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Date : 20060427

Dossier : T‑1185‑04

Référence : 2006 CF 528

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

ENTRE :

THOMAS HARVEY SINCLAIR

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. La demande a débuté en tant qu’examen de la décision rendue le 28 avril 2004 par le commissaire de la GRC, qui confirmait la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation (la Commission) de relever le demandeur de ses fonctions au sein de la GRC. Il a été porté à l’attention des parties que certains dossiers médicaux auraient dû être présentés au commissaire et, le 22 décembre 2004, la Cour rendait une ordonnance qui suspendait la procédure jusqu’à ce que le commissaire ait étudié les nouvelles pièces. Le 21 janvier 2005, le commissaire confirmait de nouveau la décision de licencier le demandeur.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur a commencé ses fonctions de gendarme auprès de la GRC en 1991. Avant de se joindre à la GRC, il avait été membre du corps de police de la ville de Prince Albert, en Saskatchewan, et directeur de la police de Macklin, en Saskatchewan également. Il a été affecté au détachement rural de Wetaskiwin, en Alberta, en tant que policier affecté à des tâches générales, à l’achèvement de sa formation de recrue en 1992.

 

[3]               En janvier 1994, l’épouse du demandeur s’est suicidée. Le demandeur a alors pris environ trois semaines de congé, suivies de 18 mois consacrés à des tâches de prévôt, qui consistaient à escorter les prisonniers et à agir comme agent de liaison du tribunal. De 1993 à 1997, les évaluations du rendement du demandeur ont été en général « satisfaisantes », mais quelques lacunes ont été relevées (mauvais classement de documents, lenteur dans la préparation des dossiers d’audience, gestion du temps qui laissait à désirer, habitude d’entreprendre trop de tâches à la fois, manque de concentration). À partir de 1994, la GRC a reçu du cabinet du procureur de la Couronne provinciale diverses plaintes portant sur le travail du demandeur, plaintes qui faisaient état de dossiers d’audience incomplets et d’omissions dans la communication de documents.

 

[4]               En 1997, le demandeur a reçu une lettre dans laquelle étaient exposées les tâches afférentes au poste qu’il occupait. Puis, au début de 1999, le demandeur a reçu un avis de lacunes, où on le priait d’apporter certaines améliorations à son rendement. Le 18 juin 1999, le demandeur était démis de ses fonctions, et en juillet 2000, on lui signifiait un avis de licenciement.

 

[5]               La Commission a été constituée en janvier 2001. L’audience tenue devant elle s’est déroulée du 27 au 31 mai 2002, ainsi que le 18 juin 2002. Durant l’audience, le demandeur a donné quatre raisons pour expliquer son mauvais rendement : la charge de travail était supérieure à la moyenne par rapport à d’autres détachements de l’Alberta, le décès de son épouse, le refus de la GRC de le muter vers un autre détachement, et l’antipathie qu’il ressentait pour son supérieur immédiat. Il a aussi présenté deux rapports médicaux de psychologues; chacun des psychologues a témoigné devant la Commission et a exprimé l’avis que le demandeur souffrait de dépression.

 

[6]               Le 18 juin 2002, la Commission concluait que le motif d’inaptitude avait été établi parce que le demandeur avait omis à plusieurs reprises d’accomplir de façon satisfaisante les fonctions que lui impose la Loi sur la GRC, et cela bien qu’il eût reçu l’aide, les conseils et la surveillance susceptibles de l’aider à s’amender. La Commission a ordonné que le demandeur soit renvoyé de la GRC. Elle s’en est rapportée aux conditions sur lesquelles se fondent les arbitres du travail lorsqu’ils décident si un employé peut être renvoyé pour incompétence, conditions établies par la décision Marine Harbours and Int’l Longshoremen’s & Warehousemen’s Union, Local 351, 12 L.C.A. (3d) 260, à la page 266. Elle a examiné chacune des huit conditions et conclu que chacune d’elles était remplie.

 

[7]               Le demandeur a fait appel de la décision de la Commission au commissaire de la GRC, en alléguant que la Commission n’avait pas bien évalué les diverses conditions. Avant que le commissaire de la GRC ne rende sa décision, le Comité externe d’examen (le CEE) de la GRC avait examiné l’affaire et recommandé le 22 décembre 2003 que l’appel du demandeur soit rejeté. Selon le CEE, la dépression ne pouvait à elle seule expliquer les nombreuses lacunes du demandeur. La conclusion des psychologues selon laquelle le demandeur pouvait réussir comme officier affecté à des tâches générales supposait que le demandeur avait les aptitudes requises pour faire le travail. Selon le CEE, cette supposition était infondée. Il a conclu que les lacunes du demandeur étaient apparues au tout début de sa carrière et que les psychologues n’étaient pas conscients de l’ampleur de ces lacunes.

