d’avis qu’il faut comparer l’ensemble de la voie d’ACIC à l’ensemble de la voie de Pfizer, dont les détails sont tirés de la divulgation.

  Cependant, en ce qui a trait à la revendication 1(a) et à la portion correspondante de la voie d’ACIC, M. McClelland était d’accord pour dire que l’époxyde de la voie de Pfizer et le sulfate cyclique de la voie d’ACIC sont équivalents dans la mesure qu’ils permettent au triazole de s’attacher au carbone terminal, c’est-à-dire qu’ils produisent le même déplacement nucléophile.

  M. McClelland a également convenu que dès que le triazole est attaché au carbone terminal de la chaîne à trois carbones, c.‑à‑d. une fois le déplacement nucléophile s’est produit, malgré sa capacité de fonctionner comme un groupe partant, l’ester de sulfate est retiré afin de former le fluconazole.

Kesheva Murthy, Ph. D.

  M. Murthy est le gestionnaire de la recherche et du développement d’ACIC et il est responsable du développement de la voie d’ACIC.

  Dans son témoignage concernant une comparaison des deux voies, M. Murthy se concentre sur les rendements et l’efficacité des deux procédés.

  Selon le témoignage de M. Murthy, le procédé d’ACIC, tel qu’il est décrit dans la pièce 4, n’est pas un équivalent chimique évident de la voie de Pfizer, car il produit du fluconazole par différentes réactions, en utilisant différents intermédiaires, avec une plus grande efficacité et un meilleur rendement.

  Le témoignage de M. Murthy montre que ce qui est le plus différent dans le procédé d’ACIC, ce sont les réactions utilisées pour produire le sulfate cyclique.

  En contre-interrogatoire, M. Murthy a déclaré qu’en ce qui concerne la revendication 1(a) du brevet de Pfizer, à savoir la voie de Pfizer, comparativement à la voie d’ACIC, c’est-à-dire la conversion du sulfate cyclique en fluconazole, les deux voies :

  (1)   activent le carbone terminal dans lequel le triazole est lié par un déplacement nucléophile;

 

  (2)   exigent une autre étape pour obtenir le fluconazole : la protonation dans la voie de Pfizer et le clivage (hydrolyse) de l’ester de sulfate dans la voie d’ACIC;

 

  (3)   produisent le même résultat.

La voie de Pfizer

  La revendication 1(a) décrit la ou les dernières étapes d’un procédé de production du fluconazole à partir du composé intermédiaire nommé dans la revendication 1(a) et consiste à faire réagir un composé 1,2,4-triazole (« triazole ») avec de l’époxyde de triazole (« époxyde ») comme suit :

  Le but de cette dernière étape est de lier le triazole au carbone terminal de la chaîne à trois carbones de la molécule du fluconazole, c’est-à-dire d’ajouter un deuxième triazole. Pour obtenir du fluconazole, il est essentiel qu’un triazole soit présent à chaque extrémité de la chaîne à trois carbones.

  L’époxyde active le carbone terminal de la chaîne à trois carbones.

 


  Un azote réactif de triazole est attiré par le carbone terminal activé et réagit avec lui dans une réaction de déplacement nucléophile.

  Le produit de cette réaction est un alcoxyde qui est ensuite rapidement converti en fluconazole.

 


La voie d’ACIC

  Apotex a allégué que son fluconazole lui sera fourni par ACIC et que le fluconazole sera fabriqué par le deuxième procédé d’ACIC. Ce procédé, tel qu’il est énoncé dans l’affidavit de M. McClelland et de M. Murthy, est présenté comme un procédé en plusieurs étapes qui ne se limite pas aux étapes de la conversion du sulfate cyclique en fluconazole. Dans la deuxième voie d’ACIC, le composé de départ qui est comparable à l’époxyde de triazole du brevet de Pfizer dans la revendication 1(a) est le sulfate cyclique.

  Les dernières étapes de la voie d’ACIC visent à lier le triazole au carbone terminal de la chaîne à trois carbones de la molécule du fluconazole, c’est-à-dire à ajouter un deuxième triazole, puis à former l’hydroxyle (-OH). Pour obtenir du fluconazole, il est essentiel qu’un triazole soit présent à chaque extrémité de la chaîne à trois carbones.

  Le sulfate cyclique active le carbone terminal de la chaîne à trois carbones. Un azote réactif de triazole est attiré par le carbone terminal « activé » et réagit avec lui dans une réaction de déplacement nucléophile.

  Le produit de cette réaction est un ester de sulfate qui est ensuite rapidement converti en fluconazole.

