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Date : 20020118

Dossier : IMM-1369-01

Référence neutre : 2002 CFPI 50

ENTRE :

                               JOZSEF PETROVICS, RITA PETROVICSNE KALOTAI,

                                       PETRA PETROVICS, PATRICIA PETROVICS

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                                   et

                                                                      LE MINISTRE

                                    DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON:

[1]                 Les présents motifs résultent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SSR a conclu que les revendicateurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision de la SSR est datée du 11 décembre 2000.

[2]                 Les revendicateurs sont des citoyens de la Hongrie et ils sont d'origine rom. Ils sont mariés et ils ont deux filles. Au début de leur audience devant la SSR, Jozsef Petrovics (le revendicateur principal), l'époux et le père, a été désigné comme représentant pour ses deux filles conformément au paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration, ainsi libellé :


(4) La section du statut commet d'office un représentant dans le cas où l'intéressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas, selon elle, en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause.


(4) Where a person who is the subject of proceedings before the Refugee Division is under eighteen years of age or is unable, in the opinion of the Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate another person to represent that person in the proceedings.


[3]                 Au moment de la désignation, aucune question n'a été soulevée ni par les membres du tribunal de la SSR, ni par l'avocat, en ce qui concerne la capacité du revendicateur principal à agir comme représentant désigné pour ses enfants et rien dans le compte rendu d'audience n'indique que l'on ait donné une quelconque explication au revendicateur principal sur les responsabilités d'un représentant désigné.

[4]                 L'audience des demandeurs devant la SSR s'est déroulée en deux séances qui ont été tenues à environ deux mois d'intervalle. Le revendicateur principal a été la seule personne à témoigner au nom des revendicateurs.

[5]                 À la suite de la première séance relative aux revendications des revendicateurs, l'avocat de ces derniers a eu des doutes quant au témoignage du revendicateur principal. L'avocat a obtenu que le revendicateur principal fasse l'objet d'une évaluation psychologique. Le rapport du psychologue conclut ce qui suit :


[traduction]

M. Jozsef Petrovics est une personne présentant un déficit intellectuel léger qui dispose d'une façon générale de moyens limités lui permettant de résoudre intellectuellement des problèmes et il possède des capacités très inégales. Lorsqu'il est impliqué, il a tendance à mal comprendre, et ce, même s'il est familier avec les mots. Dans des situations ordinaires, sa compréhension verbale est normale, mais dans des situations compliquées, il est incapable de se protéger de même que de protéger sa famille, et en raison de sa compréhension limitée, lors de tensions émotives, il est possible qu'il empire le problème comme cela s'est pratiquement produit lors de l'audience devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Il semble que la légère déficience de M. Petrovics s'est accrue en raison d'un traumatisme ayant un effet paralysant sur les facultés intellectuelles, lequel traumatisme a aussi mené à d'autre types de formation de symptôme indiquant la présence d'un état de stress post-traumatique caractérisé par des cauchemars, des réveils soudains durant la nuit accompagnés de cris d'effroi, et ce, même deux ans après son départ de Mohacs, des préoccupations inutiles, des idées paranoïdes particulières (magnétophone, Orban), une confusion entre les situations présentes et les situations passées (les procureurs essaient toujours de le suivre), des pensées pénibles récurrentes, des sentiments et des agissements comme si les événements se produisaient de nouveau, une tension et une vigilance épuisante, une souffrance mentale marquée, une faible concentration, des réactions physiologiques telles que l'insomnie et la dyspepsie fonctionnelle, de la panique et une fuite des personnes et des endroits liés à des traumatismes, un manque de liberté intérieure et d'ouverture permettant d'affronter sans crainte de nouveaux problèmes ou de nouvelles situations, une augmentation des sursauts, de la tristesse, de l'irritabilité et ainsi de suite[2].

[6]                 Au début de la deuxième séance devant la SSR, l'avocat des revendicateurs a remis l'évaluation psychiatrique qu'il avait apparemment reçue la même journée.

[7]                 L'échange qui suit a eu lieu entre le président de l'audience de la SSR et l'avocat. Il a été consigné comme suit à la page 267 du dossier du tribunal :


[traduction]

EVELYN :                 M. Kubes, je ne suis pas certain de comprendre vos allégations. Êtes-vous en train de dire que le revendicateur était - en raison de son état psychologique ou psychiatrique, qu'il ne serait pas - le témoignage qu'il a rendu serait erroné, qu'il serait incapable de témoigner et que sa preuve serait entachée de telle sorte que nous ne pouvons pas l'utiliser?

AVOCAT :              Bien, je peux répondre à trois parties de cette question. Premièrement, je crois que, oui, il ne comprend pas complètement la situation dans laquelle il se trouve par rapport à sa situation en Hongrie, notamment la mesure dans laquelle il a été persécuté. Deuxièmement, je ne crois pas qu'il ait très bien compris l'interprète la dernière fois. Troisièmement, je ne crois pas qu'il comprenne pleinement la nature des procédures.