 

[8]               Le 28 avril 2004, le commissaire de la GRC souscrivait aux conclusions et recommandations du CEE et rejetait l’appel du demandeur. Après que le demandeur eut introduit la présente procédure de contrôle judiciaire, le défendeur s’est rendu compte qu’un recueil de pièces justificatives provenant de la Commission, et que le commissaire aurait dû avoir devant lui avant de rendre sa décision, ne lui avait pas été soumis. Le défendeur a présenté une requête en suspension de la procédure de contrôle judiciaire en attendant que le commissaire, constatant avoir fondé sa décision sur une erreur de droit ou de fait, décide ou non d’annuler ou de modifier sa décision, en application du paragraphe 45.26(7) de la Loi sur la GRC. La requête fut accordée et le commissaire de la GRC, après examen du recueil de pièces justificatives qu’il aurait dû avoir devant lui au moment de sa décision d’avril 2004, a conclu le 21 janvier 2005 que sa décision initiale de rejeter l’appel était la bonne décision.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               Dans sa décision du 28 avril 2004, le commissaire a examiné les antécédents professionnels du demandeur auprès de la GRC, y compris les évaluations de son rendement. Il a relevé que, en 1993, l’évaluation de rendement indiquait que le demandeur avait du mal à s’ajuster à la charge de travail, mais que cela n’était pas considéré comme un point important puisqu’il semblait avoir tiré une leçon de ses erreurs et que l’on avait le sentiment qu’il s’efforcerait de ne pas répéter les manquements relevés. Le commissaire a pris en compte le fait que l’épouse du demandeur s’était enlevé la vie en janvier 1994 et que, même si le rapport d’évaluation de son rendement cette année‑là renfermait quelques critiques, on y lisait aussi que ses difficultés étaient probablement attribuables au décès de son épouse. Le commissaire examinait ensuite les évaluations du rendement effectuées tout au long de la période d’emploi du demandeur auprès de la GRC, évaluations où l’on émettait de nombreux doutes sur le rendement du demandeur, et qui faisaient état de plaintes du cabinet du procureur de la Couronne à propos de la manière dont le demandeur menait les enquêtes et communiquait avec le cabinet du procureur de la Couronne. Le commissaire a examiné l’avis de lacunes qui avait été signifié au demandeur, puis a examiné en détail la décision de la Commission, y compris les documents qui faisaient état d’erreurs et de retards dans le travail du demandeur et qui avaient été présentés à la Commission, de même que les dépositions des divers témoins.

 

[10]           Le commissaire a relevé qu’il n’était pas contesté que la GRC avait précisé la nature du rendement escompté et avait fait connaître ses attentes au demandeur, tout en informant également son supérieur quand il ne répondait pas aux normes. Il a ensuite étudié les arguments du demandeur au regard des autres conditions sur lesquelles se fondent les arbitres du travail lorsqu’ils décident si un employé peut être congédié pour incompétence, à savoir les conditions suivantes : L’employeur avait‑il établi que son rendement était inférieur à la norme? L’employeur l’avait‑il orienté pour l’aide à respecter la norme? L’employeur avait‑il pris des moyens raisonnables pour l’affecter, au sein de l’unité de négociation, à d’autres tâches qui étaient ou auraient pu être conformes à ses aptitudes et à ses compétences? Enfin, la preuve permettait‑elle de conclure à une incapacité persistante de l’employé de respecter la norme? Le commissaire a ensuite examiné les réponses de la GRC à ces arguments, ainsi que les conclusions du CEE, dans lesquelles la décision de la Commission ainsi que la preuve qu’elle avait eue devant elle étaient examinées en détail. Puis il a conclu ainsi :

[TRADUCTION]

Plus précisément, je reconnais que, d’après la preuve, les lacunes de l’officier Sinclair ne sont pas apparues à la suite du décès tragique de son épouse ni après que le caporal Clark fut devenu son supérieur. Je reconnais aussi que la santé psychique et la dépression de l’officier Sinclair ne pouvaient pas à elles seules expliquer les lacunes de son rendement. Il ne travaillait tout simplement pas au niveau auquel on peut s’attendre d’un officier ayant son expérience.

 

Conformément au paragraphe 45.18(1) de la Loi, un membre de la GRC peut être licencié pour motif d’inaptitude, quand il « a omis, à plusieurs reprises, d’exercer de façon satisfaisante les fonctions que lui impose la présente loi ». J’ai appliqué une norme objective en comparant l’officier Sinclair à ses collègues, et je suis arrivé à la conclusion qu’il ne possède pas la capacité d’accomplir les tâches que l’on attend de lui.

