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Date : 20020903

Dossier : IMM-4427-01

Référence neutre : 2002 CFPI 867

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

VELUPPILLAI PUSHPANATHAN

demandeur

- et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration [ci-après la Loi] visant la décision de la section du statut de réfugié [ci-après la section du statut] rendue le 23 août 2001 par laquelle celle-ci a statué que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS[1]

[2]                Le demandeur est né le 23 mars 1955 à Alaveddy, Mallakam, au Sri Lanka.

[3]                Le demandeur allègue qu'à l'époque où il était étudiant au collège chrétien de Kopay en 1972, il a milité pacifiquement contre les [TRADUCTION] « lois discriminatoires » du « parti politique communal cinghalais qui était au pouvoir » et a été arrêté et détenu pendant quatre (4) jours. Il prétend qu'il a fait l'objet d'attaques physiques graves pendant sa détention.

[4]                Il allègue de plus qu'en septembre 1975, à la suite de l'assassinat du maire de Jaffna, M. Duraiappah, il a été agressé et incarcéré pendant quatre (4) jours, en compagnie de nombreux autres Tamouls.

[5]                Il prétend également qu'une fois que les forces de sécurité srilankaises ont su qu'il était membre de la Ligue des jeunes du Front uni de libération tamoul (TULF), il a été [TRADUCTION] « frappé à coups de bâtons et de crosses de fusil en public » .

[6]                En outre, le demandeur allègue que pendant [TRADUCTION] « l'émeute anti-Tamouls d'août 1977 qui a touché l'île au complet » l'armée srilankaise (SLA) a tué deux (2) des employés de sa ferme pendant le pillage et la destruction de son exploitation agricole.


[7]                En mars 1981, il allègue que les forces de sécurité du Sri Lanka ont pénétré dans sa maison, au cours d'une opération massive de ratissage et de recherche qui a eu lieu après un vol de banque, et qu'il a été l'objet d'une [TRADUCTION] « attaque féroce » .

[8]                En avril 1983, le demandeur déclare qu'il a été la cible des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) qui voulaient l'assassiner parce qu'il avait désobéi à leurs ordres et qu'il n'avait pas boycotté les élections du gouvernement local.

[9]                Il allègue également qu'il a été forcé de payer des pots-de-vin à cinq (5) reprises.

[10]            Le demandeur prétend avoir eu des difficultés avec le Front populaire de libération révolutionnaire de l'Eelam (EPRLF) en Inde, un autre groupe militant tamoul pro-gouvernement au Sri Lanka.

[11]            Enfin, il prétend que les LTTE ont appris sa [TRADUCTION] « véritable identité » et [TRADUCTION] « ont commencé à surveiller de très près ses mouvements » . C'est pour cette raison que le demandeur a décidé de fuir l'Inde, où il résidait à l'époque, pour venir au Canada.


LA CONDAMNATION DU DEMANDEUR

[12]            En 1987, le demandeur a été accusé et reconnu coupable de complot en vue de faire le trafic d'héroïne au Canada et il a été incarcéré. Le demandeur s'est rendu complice des LTTE en aidant à réunir des fonds au moyen du trafic de stupéfiants. Le demandeur se trouvait parmi huit (8) personnes qui ont été arrêtées à Toronto. Cette mission était appelée « Operation Cheap » . Le demandeur a été condamné à huit (8) ans de prison, dont il n'a purgé que deux ans et quart (2 ¼) dans un pénitencier fédéral.

LA PREMIÈRE AUDITION DE LA SECTION DU STATUT

[13]            En septembre 1991, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. À la première audition qui s'est tenue en janvier 1993, la section du statut a conclu que le trafic de stupéfiants était contraire aux buts et aux principes de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [ci-après la Convention], et qu'il était exclu de la protection accordée aux réfugiés au sens de la Convention par la section Fc) de l'article premier de la Convention.

[14]            La Section de première instance de la Cour fédérale et la Cour d'appel ont toutes les deux confirmé la décision de la section du statut.


L'AUDITION DE NOVO DE LA SECTION DU STATUT

[15]            En 1998, la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982 a accueilli l'appel du demandeur en statuant que la section du statut avait mal interprété la section Fc) de l'article premier de la Convention. S'exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême, le juge Bastarache écrivait ceci :

Le complot en vue de faire le trafic d'un stupéfiant n'est pas une violation visée par la section Fc) de l'article premier. Même si le trafic international des drogues constitue un problème extrêmement grave que les NU ont tenté de résoudre en prenant des mesures extraordinaires, en l'absence d'indications claires que ce trafic est considéré par la communauté internationale comme une violation suffisamment grave et soutenue des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution, soit parce qu'il a été désigné expressément comme un acte contraire aux buts et aux principes des NU, ou parce qu'il est visé par des instruments internationaux précisant par ailleurs que ce trafic est une violation grave des droits fondamentaux de la personne, des personnes ne doivent pas être privées du bénéfice des protections essentielles contenues dans la Convention pour avoir commis de tels actes. [...]

