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Date : 19990922

Dossier : IMM-4824-98

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 1999.

En présence de M. le juge Pelletier

ENTRE :

ACIKA MILETIC,

demanderesse,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS D'ORDONNANCE et ORDONNANCE

[1]         Dans quelles circonstances un résident permanent perd-il son statut? Voilà la question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire. L'affaire porte sur une citoyenne yougoslave de 81 ans qui a obtenu le statut de résidente permanente au Canada en 1976. Elle est demeurée au Canada jusqu'en 1983, année où elle a quitté le pays pour rejoindre son fils en Yougoslavie puis aux États-Unis. Elle a éventuellement obtenu le statut de résidente permanente aux États-Unis de même qu'une carte verte. En 1993, après s'être brouillée avec l'épouse de son fils, elle est retournée au Canada en provenance de San Diego, où elle avait vécu en compagnie de son fils et de l'épouse de celui-ci. Vu la façon dont elle a tenté de revenir au Canada, elle se trouve dans une situation très inconfortable.

[2]         Lorsque la demanderesse, Mme Miletic, est retournée au Canada en août 1993, elle s'est servie de sa carte verte pour entrer au pays en tant que visiteuse. On ne lui a pas demandé de présenter son passeport et on ne l'a pas interrogée à propos de sa situation. Par la suite, elle s'est rendue compte qu'elle devait clarifier son statut et, suivant le conseil d'un consultant en immigration, elle a décidé de revendiquer le statut de réfugiée sur le fondement de son vécu en Yougoslavie. Elle a été interrogée à propos de cette demande par un agent d'immigration le 4 janvier 1994; à cette occasion, la question de son statut d'immigrante ayant reçue le droit de s'établir a été examinée. L'agent d'immigration disposait d'une déclaration que la demanderesse avait faite le 8 décembre 1993, dans des circonstances que l'on ignore, dans laquelle elle avait dit : [TRADUCTION] « Quand j'ai quitté le Canada pour la Yougoslavie il y a dix ans, j'avais l'intention de cesser de résider au Canada » . La déclaration était accompagnée d'un certificat d'interprète signé qui n'avait pas été dûment rempli. Par suite de l'entrevue, l'agent d'immigration a écrit à la demanderesse, le 18 mars 1994, que :

[TRADUCTION] « Je suis d'avis que votre absence du Canada, qui a duré dix ans, de même que les faits liés à celle-ci, tels que vous les avez présentés, y compris votre propre aveu, font état de votre intention de cesser de résider en permanence au Canada » .

[3]         Cela a vraisemblablement été écrit en fonction de l'al. 24(1)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, qui prévoit :


24. (1) A person ceases to be a permanent resident when

(a) that person leaves or remains outside Canada with the intention of abandoning Canada as that person's place of permanent residence; or


24. (1) Emportent déchéance du statut de résident permanent_:

a) le fait de quitter le Canada ou de demeurer à l'étranger avec l'intention de cesser de résider en permanence au Canada;


[4]         L'agent d'immigration a poursuivi en commentant les exigences du par. 24(2) de la Loi de la façon suivante :

[TRADUCTION] « Le paragraphe 24(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 prévoit qu'une personne qui séjourne à l'étranger plus de 183 jours au cours d'une période de douze mois est réputée avoir cessé de résider en permanence au Canada. Une conclusion définitive à l'égard de cette question ne peut être tirée que par un arbitre, dans le cadre d'une enquête » .

[5]         En fait, le par. 24(2) permet à l'agent d'immigration de tirer une conclusion :


(2) Where a permanent resident is outside Canada for more than one hundred and eighty-three days in any one twelve month period, that person shall be deemed to have abandoned Canada as his place of permanent residence unless that person satisfies an immigration officer or an adjudicator, as the case may be, that he did not intend to abandon Canada as his place of permanent residence.


(2) Le résident permanent qui séjourne à l'étranger plus de cent quatre-vingt-trois jours au cours d'une période de douze mois est réputé avoir cessé de résider en permanence au Canada, sauf s'il convainc un agent d'immigration ou un arbitre, selon le cas, qu'il n'avait pas cette intention.


[6]         L'agent d'immigration a ensuite examiné la revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention que la demanderesse avait présentée. L'agent d'immigration a informé la demanderesse qu'il avait reçu un rapport selon lequel celle-ci était visée par le paragraphe 27(2) de la Loi (plus précisément, elle était une personne qui était entrée au Canada en qualité de visiteur et y est demeurée après avoir perdu cette qualité), et qu'il avait demandé la tenue d'une enquête devant la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

[7]         Le 18 octobre 1994, un arbitre a tenu une audition à l'issue de laquelle il a pris une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle à l'égard de la demanderesse au motif qu'elle appartenait à une catégorie de personnes non admissibles du fait qu'elle serait incapable de subvenir à ses besoins et qu'elle était une personne qui était entrée au Canada en qualité de visiteur et y était demeurée après avoir perdu cette qualité.

