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Date : 20000830

Dossier : IMM-3809-99

CALGARY (ALBERTA), LE MERCREDI 30 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

JORGE MARIO GONZALEZ AGUIRRE

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

Pour les motifs exposés dans les motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Max M. Teitelbaum »                    

                                                                    

J.C.F.C.                              

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


Date : 20000830

Dossier : IMM-3809-99

ENTRE :

JORGE MARIO GONZALEZ AGUIRRE

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 14 juillet 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. L'autorisation d'introduire la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée le 18 janvier 2000.


Les faits

[2]         Le demandeur, Jorge Mario Gonzalez Aguirre, est âgé de 21 ans et il est citoyen du Guatemala. Arrivé au Canada le 17 mars 1998, il a revendiqué le statut de réfugié le 7 avril 1998. Il craint d'être persécuté par les membres de l'armée du Guatemala du fait de ses opinions politiques présumées et de son appartenance à un groupe social, à savoir sa famille.

[3]         Le demandeur dit que les problèmes de sa famille avec l'armée du Guatemala ont commencé en 1987, alors que les militaires auraient tué son père parce qu'il avait donné de la nourriture aux guérilleros et qu'ils croyaient qu'il les soutenait.

[4]         Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP)[2], le demandeur allègue qu'en 1992, sa famille a déménagé de son village d'Obraje pour se rendre à Guatemala, avec l'espoir qu'elle laisserait derrière elle ses problèmes avec l'armée. Toutefois, en 1993, son oncle paternel, Salvador, a été enlevé et assassiné. Le demandeur prétend que les militaires ont agi de la sorte parce qu'ils le soupçonnaient d'être un guérillero. En mai 1995, un autre oncle paternel, Carlos, a été tué. Le demandeur croit que ce meurtre a été commis pour les mêmes motifs que ceux qui avaient mené aux meurtres de son père et de son oncle Salvador.


[5]         Le demandeur dit que ses propres problèmes avec l'armée ont commencé au mois de juillet 1996. Il revenait du travail avec son beau-frère lorsqu'un véhicule de l'armée s'est placé à côté de leur véhicule et que les militaires lui ont demandé de se ranger sur le bord de la route. Le demandeur dit que son beau-frère et lui ont eu peur, qu'ils ont fui et que les militaires leur ont tiré dessus. Il s'est rendu chez lui et a vu des véhicules de l'armée patrouiller dans le voisinage; il croit qu'ils étaient à sa recherche, mais qu'il était en sécurité étant donné qu'ils n'avaient pas son adresse.

[6]         Je me demande comment il se fait que lorsque le demandeur est rentré chez lui, il a vu des véhicules de l'armée patrouiller dans le voisinage alors qu'il affirme que l'armée n'avait pas son adresse et qu'il était en sécurité.

[7]         Le demandeur a affirmé que deux hommes armés étaient sortis d'une voiture et qu'ils avaient tiré sur son cousin, à Obraje, ce qui avait poussé ce dernier à fuir aux États-Unis. Dans son FRP, il a déclaré que cet événement s'était produit en mai 1997[3]. Toutefois, dans son témoignage livré devant la CISR, il a affirmé que cet événement s'était produit en mai 1996[4]. Confronté à cette incohérence, il a expliqué qu'il ne pouvait pas se souvenir de la date parce qu'il vivait à Guatemala à cette époque.


[8]         Un autre événement touchant le demandeur est survenu en 1997. Le demandeur a déclaré qu'il avait rencontré un ami au supermarché. Cet ami l'a prévenu que les militaires avaient fait un barrage routier et qu'ils demandaient aux occupants des véhicules de s'identifier. Le demandeur affirme qu'étant donné qu'il faisait nuit et qu'il était près de chez lui, il a laissé son auto et est rentré chez lui à pied afin d'éviter les militaires.