 

Je crois aussi que la GRC a rempli l’obligation, que le paragraphe 45.18(1) lui impose, de prodiguer à ses membres, avant un licenciement, « l’aide, les conseils et la surveillance susceptibles de l’aider à s’amender ». Je trouve d’ailleurs que le caporal Clark a montré beaucoup de dynamisme dans la surveillance qu’il a exercée sur l’officier Sinclair. Je souscris à l’opinion du CEE quand il écrivait : [TRADUCTION] « le dossier révèle que le caporal Clark s’est employé, avec énormément de patience et d’énergie, à expliquer à l’appelant la manière dont il pouvait améliorer son rendement ». Par ailleurs, les lacunes de l’officier Sinclair ont été bien étayées par ses supérieurs, en particulier le caporal Clark, qui a surveillé étroitement le travail de l’officier Sinclair et l’a suivi rigoureusement. Je reconnais donc qu’il a été établi que le rendement de l’officier Sinclair était inférieur à la norme.

 

Je partage également l’avis de la Commission et du CEE, pour qui la GRC avait eu raison de ne pas muter l’officier Sinclair dans un autre détachement. Je reconnais avec le CEE que, dans certains cas, la GRC devrait songer à muter un membre [TRADUCTION] « si elle a des raisons de croire que soit l’environnement, soit la relation du membre avec son supérieur constitue des facteurs pouvant expliquer le mauvais rendement du membre ». Toutefois, je ne crois pas que cela ait été le cas de l’officier Sinclair, puisque l’environnement de travail et la relation avec le supérieur n’étaient pas les raisons majeures de son mauvais rendement. À preuve, l’officier Sinclair avait également eu du mal à atteindre un niveau de rendement satisfaisant au cours d’emplois antérieurs avant de se joindre à la GRC. Je crois que l’officier Sinclair n’avait tout simplement pas les compétences requises pour faire son travail au niveau auquel on est en droit de s’attendre d’un officier ayant son expérience. Par conséquent, une mutation n’aurait pas entraîné une amélioration notable du rendement de l’officier Sinclair.

 

À l’instar de la Commission et du CEE, j’ai accordé peu de poids à la preuve produite par les deux témoins experts. La raison en est que les témoins experts se sont fondés presque uniquement sur des informations fournies par l’officier Sinclair. Je ne pense pas que la preuve des témoins experts était indispensable avant que l’on puisse conclure que l’officier Sinclair n’avait pas le rendement que l’on pouvait attendre de lui. La preuve de son rendement passé attestait d’ailleurs manifestement ses lacunes.

 

 

[11]           Dans sa décision datée du 21 janvier 2005, le commissaire relevait qu’il n’avait pas eu devant lui les rapports complets des experts. Compte tenu de l’obligation d’équité procédurale, il a donc réexaminé sa décision afin de savoir s’il devait la modifier ou l’annuler. Il a passé en revue attentivement les rapports des experts, notamment leurs observations sur la dépression du demandeur, mais il a néanmoins conclu que ces rapports ne l’autorisaient pas à modifier sa décision. Il s’est exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

Deuxièmement, l’objet essentiel de mon examen a été de dire si les pièces M‑1 et M‑2, en l’occurrence les rapports médicaux complets produits par les psychologues, le Dr Rowe et le Dr Block, contenaient des renseignements pouvant justifier la modification de ma décision initiale. Je suis en mesure de dire que ma décision de rejeter l’appel de l’officier Sinclair a été prise sur la foi d’une bonne compréhension du contenu des rapports médicaux. La Commission, tout comme le comité externe d’examen, ont examiné la preuve médicale et fondé sur une base solide leur conclusion selon laquelle l’état de santé de l’officier Sinclair n’expliquait pas à lui seul son problème de rendement. Après lecture intégrale des rapports, je n’ai pas changé mon opinion sur ce point.

 

Les deux psychologues ont fait allusion à une surveillance problématique qui, selon eux, expliquait largement le mauvais rendement de l’officier Sinclair; toutefois, le dossier montre clairement que le caporal Clark et d’autres ont agi de bonne foi et ont apporté à l’officier Sinclair un soutien sans faille pour lui permettre d’atteindre un niveau de rendement satisfaisant. J’ai déjà souscrit aux conclusions du comité externe d’examen, et je ne suis pas persuadé que ma position était injustifiée. L’analyse de M. Philippe Rabot, au paragraphe 30 du rapport du comité, que je reprends ici par souci de commodité, représente encore mon opinion :

 