[16]            Au cours de la deuxième audition de la section du statut, qui constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a prétendu avoir une crainte fondée d'être persécuté s'il était renvoyé au Sri Lanka pour les motifs de la race (Tamoul), de la religion (Hindouisme), de la nationalité (Tamoul du Sri Lanka), de ses opinions politiques (imputées) et de son appartenance à un groupe social particulier (jeune Tamoul).

[17]            La section du statut a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés au sens de la Convention par les sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention à cause des crimes contre l'humanité qu'il a commis et de sa complicité à des activités terroristes associées aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE).


LA DÉCISION CONTESTÉE

[18]            La décision de la section du statut est un document exhaustif et détaillé qui tient compte de l'audition en six (6) parties. La section du statut présidée par James C. Simeon, à la décision de laquelle M. Clive Joakim a souscrit, en est venue à la conclusion suivante à la page 23 :

[TRADUCTION]

CONCLUSION

Donc, après avoir examiné la preuve présentée, et pour les motifs donnés ci-dessus, la section du statut a conclu que Veluppillai Pushpanathan ne peut faire l'objet d'un examen en vue de l'octroi du statut de réfugié au sens de la Convention en application des sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention. Par conséquent, la section du statut conclut que Veluppillai Pushpanathan n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]            La section F de l'article premier de la Convention refuse la protection de la Convention à certaines personnes bien définies.


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[...]

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international

instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

[...]

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

(c) He has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.



LA POSITION DU DEMANDEUR

[20]            Le demandeur conteste la décision d'exclusion rendue par la section du statut pour les motifs suivants : a) la section du statut a utilisé une norme de preuve trop faible compte tenu du fait que l'arrêt Pushpanathan, précité, a relevé cette norme; b) les LTTE ne sont pas une organisation terroriste poursuivant des fins illimitées et brutales; c) le demandeur ne s'est pas rendu complice de crimes contre l'humanité; et d) des déductions inappropriées ont été faites concernant la complicité du demandeur.

LA POSITION DU DÉFENDEUR

[21]            La position du défendeur est la suivante : a) l'arrêt Pushpanathan, précité, n'a pas modifié la norme de preuve relative aux cas d'exclusion visée par la section F de l'article premier; b) les LTTE sont une organisation poursuivant des fins limitées et brutales, et même si les LTTE sont qualifiés de façon différente, les activités du demandeur tombent quand même sous le coup de la section F de l'article premier; c) le demandeur s'est rendu complice de crimes contre l'humanité; et d) la manière dont la section du statut a traité la preuve relevait de son domaine d'expertise et de compétence en tant que juge des faits.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]            1.         La section du statut a-t-elle commis une erreur concernant la norme de preuve?

2.         La section du statut a-t-elle commis une erreur en concluant que les LTTE sont une organisation terroriste poursuivant des fins limitées et brutales?

3.         La section du statut a-t-elle commis une erreur en statuant que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité?

4.         La section de statut a-t-elle commis une erreur en faisant des déductions inappropriées au sujet de la complicité du demandeur?

L'ANALYSE

La norme de contrôle applicable à la section du statut

[23]            Il est tout d'abord nécessaire de définir la norme de contrôle que la présente Cour doit appliquer à l'égard des décisions de la section du statut. De façon générale, la norme de contrôle relative à des questions de fait et de droit est la norme de la décision manifestement déraisonnable, alors que pour les questions de droit pur, la norme est celle de la décision correcte.

[24]            Dans la décision Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (C.F. 1re inst.), le juge Evans, maintenant juge à la Cour d'appel, a déclaré ce qui suit :

[par. 45] D'un autre côté, la décision de la section du statut de réfugié relativement à la question de savoir si les faits pertinents remplissent les exigences du critère de Rasaratnam, interprété comme il se doit, constitue une question mixte de droit et de fait, et n'est susceptible de contrôle judiciaire que si elle est déraisonnable.

[25]            La décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (C.F. 1re inst.), est une décision qui traite également de la norme de contrôle applicable. Dans Conkova, précitée, le juge Pelletier, maintenant juge à la Cour d'appel, a statué ce qui suit :

[par. 5] La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.

[26]            Dans la décision Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1329 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome, tel était alors son titre, a déclaré ce qui suit :

[par. 6] De plus, la section du statut de réfugié peut tirer une conclusion défavorable à l'égard de la crédibilité du demandeur en raison de l'invraisemblance de son récit, pourvu que l'on puisse raisonnablement dire que les déductions qu'elle fait existent. Le tribunal peut régulièrement tirer des conclusions défavorables à l'égard de la crédibilité d'un individu, à condition qu'il motive sa décision dans des termes clairs et sans équivoque.

