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Date : 20060531

Dossier : IMM-5278-05

Référence : 2006 CF 661

OTTAWA (ONTARIO), LE 31 MAI 2006

EN PRÉSENCE DU JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

 

ENTRE :

 

DIANA ISABEL ARZETA AVILA

DANIEL GARCIA REYES

BRAYAN DANIEL GARCIA ARZETA

VALERIA NATALY GARCIA ARZETA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs sont un mari (Daniel) et sa femme (Diana) et leurs deux enfants mineurs. Ils sont tous citoyens du Mexique et affirment ne pouvoir retourner dans ce pays sans danger.

 

[3]               Arrêté le 21 mars 1996, Daniel a été accusé de vol dans l'État de Mexico où il vivait. Il a plaidé coupable et a été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq ans. Il affirme que, le 26 février 1998, il a été témoin du meurtre de son compagnon de cellule par trois autres détenus, qui l'ont également attaqué ce jour-là. Il a subséquemment témoigné contre ces trois détenus, qui ont été reconnus coupables. Il a été remis en liberté le 8 août 1998. Il explique qu'avant, pendant et après le procès des trois détenus et après sa sortie de prison, il a fait l'objet de menaces de mort. Nous reviendrons plus loin sur le détail de ces événements. Il explique que, craignant pour lui‑même et pour sa famille, ils ont décidé de quitter le Mexique et de venir au Canada le 12 janvier 2003.

 

[4]               Dans sa décision, la CISR a conclu que le récit des demandeurs n'était pas digne de foi et qu'ils disposaient d'une possibilité de refuge intérieur, parce qu'ils pouvaient quitter l'endroit où ils avaient vécu dans l'État de Mexico pour aller s'installer à La Paz, dans l'État de la Basse Californie du Sud, toujours au Mexique.

 

Analyse

 

[5]               Je suis convaincu, suivant la jurisprudence et après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer dans le cas des conclusions de fait tirées par la CISR est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir l'arrêt Aguebor c. Canada, (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) et le jugement Guci c. Canada, [2004] A.C.F. no 1256 (C.F)). Il me semble que, pour reprendre l'expression employée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Owusu-Ansah c. Canada, [1989] A.C.F. n442, la CISR « est allée trop loin dans sa recherche de contradictions dans le témoignage du requérant ». Je vais exposer en détail certaines de ces conclusions.

 

[6]               Tout d'abord, bien qu'elle ait signalé (voir le dossier de la demande, à la page 9) que le demandeur avait soumis des documents établissant les faits relatifs à son incarcération et à sa remise en liberté, la commissaire semblait nourrir encore des doutes (à la page 10) sur la question de savoir si Daniel avait effectivement été incarcéré au moment où il affirmait l'avoir été. La commissaire a en effet interprété les certificats de naissance de ses enfants en estimant qu'ils semblaient contredire cette affirmation. Cette analyse de la preuve me semble déraisonnable.

 

[7]               La commissaire a décelé quelques contradictions mineures entre les déclarations de Daniel qui ont été consignées dans les notes prises au point d'entrée et celles qu'il a par la suite faites dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Il est difficile d'accorder beaucoup d'importance à ce fait et l'avocat du demandeur s'est demandé si une traduction des notes prises au point d'entrée avait jamais été mise à la disposition de Daniel avant l'audience.

 

[8]               Daniel a déclaré dans son FRP qu'il avait appris en août 2000 que sa tête avait été mise à prix par Julio, un des trois détenus impliqués dans le meurtre de son compagnon de cellule. En janvier 2003, il avait quitté le Mexique avec sa famille pour venir au Canada. La commissaire n'a pas ajouté foi à ses déclarations au sujet de la mise à prix du demandeur, parce que celui-ci avait pu quitter le Mexique sain et sauf. Mais il avait également déclaré qu'en mars 2001, des coups de feu avaient été tirés en sa direction depuis un véhicule qui l'avait croisé et qu'en avril 2002, il avait été battu par trois hommes qui affirmaient avoir été envoyés par Julio. Il affirmait avoir de nouveau été battu en novembre 2002 et expliquait qu'on lui avait alors dit que la prochaine fois, on le tuerait. Il me semble, dans ces conditions, qu'il était manifestement déraisonnable de rejeter l'assertion que la tête de Daniel avait été mise à prix pour la simple raison qu'en fait, il n'avait pas été tué.