[9]         Dans son FRP, il dit expressément que cet incident est survenu le 17 novembre 1997[5]. À l'audience devant la CISR, il a témoigné que cela s'était produit en juillet 1997 et qu'il se souvenait de la date parce que c'était le jour de l'anniversaire d'un membre de sa famille[6]. Cependant, lorsqu'une fois de plus confronté aux incohérences dans les dates, le demandeur a expliqué qu'il ne se souvenait pas de la date, mais qu'il s'agissait probablement du jour de l'anniversaire de naissance de son beau-frère.

[10]       Le demandeur a affirmé qu'en février 1998, des voisins avaient dit à sa famille qu'ils avaient vu des véhicules de l'armée patrouiller comme s'ils étaient à la recherche de quelqu'un. Cela a mené le demandeur à quitter le Guatemala le 20 février 1998.

[11]       Le demandeur a témoigné qu'un de ses cousins avait été enlevé trois ou quatre mois avant l'audience.

[12]       Trois des frères du demandeur se sont vus accorder le statut de réfugié au Canada, deux en 1992 et un en 1995.


La décision du tribunal

[13]       Le tribunal a statué qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour conclure que la crainte de persécution du demandeur était bien fondée. Le tribunal a conclu qu'il manquait trop de détails dans le récit du demandeur pour pouvoir s'y fier. Le tribunal a plutôt fondé sa décision sur la preuve documentaire :

[traduction]

Cette preuve indique que le respect des droits de la personne au Guatemala s'est « peu amélioré » . Les exécutions extrajudiciaires sont courantes, et plusieurs sources fiables accusent les militaires de continuer d'agir impunément [les notes en bas de page ont été omises]. Toutefois, les exécutions rapportées qui sont motivées par des raisons d'ordre politique touchent des personnes éminentes, comme les femmes travaillant pour les organismes mayas, l'évêque Juan Gerardi et plusieurs dirigeants politiques. Les documents présentés par le revendicateur et par l'agent chargé de la revendication ne rapportent pas que les familles des personnes qui ne sont que soupçonnées d'avoir aidé les guérilleros pendant la guerre sont visées. En fait, les guérilleros reçoivent de la formation en vertu d'un programme parrainé par les Nations Unies afin de pouvoir occuper des emplois civils, et « [...] l'ancien groupe rebelle connu sous le nom d'Unité révolutionnaire nationale du Guatemala en est à l'étape finale du processus qui en fera un parti politique » [la note en bas de page a été omise]. Le demandeur a témoigné qu'aucun membre de sa famille élargie était un guérillero et qu'ils faisaient l'objet de soupçons uniquement en raison des actes posés par son père en 1987. Étant donné le retour lent mais continu de réfugiés au Guatemala et l'arrivée d'anciens guérilleros sur la scène politique civile, il n'est ni plausible, ni vraisemblable, que les militaires s'en prennent à des personnes comme le demandeur pour des évènements qui se seraient produits alors qu'il n'avait que huit ans. Par conséquent, le tribunal conclut qu'il n'y a rien de plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s'il retourne au Guatemala[7].

La question en litige

[14]       La CISR a-t-elle omis de tenir compte de l'ensemble des éléments de preuve, ou les a-t-elle mal interprétés?


La position du demandeur

[15]       Le demandeur allègue que la CISR n'a pas tenu compte de son témoignage portant sur la persécution des membres de sa famille par l'armée. Le demandeur soutient que le tribunal se contredit en disant que l'événement survenu en 1987 avait entraîné une série d'actions des militaires à l'encontre de sa famille. Toutefois, une lecture attentive de cette partie des motifs du tribunal permet de constater que celui-ci commence cette affirmation en disant « Le revendicateur a allégué [...] » .