1.         La section du statut a-t-elle commis une erreur concernant la norme de preuve?

[27]            Non, la section du statut n'a pas commis d'erreur en déterminant la norme de preuve applicable.


La norme de preuve applicable à la section F de l'article premier de la Convention

[28]            La présente Cour a toujours maintenu que la norme de preuve applicable à la section F de l'article premier de la Convention est moindre que la prépondérance des probabilités.

[29]            Dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F no 109 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu que l'expression « raisons sérieuses de penser » que l'on trouve à la section F de l'article premier a pour effet d'établir une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités. Les juges Stone, MacGuigan et Linden ont statué comme suit :

[par. 5] Je crois aussi, comme l'intimé l'a soutenu, que les mots « raisons sérieuses de penser » ont pour effet d'établir une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités.

[par. 6] Il ne me semble pas y avoir de différences importantes entre les mots « raisons sérieuses de penser » et « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables » et, du reste, je ne crois pas qu'il faille établir un parallèle exact entre les deux expressions. J'estime toutefois qu'elles exigent toutes deux une norme moindre que la prépondérance de preuve. Les mots « raisons sérieuses de penser » sont ceux qu'emploie la Convention; leur sens est évident.

[30]            L'arrêt Ramirez, précité, a été suivi dans l'arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 912 (C.A.F.) et dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no. 1145 (C.A.F.).


[31]            L'expression « raisons sérieuses de penser » que l'on trouve à la section F de l'article premier de la Convention confirme que la communauté internationale souhaitait abaisser la norme de preuve afin de s'assurer que certaines personnes indésirables ne puissent bénéficier d'asiles sûrs. La Cour d'appel fédérale a clairement indiqué cette intention dans l'arrêt Ramirez, précité:

Les mots « raisons sérieuses de penser » doivent être interprétés comme établissant une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités. Cette solution concorde avec l'intention des États signataires de la Convention de 1951 qui ont voulu, après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, se réserver un vaste pouvoir d'exclusion du statut de réfugié à l'égard des auteurs de crimes de guerre. Les parties ont convenu que le fardeau d'établir l'existence de « raisons sérieuses de penser » incombait au gouvernement.

[32]            De même, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hajialikhani, [1998] A.C.F. no 1464 (C.F. 1re inst.), le juge Reed a statué comme suit :

[par. 12] Dans le cadre de ces affaires, la Cour a eu l'occasion de se pencher sur la question du fardeau de la preuve applicable en matière d'exclusion au titre de la section Fa) de l'article premier. La Cour a interprété l'expression « raisons sérieuses de penser » non pas comme exigeant, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y ait des raisons sérieuses de penser qu'un crime a été commis, mais bien comme décrivant le fardeau de la preuve qu'il y a lieu d'appliquer pour décider si l'individu en question a commis ou s'est rendu complice d'un ou de plusieurs crimes. Ce fardeau de la preuve est moins exigeant que celui de la prépondérance des probabilités.

[33]            L'avocat du demandeur, toutefois, s'appuie sur l'arrêt Pushpanathan, précité, pour affirmer que la Cour suprême du Canada [TRADUCTION] « a désapprouvé la démarche suivie par la Cour d'appel fédérale au regard de l'exclusion et qu'il n'est donc plus possible de prétendre que la norme de preuve applicable en matière d'exclusion repose simplement sur des " motifs raisonnables " qui équivalent à une norme moindre que celle de la prépondérance des probabilités » [2]. En réponse, la section du statut a décidé ce qui suit à la page 13 :


[TRADUCTION]

Une lecture attentive de la décision de la CSC dans Pushpanathan amène le tribunal à conclure, en toute déférence, que la position de l'avocat ne peut être maintenue.

Le tribunal estime que les observations de l'avocat du ministre sur la question de la norme de preuve dans les cas d'exclusion sont plus convaincantes. Le tribunal pense que le raisonnement de notre collègue dans l'affaire U97-01474/5 est rigoureux et exact et l'applique à l'espèce. À la page 22 des motifs de notre collègue, celui-ci déclare ce qui suit :

Il s'agit précisément de la question sur laquelle s'est penchée la Cour [ « que doit englober l'expression ' buts et principes des Nations Unies ' que l'on trouve à la section Fc) de l'article premier de la Convention » ] dans le traitement qu'elle faisait des règles d'interprétation et des travaux préparatoires. Le tribunal estime que ce serait aller trop loin que d'étendre ce raisonnement à d'autres aspects de la décision à prendre dans les cas d'exclusion qui ne sont pas traités précisément par la Cour. En particulier, il ne voit aucune indication dans l'arrêt Pushpanathan que la Cour avait l'intention de traiter de la norme de preuve applicable aux cas d'exclusion et, par conséquent, il rejette en toute déférence l'interprétation de l'auteur des articles selon laquelle la norme de preuve dans les cas d'exclusion a été élevée à la norme civile.

