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Date : 20060623

Dossier : T‑1899‑04

Référence : 2006 CF 807

Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

KELOWNA FLIGHTCRAFT AIR CHARTER LTD.

demanderesse

et

 

JAMES WITHERS

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un arbitre désigné sous le régime du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code), qui a assumé la compétence pour entendre et trancher la plainte en congédiement injuste formée par le défendeur contre son employeur. La présente affaire soulève la question de savoir si un arbitre désigné sous le régime de la partie III, section XIV, du Code a compétence pour corriger la dénomination d'un employeur nommé incorrectement qui répond à une plainte en congédiement injuste.

LES FAITS

Les parties

[2]               La demanderesse, Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd. (KFAC Ltd.), est une compagnie aérienne fournissant des services de transport de fret et de passagers en Amérique du Nord. Elle a été constituée en société en Colombie-Britannique le 21 mai 1974. Selon la preuve produite devant la Cour, KFAC Ltd. est l'une des cinq sociétés qui composent le « Kelowna Flightcraft Group of Compagnies » (le groupe Kelowna), les quatre autres étant Kelowna Flightcraft Ltd. (KF Ltd.), Kelowna Flightcraft Leasing Ltd., Kelowna Flightcraft R&D Ltd. et Ontario Flightcraft Ltd.

 

[3]               Il n'est pas contesté entre les parties que le défendeur a été employé du 17 juin 1996 jusqu'à la cessation de son emploi le 24 mars 2003, soit six ans et neuf mois, par KF Ltd., entreprise du groupe Kelowna, comme technicien d'entretien d'aéronefs.

 

[4]               KF Ltd. fournit des services d'entretien et de réparation à des propriétaires d'aéronefs, y compris la demanderesse. La demanderesse et KF Ltd. appartiennent aux mêmes personnes.

 

La plainte en congédiement injuste

[5]               Le 30 avril 2003, le défendeur a déposé une plainte écrite en congédiement injuste auprès d'un inspecteur sous le régime du paragraphe 240(1) du Code (partie III, section XIV). Dans cette plainte, il désignait son employeur comme étant la demanderesse, KFAC Ltd., et non KF Ltd., l'entreprise qui l'avait effectivement employé. À l'audience, tenue le 27 juillet 2004, la demanderesse a prié l'arbitre désigné sous le régime du paragraphe 242(1) de rejeter la plainte du défendeur au motif qu'elle n'était pas, et n'avait jamais été, l'employeur du défendeur. La demanderesse a fait valoir que l'arbitre n'avait pas compétence pour entendre une plainte contre une entité nommée qui n'avait pas employé le plaignant. Sur consentement des parties, l'arbitre a ajourné l'audience pour trancher la question préliminaire de la compétence en se fondant sur leurs observations écrites.

 

LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[6]               Il n'est pas contesté entre les parties que l'arbitre a décidé le 23 septembre 2004 qu'il avait compétence pour entendre la plainte en congédiement injuste formée par le défendeur contre son employeur. Ni la décision ici contrôlée ni l'exposé de ses motifs n'ont été versés au dossier produit devant la Cour.

 

LE RÉGIME APPLICABLE

[7]               Les textes applicables au présent appel sont le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2, et les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Les dispositions pertinentes en sont reproduites à l'appendice A du présent exposé.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]               La présente demande soulève deux questions :

1.         Le dossier produit devant la Cour suffit‑il à cette dernière pour effectuer le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre?

 

2.         Dans le cas où la Cour pourrait autoriser la modification du dossier à l'audience, l'arbitre avait‑il compétence pour conclure que la demanderesse est précluse de faire objection à la compétence de l'arbitre sur la plainte en congédiement injuste en question, et l'arbitre avait‑il compétence pour corriger la dénomination de l'employeur figurant dans la plainte, soit « Kelowna Flightcraft Air Charter Limited », pour la remplacer par « Kelowna Flightcraft Ltd. »?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[9]               La Cour doit établir sur la base d'une analyse pragmatique et fonctionnelle la norme de contrôle applicable à la décision d'un arbitre désigné en vertu du paragraphe 240(1) du Code sur une question de compétence. Comme l'a expliqué la juge en chef McLachlin au nom de la Cour suprême du Canada au paragraphe 26 de l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, il faut prendre quatre facteurs en considération dans cette analyse :

1.         la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel;

2.         l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision;

3.         l'objet de la législation applicable;

4.         la nature de la question.