[8]         Dans son affidavit, la demanderesse dit que, suivant le conseil de son avocat de l'époque (qui a depuis perdu le droit d'exercer sa profession), elle s'est présentée à un consulat américain le 17 janvier 1995 pour rendre sa carte verte. Elle a vraisemblablement fait cela parce que si elle avait conservé son statut d'étrangère ayant le droit de résider aux États-Unis, sa revendication du statut de réfugiée aurait automatiquement été rejetée vu qu'elle pouvait vivre dans un endroit sécuritaire et qu'elle n'avait donc pas besoin de la protection du Canada.

[9]         La revendication du statut de réfugiée déposée par la demanderesse a été entendue le 21 mars 1995. La question de son statut aux États-Unis avait été soulevée lors d'une audition en juillet 1994, audition qui avait été ajournée afin de permettre à l'agent d'audience de s'enquérir du statut de la demanderesse auprès des autorités américaines. À la reprise de l'audition en mars, la Section du statut de réfugié (la SSR) a été informée du fait que la demanderesse était détentrice d'une carte verte à l'époque où elle a déposé sa demande, et que cette carte (et, partant, le statut dont elle fait état) avait été rendue aux autorités américaines après l'audition de juillet 1994. La SSR a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[10]       Madame Miletic a demandé l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR, mais son avocat a omis de déposer son dossier de la demande comme il devait le faire et, le 22 septembre 1995, la demande d'autorisation a été rejetée. On a ensuite apprécié la demanderesse dans le cadre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada pour déterminer si elle serait personnellement exposée à un risque [TRADUCTION] « objectivement identifiable de perdre sa vie ou de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain si elle devait quitter le Canada » . Le 7 octobre 1997, elle a été informée qu'il avait été déterminé qu'elle ne serait pas exposée à l'un ou l'autre de ces risques si elle était renvoyée en Yougoslavie.

[11]       La mesure d'interdiction de séjour conditionnelle prise le 18 octobre 1994 étant devenue exécutable, la demanderesse a reçu une convocation le 9 septembre 1998 lui enjoignant de se présenter à l'Aéroport Pearson le 30 septembre 1998 afin d'être renvoyée en Yougoslavie. Le 29 septembre 1998, elle a obtenu qu'il soit sursis à l'exécution de cette mesure jusqu'à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit entendue.

[12]       La demande de contrôle judiciaire demande à la Cour d'examiner [TRADUCTION] « le fait que l'agent d'immigration a omis de prendre une décision lorsqu'il a omis d'interroger la demanderesse sur ce qu'elle entendait faire relativement à son statut de résidente permanente » , l'office fédéral en question étant décrit comme étant [TRADUCTION] « un agent d'immigration qui interroge une demanderesse sur ce qu'elle entendait faire relativement à son statut de résidente permanente » . À l'audition de la demande, l'argumentation a porté principalement sur la question de savoir si la demanderesse avait droit à une quelconque audition dans le cadre de laquelle la question de son abandon du statut d'immigrante ayant reçue le droit de s'établir serait tranchée.

[13]       L'argument de la demanderesse est que, malgré le fait qu'elle soit entrée au pays en tant que visiteuse en présentant sa carte verte et qu'elle ait par la suite revendiqué le statut de réfugiée, on aurait dû l'interroger sur son statut de résidente permanente, une enquête aurait dû être ouverte sur cette question et, en cas de résultat défavorable, elle aurait dû avoir le droit d'interjeter appel de ce résultat. Cet argument suppose que la demanderesse est visée par le par. 24(2) de la Loi, qui prévoit que l'agent d'immigration ou l'arbitre doit être convaincu que la demanderesse n'avait pas l'intention de cesser de résider en permanence au Canada, malgré son absence de dix ans. Le ministre, lui, soutient que la présente affaire est visée par l'al. 24(1)a) de la Loi, étant donné que la demanderesse avait, en fait, cessé de résider en permanence au Canada lorsqu'elle avait quitté le pays en 1983, une conclusion de fait qui est étayée par la preuve. En outre, même si l'affaire est visée par le par. 24(2) comme le prétend la demanderesse, un agent d'immigration qui, de fait, a eu une entrevue avec cette dernière n'a pas été convaincu qu'elle n'avait pas eu l'intention de cessé de résider au Canada. De toute façon, il a été satisfait aux exigences de l'art. 24 et la demande n'est pas fondée.