[34]            À mon avis, la section du statut a correctement évalué la norme de preuve applicable au regard de la section F de l'article premier de la Convention.

2.         La section du statut a-t-elle commis une erreur en concluant que les LTTE sont une organisation terroriste poursuivant des fins limitées et brutales?

[35]            Non, la section du statut n'a pas commis d'erreur en concluant que les LTTE sont une organisation terroriste poursuivant des fins limitées et brutales.


Les États-Unis d'Amérique

[36]            En octobre 1997, le Department of State des États-Unis a officiellement déclaré que les LTTE étaient une organisation terroriste. En raison de cette désignation, il est illégal aux États-Unis de se procurer des fonds des LTTE et d'autres organisations de façade, notamment les mouvements mondiaux de Tamouls et la Fédération de l'Association des Tamouls du Canada.

[37]            Le site d'Internet du Department of State des États-Unis[3] établit le profil des LTTE de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Description : Groupe de Tamouls le plus puissant au Sri Lanka, fondé en 1976. Utilise des méthodes ouvertes et illégales pour lever des fonds, acheter des armes et promouvoir sa cause qui est de constituer un État tamoul indépendant. A commencé son conflit armé avec le gouvernement sri-lankais en 1983 en s'appuyant sur une stratégie de guérilla qui inclut l'usage de tactiques terroristes.

[...]

Aide extérieure : Les organisations déclarées des LTTE appuient le séparatisme tamoul en faisant du lobbying auprès des gouvernements étrangers et des Nations Unies. Elles utilisent également leurs contacts internationaux pour se procurer des armes, établir des communications et obtenir du matériel pour fabriquer des bombes. Elles exploitent de larges collectivités tamoules en Amérique du Nord, en Europe et en Asie pour réunir des fonds et des munitions pour ses combattants au Sri Lanka. Certaines collectivités tamoules en Europe font également le trafic de stupéfiants.

(Non souligné dans l'original.)

[38]            La présente Cour a examiné pour la première fois l'organisation des LTTE dans l'affaire Sivakumar, précitée. D'après le témoignage du demandeur, le juge Linden a statué que les LTTE étaient responsables de crimes contre l'humanité.

[39]            De même, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 5 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a traité des méthodes brutales et violentes employées par les LTTE :

[par. 40] En résumé, il existe une preuve suffisante et concluante que les LTTE tuent et torturent des civils innocents au hasard, commettant ainsi des actes que le droit international considère comme des « crimes contre l'humanité » . Je m'empresse d'ajouter que la Cour l'a établi catégoriquement dès 1994, dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.).


[40]            En l'espèce, la section du statut en est venue à la même conclusion que dans l'arrêt Suresh, précité. Les LTTE sont responsables d'actes brutaux et calculés. Toutefois, le demandeur laisse entendre qu'une organisation doit être une organisation qui se livre [TRADUCTION] « uniquement et exclusivement à des actes de terrorisme » pour être qualifiée d'organisation poursuivant des fins limitées et brutales. Pour ce faire, il s'appuie sur la décision Balta c. Canada, [1995] A.C.F. no 146 (C.F. 1re inst.). Je ne peux accepter cette position. Bien au contraire, les deux décisions suivantes, soit Mehmoud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1019 (C.F. 1re inst.) et Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 444 (C.F. 1re inst.) font ressortir que, lorsqu'il n'y a pas de preuve que les objectifs politiques peuvent être distingués des activités militaristes, on peut quand même conclure qu'une organisation poursuit des fins limitées et brutales. Il n'y a pas de preuve qui laisse entendre que les activités terroristes des LTTE puissent être séparées d'autres objectifs qu'elle peut avoir. Les LTTE ont recours à des méthodes terroristes pour parvenir à leurs objectifs et cela laisse supposer que les LTTE sont une organisation poursuivant des fins brutales et limitées.

La complicité

[41]            La présente Cour a statué que la première étape pour se prononcer sur la complicité consiste à examiner le but de l'organisation en question. Si le principal objectif de l'organisation est réalisé au moyen de crimes contre l'humanité ou vise des fins limitées et brutales, l'appartenance suffit généralement pour établir la complicité.

[42]            Dans l'arrêt Ramirez, précité, le juge MacGuigan a déclaré :

Cependant, lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, la simple appartenance à une telle organisation peut impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution. De la même façon, la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction ne permet pas d'établir sa participation personnelle et consciente, bien que la présence jointe à d'autres faits puisse faire conclure à une telle participation.