[30] Je suis satisfait de l’explication donnée par la Commission quant aux raisons pour lesquelles la mutation de l’appelant vers un autre détachement n’allait sans doute pas conduire à une amélioration notable de son rendement. Il peut y avoir des cas où la Gendarmerie envisagera à juste titre de transférer un membre dans un autre milieu de travail et de le faire relever d’un autre supérieur si elle a des raisons de croire que soit l’environnement, soit la relation du membre avec son supérieur constitue des facteurs pouvant expliquer le mauvais rendement du membre. Dans le cas de l’appelant, cependant, la preuve a montré que ces éléments ne comptaient pas parmi les raisons les plus importantes à l’origine de ses lacunes. À l’évidence, l’appelant n’avait pas une relation facile avec le caporal Clark, mais c’est le mauvais rendement de l’appelant qui était à l’origine de cette difficulté relationnelle, et non l’inverse. La charge de travail au détachement rural de Wetaskiwin était peut‑être plus élevée que dans d’autres détachements, mais l’incapacité de l’appelant à effectuer son travail avec rapidité n’était en aucun cas l’unique lacune qu’il a manifestée au cours des cinq années qu’il a passées à cet endroit en tant qu’officier affecté à des tâches générales. Dans sa réponse à l’avis d’intention de le licencier, l’appelant attribuait souvent à sa lourde charge de travail les erreurs qu’il avait commises. Toutefois, vu la nature d’un bon nombre de ces erreurs, il est difficile de comprendre en quoi elles auraient pu être de quelque façon rattachées à la charge de travail. Il semble que les deux psychologues qui ont examiné l’appelant n’étaient pas conscients de l’ampleur de ses lacunes, et cela explique probablement pourquoi ils peuvent montrer un tel optimisme quant à sa capacité d’effectuer prochainement ses tâches d’une manière pleinement satisfaisante après qu’il aura subi un traitement pour venir à bout de sa dépression.

 

L’officier Sinclair n’a jamais été très performant, et ses difficultés de rendement n’étaient pas nouvelles. Je prends acte des pièces M‑5 et M‑6, les lettres de soutien et d’appréciation qui ont été produites à l’appui de l’officier Sinclair, mais à mon avis, elles ne prouvent pas qu’il est nécessairement en mesure de travailler au niveau que requiert la GRC.

 

J’éprouve de la sympathie pour l’officier Sinclair, mais, en définitive, je suis d’avis que ma décision de rejeter l’appel était la bonne.

 

 

 

POINTS LITIGIEUX

 

[12]           Trois points doivent être décidés dans la présente demande de contrôle judiciaire :

a) Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer?

b) Le commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a dit que l’état dépressif du demandeur n’expliquait pas à lui seul son mauvais rendement?

c) Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en ne considérant pas l’état dépressif du demandeur comme une déficience, ni tenu compte de l’obligation de répondre à ses besoins prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne?

 

LE RÉGIME LÉGAL

[13]           La partie V de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R‑9, dans sa forme modifiée, constitue le régime intégral applicable au licenciement ou à la rétrogradation d’un membre de la GRC. Le paragraphe 45.18(1) dispose qu’un membre peut être renvoyé pour le motif d’inaptitude, c’est‑à‑dire quand « il a omis, à plusieurs reprises, d’exercer de façon satisfaisante les fonctions que lui impose la présente loi en dépit de l’aide, des conseils et de la surveillance qui lui ont été prodigués pour l’aider à s’amender ».

 

[14]           Avant qu’un membre soit renvoyé, l’officier compétent lui signifie un avis écrit de l’intention de recommander son renvoi. Cet avis renferme le détail des actions et omissions constituant le motif d’inaptitude sur lequel sera fondé le renvoi (Loi sur la GRC, article 45.19). Lorsque le membre concerné a reçu l’avis de l’intention de le renvoyer, il peut demander par écrit à l’officier compétent la révision de sa cause par une commission de licenciement et de rétrogradation (Loi sur la GRC, paragraphe 45.19(4)).

 

[15]           Si un membre demande la révision de sa cause par une commission de licenciement et de rétrogradation, alors trois officiers de la GRC sont nommés et constituent cette commission (Loi sur la GRC, article 45.2). La Commission accorde au membre toute latitude pour comparaître devant elle, y produire une preuve documentaire, y faire des observations et, avec l’autorisation de la Commission, y citer des témoins, soit personnellement, soit par l’intermédiaire d’un avocat ou autre représentant (Loi sur la GRC, paragraphe 45.22(3)). Après l’audience, la Commission décide si le motif d’inaptitude est établi, selon la prépondérance des probabilités. Si le motif d’inaptitude est établi, alors la Commission renvoie le membre (Loi sur la GRC, article 45.23).

 

[16]           Le membre peut faire appel de la décision de la Commission au commissaire, mais, avant de considérer l’appel, le commissaire soumet l’affaire au CEE pour recommandation (Loi sur la GRC, articles 45.24 et 45.25). Après avoir examiné la décision de la Commission, le CEE présente sa recommandation au commissaire, recommandation dont le commissaire tiendra compte pour disposer de l’appel. Le commissaire peut soit rejeter l’appel et confirmer la décision, soit accueillir l’appel (Loi sur la GRC, article 45.26).

 

[17]           Le paragraphe 45.26(6) prévoit que la décision du commissaire « est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n’est pas susceptible d’appel ou de révision en justice » (Loi sur la GRC, paragraphe 45.26(6)). Il est néanmoins possible pour le commissaire d’annuler ou de modifier sa décision si de nouveaux faits lui sont soumis ou s’il constate avoir fondé sa décision sur une erreur de fait ou de droit (Loi sur la GRC, paragraphe 45.26(7)).