 

[10]           Pour ce qui concerne le premier de ces facteurs, les paragraphes 243(1) et (2) constituent des clauses privatives qui soustraient fermement aux recours judiciaires les décisions arbitrales rendues sous le régime de l'article 242 :

Caractère définitif des décisions

 

 

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

Interdiction de recours extraordinaires

 

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

Decisions not to be reviewed by court

 

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

 

No review by certiorari, etc.

 

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

 

 

Par conséquent, ce facteur milite en faveur d'un niveau élevé de retenue judiciaire à l'égard de la décision de l'arbitre.

 

[11]           Concernant le deuxième facteur, il est à noter que l'arbitre possède une expertise spéciale touchant l'emploi dans les entreprises fédérales, en particulier pour ce qui est d'entendre et de trancher les plaintes en congédiement injuste qui n'ont pu être réglées à l'amiable et sur lesquelles le ministre reçoit le rapport d'un inspecteur désigné en vertu de l'article 249. Par suite, il convient de faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de l'arbitre sur les questions de fait. Quant aux questions d'interprétation des lois ou de délimitation de la compétence de l'arbitre sous le régime du Code, la Cour possède une expertise plus grande et n'a pas à faire preuve d'autant de retenue.

 

[12]           Le troisième facteur est l'objet de la loi applicable, en l'occurrence le Code. La juge Sharlow fait observer au paragraphe 35 de l'arrêt Dynamex Canada Inc. c. Mamona (2003), 228 D.L.R. (4th) 463 (C.A.F.), que « le but de la partie III du Code canadien du travail consiste à protéger les travailleurs individuels et à créer un niveau de certitude sur le marché du travail en établissant des normes minimales de travail et en établissant des mécanismes afin de résoudre efficacement les différends résultant de l'application de ces dispositions ». L'objet propre de la section XIV du Code est d'établir un mécanisme efficace de règlement des différends pour les plaintes en congédiement injuste, propre à éviter le recours à des procédures judiciaires coûteuses. L'objet de la loi milite donc en faveur d'un degré élevé de retenue.

 

[13]           Le quatrième facteur est la nature de la décision en question de l'arbitre qui a assumé la compétence pour instruire la plainte du défendeur. Les questions contestées dans la présente espèce sont des questions de droit et de compétence, sur lesquelles la Cour possède plus d'expertise que l'arbitre, de sorte qu'aucune retenue judiciaire ne s'impose à leur égard. En conséquence, le contrôle relatif à ces questions relève de la norme de la décision correcte.

 

ANALYSE

Question no 1 :  Le dossier produit devant la Cour suffit‑il à cette dernière pour effectuer le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre?

 

[14]           La Cour ne peut effectuer le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre dans la présente espèce, aux motifs suivants :

1.         La demanderesse n'a pas versé la décision de l'arbitre à son dossier de demande, comme l'exige l'alinéa 309(2)c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

2.         La demanderesse a omis de faire transmettre à la Cour le dossier produit devant l'arbitre, comme le prévoit l'article 317 des Règles des Cours fédérales et comme il est de pratique normale.

3.         La demanderesse a voulu à l'audience faire valoir de nouveaux moyens et prétentions, qui ne figuraient pas dans son exposé des faits et du droit et auxquels le défendeur ne pouvait répondre.

 

[15]           À l'audience de la présente demande, la demanderesse, représentée par un nouvel avocat, a voulu produire devant la Cour la décision de l'arbitre et d'autres pièces qui auraient dû être déjà versées au dossier. Le défendeur, qui réside en Ontario, ne s'est pas présenté à l'audience. Il a déposé un exposé des faits et du droit, il a avisé la Cour qu'il ne comparaîtrait pas à cause des frais que représentait le voyage à Vancouver pour l'audience et il a demandé que l'affaire soit jugée sur la base de son exposé. Par conséquent, le défendeur ne pouvait formuler ni opposition, ni consentement, ni observations touchant la production de nouvelles pièces ou les nouveaux moyens et prétentions de la demanderesse. La Cour ne peut autoriser la modification du dossier à l'audience sans le consentement du défendeur, en particulier s'il n'est pas en mesure de répondre à de nouveaux moyens et prétentions.