L'échange qui suit a eu lieu entre l'autre membre de la SSR présent à l'audience et l'avocat. Il a été consigné comme suit aux pages 269 et 270 du dossier du tribunal :

[traduction]

SIMEON :              M. Kubes, mon collègue et moi, nous nous interrogeons, maintenant que nous avons accepté ce rapport, sur vos intentions quant à la manière selon laquelle vous désirez procéder, compte tenu que le psychologue a prononcé le diagnostic suivant : état de stress post-traumatique, déficience mentale légère chronique.

AVOCAT :              J'ai un certain nombre de questions à poser à la suite du contre-interrogatoire et au rapport, mais seulement quelques-unes.

SIMEON :              Pouvons-nous clarifier un certain nombre de choses alors? D'abord, compte tenu de l'évaluation psychologique du psychologue, croyez-vous qu'il soit nécessaire que l'on désigne un représentant pour le revendicateur?

AVOCAT :             Non, je ne crois pas, car, comme je l'ai dit, il est capable de témoigner.    

[8]                 Le revendicateur principal a continué à témoigner, l'agent chargé de la revendication a fait des commentaires de vive voix et l'avocat des revendicateurs a présenté ses arguments. Dans ses arguments, l'avocat n'a fait aucunement mention du rapport psychologique. Il n'a pas non plus parlé de la question de savoir si le revendicateur principal était capable d'agir pour lui-même ainsi que de représenter ses enfants.


[9]         La SSR a conclu que les revendicateurs n'avaient tout simplement pas présenté une preuve crédible ou digne de foi à l'appui de leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention et elle a présenté une analyse plutôt élaborée dans ses motifs à l'appui de cette conclusion.

[10]       Dans son mémoire, l'avocat des revendicateurs, c'est-à-dire le même avocat qui a représenté ces derniers devant la SSR, a déterminé les sept questions en litige suivantes :

[traduction]

[1]           A-t-on porté atteinte aux droits des revendicateurs à une audience impartiale et le tribunal a-t-il tenu une audience équitable et approfondie malgré l'état mental de Jozsef Petrovics, qui, selon l'évaluation psychologique d'expert, résultait d'un traumatisme subi en Hongrie et cela a-t-il empêché ce dernier et sa famille d'avoir la possibilité de se faire entendre lors de leur audience, violant ainsi les règles de justice naturelle?

[2]           A-t-on porté atteinte aux droits des revendicateurs à une audience impartiale et le tribunal a-t-il tenu une audience équitable et approfondie, malgré le fait que le représentant désigné Jozsef Petrovics qui, selon l'évaluation psychologique d'expert, ne comprenait vraisemblablement pas parfaitement le rôle de représentant désigné et les obligations qui lui incombaient et cela a-t-il entraîné le fait qu'il a mal représenté les intérêts des revendicateurs mineurs, en ne présentant pas complètement leurs causes, violant ainsi les règles de justice naturelle.

[3]           Le tribunal a-t-il erré en droit en tirant des conclusions qui étaient si manifestement déraisonnables qu'elles constituaient une erreur susceptible de révision?

[4]           Le tribunal a-t-il erré en droit en ignorant des éléments de preuve pertinents ou en omettant de tenir compte d'éléments de preuve pertinents?

[5]           La Commission a-t-elle erré en droit dans son interprétation et dans son application de la définition de réfugié au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration?

[6]           Le tribunal a-t-il erré en droit en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'il a tirées d'une manière abusive ou arbitraire et sans tenir compte de la preuve dont il était saisie à bon droit?


[7]           Le tribunal a-t-il erré en droit en concluant que les revendicateurs n'ont pas démontré l'existence d'une crainte fondée de persécution?

[11]       Lors de ses plaidoiries devant notre Cour, l'avocat des revendicateurs s'est concentré sur les deux premières questions en litige citées précédemment, lesquelles questions il a essentiellement examinées ensemble. La cour est convaincue qu'il a bien fait de mettre l'accent sur ces deux questions en litige. Sans entrer dans les détails, la Cour est convaincue qu'il ne sert à rien de discuter des observations écrites qu'il a présentées au nom des revendicateurs concernant les cinq dernières questions.