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]           Il est établi en droit que la norme de contrôle d’une décision administrative doit être déterminée après analyse pragmatique et fonctionnelle. Ainsi que l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727, à la page 740 :

 

14                Comme l’a établi la jurisprudence de notre Cour, c’est l’analyse pragmatique et fonctionnelle qui s’applique au contrôle des décisions des organismes administratifs : U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63. Dans le cadre de cette analyse, quatre facteurs contextuels doivent être pris en compte : a) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; b) l’expertise de l’organisme administratif par rapport à celle de la cour de révision quant à la question en litige; c) l’objet de la loi et de la disposition particulière; d) la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit -- (Dr Q, précité, par. 26). La jurisprudence enseigne qu’il faut éviter de recourir à une analyse très technique ou mécanique; c’est plutôt l’interaction des quatre facteurs qui détermine le degré de déférence que commande la décision administrative elle‑même. Ce facteur doit en outre être mis en corrélation avec trois normes de contrôle : la décision correcte, la raisonnabilité et la déraisonnabilité manifeste (Ryan, précité, par. 24).

 

[19]           En l’espèce, j’ai été renvoyé à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Millard c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. n° 279 (QL), et à la décision rendue par mon collègue le juge Kelen dans l’affaire Stenhouse c. Canada (Procureur général), 2004 CF 375, [2004] A.C.F. n° 469 (QL). Ces deux précédents concernaient des demandes de contrôle judiciaire déposées à l’encontre de décisions rendues par le commissaire conformément à d’autres dispositions de la Loi sur la GRC (dans le premier cas, le commissaire avait statué sur un grief déposé en vertu de la partie III de la Loi, tandis que dans le second, il agissait en vertu de la partie IV à la suite d’une mesure disciplinaire), mais le raisonnement et le point de vue adoptés par mes collègues sont parfaitement adaptés à la présente affaire, vu les similitudes présentées par le modèle institutionnel et par les pouvoirs conférés au commissaire.

 

[20]           En premier lieu, la clause privative partielle énoncée au paragraphe 45.26(6) semblerait avoir un effet neutre sur la détermination de la norme de contrôle à appliquer, puisqu’elle prévoit expressément le contrôle judiciaire des décisions rendues par le commissaire en vertu de la partie V de la Loi.

 

[21]           Il convient aussi de noter que, avant que le commissaire arrive à une décision, une commission de licenciement et de rétrogradation composée de trois officiers de la GRC, ainsi que le CEE, ont examiné l’affaire. Ce régime décisionnel très détaillé, rempli de garanties procédurales propres à assurer l’audition impartiale de l’officier passible de renvoi, milite certainement en faveur d’une retenue judiciaire. Ainsi que l’écrivait le juge Evans dans l’arrêt Millard, précité, au paragraphe 9, « la cour qui siège en contrôle judiciaire ne peut intervenir dans les décisions rendues par une série de tribunaux qui ont été expressément affectés à cette tâche que dans des circonstances inhabituelles ».

 

[22]           S’agissant des connaissances spécialisées du commissaire par rapport à celles de la Cour, on doit souligner que le commissaire n’arrive à sa décision qu’après avoir pris connaissance de la recommandation du CEE. Encore une fois, les observations faites par le juge Evans dans l’arrêt Millard sont tout à fait à propos. Dans cette affaire, il relevait que les membres de ce comité sont nommés, à titre inamovible, pour un mandat maximal de cinq ans et ne peuvent être destitués par le gouverneur en conseil que pour un motif valable. On voit donc par là manifestement le niveau d’indépendance dont ils bénéficient par rapport à la hiérarchie de la GRC. En outre, le président du comité (qui a rédigé la recommandation dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire Millard) est un membre à temps plein. Tous ces éléments ont conduit le juge Evans à conclure que « à titre d’organisme permanent plutôt que d’organisme ad hoc, on peut s’attendre à ce que le comité acquière une expérience considérable dans l’interprétation et l’application de la Directive, aussi a‑t‑il droit à une certaine retenue judiciaire » (paragraphe 10).

 

[23]           Par ailleurs, les questions auxquelles devait répondre le commissaire se rapportaient au rendement professionnel du demandeur, à la mesure dans laquelle son état dépressif et d’autres facteurs pouvaient l’expliquer, enfin à la manière dont la preuve avait été appréciée. Ce sont là toutes des questions qui relèvent manifestement des connaissances spécialisées du comité, à la recommandation duquel s’en est rapporté le commissaire pour fonder sa décision. Le commissaire avait lui‑même gravi les échelons de la GRC et avait commencé son service en tant que gendarme. Il était au fait des attentes en matière de rendement pour les divers échelons et il est donc en excellente position pour dire si un membre devrait ou non être renvoyé pour inaptitude.