[16]       Le demandeur soutient aussi que le tribunal a mal interprété la preuve documentaire quand il a conclu que les exécutions pour des motifs d'ordre politique ne touchaient que des personnes très en vue. Le demandeur allègue que certaines sources indiquent que ces exécutions ont lieu presque quotidiennement et que par conséquent, elles ne peuvent pas toucher seulement une poignée de personnes très en vue. Le demandeur allègue que la violence faite aux opposants de l'armée est encore courante et que l'inférence tirée par le tribunal, selon laquelle les anciens guérilleros et les personnes qui les avaient appuyés retournent à la vie civile et ne sont plus visés par l'armée, n'est donc qu'une pure supposition.

La position du défendeur


[17]       Le défendeur soulève, de façon préliminaire, que l'affidavit du demandeur contient certains documents auxquels il est fait référence comme pièces, mais qui ne sont toutefois pas identifiés comme tels, ni signés par la personne qui a reçu le serment, comme l'exige la règle 80(3) des Règles de la Cour fédérale (1998). Par conséquent, ils n'ont pas été correctement déposés devant la Cour. En outre, au lieu de faits, les paragraphes 20 et 29 de l'affidavit contiennent des arguments juridiques et le paragraphe 22 contient une opinion.

[18]       La règle 80(3) prévoit que lorsqu'un affidavit fait mention d'une pièce, la désignation précise de celle-ci est inscrite sur la pièce même ou sur un certificat joint à celle-ci, suivie de la signature de la personne qui reçoit le serment. Cela n'a pas été fait en l'espèce et, par conséquent, le demandeur ne pourra faire référence aux documents auxquels il fait référence dans son affidavit en tant que pièces. Toutefois, ces documents font partie du dossier certifié du tribunal et le demandeur n'en subira donc pas de préjudice.

[19]       L'objection du demandeur à l'égard de certains paragraphes de l'affidavit du demandeur est aussi fondée et il ne faudrait donc pas les prendre en considération; cependant, ces paragraphes se retrouvent aussi dans le mémoire des faits et du droit du demandeur et, là encore, il semble que ces erreurs de rédaction n'auront aucune incidence fâcheuse pour le demandeur.

[20]       Le défendeur soutient que la CISR n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'avait pas réussi à établir que sa crainte était objectivement fondée. Le demandeur a déposé deux articles de journaux relatant les meurtres de ses oncles. Le défendeur allègue que ces articles n'établissent pas de lien entre les exécutions et le meurtre du père du demandeur survenu en 1987, événement qui aurait marqué le début d'une série d'actes de persécution.


[21]       Le défendeur allègue que la preuve documentaire sur laquelle s'est fondé le tribunal n'appuie pas la prétention du demandeur selon laquelle il appartient à un groupe susceptible d'être persécuté. La preuve n'établit pas que les militaires recherchent les familles de ceux qui étaient perçus comme des personnes ayant appuyé les guérilleros pendant la guerre civile.

Analyse

[22]       Dans l'arrêt Chan c. Canada (M.E.I.)[8], la Cour suprême du Canada a approuvé les propos tenus par le juge Heald, J.C.A., dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (M.E.I.)[9], à l'égard de ce que devait faire un revendicateur du statut de réfugié pour prouver sa crainte d'être persécuté. Il faut d'abord établir une crainte subjective d'être persécuté, c'est-à-dire examiner les évènements du point de vue du revendicateur. En second lieu, il y a l'élément objectif : la crainte du revendicateur doit être évaluée objectivement afin de déterminer si celle-ci repose sur un fondement valable. Dans l'arrêt Chan, le juge Major a dit :

Pour statuer sur l'élément objectif du critère, il faut examiner la « situation objective » , et, à cet égard, les conditions existant dans le pays d'origine du demandeur ainsi que les lois de ce pays et la façon dont elles sont appliquées sont des facteurs pertinents [...][10].


[23]       Dans la présente affaire, la CISR a fondé sa conclusion selon laquelle la crainte du demandeur d'être persécuté n'était pas fondée non pas sur la crédibilité ou sur le récit du demandeur, mais plutôt sur la preuve documentaire présentée. Le tribunal, sans se prononcer sur le caractère crédible du témoignage du demandeur, a dit expressément qu'il manquait trop de détails au témoignage pour que l'on puisse s'y fier.

