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Date : 20041229

Dossier : IMM-8877-03

Référence : 2004 CF 1770

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                   EVELYN FRENDA VASANTHINI ARULNESAN,

SHERON ARULNESAN

et MARY NICKSHALA ARULNESAN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Mme Arulnesan, une femme de 39 ans, Sheron, son fils de 12 ans, et Mary Nickshala, sa fille de sept ans, demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué, le 16 octobre 2003, qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger. Les demandeurs, des Tamouls du Sri Lanka, prétendaient être en danger en raison de leurs prétendus liens avec les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) et de l'extorsion pratiquée par les TLET.

[2]                Mme Arulnesan a indiqué dans son témoignage que son mari a été arrêté par les forces de sécurité, détenu pendant deux jours et accusé d'être un sympathisant des TLET après un assassinat politique survenu en 1993. Il a de nouveau été arrêté et a été détenu durant une semaine à la suite d'un attentat à la bombe en janvier 1996. Un pot-de-vin a dû être versé pour qu'il soit libéré. À la même époque, Mme Arulnesan a aussi été détenue durant deux jours, interrogée et battue.

[3]                Après un autre attentat à la bombe en octobre 1997, le mari de Mme Arulnesan a été détenu durant 12 jours et accusé d'avoir été au courant du projet. Un autre pot-de-vin a été versé pour obtenir sa libération. Mme Arulnesan et son mari ont de nouveau été arrêtés après une attaque survenue à l'aéroport en juillet 2001. Mme Arulnesan a été libérée à la fin de la journée et a pris des dispositions pour qu'un pot-de-vin soit versé en échange de la libération de son mari. Leur maison à Colombo a été fouillée à de nombreuses reprises, et ils ont été victimes d'extorsion de la part de la police.


[4]                Mme Arulnesan et son mari avaient deux entreprises : une entreprise de transport de touristes et une ferme à crevettes. Mme Arulnesan a déclaré dans son témoignage qu'ils ont aussi eu des problèmes avec les TLET, même après le cessez-le-feu, et que leurs entreprises en ont subi le contrecoup.

[5]                En 2001, le couple a décidé qu'il devait quitter le pays et a versé de l'argent (300 000 roupies) à un agent qui l'a dupé. Il a trouvé un autre agent et la famille a quitté le Sri Lanka en février 2003. Mme Arulnesan et ses enfants sont arrivés au Canada en passant par la France, mais son mari est resté coincé en Malaisie.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[6]                La Commission a indiqué au début de son analyse que les questions à trancher avaient trait à la crédibilité et à la crainte de persécution de Mme Arulnesan. Il n'y a cependant aucune autre indication dans les motifs qui laisse croire que la Commission avait des doutes concernant le témoignage de Mme Arulnesan. La Commission a conclu qu'il n'existait pas en l'espèce de crainte objective de persécution et que les faits ne permettaient pas de conclure que Mme Arulnesan et ses enfants seraient exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d'être soumis à la torture s'ils étaient renvoyés à Colombo. Citant l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Commission a conclu que les courtes périodes de détention décrites par Mme Arulnesan dans son témoignage ne constituaient pas de la persécution.


QUESTIONS EN LITIGE

[7]                Dans leurs observations écrites, les demandeurs soutenaient que la Commission aurait dû statuer séparément sur les risques auxquels les enfants étaient exposés. L'avocat a reconnu à juste titre à l'audience que le dossier certifié révélait que la Commission ne disposait d'aucune preuve l'obligeant à traiter le cas des enfants séparément et qu'aucune prétention n'avait été présentée à cet égard. Les demandeurs soutenaient également, dans leurs observations écrites, que la Commission avait commis une erreur en n'effectuant pas une évaluation distincte fondée sur l'article 97. L'avocat n'a pas insisté sur ce point à l'audience. Par conséquent, la seule question sur laquelle la Cour doit se prononcer est celle de savoir si les conclusions tirées par la Commission au sujet de la persécution sont erronées.

ARGUMENTATION ET ANALYSE

[8]                Mme Arulnesan prétend que la Commission a commis une erreur en exigeant qu'elle fasse la preuve d'abus constants et persistants commis par les autorités gouvernementales. Un seul incident de ce genre devrait suffire. En outre, l'effet cumulatif du harcèlement dont elle a été victime entre 1990 et 2000 était suffisant pour constituer de la persécution, même si ce harcèlement résultait de mesures adoptées par le gouvernement sri-lankais pour combattre le terrorisme ou l'état d'urgence : Ranjha c. MCI, 2003 CFPI 637; Thirunavukkarasu c. Canada, [1994] 1 C.F. 589, à la p. 601 (1re inst.).