 

[24]           Le demandeur a tenté de faire valoir que la véritable question concernait les droits de la personne et l’obligation de consentir des aménagements, aspects dans lesquels le niveau de connaissance du commissaire est faible. Malheureusement pour le demandeur, le dossier n’indique nulle part qu’il a plaidé ces aspects devant la Commission ou devant le commissaire; ses arguments contestaient plutôt la manière dont la Commission a considéré l’évaluation de son rendement et la manière dont il avait été supervisé. Je reviendrai sur ce point plus loin dans les présents motifs. Qu’il suffise de dire pour l’instant que toutes les questions soulevées entraient dans les connaissances spécialisées du commissaire et du comité, ce qui accroît d’autant la retenue qu’il convient de montrer envers la décision du commissaire.

 

[25]           S’agissant de l’objet du texte législatif, il est clair que l’article 45.18 de la Loi sur la GRC intéresse précisément la capacité des officiers d’accomplir leurs tâches. Dans la décision Stenhouse, précitée, mon collègue le juge Kelen écrivait que la législation reconnaît que la GRC doit avoir le contrôle de sa propre discipline, une nécessité reflétée dans le mécanisme disciplinaire détaillé, qui comprend trois étapes. La Cour relève aussi que les membres de la GRC ne tombent pas sous le coup de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, chapitre P‑33. Elle est donc arrivée à la conclusion que les décisions disciplinaires rendues par le commissaire appellent une certaine retenue. Cela vaut également, me semble‑t‑il, lorsque le commissaire décide de renvoyer un officier. La partie V de la Loi sur la GRC établit, pour la procédure de licenciement, le même régime détaillé en trois étapes que le régime applicable à la procédure disciplinaire de la partie IV, et les membres ne sont pas assujettis à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. C’est la preuve manifeste que le législateur voulait que la GRC soit maîtresse de sa procédure de licenciement, et il faut donc faire preuve de retenue envers les décisions du commissaire.

 

[26]           Finalement, les points soumis au commissaire étaient tous manifestement des points de fait, puisqu’ils concernaient la mesure dans laquelle l’état dépressif du demandeur avait pu influer sur sa capacité d’exercer ses fonctions. Ils appellent donc une norme de contrôle moins stricte.

 

[27]           Finalement, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable ici doit être la norme la moins stricte et que la décision du commissaire devra être confirmée si elle n’est pas jugée manifestement déraisonnable. La seule limite à cette conclusion a trait à l’application de la Loi sur les droits de la personne (la LCDP). La question de savoir si le commissaire aurait dû prendre en compte les dispositions de la LCDP, et en particulier celles de l’article 15 de la LCDP, qui concernent l’obligation de répondre aux besoins de l’employé, est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

LES CONCLUSIONS DE FAIT TIRÉES PAR LE COMMISSAIRE

[28]           Selon le demandeur, le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a dit que la Commission avait considéré l’état dépressif du demandeur et jugé que cet état dépressif ne constituait pas un facteur. Le demandeur soutient que la Commission n’avait pas effectivement reconnu l’état dépressif comme diagnostic clinique d’une maladie mentale, mais avait plutôt compati avec [traduction] « sa perte et son sentiment de dépression ». Le demandeur dit que la Commission avait devant elle une preuve d’expert attestant qu’il souffrait d’un trouble dépressif non traité, et il dit que ses symptômes ont été accentués par les exigences de son travail. Le demandeur soutient aussi que le commissaire a commis une erreur en décidant d’accorder moins de poids à la preuve d’expert parce qu’elle reposait principalement sur des renseignements fournis par le demandeur; il dit que le diagnostic de dépression n’était pas simplement fondé sur ce qu’il avait dit aux psychologues, mais qu’il était le résultat d’une évaluation neuropsychologique complète et d’une batterie de tests. Le commissaire, de faire valoir le demandeur, a erronément conclu que la Commission avait cherché à savoir si le trouble mental du demandeur pouvait expliquer son mauvais rendement, et cela parce que les membres de la Commission (ainsi que le CEE) avaient décrit à tort comme « sentiment » de dépression le diagnostic médical de dépression prononcé par les experts. La Commission, et ensuite le commissaire, ont donc tiré une conclusion de fait qui était contraire à la preuve.

 

[29]           Le demandeur affirme aussi que le commissaire n’a pas bien compris la preuve d’expert quand il a dit que, puisque le mauvais rendement du demandeur avait précédé le suicide de son épouse, il fallait en conclure que l’état dépressif n’expliquait pas à lui seul les lacunes du rendement du demandeur. Cela montre à son avis une incompréhension de la distinction à faire entre une maladie mentale et un agent stressant. Les témoignages des spécialistes, selon lui, permettent manifestement de dire qu’il souffrait de dépression bien avant le suicide de son épouse. Le suicide de son épouse n’était pas la cause de l’état dépressif, mais il a plutôt exacerbé la maladie non traitée. Il était donc déraisonnable pour le commissaire de conclure que, même avec un traitement couronné de succès contre la dépression, le demandeur ne serait probablement pas en mesure d’acquérir les compétences requises pour accomplir les tâches d’un gendarme affecté à des fonctions générales. De l’avis du demandeur, il s’agit là d’une erreur de fait qui est si grossière et si capitale pour la décision qu’elle équivaut à une erreur de compétence.