[24]       D'après le tribunal, la preuve documentaire indique que d'anciens guérilleros retournent à la vie civile pour y occuper des emplois et que malgré le fait que le nombre d'exécutions extrajudiciaires n'a pas diminué, le demandeur ne fait pas partie d'une des catégories de personnes présentement les plus susceptibles de devenir des victimes. D'après le tribunal, les exécutions, qui peuvent être motivées par des raisons d'ordre politique, semblent toucher des personnes jouissant d'une certaine notoriété. Les personnes visées semblent être celles qui préconisent un plus grand respect des droits de la personne et qui sont actives sur la scène politique. La preuve documentaire ne donne aucunement à penser que les personnes qui ont appuyé les guérilleros, ou leurs proches, sont susceptibles de devenir des victimes.

[25]       À l'égard des deux articles concernant les oncles du demandeur, le premier article indique que le meurtre était un cas étrange et que personne, y compris la famille, n'arrivait à en trouver le motif. L'article évoque la possibilité d'un lien avec un groupe de voleurs de banques, dont les vêtements ressemblaient à ceux que portaient les assassins présumés. Bien que le meurtre du deuxième oncle du demandeur ait pu être motivé par des raisons d'ordre politique, aucun élément de preuve n'établit de lien suffisamment étroit entre le demandeur et son oncle pour conclure qu'il court lui-même un danger.


[26]       Dans son FRP et dans son témoignage devant la CISR, le demandeur a décrit deux évènements avec très peu de détails et en se contredisant sur les dates, dont un se rapportait directement à lui et l'autre l'avait, tout au plus, touché indirectement. L'événement qui se rapportait directement à lui est survenu en 1996 et mettait en cause des militaires qui lui avaient dit de se ranger sur le bord de la route sans l'appeler par son nom, et rien dans le récit du demandeur ne donne à penser que les militaires connaissaient son identité. Quant au deuxième événement, qui s'est produit en 1997, le demandeur avait été prévenu que l'armée avait fait un barrage routier qu'il avait contourné par la suite. Encore une fois, aucun élément de preuve ne donne à penser que l'armée recherchait expressément le demandeur.

[27]       En dernier lieu, la preuve documentaire n'établit pas que les personnes dans la situation du demandeur, soit les personnes soupçonnées d'avoir appuyé les guérilleros pendant la guerre civile, courent un danger. La conclusion du tribunal selon laquelle il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s'il retournait au Guatemala semble correctement fondée sur les éléments de preuve dont il disposait.

[28]       Après avoir lu les documents constituant le dossier du tribunal et après avoir entendu les arguments des avocates, je suis convaincu que la décision du tribunal est raisonnable et fondée sur l'ensemble des éléments de preuve dont il disposait, y compris les rapports d'Amnistie Internationale.

[29]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[30]       Aucune des parties n'a soumis de question pour certification.

« Max M. Teitelbaum »               

                                                                 

J.C.F.C.                          

Calgary (Alberta)

Le 30 août 2000

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               IMM-3809-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             JORGE MARIO GONZALEZ AGUIRRE c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 22 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                                   30 août 2000

ONT COMPARU :

Lorna Gladman                                                  POUR LE DEMANDEUR

Tracy King                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                  

Lorna Gladman                                                 

Calgary (Alberta)                                                           POUR LE DEMANDEUR                   

Procureur général du Canada                                        

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)                                                       POUR LE DÉFENDEUR



[1]               L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]            Dossier du tribunal, aux pages 11 à 23.

[3]            Dossier du tribunal, p. 20.

[4]            Dossier du tribunal, aux pages 157 et 158.

[5]            Dossier du tribunal, p. 20.

[6]            Dossier du tribunal, p. 160.

[7]            Dossier du tribunal, p. 7.

[8]               [1995] 3 R.C.S. 593.

[9]            (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.)

[10]           précité, note 8, au paragraphe 134.

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