[16]           Néanmoins, pour le cas où elle pourrait autoriser la modification du dossier à l'audience et permettre ainsi à la demanderesse de faire valoir de nouveaux moyens et prétentions ne figurant pas dans son exposé des faits et du droit, la Cour se prononcera ici sur les questions de fond soulevées par le nouvel avocat de la demanderesse.

 

 

Question no 2 :    Dans le cas où la Cour pourrait autoriser la modification du dossier à l'audience, l'arbitre avait‑il compétence pour conclure que la demanderesse est précluse de faire objection à la compétence de l'arbitre sur la plainte en congédiement injuste en question, et l'arbitre avait‑il compétence pour corriger la dénomination de l'employeur figurant dans la plainte, soit « Kelowna Flightcraft Air Charter Limited », pour la remplacer par « Kelowna Flightcraft Ltd. »?

 

 

[17]           La Cour examinera subsidiairement, suivant la norme de la décision correcte, la question de savoir si l'arbitre avait compétence pour conclure que la demanderesse était précluse d'exciper de son incompétence et, en tout état de cause, si l'arbitre avait compétence pour corriger la dénomination de l'employeur telle qu'elle apparaissait dans la plainte. La Cour reproduira les passages pertinents de la décision de l'arbitre, examinera la doctrine de la préclusion et de la renonciation, puis se demandera si l'arbitre, en tout état de cause, avait compétence en equity pour corriger la dénomination de l'employeur telle qu'elle figurait dans la plainte.

 

La décision de l'arbitre

[18]           La décision arbitrale en cause, qui n'a pas été versée au dossier de demande, mais que la Cour examine subsidiairement, a été rendue par Me E. Palmer, c.r., et est datée du 23 septembre 2004.

 

[19]           On peut lire ce qui suit aux pages 16 et 17 de cette décision :

Après avoir examiné cette affaire, je suis d'avis que le plaignant devrait pouvoir poursuivre cette plainte contre la nouvelle intimée, la Kelowna Flightcraft Limited.

 

En rendant cette décision, je devrais d'abord noter que l'objection soulevée au nom de la Kelowna Flightcraft Air Charter Limited, Mount Hope, est d'ordre purement technique. Bien qu'il n'y ait rien d'intrinsèquement fautif à soulever ce type d'objection, il existe habituellement des motifs de fond soutenant une telle requête autre que le seul espoir de succès. Il n'y a ici aucun motif de fond sous‑jacent, malgré les arguments de l'avocat à l'effet contraire.

 

Dans cette optique, il semble évident que les directeurs de l'intimée nommée dans cette affaire étaient bien au fait de la question en litige dans cette affaire, et ils n'ont pourtant pris aucune mesure pour formuler l'objection qui est maintenant devant moi. Ils ont plutôt essayé de régler l'affaire à une étape précédente de cette procédure. Ce n'est qu'une fois que l'avocat a été impliqué et qu'il a signalé cette question que l'intimée nommée a décidé de la soulever. En conséquence, il ne leur est pas permis d'affirmer qu'ils ont en quelque sorte été induits en erreur quant à la tournure des événements.

 

Une fois de plus, je serais incapable de percevoir le préjudice causé à l'intimée nommée si la position du plaignant était maintenue. En effet, le contraire serait plutôt le cas [...]

 

[...] Je suis cependant persuadé d'être investi d'un pouvoir équitable de prendre une décision de type préclusion. Il s'agit d'une situation évidente pour laquelle une telle compétence devrait être exercée. La participation antérieure de l'intimée à la procédure sans s'être objectée constitue une représentation sur la foi de laquelle le plaignant s'est basé. Le fait de permettre à l'intimée de changer sa position à ce moment est de toute évidence manifestement inéquitable et je statue donc contre l'intimée sur cette question.

 

[20]           L'arbitre est donc arrivé aux conclusions suivantes :

1.         L'objection est de pure forme et n'est étayée par aucun motif de fond.

 

2.         Les dirigeants de la personne morale désignée comme employeur étaient tout à fait au courant de l'erreur, mais n'ont pris aucune mesure pour en exciper à l'étape de la médiation de la plainte.

