Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060329

Dossier : IMM‑3105‑05

Référence : 2006 CF 398

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2006

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF

 

ENTRE :

JUDIT JONAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        La demanderesse est de nationalité hongroise. Le 21 août 2003, elle est arrivée au Canada pour visiter sa tante. Un an plus tard, elle demandait le statut de réfugiée en alléguant une crainte fondée de persécution pour avoir été victime en 2003 de deux agressions sexuelles commises par son ex‑fiancé.

 

[2]        La Section de la protection des réfugiés a estimé que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Selon le commissaire, le témoignage de la demanderesse n’était pas digne de foi ni crédible. La présente instance concerne la demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire.

 

[3]        Il y a eu un ajournement de six semaines entre les deux jours qu’a duré l’audience relative à la demande du statut de réfugié. Avant chaque jour d’audience, la demanderesse a déposé des versions corrigées des dossiers hospitaliers sur lesquels elle se fondait pour appuyer la véracité de la prétendue agression sexuelle du 20 juillet 2003.

 

[4]        Les questions posées par le président d’audience et par l’agent de protection des réfugiés ont mis en doute l’authenticité des dossiers hospitaliers. La demanderesse et son avocate ont eu l’occasion d’y répondre au cours des deux jours de l’audience. Les dossiers hospitaliers concernés ont été extraits du dossier du tribunal par la Cour et produits en tant qu’ensemble distinct de documents dans la présente instance au cours de l’audience de contrôle judiciaire.

 

[5]        Les motifs exposés par le commissaire à l’appui de sa décision révèlent une analyse approfondie de la preuve. La décision met sérieusement en doute, en des termes clairs et indubitables, l’authenticité des dossiers hospitaliers. Après examen attentif de la transcription de l’audience et des documents hospitaliers, je suis d’avis que le dossier ne révèle aucune erreur sujette à révision à propos de cette question de crédibilité, et encore moins une erreur manifestement déraisonnable.

 

[6]        Toutefois, l’affaire n’en est pas résolue pour autant. La Cour a également mis à la disposition des avocats, le jour de l’audience, un document en trois pages, aujourd’hui partie du dossier de la présente instance, qui fait état de plus de 20 questions posées par le président d’audience et par l’agent de protection des réfugiés. Nombre de ces questions, dont celles de l’agent de protection des réfugiés, étaient sans rapport avec le point de savoir si la demanderesse avait été victime d’une ou de plusieurs agressions sexuelles. La crainte validement exprimée par le président d’audience, au tout début de l’audience sur le statut de réfugié, au sujet de la « nature délicate » de la revendication, n’a pas été ultérieurement reflétée dans les questions posées. Il est impossible de fermer les yeux sur le langage employé dans les questions, ni sur la teneur des questions. On constate le même ton dans plusieurs paragraphes discutables des longs motifs écrits.

 

[7]        Il existe une jurisprudence selon laquelle les propos sarcastiques tenus par le tribunal au cours d’une audience sur le statut de réfugié ne justifieront pas nécessairement l’intervention de la Cour. Voir la décision Varaich c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 336 (1re inst.), aux paragraphes 12 et 13, et la décision Kankanagme c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1451, aux paragraphes 18 et 19. Toutefois, à mon avis, cette jurisprudence ne devrait pas s’appliquer aux revendications dans lesquelles est alléguée une persécution de nature sexiste.

 

[8]        Les doutes émis sur l’authenticité des dossiers hospitaliers dans la présente affaire sont tout à fait justifiés. Toutefois, la teneur déconcertante des questions posées à la demanderesse, même si l’on tient compte de l’irritation causée au commissaire et à l’agent par l’aspect de la crédibilité, ne saurait se justifier. Eu égard aux circonstances de cette revendication fondée sur le sexe, les propos tenus et les considérations inopportunes suscitées par les questions posées ont vicié irrémédiablement le droit de la demanderesse à une audience équitable.

 

[9]        En dépit de la conclusion défavorable du commissaire sur l’authenticité des dossiers hospitaliers, il n’est pas « inutile » (Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 949 (QL) (C.A.), au paragraphe 10) d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Il est même nécessaire de le faire. Selon les mots de mon collègue le juge Michel Shore : « Même si la conclusion finale est la même que celle à laquelle la Commission est arrivée, les moyens ne justifient pas toujours la fin et la fin ne justifie pas toujours les moyens » (Nahimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 161, au paragraphe 35).

 

[10]      Les parties ont raison de reconnaître que la présente instance ne soulève aucune question grave susceptible d’être certifiée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision de la Section de la protection des réfugiés en date du 29 avril 2005, selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, est annulée, et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Section pour nouvelle audition et nouvelle décision.

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                               IMM‑3105‑05

 

 

INTITULÉ :                                             JUDIT JONAS

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE MARDI 21 MARS 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 29 MARS 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Silvia Valdman                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Richard Casanova                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Silvia Valdman                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.