[12]       Dans l'affaire Espinoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], le juge Teitelbaum a eu à traiter d'une question à peu près semblable. Au paragraphe 15 de ses motifs, il a déterminé une des questions dont il était saisi dans les termes suivants :

Les questions étaient de savoir si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a commis une erreur de droit [...] en n'informant pas le demandeur principal de ce que signifiait et visait le fait d'être commis d'office représentant des demandeurs mineurs pour leur audience;

[13]       Au paragraphe 25 de ses motifs, le juge Teitelbaum s'est exprimé dans les termes suivants :

À mon avis, le paragraphe 69(4), qui exige que la section du statut de réfugié commette d'office un représentant lorsqu'une personne, qu'elle ait ou non moins de dix-huit ans, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause, impose à la Commission l'obligation d'évaluer si la personne à commettre d'office comprend la nature de la procédure. À mon avis, il en est notamment ainsi dans le cas d'un représentant commis d'office pour des enfants étant donné que l'issue de leur revendication peut dépendre de cette désignation d'office. [...]


Le juge Teitelbaum, au paragraphe 29 de ses motifs, a conclu sur cette question en litige dans les termes suivants :

Il ne suffit pas que les personnes puissent être représentées par un avocat. Le paragraphe 69(4) mentionne clairement que c'est la Commission qui doit commettre d'office un représentant pour les enfants, et elle aurait dû exposer la question à l'avocat du demandeur, dont on aurait pu s'attendre à ce qu'il soit au courant des questions juridiques qui pouvaient découler d'une telle désignation d'office et qui, à son tour, aurait informé ses clients pour qu'ils puissent bénéficier d'une audition équitable. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il incombe à la Commission, avant de commettre d'office un représentant, de s'assurer que celui-ci comprend ce qu'est un représentant ainsi que les conséquences qui découlent de la désignation d'office faite par la Commission.

[14]       Dans le cas présent, lorsque le revendicateur principal a été désigné représentant de ses filles, on n'a soulevé aucune question au sujet de sa capacité de les représenter ou, en fait, d'être la seule personne à témoigner en son nom, celui de son épouse et celui de ses filles. Lorsque la question est venue à l'esprit de l'avocat des revendicateurs et que l'on a obtenu une évaluation psychologique, le président de l'audience de la SSR a amené l'avocat, selon moi, d'une manière réfléchie, à examiner les implications du diagnostic, bien que l'échange entre les membres du tribunal et l'avocat n'ait pas porté sur les répercussions pour les filles. Cependant, de toute évidence, les membres du tribunal ont donné à l'avocat la chance de faire part de ses inquiétudes sur cette question. Celui-ci a omis de le faire comme il a d'ailleurs omis de faire part de ses inquiétudes concernant la fiabilité du témoignage du revendicateur principal comme seul témoignage au nom de tous les revendicateurs.


[15]       La Cour est convaincue que, compte tenu des faits de l'affaire, la SSR s'est pleinement acquittée de son obligation envers les revendicateurs. Il n'est pas loisible maintenant à l'avocat des revendicateurs, après avoir présenté leur cause devant la SSR comme bon lui semblait, sans doute après les avoir consultés, de se présenter maintenant devant notre Cour et de dire : [traduction] « J'ai eu tort et la SSR a le devoir envers les revendicateurs, particulièrement les revendicateurs mineurs, de corriger toute erreur de jugement que j'ai pu commettre en leur nom. »

[16]       La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[17]       L'avocat des revendicateurs a proposé la certification d'une question semblable à celle proposée devant le juge Teitelbaum dans la décision Espinoza. Cette question était formulée comme suit :

La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est-elle tenue, avant de traiter une revendication du statut de réfugié, de s'assurer que, conformément au paragraphe 69(4) de la Loi sur l'immigration, le représentant commis d'office et tout demandeur mineur intéressé, ou une personne qui, de l'avis de la Section, n'est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, comprennent pleinement ce que signifie le fait d'être ou d'avoir un représentant commis d'office ainsi que les conséquences qui pourraient en découler?

[18]       Le juge Teitelbaum a refusé de certifier la question précitée. La Cour ne certifiera pas une question. La Cour est convaincue qu'il s'agit d'une affaire qui met en cause des faits particuliers et que, en conséquence, toute question certifiée ne serait pas une question de portée générale.

___________________________________

                          Juge

Ottawa, Ontario

Le 18 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                                                                                       Date : 20020118

                                                                         Dossier : IMM-1369-01

OTTAWA (ONTARIO), le 18 janvier 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

JOZSEF PETROVICS, RITA PETROVICSNE KALOTAL,

PETRA PETROVICS, PATRICIA PETROVICS

Demandeurs

et

LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

                                           ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

FREDERICK E. GIBSON

Juge

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                   

DOSSIER :                       IMM-1369-01

INTITULÉ :                      Jozsef Petrovics et al. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le 10 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     M. le juge Gibson

EN DATE DU :                 18 janvier 2002

COMPARUTIONS:

George J. Kubes                                  POUR LES DEMANDEURS

Mielka Visnic                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                             

George J. Kubes                                  POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. 1985, ch. I-2.

[2]       Dossier des revendicateurs, p. 70 et 71.

[3]         [1999] 3 C.F. 73 (1re inst.).

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