[14]       Compte tenu de ce qui précède, il est clair que la présente demande de contrôle judiciaire [TRADUCTION] « du fait que l'agent d'immigration a omis de prendre une décision lorsqu'il a omis d'interroger la demanderesse sur ce qu'elle entendait faire relativement à son statut de résidente permanente » ne saurait être accueillie. Madame Miletic a été interrogée à propos de son statut de résidente permanente, et un agent d'immigration a bel et bien tirer une conclusion en ce qui concerne son statut. En fait, ce que la demanderesse conteste, c'est la conclusion dans laquelle l'agent d'immigration a statué que Mme Miletic avait cessé de résider en permanence au Canada. L'avocat fait valoir qu'une enquête aurait dû être ouverte sur cette question et que la demanderesse aurait dû bénéficier du droit d'interjeter appel de la décision. Si quelqu'un aurait dû faire quelque chose, c'est bien Mme Miletic, et elle aurait dû agir en 1994. Une décision a été rendue le 18 mars 1994, selon laquelle Mme Miletic avait cessé de résider en permanence au Canada en raison soit de l'al. 24(1)a), soit du par. 24(2). La mesure de renvoi conditionnel qu'un arbitre avait prise à l'égard de la demanderesse le 18 octobre 1994 aurait pu faire l'objet d'un appel devant la Section d'appel, si on suppose que Mme Miletic avait maintenu qu'elle était une résidente permanente. La Section d'appel a la compétence pour entendre et trancher des questions de compétence. Voir le paragraphe 69.4(2) de la Loi sur l'immigration. De façon subsidiaire, la mesure pouvait faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, car l'arbitre qui l'avait prise n'avait pas la compétence voulue selon le par. 27(2) de la Loi, qui s'applique aux personnes autres que les citoyens et résidents permanents du Canada. Une telle demande n'a pas été présentée à l'époque visée. Même si j'avais pu entendre la demande de contrôle judiciaire de la décision selon laquelle Mme Miletic avait cessé de résider en permanence au Canada, je n'aurais pas, de toute façon, infirmé les conclusions de l'agent d'immigration. Il y avait d'amples éléments de preuve pour étayer la conclusion de l'agent d'immigration, même si on ne tient pas compte de la déclaration contestée. Le départ de la demanderesse du Canada pour rejoindre son fils en Yougoslavie puis aux États-Unis, le fait qu'elle a obtenu le statut d'étrangère ayant le droit de résider aux États-Unis, son entrée au Canada en tant que visiteuse, et sa revendication du statut de réfugiée sont tous des facteurs susceptibles d'étayer la décision de l'agent d'immigration. En bout de ligne, même si Mme Miletic obtenait maintenant ce qu'elle aurait dû chercher à obtenir en 1994, le résultat serait le même.

[15]       Il est un peu troublant de renvoyer une femme de 80 ans dans une région telle la Yougoslavie, où les réseaux de soutien sont insuffisants et la misère abonde. Malheureusement, notre Cour ne peut rien faire pour la demanderesse, car elle n'a pas le pouvoir discrétionnaire de permettre qu'on déroge à la Loi sur l'immigration. C'est le ministre qui détient un tel pouvoir discrétionnaire. Madame Miletic parviendra peut-être à convaincre le ministre que son cas mérite une attention particulière.

[16]       L'avocat de la demanderesse propose que les questions suivantes soient certifiées :

            1-Le défendeur prive-t-il le demandeur de l'équité procédurale lorsqu'il omet de tenir une enquête après qu'un agent d'immigration a décidé que ce dernier avait cessé de résider en permanence au pays en vertu du par. 24(2) de la Loi sur l'immigration?

            2-Un pouvoir discrétionnaire permet-il de refuser la tenue d'une enquête après qu'un agent d'immigration a décidé que le demandeur avait cessé de résider en permanence au pays en vertu du par. 24(2) de la Loi sur l'immigration?

[17]       Je refuse de certifier ces questions car elles ne découlent pas des faits de la présente affaire, dans laquelle la demanderesse est revenue au Canada en tant que visiteuse et a, par la suite, décidé de revendiquer le statut de réfugiée au sens de la Convention au lieu d'établir le bien-fondé de sa prétention selon laquelle elle possédait le statut de résidente permanente.

O R D O N N A N C E

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                     « J.D. Denis Pelletier »       

                                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                             IMM-4824-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Acika Miletic c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               le 8 septembre 1999

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR M. LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                                 22 septembre 1999

ONT COMPARU :

M. M. Max Chaudhary                                                              pour la demanderesse

Mme Marissa B. Bielski                                                                         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. M. Max Chaudhary                                                              pour la demanderesse

North York (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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