[9]                Le défendeur soutient qu'il est difficile de tracer la ligne de démarcation entre la persécution et le harcèlement et que la Commission a conclu, après avoir effectué une analyse minutieuse, que cette ligne n'avait pas été tracée. L'intervention de la Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne soit arbitraire ou déraisonnable : Sagharichi c. MEI (1993), 182 N.R. 398; Kaish c. MCI, [1999] A.C.F. no 1041; Bela c. MCI, 2001 CFPI 581.

[10]            Subsidiairement, les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en les obligeant à démontrer qu'ils avaient été persécutés dans le passé. Or, il n'est pas obligatoire qu'ils aient été victimes de persécution dans le passé pour que la Commission puisse conclure qu'ils seront persécutés s'ils sont renvoyés dans leur pays. Ce sont les conditions actuelles et le risque de persécution future qui doivent être évalués : Amayo c. MEI, [1982] 1 C.F. 520 (C.A.). Le défendeur nie que la Commission a exigé des demandeurs qu'ils démontrent qu'ils avaient été persécutés dans le passé. Il fait valoir qu'il ressort de l'ensemble des motifs de la Commission que celle-ci a reconnu que le critère applicable est de nature prospective : Irfan Ahmed c. MCI (1997), 134 F.T.R. 117; Amponsah-Boadu c. MCI, [1996] A.C.F. no 350. La persécution antérieure peut cependant être utile pour évaluer le risque éventuel : Asaipillai c. MCI, [1995] A.C.F. no 1777.

[11]            En l'espèce, la Commission a considéré que les prétendus incidents de persécution survenus dans le passé pouvaient être indicatifs du risque de persécution future. Elle a conclu :


La demandeure d'asile n'a pas fourni de preuve suffisante établissant qu'elle était privée de manière fondamentale et systématique des droits fondamentaux de la personne ou que les détentions alléguées étaient de nature grave.

[12]            À mon avis, la Commission pouvait tirer une telle conclusion. Même si elle a accepté le témoignage de Mme Arulnesan au sujet des événements survenus dans le passé, elle n'était pas tenue de conclure que ces incidents auxquels les autorités gouvernementales avaient participé constituaient de la persécution. Elle n'était pas tenue non plus d'utiliser un langage convenu dans ses motifs. La Commission n'a pas analysé spécifiquement les effets cumulatifs du harcèlement dans ses motifs, mais il est clair qu'elle a pris tous les éléments de preuve en compte pour conclure que Mme Arulnesan et ses enfants n'avaient pas de raison de craindre d'être persécutés dans l'avenir.


[13]            En outre, la preuve de l'extorsion pratiquée par les TLET était loin d'être suffisante pour conclure que la famille serait en danger si elle était renvoyée à Colombo. Il semble que les TLET se soient surtout intéressés à elle parce que sa ferme à crevettes utilisait plusieurs fourgonnettes. Des pressions ont été exercées sur le mari de Mme Arulnesan pour qu'il laisse ces véhicules à la ferme afin que les membres des TLET arrivant par bateau puissent s'en servir. Cette exigence et l'habitude des TLET d'abandonner les véhicules à une certaine distance de la ferme ont perturbé l'entreprise et ont finalement amener le couple à la vendre de même que les fourgonnettes. Les demandeurs prétendent que la perte de cette entreprise constituait de la persécution. La Commission a conclu, de manière raisonnable à mon avis, que les pressions financières exercées sur leurs entreprises par les TLET étaient dues aux conditions existant dans le pays à l'époque et non à l'un des motifs relatifs aux réfugiés au sens de la Convention.

[14]            Je ne peux relever, dans les motifs de la Commission, aucune erreur susceptible de contrôle qui justifierait l'intervention de la Cour. La présente demande devra donc être rejetée. Aucune question de portée générale n'a été proposée et aucune ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »                   

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                          IMM-8877-03

INTITULÉ :                         EVELYN FRENDA VASANTHINI ARULNESAN, SHERON ARULNESAN

et MARY NICKSHALA ARULNESAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 6 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 29 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LES DEMANDEURS

David Tyndale                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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