  Dans la préparation du fluconazole, le sulfate cyclique ne sert qu’à activer le carbone terminal; le NaO3SO résultant est éliminé par hydrolyse pour donner du fluconazole.

Conclusion

  En donnant aux revendications du brevet de Pfizer une interprétation téléologique plutôt qu’une interprétation purement littérale, et en interprétant les revendications en tentant de comprendre les véritables éléments essentiels de l’invention, la revendication 1(a) décrit la préparation du composé chimique appelé fluconazole d’après l’étape ou les étapes consistant à convertir un époxyde de triazole en fluconazole en insérant un deuxième triazole et en complétant la molécule de fluconazole, ce qui comprend les étapes suivantes :

  a)   la substitution nucléophile par le triazole;

  b)   la protonation de l’alcoxyde (formation de l’hydroxyle [OH]).

  La revendication 10 est une revendication pour le composé fluconazole lorsqu’il est préparé par un procédé selon la revendication 1(a) ou un équivalent chimique évident.

  Pour ce qui est de l’interprétation téléologique du brevet de Pfizer et, en particulier, du procédé de la revendication 1(a), le procédé d’ACIC s’inscrit dans la portée de la revendication 1(a) et, par conséquent, dans la portée de la revendication 10. Les seules différences entre la revendication 1(a) et la partie pertinente de la deuxième voie d’ACIC sont indiquées ci-dessous :

  1.   Le carbone terminal de la chaîne à trois carbones est activé par un anneau à cinq membres, le sulfate cyclique (ACIC), au lieu d’un anneau à trois membres, l’époxyde (Pfizer);

 

  2.   L’ester de sulfate, qui résulte du choix du sulfate cyclique pour activer le carbone terminal, doit être hydrolysé pour produire l’hydroxyle (OH) (ACIC), tandis que l’alcoxyde produit dans la voie de Pfizer doit être protoné, c’est-à-dire que le sodium est remplacé par un hydrogène pour produire l’hydroxyle (OH).

  Une comparaison côte à côte des parties pertinentes des deux voies, dans le but d’examiner la contrefaçon, est présentée ci-dessous :

VOIE DE PFIZER     DEUXIÈME VOIE D’ACIC

Déplacement nucléophile    Déplacement nucléophile

Protonation de l’alcoxyde (pour produire l’OH)  Hydrolyse de l’ester de sulfate (pour produire l’OH)

  FLUCONAZOLE

  L’étape ou l’opération revendiquée se produit très tard dans la synthèse du fluconazole. Toutes les étapes ou opérations de synthèse qui précèdent sont, aux fins de l’examen de la contrefaçon, non pertinentes. L’étape revendiquée ne se limite d’aucune façon à des conditions de réaction particulières ou à des intermédiaires. Les détails concernant les solvants de réaction et les réactifs ne sont pas pertinents dans l’examen de la contrefaçon.

 


  Une comparaison côte à côte des parties pertinentes des deux voies, dans le but d’examiner la contrefaçon, est présentée dans la figure ci-dessous :

  La modification ou l’inversion des étapes du procédé chimique ou l’obtention de différents attributs ne fera pas échouer l’allégation de contrefaçon du brevet si Apotex prend le cœur et la substance de l’invention de Pfizer.

 Les défendeurs produisent le même résultat par un procédé qui agit essentiellement de la même façon, d’un point de vue chimique, que le procédé des demanderesses et, en bref, qui est essentiellement le procédé des demanderesses. On dit qu’il y a une différence parce que dans le procédé des défendeurs, on utilise des étapes, et on dit que pour obtenir les couleurs riches R et RR des défendeurs au lieu d’une couleur plus pâle, certaines étapes sont nécessaires, les étapes étant les suivantes : [...] Voici ce que les défendeurs ont fait : Ils ne se sont pas éloignés de la nature de l’invention des demanderesses, mais ils ont modifié les procédés indiqués dans les exemples15.

 

  Une variante entre les étapes d’un procédé revendiqué et d’un autre procédé peut équivaloir à un équivalent chimique évident compte tenu du but de l’étape et de la fonction qu’elle remplit dans le procédé global16.

  De plus, lorsqu’il s’agit de déterminer si des procédés ou les éléments de deux procédés sont des équivalents chimiques, une constatation d’équivalence synthétique ou le fait qu’un composé ou un processus est un synthon d’un autre est une constatation d’équivalence chimique17.

  Il y a deux différences entre la revendication 1(a) et la voie d’ACIC, dans les deux dernières étapes de la voie d’ACIC.