 

[9]               Daniel affirmait dans son FRP que Julio et ses complices s'adonnaient au trafic de drogues en prison et qu'ils avaient tué son compagnon de cellule parce que ce dernier les avait dénoncés au directeur de la prison. Il a laissé entendre que certaines des autorités carcérales étaient de mèche avec les trafiquants de drogues. La commissaire a relevé que Daniel avait également expliqué qu'il avait eu droit à une protection spéciale en prison parce qu'il avait témoigné contre les trois hommes accusés de meurtre. La commissaire a jugé contradictoire le fait que certaines autorités carcérales le protégeaient alors que d'autres étaient corrompues. J'estime qu'en présumant que le personnel carcéral ne pouvait compter à la fois des employés honnêtes et des employés malhonnêtes, la commissaire a tiré une conclusion manifestement déraisonnable.

 

[10]           La commissaire n'a pas ajouté foi à l'affirmation de Daniel suivant laquelle les trois détenus en question avaient subi leur procès pour le meurtre du compagnon de cellule de Daniel parce qu'aucun article de journal relatant ce procès n'avait été porté à sa connaissance. Elle a déclaré : [traduction] « Il aurait été logique que les médias locaux fassent état de ce procès ». Elle n'a pas précisé quels médias locaux auraient normalement dû en parler. Il me semble qu'il s'agit là aussi d'une supposition déraisonnable.

 

[11]           Il semble que la commissaire ait continué à ne pas croire que le demandeur avait été jugé et condamné en 1996, parce que, malgré les démarches qu'il avait entreprises pour obtenir une confirmation écrite ou un document de la part de l'avocat qui le représentait, le demandeur n'avait produit aucun document à cet égard. Ces faits remontent à plus de huit ans avant l'instance introduite devant la CISR et il est selon moi loin d'être improbable qu'à ce moment-là, l'avocat ne voulait pas ou ne pouvait pas fournir de confirmation écrite. De plus, les doutes que la commissaire semble avoir continué à laisser planer au sujet de la véracité de l'affirmation de Daniel suivant laquelle il avait été jugé en 1996 sont incompatibles avec sa conclusion précédente (citée à la page 9 du dossier des demandeurs) suivant laquelle les documents provenant de sources mexicaines que Daniel avait soumis et parmi lesquels se trouvait un relevé relatif à sa libération conditionnelle dans lequel il était fait mention de la peine à laquelle il avait été condamné, corroboraient ses dires au sujet de la peine d'emprisonnement qu'il avait purgée.

 

[12]           La commissaire a cité une lettre d'un médecin qui avait été versée au dossier au sujet des soins prodigués à Daniel à la suite de l'agression dont il avait été victime en avril 2002. Dans le récit qu'il a donné de cette agression dans son FRP, Daniel ne mentionne pas avoir été poignardé. La lettre du médecin faisait état d'une coupure au dos du demandeur. La commissaire a estimé que cette déclaration contredisait la version des faits donnée par Daniel dans son FRP, dans lequel il expliquait simplement qu'il avait été agressé dans la rue par trois hommes et qu'il avait consulté un médecin à la clinique Saint-Augustin. La commissaire a également jugé contradictoire le fait que la lettre du médecin ne faisait aucune allusion aux cicatrices laissées par les blessures que le demandeur affirmait avoir reçues en 1998 lorsque les trois détenus qui avaient tué son compagnon de cellule l'avait battu. J'estime qu'il était manifestement déraisonnable de conclure à une absence de crédibilité sur le fondement d'une telle analyse. L'affirmation de Daniel qu'il avait été battu et s'était fait soigner dans une clinique ne contredisait pas nécessairement la lettre de cette clinique confirmant avoir traité le demandeur pour des blessures, notamment pour une « coupure ». Le fait que la clinique n'ait pas signalé les cicatrices laissées par des blessures subies six ans plus tôt n'entache pas nécessairement la crédibilité de Daniel.