 

3.         L'employeur nommé ne subit aucun préjudice (parce que ce dernier et l'employeur effectif appartiennent à la même personne et constituent un groupe).

 

4.         L'arbitre a compétence en equity pour rendre une décision de préclusion, et le principe de la préclusion doit de toute évidence être appliqué à la présente affaire afin de prévenir un résultat « manifestement inéquitable ».

 

 

a)   La compétence en equity

 

[21]           La demanderesse n'a pu citer à la Cour ni précédents ni auteurs selon lesquels l'arbitre ne posséderait pas de compétence en equity. L'article 242 du Code canadien du travail investit l'arbitre du pouvoir de fixer lui-même sa procédure et de tenir compte de toute l'information relative à la plainte. L'alinéa 242(4)c) du Code confère à l'arbitre le pouvoir d'ordonner à l'employeur qui a congédié le plaignant de prendre toute mesure qu'il juge « équitable » de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier. La Cour conclut que, si le législateur a expressément conféré à l'arbitre une compétence en equity relativement aux mesures de redressement, il lui a aussi conféré implicitement, dans le cadre du paragraphe 242(2) du Code, une compétence de même nature l'habilitant à examiner la plainte dont il est saisi en tenant compte de la totalité de la preuve, de l'information et des observations qui s'y rapportent.

 

[22]           L'equity a pris naissance en réaction à la rigueur de la common law; voir à ce sujet Jeffrey Berryman, The Law of Equitable Remedies, Toronto, Irwin Law, 2000, chapitre 1, paragraphe  A :

[traduction] La plupart des systèmes juridiques présentent un paradoxe. La raison d'être même d'un système juridique est d'offrir un ordre juste et une orientation morale à l'ensemble des citoyens. Ce but implique qu'on accorde beaucoup d'importance à l'universalité et à la certitude : le citoyen a besoin de pouvoir se reposer sur sa connaissance de l'application des lois et des principes juridiques avant d'entreprendre une activité ou de recourir à un tribunal. Or, paradoxalement, l'attention servile aux règles et aux principes peut en soi perpétuer une injustice [...]

 

 

[23]           Au Canada, les cours supérieures ont une compétence inhérente et d'origine législative aussi bien en common law qu'en equity. Le juge Grange a constaté au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, à la page 432 de l'arrêt LeMesurier et al. c. Andrus (1986), 25 D.L.R. (4th) 424 (C.A.), que [traduction] « [q]uelle que fût à l'origine l'intention du législateur, la fusion du droit et de l'equity est maintenant réelle et totale ». Dans son jugement dissident dans l'affaire MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, la juge McLachlin (qui n'était pas encore juge en chef) a conclu que le législateur pouvait conférer à des tribunaux judiciaires ou administratifs inférieurs certains pouvoirs qu'exercent les cours visées à l'article 96. C'est ainsi qu'elle fait observer au paragraphe 54 :

[...] rien dans la Constitution ne laisse entendre que le Parlement ne peut pas conférer à des tribunaux inférieurs des pouvoirs visés à l'art. 96, qui sont accessoires ou nécessaires à leur fonctionnement, pourvu que cela n'affaiblisse pas les cours visées à l'art. 96. De plus, bien des problèmes complexes créés par la société moderne exigent une réglementation par des organismes administratifs spécialisés. En revanche, une réglementation efficace peut nécessiter un régime d'application interne par des tribunaux spécialisés qui exercent certains pouvoirs traditionnels des cours visées à l'art. 96.

 

 

[24]           L'equity est un pouvoir compris dans la compétence que vise l'article 96 de la Constitution et qui est nécessaire au fonctionnement des tribunaux administratifs. Je constate donc que le législateur a conféré aux arbitres exerçant des pouvoirs dans le cadre de la section XIV du Code canadien du travail une compétence en equity aussi bien explicite qu'implicite.

 

b)   La doctrine de la préclusion

[25]           Le défendeur soutient que la demanderesse a renoncé à son droit d'exciper de l'incompétence de l'arbitre sur la plainte et est précluse de le faire, et la Cour souscrit à sa thèse.