 

[30]           Bien entendu, le défendeur conteste pour l’essentiel ce raisonnement. L’avocate du défendeur dit que, à toutes les instances, y compris le commissaire, le diagnostic de l’état dépressif du demandeur a été admis. Le défendeur reconnaît que le commissaire, tout comme la Commission, a accordé peu de poids à la preuve d’expert, parce qu’elle était fondée pour l’essentiel sur les informations que le demandeur avait communiquées aux médecins; le défendeur soutient que le commissaire a eu raison d’apprécier la preuve de cette manière, puisque l’un des spécialistes avait admis que sa conclusion était fondée sur ce que le demandeur lui avait dit et sur la correspondance de nature disciplinaire reçue de la GRC. Le défendeur fait aussi valoir que les tests neuropsychologiques n’avaient pas révélé un diagnostic de dépression.

 

[31]           Le défendeur dit aussi que le raisonnement ayant conduit à la conclusion du commissaire est étayé par la conclusion du CEE selon laquelle les spécialistes n’étaient pas au fait de l’ampleur des lacunes du rendement du demandeur.

 

[32]           Le défendeur ajoute que ni l’un ni l’autre des spécialistes n’ont dit exactement à quel moment avait débuté l’état dépressif du demandeur; l’un d’eux avait mentionné que le demandeur avait connu « le stress et la détresse » avant le suicide de son épouse, mais il n’avait pas cru déceler une dépression chez le demandeur avant le décès de son épouse. De la même façon, l’autre spécialiste avait indiqué que l’état du demandeur avait comporté des « éléments dépressifs » avant le décès de son épouse, mais qu’il s’en était sorti. Le défendeur fait donc valoir que le commissaire n’avait devant lui aucun élément montrant que le demandeur avait souffert de dépression au cours des trois premières années de son emploi ou que la dépression aurait pu expliquer son mauvais rendement. L’avocate du défendeur affirme donc que le commissaire, après examen du rendement du demandeur au cours de ses trois premières années de service, est arrivé à la conclusion que les problèmes observés durant les trois premières années étaient les mêmes que les problèmes observés plus tard durant la carrière du demandeur et que l’état dépressif ne pouvait pas expliquer la totalité des problèmes du demandeur.

 

[33]           L’examen des deux décisions du commissaire montre qu’il a pris en compte la preuve d’expert se rapportant au trouble dysthymique et à l’état dépressif, ainsi que les circonstances de la vie du demandeur, et en particulier le décès prématuré de son épouse. Après lecture du rapport du CEE, sur lequel est fondée la décision du commissaire, je suis également persuadé que l’état de santé du demandeur a été minutieusement analysé. Le commissaire a d’ailleurs pris en compte expressément les rapports tout entiers des spécialistes dans sa seconde décision, ainsi qu’il l’écrivait dans l’extrait suivant :

[TRADUCTION]

À l’époque où j’ai disposé de l’appel, j’avais pris connaissance du contenu des pièces justificatives, et plus précisément des rapports médicaux, à la faveur des nombreuses mentions qui en étaient faites dans le rapport du CEE, ainsi qu’à la faveur des transcriptions de l’audience, mais je suis néanmoins d’avis que l’absence des pièces originales constitue une erreur d’une gravité suffisante pour que soit invoqué le paragraphe 45.26(7) de la Loi sur la GRC. (Décision de janvier 2005, à la page 4)

 

 

[34]           Le commissaire a donc été manifestement attentif à la preuve d’expert produite par le demandeur et concernant sa santé mentale. Plus précisément, il a considéré les conclusions du Dr Rowe, pour qui le demandeur souffrait d’un trouble dépressif non traité qui s’était [traduction] « exacerbé et prolongé » en raison des exigences du milieu de travail, ainsi que l’évaluation du Dr Block, pour qui [traduction] « la constellation des symptômes présents chez le demandeur correspondait aux critères diagnostiques du trouble dysthymique ». Le commissaire a néanmoins jugé que les troubles mentaux du demandeur ne pouvaient pas en tant que tels expliquer les nombreuses lacunes de son rendement, et les motifs qu’il a exposés pour arriver à cette conclusion ne sauraient être écartés comme contraires à la raison. Il en va de même pour la manière dont il a considéré la preuve d’expert. Il était certainement fondé à accorder peu de poids aux deux évaluations médicales, puisque les spécialistes qui les avaient rédigées n’avaient qu’une connaissance limitée des évaluations du rendement du demandeur et puisqu’ils n’avaient pas exprimé de conclusions absolues sur l’effet réel de l’état dépressif du demandeur et sur la date précise du début de cet état dépressif.