 

[13]           La commissaire a également écarté le rapport d'un psychologue au motif que ce document avait une valeur probante trop faible. Dans ce rapport, un psychologue affirmait que Daniel et sa femme souffraient de dépression et d'anxiété et que contraindre le demandeur de retourner au Mexique aurait des conséquences catastrophiques. La commissaire a fait observer que l'on ne connaissait pas avec certitude la cause de la dépression et qu'il était possible qu'elle n'ait rien à voir avec les agressions et les menaces dont le demandeur se disait victime. Je conviens que, dans ces conditions, le rapport du psychologue pouvait n'avoir qu'une faible valeur corroborante.

 

[14]           La commissaire a signalé aux demandeurs certaines des contradictions qu'elle percevait, en l'occurrence l'absence de dossier judiciaire portant sur le procès de Daniel ou de dossier de son avocat et l'incapacité de Daniel de produire de tels documents. Elle n'a pas fait état des autres contradictions déjà évoquées. Bien que j'accepte qu'en principe, la CISR n'est pas tenue de confronter le demandeur d'asile à ses contradictions flagrantes à l'audience ou par écrit (voir le jugement Guci c. Canada, précité), il y a lieu de douter que cette façon de procéder convienne lorsque la contradiction ne saute pas aux yeux et que le tribunal ne la découvre qu'après avoir eu l'occasion d'examiner le dossier dans sa totalité (voir l'arrêt Gracielome c. Canada, [1989] A.C.F. no 463 (C.A.).

 

[15]           La commissaire a par ailleurs conclu qu'il existait ailleurs que dans l'État de Mexico, où leurs problèmes avaient commencé, beaucoup d'autres endroits au Mexique où les demandeurs pouvaient vivre en sécurité. À l'audience, la commissaire leur a demandé s'ils pouvaient retourner vivre à La Paz, dans l'État de la Basse Californie du Sud. Daniel a répondu que, peu importe l'endroit où ils iraient s'installer, les gens qui en voulaient à sa vie le retrouveraient. Alors qu'elle ne disposait d'aucun autre élément de preuve au sujet de La Paz, la commissaire a mentionné cette ville dans sa décision et a conclu que les demandeurs disposaient au Mexique d'une possibilité de refuge intérieur ailleurs que dans l'État de Mexico. J'estime que le bien-fondé de cette conclusion dépend de la réponse à la question de savoir si la Commission pouvait ou non être convaincue de la crédibilité de la principale assertion du demandeur, en l'occurrence que si les demandeurs retournent au Mexique, la vie ou la sécurité de Daniel sera mise en danger par Julio et ses complices et que Daniel sera nécessairement exposé à ce danger peu importe où il se trouve sur le territoire du Mexique.

 

Dispositif

 

[16]           Je vais par conséquent annuler la décision rendue le 5 juillet 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié et renvoyer l'affaire à la Commission pour être examinée de nouveau par un autre tribunal conformément aux présents motifs.

 


JUGEMENT

 

            La décision rendue le 5 juillet 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour être examinée de nouveau par un autre tribunal conformément aux présents motifs.

 

 

« B.L. Strayer »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5278-05

 

INTITULÉ :                                       DIANA ISABEL ARZETA AVILA, DANIEL GARCIA REYES, BRAYAN DANIEL GARCIA ARZETA, VALERIA NATALY GARCIA ARZETA c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 26 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me J. Byron M. Thomas

Etobicoke (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Me John Loncar

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me J. Byron M. Thomas

Etobicoke (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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