  1.   Le carbone terminal de la chaîne à trois carbones est activé par un anneau à cinq membres, le sulfate cyclique (ACIC), au lieu d’un anneau à trois membres, l’époxyde (Pfizer);

 

  2.   L’ester de sulfate, qui résulte du choix du sulfate cyclique pour activer le carbone terminal, doit être hydrolysé pour former l’hydroxyle (OH) (ACIC), tandis que l’alcoxyde produit dans la voie de Pfizer doit être protoné, c’est-à-dire que le sodium est remplacé par un hydrogène pour former l’hydroxyle (OH).

  Le choix d’un sulfate cyclique plutôt qu’un époxyde n’est pas une caractéristique essentielle de l’invention du brevet de Pfizer. Le sulfate cyclique, comme l’époxyde, remplit la même fonction en facilitant l’insertion d’un deuxième triazole dans la chaîne à trois carbones du fluconazole, pour donner du fluconazole.

  Le fait que l’ester de sulfate doit être hydrolysé lorsque le sulfate cyclique est utilisé, et bien que l’ester de sulfate puisse remplir une autre fonction et fonctionner comme un groupe partant, si désiré, ne fait pas moins de ce choix d’équivalent une contrefaçon.

 [traduction] [. . .] si le cœur et la substance de l’invention sont empruntés, ce n’est pas une excuse de dire que vous avez ajouté quelque chose ou omis quelque chose, même si cette addition ou omission peuvent être utiles et valables. Ajouter l’ingéniosité au vol ne saurait justifier celui-ci18.

 

  J’accepte le témoignage de M. Corey selon lequel le groupe fonctionnel du sulfate cyclique dans la voie d’ACIC est un équivalent chimique et fonctionnel évident et très bien connu du groupe de l’époxyde dans la voie de Pfizer décrite dans la revendication 1(a).

 


  En ce qui concerne la production du fluconazole, l’époxyde et le sulfate cyclique sont des équivalents fonctionnels ou des « synthons » chimiques, car ils mènent tous deux à la production de fluconazole par l’activation du même atome de carbone en vue de la substitution par le 1,2,4‑triazole. Le comportement fonctionnellement similaire et parallèle d’un époxyde et d’un sulfate cyclique dans de telles réactions de déplacement nucléophile a été documenté à maintes reprises dans la littérature publiée et fait partie du vocabulaire chimique standard des chimistes synthétiques en exercice.

  Selon une interprétation téléologique du brevet de Pfizer, la voie d’ACIC d’Apotex s’inscrit dans la portée des revendications 1(a) et 10 comme suit :

  (1)   chaque voie active le carbone terminal afin de lier le triazole par déplacement nucléophile;

 

  (2)   il faut franchir une autre étape pour obtenir un fluconazole, soit la protonation (formation de l’hydroxyle [OH]) dans la voie de Pfizer et le clivage (hydrolyse) de l’ester de sulfate (formation de l’hydroxyle [OH]) dans la voie d’ACIC;

 

  (3)   chaque voie produit le même résultat.

  Appliquant les principes résumés par le juge Reed19, selon une interprétation téléologique du brevet de Pfizer et ne s’engageant pas dans une analyse excessive du libellé du brevet de Pfizer :

 


  a)   Le procédé d’ACIC a pris la substance de l’invention des requérantes, soit un procédé qui aboutit au fluconazole par l’insertion d’un deuxième triazole pour compléter la molécule du fluconazole;

 

  b)   Chacune des variantes du procédé d’ACIC concerne les caractéristiques non essentielles de la revendication 1(a) et n’a aucun effet sur la façon dont l’invention fonctionne :

 

  (1)   l’activation du carbone terminal afin de lier le triazole par déplacement nucléophile;

 

  (2)   une autre étape menant au fluconazole, à savoir la protonation (formation de l’hydroxyle [OH]) dans la voie de Pfizer, et le clivage (hydrolyse) de l’ester de sulfate (formation de l’hydroxyle [OH]) dans la voie d’ACIC;

 

 Le produit qui en résulte est le fluconazole tel qu’il est revendiqué et fabriqué par l’insertion d’un deuxième triazole pour compléter la molécule du fluconazole;

 

  c)   Le breveté n’avait pas l’intention d’exclure les variantes de la portée de l’invention revendiquée. Les exigences relatives au procédé ont été prescrites par la loi et le breveté n’avait pas l’intention d’imposer des limites essentielles à l’invention. Les procédés revendiqués ne sont pas limités dans le texte du brevet de Pfizer. Les variantes utilisées par le procédé d’ACIC étaient bien connues des personnes compétentes dans l’art et sont donc des variantes évidentes.