[43]            En outre, la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Moreno, précité, a ajouté à la notion de complicité en déclarant ce qui suit :

[par. 51] [...] Tout aussi important toutefois est le fait que la complicité repose sur l'existence d'un dessein commun, poursuivi par l' « auteur » et le « complice » . En d'autres termes, la mens rea demeure un élément essentiel du crime. [...]

[44]            Dans l'affaire Gutierrez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F no 1494 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a déclaré :

Fondamentalement, trois conditions préalables doivent donc être établies pour qu'il y ait complicité dans la perpétration d'une infraction internationale : (1) l'appartenance à une organisation où la perpétration des infractions internationales fait continûment et régulièrement partie de l'opération, (2) la participation personnelle et consciente, et (3) l'omission de se dissocier de l'organisation dès qu'il est possible de le faire en toute sécurité.

La collecte de fonds équivaut à la complicité

[45]            Dans la décision Hajialikhani, précitée, le juge Reed a cité la participation d'un demandeur à une collecte de fonds auprès d'Iraniens vivant au Canada à l'appui des Moujahiddines comme étant un facteur permettant d'établir la complicité :

[par. 41] Je conviens avec l'avocate du ministre que la Commission n'a pas cherché à analyser les déclarations du demandeur de statut et qu'elle n'a pas appliqué le bon critère lorsqu'elle l'a interrogé pour savoir s'il avait personnellement pris part aux crimes dont il est fait état, au sens où il aurait été physiquement présent sur les lieux de ces crimes, au lieu de lui demander si sa participation n'aurait pas consisté à encourager et à faciliter la commission des prétendus crimes par d'autres personnes. Il ne fait aucun doute que le fait de contribuer au financement de crimes constitue un acte de complicité.

(Non souligné dans l'original.)

[46]            Qui plus est, le paragraphe 2(3) de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme n'exige pas que des fonds précis soient rattachés à des infractions spécifiques.

2.(3) Pour qu'un acte constitue une infraction au sens du paragraphe 1, les fonds ne doivent pas nécessairement avoir été effectivement utilisés pour commettre une infraction visée aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1.

[47]            Le paragraphe 2(1) de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme est rédigé dans les termes suivants :

2.(1) Commet une infraction au sens de la présente convention toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des fonds dans l'intention de les voir utilisés ou en sachant qu'ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre : [...]

[48]            En se livrant au trafic de stupéfiants - qui sert essentiellement au financement de crimes - , le demandeur s'est fait complice des LTTE en les appuyant. La jurisprudence établit clairement qu'une appartenance formelle et une participation directe n'est pas nécessaire pour établir la complicité lorsque l'organisation poursuit des fins limitées et brutales. En outre, le demandeur était complice parce que ses activités criminelles au Canada établissent sa « participation personnelle et consciente » et qu'il partageait « un dessein but commun » avec les LTTE.

[49]            La section du statut a examiné la preuve documentaire abondante qui lui a été présentée concernant les LTTE et leurs activités terroristes. À la page 20 de la décision, les membres de la section ont déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Compte tenu de la preuve documentaire dont était saisi le tribunal, il est clair que les LTTE ont une réputation internationale d'organisation terroriste poursuivant des fins limitées et brutales; [...]

(Non souligné dans l'original.)

[50]            La présente Cour estime que la section du statut a agi raisonnablement en concluant que les LTTE sont une association terroriste qui poursuit des fins limitées et brutales.


3.         La section du statut a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité?

[51]            Non, la section du statut n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité.

[52]            Dans les arrêts Sivakumar et Suresh, précités, et dans la décision Hajialikhani, précitée, la présente Cour a conclu que les LTTE sont une organisation terroriste qui commet systématiquement des crimes contre l'humanité en se livrant délibérément à la torture et à l'assassinat de civils innocents. Il existe également une preuve documentaire qui établit de façon probante que les LTTE commettent des crimes contre l'humanité.

[53]            Dans l'arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1209 (C.A.F.), le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré ceci :

[par. 11] Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une « participation personnelle et consciente » puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, « dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » . Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

(Le juge MacGuigan fait référence à l'arrêt Ramirez, précité.)


[54]            Dans la décision Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1794 (C.F. 1re inst.), le juge Simpson a soulevé un point intéressant sur la question de la conduite qui équivaut à un crime contre l'humanité, mais elle a, avec raison, rejeté cette interprétation :

[par. 12] La difficulté relevée par le requérant consiste dans ce qu'il n'existait pas de preuve du mal réel qu'on avait fait à l'une quelconque des cibles ou à des membres de leur famille. Le requérant dit qu'il ne peut y avoir de crime contre l'humanité sans que le mal soit prouvé. À cet égard, le requérant s'appuie sur l'arrêt Sivakumar, à la page 440, où la Cour d'appel fédérale dit que la Commission commettrait une erreur de droit si elle n'incluait pas dans sa décision des conclusions de fait quant aux crimes particuliers commis contre l'humanité. Selon le requérant, cette décision signifie que sans qu'un mal ait été fait aux individus identifiés, il ne saurait y avoir crime contre l'humanité.