 

[26]           Dans Saskatchewan River Bungalows Ltd. c. La Maritime, Compagnie d'assurance-vie [1994] 2 R.C.S. 490, la Cour suprême du Canada constate que l'application des règles de la renonciation et de la préclusion (ou irrecevabilité) se trouve déclenchée dans le cas où une partie ne devrait pas pouvoir revenir sur son choix lorsqu'il serait injuste pour l'autre partie qu'elle le fasse. On peut lire ce qui suit sous la plume du juge Major, aux paragraphes 18 à 20 :

¶ 18 [...] les deux théories [c'est‑à‑dire celles de la renonciation et de l'irrecevabilité fondée sur une promesse] reposent sur le principe qu'une partie ne devrait pouvoir revenir sur son choix lorsqu'il serait injuste pour l'autre partie qu'elle le fasse [...]

 

¶ 19 Il y a renonciation lorsqu'une partie à un contrat ou à une instance agit de façon à ne pas se prévaloir d'un droit ou d'un vice dont elle connaît l'existence en ce qui concerne l'exécution d'une obligation par l'autre partie [...]

 

¶ 20 On ne conclura donc à la renonciation que si la preuve démontre que la partie qui renonce avait (1) parfaitement connaissance des droits en cause et (2) l'intention claire et consciente d'y renoncer. Le recours à un critère aussi strict est justifié vu l'absence de contrepartie de la part de la partie en faveur de laquelle joue la renonciation. Une interprétation trop large de la renonciation minerait l'exigence de contrepartie contractuelle.

 

 

[27]           Dans la présente espèce, la demanderesse était tenue de faire objection à la plainte dans la version où elle a été déposée aussitôt que possible après avoir été avisée que le défendeur agissait contre elle en vertu du paragraphe 240(1) du Code. La demanderesse a eu, avant l'arbitrage, de nombreuses occasions d'aviser l'arbitre qu'elle s'opposait à l'acte de plainte dans la version où il a été déposé. En ne présentant pas d'objection au moment où elle a été avisée de la plainte, ni durant l'enquête de l'inspecteur désigné sous le régime de l'article 49 du Code, ni durant la phase de médiation qui a précédé l'arbitrage, la demanderesse a démontré qu'elle avait parfaitement connaissance de son droit d'exciper du défaut de la plainte et qu'elle avait l'intention claire et consciente de renoncer à ce droit. En outre, aucun des actes de la demanderesse ne se révèle avoir suffi à rétracter cette renonciation. Elle a décidé de ne pas faire objection à la plainte, et il serait injuste pour le défendeur que la Cour lui permette de revenir sur ce choix.

 

[28]           Les dispositions du Code qui concernent le congédiement injuste (articles 240 à 246) ont pour objet de protéger les travailleurs pris individuellement et d'offrir un mécanisme de règlement efficace des différends relatifs aux plaintes en congédiement injuste.

 

[29]           La demanderesse déclare ce qui suit au paragraphe 6 de son exposé des faits et du droit :

[traduction] La demanderesse et KFL constituent deux personnes morales distinctes. Le Kelowna Flightcraft Group of Companies comprend aussi Kelowna Flightcraft Leasing Ltd., Kelowna Flightcraft R&D Ltd. et Ontario Flightcraft Ltd.

 

 

[30]           La demanderesse et KFL sont deux des cinq entreprises qui composent le groupe en question, lesquelles appartiennent toutes aux mêmes personnes. La Cour estime juridiquement abusif de la part de l'avocat employé par le « Group of Companies » de soutenir qu'un technicien d'entretien travaillant pour l'une des entreprises du groupe, congédié après six années d'emploi, n'a pas porté plainte contre la bonne entreprise de ce groupe. Cela paraît d'autant plus injuste que la demanderesse a participé au processus de médiation préalable à l'arbitrage que prévoit le Code et n'a présenté son objection de forme qu'à l'audience de l'arbitrage. La demanderesse, une fois avisée de la plainte en congédiement injuste, était en droit tenue de présenter son objection aussitôt que cela lui serait raisonnablement possible après le dépôt de cette plainte le 30 avril 2003. Or elle a plutôt décidé de participer au processus de médiation pour régler la plainte à l'amiable. Ce faisant, elle a renoncé à son droit de faire objection à la plainte au motif qu'elle n'était pas l'employeur du défendeur et elle s'est trouvée précluse d'exercer ce droit.