 

[35]           Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve soumise au commissaire. La question n’est pas de savoir si je serais arrivé à la même conclusion, mais de savoir si la décision rendue par le commissaire mérite d’être maintenue. Après examen du dossier, il m’est impossible de dire que sa décision était manifestement irrationnelle ou manifestement contraire à la raison. On ne saurait donc dire que sa décision était manifestement déraisonnable.

 

L’OBLIGATION DE RÉPONDRE AUX BESOINS DE L’EMPLOYÉ

[36]           Le demandeur affirme que le commissaire, après avoir reconnu qu’il souffrait de dépression, aurait dû aller plus loin et conclure que la dépression constituait une déficience selon l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon lui, le défendeur a donc commis une erreur en ne tenant pas compte de l’obligation de la GRC de répondre aux besoins du demandeur ainsi que le prévoit l’article 15 de la LCDP. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.) (Grief Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, le demandeur soutient que cette obligation contraint l’employeur à évaluer l’état de santé actuel de l’employé, ses chances de guérison et sa capacité d’exécuter un autre travail. La GRC ne s’étant conformée à aucune de ces exigences, le demandeur dit que le commissaire a commis une erreur en n’analysant pas ces aspects, et que ce manquement devrait être évalué selon la norme de la décision correcte.

 

[37]           Il m’est impossible de partager l’avis du demandeur, pour au moins deux raisons. D’abord, il n’a pas évoqué ces arguments devant la Commission ni devant le commissaire, et il n’a prétendu à aucun moment que son état dépressif constituait une déficience visée par la LCDP. Plus précisément, il appert de l’avis d’appel comme de la décision elle‑même du commissaire que le demandeur n’a même pas fait allusion à ces motifs d’appel. Or, il est bien établi que la Cour ne contrôlera pas la décision d’un tribunal d’après une question qui n’a pas été soulevée devant le tribunal à moins que la question soulevée n’intéresse la compétence. Dans la décision Regional Cablesystems Inc. c. Wygant, 2003 CFPI 236, [2003] A.C.F. n° 321 (QL), le juge Gibson écrivait ce qui suit, au paragraphe 12 :

En règle générale, la Cour ne révise pas une décision comme celle de l’arbitre en l’espèce sur une question qui n’a pas été débattue devant le tribunal. Dans l’arrêt Toussaint c. Canada (Conseil canadien des relations du travail), (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.), le juge Décary, au nom de la Cour, s’exprimait ainsi au paragraphe 5 :

 

… Or cette question, même en admettant pour les fins du débat qu’elle eût pu être plaidée en l’espèce devant un arbitre et subséquemment devant le Conseil, ne l’a pas été et il est clairement établi que cette Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, ne peut pas trancher une question qui n’a pas été soulevée devant le tribunal administratif...

 

Voir aussi : C.L. c. Nlha’7kapmx Child and Family Services, 2002 CFPI 348, [2002] A.C.F. n° 493 (C.F.) (QL); SOCAN c. Association canadienne des fournisseurs Internet, 2001 CAF 4, [2001] A.C.F. n° 166 (C.A.F.) (QL); Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.F.).

 

 

[38]           Même si j’étais disposé à considérer l’argument du demandeur, compte tenu du fait que la Loi canadienne sur les droits de la personne est un texte de nature quasi constitutionnelle, et aussi parce que la règle mentionnée dans le paragraphe précédent devrait être assouplie quand un nouvel argument est un argument de nature juridique plutôt qu’un argument fondé sur des faits nouveaux, je ne pense pas que le demandeur pourrait obtenir gain de cause. Il faut se rappeler que, selon le commissaire, le rendement insuffisant du demandeur avait été signalé dans les premières évaluations de son rendement, bien avant l’apparition de son état dépressif. Il a donc conclu que sa santé mentale ne pouvait pas expliquer les faiblesses de son rendement. J’ai déjà dit que cette conclusion n’est pas manifestement déraisonnable. On ne saurait donc affirmer que le demandeur a été renvoyé à cause d’une déficience, d’une manière contraire à l’article 7 de la LCDP. Si le demandeur a été renvoyé, ce n’est pas à cause de son état dépressif, mais parce qu’il ne pouvait pas exercer de façon satisfaisante les fonctions afférentes à son poste. Par conséquent, le commissaire n’était pas tenu de considérer la question des aménagements possibles.

 

[39]           Pour tous les motifs susmentionnés, j’arrive à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1185‑04

 

 

INTITULÉ :                                       THOMAS HARVEY SINCLAIR

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 AVRIL 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angela Byrne                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Balji Rattan                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Code Hunter LLP                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

 

John H. Sims, c.r.                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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