[par. 13] Je ne souscris pas à cette interprétation de la décision, et je conclus qu'elle tient seulement pour l'idée que, lorsque des crimes particuliers sont allégués, ils devraient être discutés dans les motifs de la décision.

[55]            De même, en l'espèce, il n'y a pas de preuve d'un mal réel qui aurait découlé de la participation du demandeur aux activités des LTTE. Toutefois, il y a une preuve abondante établissant que les LTTE sont une organisation terroriste qui commet des crimes contre l'humanité par la perpétration d'une multitude d'activités. Il a été établi que le demandeur est complice de cette organisation parce qu'il finance des crimes en se livrant au trafic de stupéfiants au Canada et que les LTTE sont bien connus pour les crimes contre l'humanité qu'ils commettent; par conséquent, la présente Cour peut en déduire que le demandeur s'est fait complice de crimes contre l'humanité. Je conclus donc que la section du statut n'a pas commis d'erreur quand elle est parvenue à la conclusion suivante à la page 20 de sa décision :


[TRADUCTION]

[...] Le tribunal estime que ces actes terroristes commis par les LTTE depuis plusieurs années sont des crimes contre l'humanité.

4.         La section du statut a-t-elle commis une erreur en faisant des déductions inappropriées au sujet de la complicité du demandeur?

[56]            Non, la section du statut n'a pas commis d'erreur en faisant des déductions inappropriées au sujet de la complicité du demandeur.

[57]            La section du statut a douté de la crédibilité du demandeur sur certains aspects de son témoignage. Il lui était loisible de parvenir à une décision défavorable concernant la crédibilité du demandeur étant donné que la détermination de cette crédibilité est au centre de la compétence de la section du statut puisque c'est elle le juge des faits.

[58]            La jurisprudence de la présente Cour a établi que la Commission a une expertise bien reconnue dans la détermination de questions de fait, plus particulièrement dans l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur. La présente Cour ne peut pas modifier les conclusions de fait tirées par la Commission, à moins qu'il ne soit démontré que ces conclusions ont été tirées de façon déraisonnable ou de mauvaise foi, qu'elles sont arbitraires ou qu'elles ne sont pas appuyées par la preuve.

[59]            Cette position a récemment été confirmée dans la décision Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la présente Cour a déclaré :

[par. 38] Il est clair en droit que la Commission a le pouvoir discrétionnaire pour évaluer la crédibilité d'un demandeur et qu'elle est la mieux placée pour le faire : Dan-Ash c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.).

[60]            Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour a déclaré ce qui suit :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[61]            Comme le déclarait le juge Stone dans l'arrêt Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.F.) :

S'il appert qu'une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s'est formée adéquatement, aucun principe juridique n'habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l'absence de crédibilité.

[62]            Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.), le juge Evans, maintenant juge à la Cour d'appel, a déclaré ceci :


Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » .

[63]            Dans la décision Boye, précitée, le juge en chef adjoint Jerome, tel était alors son titre, déclare ceci :

La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

Au vu de toute cette jurisprudence, il est évident que la façon dont la section du statut a traité la preuve relevait de son domaine d'expertise et de sa compétence.

La crédibilité du demandeur

[64]            Le demandeur a été jugé et reconnu coupable de trafic de stupéfiants au Canada, en même temps que cinq (5) autres Tamouls. Toutefois, le demandeur a nié son association avec des membres des LTTE. À cet égard, la section du statut a déclaré ceci à la page 21 de sa décision :

[TRADUCTION]


Il est évident que le demandeur était étroitement associé aux activités criminelles des membres des LTTE au Canada. Il n'est pas raisonnable de penser qu'il n'en savait rien à l'époque. Le demandeur nie avoir été consciemment associé à des membres des LTTE. Le tribunal estime que cette prétention n'est pas crédible au vu de la preuve accablante présentée dans les rapports de police et par le témoin de l'avocat du ministre, le sergent Bill Neadles, TPS, au sujet de « Operation Cheap » .

(Non souligné dans l'original.)

[65]            Pour ce qui concerne la nature des activités au Canada, le demandeur a également nié qu'il savait que les profits illégaux serviraient à appuyer les activités terroristes des LTTE. La section du statut a déclaré à la page 21 de sa décision :

[TRADUCTION]

La preuve circonstancielle présentée indique très clairement que le demandeur était associé à des membres des LTTE, en tant que participant actif et consentant, pendant qu'il se trouvait au Canada, à l'époque où il a été arrêté et reconnu coupable de trafic de stupéfiants. Il n'est pas raisonnable que le tribunal accepte que le demandeur ne savait pas que ses complices étaient membres des LTTE. En outre, il n'est pas raisonnable d'accepter que le demandeur ne savait pas qu'une part des profits tirés des ventes illégales de stupéfiants étaient acheminés aux LTTE pour appuyer leurs activités terroristes. Par conséquent, le tribunal estime qu'il y a des motifs sérieux de croire que le demandeur s'est fait complice de crimes contre l'humanité et qu'il est exclu de la protection offerte aux réfugiés au sens de la Convention par les sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention.