 

[31]           Vu la décision de l'arbitre, la Cour conclut donc, suivant la norme de la décision correcte, que ce dernier a eu raison de se déclarer investi de la compétence en equity pour rendre une ordonnance de préclusion et que la présente affaire commandait manifestement l'exercice de cette compétence.

 

[32]           Par conséquent, la demanderesse, Kelowna Flightcraft Air Charter Limited, a renoncé à son droit d'exciper du fait qu'elle n'était pas l'employeur et elle se trouvait précluse d'exercer ce droit.

 

b)   Le pouvoir de corriger la dénomination de l'employeur

[33]           Pour le cas où la demanderesse n'aurait pas été précluse d'exciper du fait qu'elle n'était pas l'employeur, nous nous demanderons maintenant si l'arbitre avait le pouvoir de corriger la dénomination de l'employeur. La demanderesse soutient à ce propos :

1.         que l'arbitre n'avait pas le pouvoir de modifier la dénomination de l'employeur au motif que ce pouvoir ne lui est pas expressément conféré par le paragraphe 242(2) du Code canadien du travail;

 

2.         que le Parlement a limité les pouvoirs dont il investit l'arbitre par l'alinéa 242(2)c) du Code canadien du travail aux seuls pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par trois alinéas qui se rapportent à la conduite des audiences;

 

3.         que le Parlement a conféré au Conseil canadien des relations industrielles d'autres pouvoirs étendus, notamment – à l'alinéa 16o) du Code canadien du travail – celui de mettre une autre partie en cause à toute étape, pouvoir dont il n'a pas investi l'arbitre.

 

 

[34]           La Cour rejette cet argument. Le Parlement n'avait pas l'intention de limiter la compétence de l'arbitre aux pouvoirs que prévoient les alinéas 16a), b) et c), qui se rapportent seulement à un aspect parmi d'autres de l'arbitrage, soit les pouvoirs de mener les audiences, et de contraindre les témoins à comparaître et à déposer.

 

[35]           Comme nous l'avons vu plus haut, l'arbitre possède une compétence en equity, qui lui est nécessaire pour trancher la plainte. Cette compétence en equity comprend le pouvoir de corriger la dénomination de l'employeur figurant dans la plainte, à condition que ni la demanderesse ni Kelowna Flightcraft Ltd. n'en subissent aucun préjudice. Or, les deux entreprises appartiennent aux mêmes personnes et font partie du même groupe. Il en irait autrement si elles n'étaient pas liées, ne faisaient pas partie du même groupe et n'appartenaient pas aux mêmes personnes. La Cour souscrit à la conclusion de fait de l'arbitre comme quoi l'objection en cause est de pure forme (« d'ordre purement technique ») et a pour but d'empêcher l'arbitre de rendre une décision au fond sur la plainte en congédiement injuste.

 

Les dépens

[36]           La Cour a conclu que la position adoptée par la demanderesse devant l'arbitre était inéquitable et avait pour but d'empêcher ce dernier de trancher de manière rapide et juste le différend du travail en question. L'objection présentée par la demanderesse a retardé l'arbitrage et causé des dépenses au défendeur. La demanderesse a ensuite formé la présente demande de contrôle judiciaire, viciée pour les motifs exposés ci‑dessus. En conséquence, le défendeur a droit aux dépens. Il demande à ce titre une somme de 1 500 dollars, que la Cour estime raisonnable.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire de la décision arbitrale en date du 23 septembre 2004 est rejetée et que la demanderesse est tenue de payer au défendeur la somme de 1 500 dollars au titre des dépens.

 

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 


Appendice A

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

 

1.         Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2

 

PARTIE I

RELATIONS DU TRAVAIL [...]

 

Pouvoirs du Conseil

 

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

 

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et pièces qu'il estime nécessaires pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;

 

a.1) ordonner des procédures préparatoires, notamment la tenue de conférences préparatoires à huis clos, et en fixer les date, heure et lieu;

 

a.2) ordonner l'utilisation des moyens de télécommunication qui permettent aux parties et au Conseil de communiquer les uns avec les autres simultanément lors des audiences et des conférences préparatoires;

 

b) faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

 

c) accepter sous serment, par voie d'affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu'à son appréciation, il juge indiqués, qu'ils soient admissibles ou non en justice;

 

[...]