 


  Étant donné que le fluconazole devant être fabriqué selon la voie d’ACIC s’inscrira dans la portée des revendications, l’allégation d’Apotex selon laquelle son fluconazole ne violera pas le brevet de Pfizer n’est pas justifiée.

Conclusion

  Par conséquent, la demande d’ordonnance d’interdiction est accueillie.

  « John D. Richard »

  Juge

Ottawa (Ontario)

Le 18 août 1997

__________________

1   Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (CAF).

2   Rubbermaid (Canada) Ltd. c. Tucker Plastic Products Ltd. (1972), 8 C.P.R. (2d) 6, p. 14 (C.F. 1re inst.).

3   Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, p. 297.

4   Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. (1981), 1 R.C.S. 504.

5   Ibid., p. 535.

6   Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Halocarbon (Ontario) Ltd. et al. , [1979] 2 R.C.S. 929; (1979), 42 C.P.R. (2d) 145, p. 158.

7   [1929] 1 D.L.R. 209; [1929] A.C. 269, p. 275-276.

8   Précité, note 1.

9   Loi sur les brevets, L.R.C. 1970, ch. P-4.

10   Ibid., p. 163.

11   AT & T Technologies, Inc. c. Mitel Corp. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238, p. 272.

12   Esso Research and Engineering Co.'s Application, [1960] R.P.C. 35, p. 53.

13   Paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1970, ch. P-4.

14   Pièce I de l’affidavit de M. Corey.
  3.1.2 Sulfites cycliques et sulfates cycliques en tant que synthons de type époxyde
  Les époxydes actifs sur le plan optique jouent un rôle important dans la chimie organique synthétique, car ils constituent des blocs électrophiles d’accumulation chirale avec une relation « artificielle » de groupe fonctionnel de type « 1,2- ». De plus, les processus d’élimination dans les petits anneaux peuvent être défavorisés d’un point de vue stéréolectronique dans certaines situations, rendant ainsi les époxydes plus utiles que leurs équivalents acycliques. Bon nombre de ces propriétés bénéfiques des époxydes sont partagées par les sulfates et les sulfites cycliques, avec la distinction parfois utile que les sulfates cycliques sont plus réactifs que les oxiranes. Par conséquent, ces composés peuvent être considérés comme des équivalents synthétiques des époxydes et un certain nombre d’exemples de synthèse utiles sont apparus dans la littérature au fil des ans.

15   Leonhardt & Co. v. Kallé & Co. (1895), 12 R.P.C. 103, p. 119 (Ch.); voir aussi Fabwerke Hoechst Aktiengesellschaft c. Halocarbon (Ont.) Ltd., [1974] 2 C.F. 266, p. 193-294 (C.F. 1re inst.), confirmé par [1976] 1 C.F. 468 (CAF); modifié par [1979] 2 R.C.S. 929; renvoyé à la section de première instance et confirmé, (1983) 74 C.P.R. (2d) 95 (C.F. 1re inst.)

16   Eli Lilly and Company et al. c. Novopharm Limited et al. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417, p. 438-439; [1996] R.P.C. 1.

17   Bayer A.G. et Miles Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc. (1996), 107 F.T.R. 188; (1996), 65 C.P.R. (3d) 203.

18   The Wenham Gas Company, Limited c. The Champion Gas Lamp Company (1892), 9 R.P.C. 49, p. 56; cité dans AT & T Technologies, Inc. c. Mitel Corp. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238, p. 256 et dans Globe-Union Inc. c. Varta Batteries Ltd., (1981), 57 C.P.R. (2d) 132 at 146.

19   Précité, note 11.


SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nº DU DOSSIER DE LA COUR : T-2389-94

INTITULÉ : PFIZER CANADA INC. ET AL. c.

APOTEX INC. ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE : Les 14, 15 et 16 avril 1997

DATE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE RICHARD : Le 18 août 1997

COMPARUTIONS

M. Anthony Creber POUR LES REQUÉRANTES M. John Rudolph

Mme Emma Grell

M. Harry Radomski POUR L’INTIMÉE;

M. Ivor Hughes APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowlings, Strathy & Henderson POUR LES REQUÉRANTES Barristers and Solicitors

Ottawa (Ontario)

Goodman, Phillips & Vineberg POUR L’INTIMÉE;

Barristers and Solicitors APOTEX INC. Toronto (Ontario)

George Thomson POUR L’INTIMÉ;

Sous-procureur général du Canada LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Ottawa (Ontario) NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

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