(Non souligné dans l'original.)

[66]            En outre, à la page 22 de la décision, la section du statut a fait des observations sur l'absence de crédibilité du demandeur dans les termes suivants :              

[TRADUCTION]


[...] Par conséquent, le tribunal conclut que le demandeur a « participé de façon personnelle et consciente » à des crimes internationaux et à des crimes contre l'humanité attribués aux LTTE. En fait, le récit fait par le demandeur dans sa FRP allègue qu'il a quitté le Sri Lanka et, plus tard l'Inde, parce qu'il avait désobéi aux LTTE et qu'ils l'avaient ciblé pour avoir désobéi à leurs ordres. Le tribunal n'accepte pas la preuve présentée par le demandeur à cet égard comme étant crédible ou digne de foi. Néanmoins, cette preuve révèle que le demandeur était bien au courant, comme le sont presque tous les autres adultes tamouls au Sri Lanka, que les LTTE prennent pour cibles des civils qu'ils tuent pour avoir désobéi à leurs ordres. Le demandeur a appuyé les LTTE de façon consciente et consentante en conspirant pour faire du trafic de stupéfiants et en réunissant des fonds pour la campagne de terrorisme des LTTE. Par conséquent, le tribunal estime que le demandeur est coupable d'actes contraires aux buts et aux principes des Nations Unis et qu'il devrait être exclu de la protection offerte par la section Fc) de l'article premier de la Convention.

(Non souligné dans l'original.)

[67]            La section du statut a une large discrétion pour ce qui est de préférer certains témoignages à d'autres. Dans la décision Zvonov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a déclaré ceci :

[par. 15] Enfin, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve documentaire qu'au témoignage du requérant. Les membres de la Commission sont « les maîtres à bord » et il leur appartient d'apprécier les éléments de preuve qui leur sont présentés. En l'espèce, ils ont accueilli le témoignage du requérant, mais ils ont choisi d'accorder davantage d'importance à la preuve documentaire.

[68]            Par conséquent, il relevait de la compétence de la section du statut d'examiner la preuve documentaire dont elle était saisie. Il était également tout à fait du domaine de la compétence de la section du statut de conclure que le témoignage du demandeur au sujet de son association avec les LTTE n'était pas crédible. La section du statut a conclu à la complicité du demandeur du fait de sa participation à des crimes contre l'humanité après avoir examiné la totalité de la preuve dont elle était saisie, y compris la preuve documentaire, les rapports de police officiels et le témoignage d'agents de police expérimentés[4] et de témoins experts.

[69]            En outre, dans leurs opinions dissidentes dans l'arrêt Pushpanathan, précité, les juges Cory et Major ont déclaré ceci :

Dans la présente espèce, l'appelant a joué un rôle important dans le cadre d'une opération d'envergure menée par un groupe organisé se livrant au trafic de l'héroïne. Il a pratiqué sur une vaste échelle le trafic de l'une des drogues les plus débilitantes. Même si toutes les infractions liées aux stupéfiants qui sont perpétrées au pays ne permettront pas d'invoquer l'exclusion prévue à la section Fc) de l'article premier, compte tenu de la gravité du crime de l'appelant, il y a lieu de l'exclure en raison des actes qu'il a commis.

[70]            La section du statut a conclu correctement que la gravité du crime du demandeur justifiait son exclusion de la protection accordée aux réfugiés au sens de la Convention.

[71]            La section du statut a effectué une formidable analyse dans la présente affaire, sa décision est rédigée d'une façon rigoureuse et exhaustive. Par conséquent, elle n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés au sens de la Convention par les sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention en raison des crimes contre l'humanité et de sa complicité à des activités terroristes associées aux Tigres de Libération de l'Eelam tamoul (LTTE).

[72]            La présente Cour estime que la section du statut n'a commis aucune erreur en statuant qu'il y avait des raisons sérieuses de croire que le demandeur avait commis une infraction visée aux sections Fa) et Fc) de l'article premier de la Convention et qu'il était donc exclu de la protection accordée par la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention.

[73]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[74]            L'avocat du demandeur a suggéré plusieurs questions aux fins de la certification :

1.        La décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan, précité, a-t-elle modifié la norme de preuve applicable aux cas d'exclusion?