 

 

PARTIE III

DURÉE NORMALE DU TRAVAIL, SALAIRE, CONGÉS ET JOURS FÉRIÉS [...]

 

SECTION XIV

CONGÉDIEMENT INJUSTE

 

Plainte

 

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

 

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

 

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

 

[...]

 

 

 

Renvoi à un arbitre

 

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

 

 

Pouvoirs de l'arbitre

 

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

 

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

 

 

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

 

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

 

 

Décision de l'arbitre

 

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

 

a) décide si le congédiement était injuste;

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

 

 

 

 

 

Restriction

 

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

 

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

 

 

b)  la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

 

 

Cas de congédiement injuste

 

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

 

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

 

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

 

Caractère définitif des décisions

 

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

Interdiction de recours extraordinaires

 

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

 

 

[...]

 

Inspecteurs

 

249. (1) Le ministre peut désigner quiconque à titre d'inspecteur pour l'application de la présente partie.

PART I

INDUSTRIAL RELATIONS [...]

 

Powers of Board

 

16. The Board has, in relation to any proceeding before it, power

 

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things as the Board deems requisite to the full investigation and consideration of any matter within its jurisdiction that is before the Board in the proceeding;

 

(a.1) to order pre-hearing procedures, including pre-hearing conferences that are held in private, and direct the times, dates and places of the hearings for those procedures;

 

(a.2) to order that a hearing or a pre-hearing conference be conducted using a means of telecommunication that permits the parties and the Board to communicate with each other simultaneously;

 

(b) to administer oaths and solemn affirmations;

 

(c) to receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as the Board in its discretion sees fit, whether admissible in a court of law or not;

 

[...]

 

PART III

STANDARD HOURS, WAGES, VACATIONS AND HOLIDAYS [...]

 

DIVISION XIV

UNJUST DISMISSAL

 

Complaint to inspector for unjust dismissal

 

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

 

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

 

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

 

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

[...]

 

Reference to adjudicator

 

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

 

Powers of adjudicator

 

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

 

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

 

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

 

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

 

Decision of adjudicator

 

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

 

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

 

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

 

Limitation on complaints

 

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

 

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

 

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

 

Where unjust dismissal

 

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

 

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

 

(b)  reinstate the person in his employ; and

 

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

 

Decisions not to be reviewed by court

 

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

No review by certiorari, etc.

 

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

 

[...]

 

Inspectors

 

249. (1) The Minister may designate any person as an inspector for the purposes of this Part.

 


 

2.         Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

 

DÉFINITIONS ET INTERPRÉTATION

 

Définitions

 

2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes règles. [...]

 

« ordonnance » Sont assimilés à une ordonnance :

 

a) un jugement;

 

b) une décision ou autre mesure prise par un office fédéral;

 

c) une décision rendue dans le cadre d'un renvoi visé à l'article 18.3 de la Loi.

 

[...]

 

309. [...]

 

Contenu du dossier du demandeur

 

(2) Le dossier du demandeur contient, sur des pages numérotées consécutivement, les documents suivants dans l'ordre indiqué ci‑après :

 

c) l'ordonnance qui fait l'objet de la demande, le cas échéant;

INTERPRETATION

 

Definitions

 

2. The following definitions apply in these Rules. [...]

 

"order" includes

 

(a) a judgment;

 

(b) a decision or other disposition of a tribunal; and

 

(c) a determination of a reference under section 18.3 of the Act.

 

[...]

 

 

309. [...]

 

Contents of applicant's record

 

(2) An applicant's record shall contain, on consecutively numbered pages and in the following order,

 

 

(c) any order in respect of which the application is made;

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1899‑04

 

INTITULÉ :                                       KELOWNA FLIGHTCRAFT AIR CHARTER LTD.

 

et

 

JAMES WITHERS

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 13 JUIN 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David T. McDonald

POUR LA DEMANDERESSE

 

Personne

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sheppard, MacIntosh & Lados

Simcoe (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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