2.        Une organisation peut-elle être qualifiée d'organisation poursuivant des fins limitées et brutales lorsque cette organisation commet des crimes contre l'humanité, mais se livre également à des activités politiques légitimes?

3.        Une personne peut-elle être exclue en raison de son appartenance à une organisation poursuivant des fins limitées et brutales, en l'absence d'une conclusion établissant clairement qu'elle est membre de cette organisation?

4.        Dans les circonstances où une personne n'est pas membre d'une organisation poursuivant des fins limitées et brutales, et n'occupait pas un poste de direction au sein de l'organisation, le tribunal doit-il préciser les crimes dont la personne s'est rendue complice afin de l'exclure de la protection de la section F de l'article premier de la Convention?

5.        Une personne peut-elle être jugée complice de crimes contre l'humanité ou de crimes allant à l'encontre des buts et principes des Nations Unies, si le seul lien qui la rattache aux crimes commis est le fait qu'elle a participé à une collecte de fonds au nom d'une organisation et que ces fonds ne sont pas liés à la perpétration d'un crime particulier?

[75]            L'avocat du demandeur s'est opposé à la certification des cinq (5) questions.

[76]            Les deux avocats m'ont remis de longues observations écrites à cet égard. Je les ai soigneusement examinées.

Question 1        La décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan, précité, a-t-elle modifié la norme de preuve applicable aux cas d'exclusion?


[77]            Je suis d'accord avec l'avocat du défendeur qui prétend que la norme de preuve à appliquer n'aidera pas le demandeur en l'espèce étant donné la très forte preuve démontrant sa participation au trafic d'héroïne au sein d'une organisation de trafic de stupéfiants contrôlée par les Tigres tamouls et la conclusion péremptoire d'invraisemblance de la section du statut relativement à l'ignorance présumée du demandeur sur la question du contrôle de l'organisation par les Tigres tamouls. Par conséquent, cette question ne sera pas certifiée.

Question 2         Une organisation peut-elle être qualifiée d'organisation poursuivant des fins limitées et brutales lorsque cette organisation commet des crimes contre l'humanité, mais se livre également à des activités politiques légitimes?

[78]            À mon avis, la jurisprudence a déjà traité de cette question et le demandeur n'a donc pas soulevé une question grave de portée générale. Par conséquent, cette question ne sera pas certifiée.

Question 3         Une personne peut-elle être exclue en raison de son appartenance à une organisation poursuivant des fins limitées et brutales, en l'absence d'une conclusion établissant clairement qu'elle est membre de cette organisation?

[79]            La question de l'appartenance à une organisation doit être évaluée par la Commission en fonction de la preuve. La question de savoir s'il existe une preuve claire ou non de cette appartenance est une question de fait qui peut varier d'un cas à l'autre. En l'espèce, la question ne réglera pas définitivement l'affaire et, à mon avis, le demandeur n'a pas réussi à soulever une question grave de portée générale.


Question 4         Dans les circonstances où une personne n'est pas membre d'une organisation poursuivant des fins limitées et brutales, et n'occupait pas un poste de direction au sein de l'organisation, le tribunal doit-il préciser les crimes dont la personne s'est rendue complice afin de l'exclure de la protection de la section F de l'article premier de la Convention?

[80]            Il s'agit d'une question purement hypothétique qui ne réglera pas définitivement l'espèce; par conséquent, il ne s'agit pas d'une question grave de portée générale.

Question 5         Une personne peut-elle être jugée complice de crimes contre l'humanité ou de crimes allant à l'encontre des buts et principes des Nations Unies, si le seul lien qui la rattache aux crimes commis est le fait qu'elle a participé à une collecte de fonds au nom d'une organisation et que ces fonds ne sont pas liés à la perpétration d'un crime particulier?

[81]            À partir des motifs fournis par l'avocat du défendeur, les conclusions de la Commission dépendront des faits particuliers et cette question n'est pas de portée générale et ne sera donc pas certifiée.

                                                                                     « Pierre Blais »              

                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-4427-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         VELUPPILLAI PUSHPANATHAN

                                                                                           demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE LUNDI 29 JUILLET 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BLAIS

DATE :                       LE 3 SEPTEMBRE 2002

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                              Pour le demandeur

Jamie Todd                                                   Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                              Pour le demandeur

Waldman and Associates

Avocats

281, avenue Eglinton est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                                           Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1] Ces faits découlent principalement de la deuxième décision de la section du statut qui, pour sa part, se fonde sur la réponse du demandeur à la question 33 dans sa Formule de renseignements personnels (FRP).

[2] Dossier du demandeur, paragraphe 33, page 73.

[3]http://www.state.gov/www/global/terrorism/fto_info_1999.html#ltte

[4] Notamment, les rapports du sergent Neadles qui sont corroborés par le témoignage du détective Gorry.


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