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Date : 20051207

Dossier : IMM-9549-04

Référence : 2005 CF 1662

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

LACHMAN SUKHU et JANETTE NAGAMAH SUKHU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         Les demandeurs, Lachman Sukhu et son épouse Janette Nagamah Sukhu, citoyens guyanais, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d'examen des risques avant renvoi (ERAR), ci-après désignée l'agente, a jugé que la preuve objective était insuffisante pour conclure que les demandeurs seraient exposés à la persécution, à une menace à leur vie ou au risque d'être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités s'ils étaient renvoyés au Guyana.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[2]         En premier lieu, M. Sukhu et son épouse ont été renvoyés au Guyana depuis l'introduction de la présente demande de contrôle judiciaire. Je suis néanmoins convaincue, à l'examen des faits de l'espèce, que la demande n'est pas devenue théorique comme l'a jugé mon collègue le juge Gibson dans Nalliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 956. Dans cette affaire, au paragraphe 15, le juge Gibson a déclaré ce qui suit :

[...]Je conclus que toute demande de contrôle judiciaire d'une décision négative touchant l'ERAR est théorique quand le demandeur a été renvoyé du Canada ou a quitté volontairement le pays par suite de la décision d'un juge de la Cour de lui refuser le sursis d'exécution parce qu'il n'a pas satisfait au volet « préjudice irréparable » du critère tripartite applicable en la matière.

[3]         En l'espèce, la Cour n'a pas refusé d'accorder un sursis d'exécution au renvoi des demandeurs au motif que ceux-ci n'avaient pas satisfait au volet « préjudice irréparable » du critère applicable à la question. La Cour a plutôt refusé d'examiner au fond leur requête de sursis.

[4]         Deuxièmement, l'avocate des demandeurs a déposé un affidavit dans lequel M. Sukhu, déposant, expose en détail le traitement que son épouse et lui-même ont subi depuis leur renvoi au Guyana. Ce document a été présenté pour démontrer que la décision de l'agente était erronée et déraisonnable. Je ne peux pas tenir compte de cette preuve parce qu'il ne s'agit pas d'une preuve dont disposait l'agente et qu'elle est par ailleurs inadmissible à titre de preuve visant à établir une irrégularité quant à la compétence ou à soulever une question d'équité procédurale.

[5]         Enfin, au début de sa plaidoirie, l'avocate des demandeurs a informé la Cour que compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour dans des affaires telles Say c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 931, les demandeurs ne maintiendraient pas l'argument fondé sur la partialité institutionnelle.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]         M. et Mme Sukhu affirment que l'agente a commis une erreur du fait qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents et qu'elle a adopté une approche sélective à l'égard de la preuve dont elle disposait.

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]         Dans la décision Kandiah c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1057, j'ai fait les remarques suivantes, au paragraphe 6 :

Pour ce qui est de la norme de contrôle appropriée devant être appliquée à une décision d'un agent d'ERAR, le juge Mosley, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle, a conclu dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 540, ce qui suit : « la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte » . Le juge Mosley a également endossé la conclusion du juge Martineau dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F . no 458, selon laquelle la norme de contrôle appropriée pour la décision d'un agent d'ERAR est celle de la décision raisonnable simpliciter quand la décision est examinée « globalement et dans son ensemble » . Mme la juge Layden-Stevenson a suivi cette décision dans l'affaire Nadarajah c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 895, au paragraphe 13. Pour les motifs énoncés par mes collègues, j'accepte qu'il s'agit là d'une analyse exacte au sujet de la norme de contrôle applicable.

[8]         Je suis d'avis que cette norme demeure la norme de contrôle applicable.

L'AGENTE A-T-ELLE OMIS DE TENIR COMPTE D'ÉLÉMENTS DE PREUVE PERTINENTS OU EXAMINÉ LA PREUVE DE MANIÈRE SÉLECTIVE?

[9]         M. et Mme Sukhu soulèvent trois questions particulières.

[10]       Premièrement, au soutien de leur demande d'ERAR, M. et Mme Sukhu ont déposé cinq affidavits dans lesquels les déposants attestent les menaces reçues par M. Sukhu avant qu'il ne quitte le Guyana. Ces menaces, peut-on y lire, résultent en grande partie des mesures prises par M. Sukhu à titre de policier qui a procédé à l'arrestation de dangereux criminels. Les déposants recommandent aussi que les demandeurs demeurent au Canada. L'agente a dit ce qui suit au sujet de ces affidavits :

[traduction] Le conseil affirme de plus que le demandeur risque encore d'être la cible de criminels qu'il a dû affronter quand il était policier et d'être victime des tensions raciales au Guyana. Il a déposé des affidavits souscrits par la fille et le fils des demandeurs, par un ami ainsi que par la soeur de l'épouse et par un associé du demandeur. Ces affidavits font état de l'augmentation de la criminalité au Guyana et recommandent que les demandeurs demeurent au Canada. Je n'accorde aucun poids à ces documents parce qu'ils ne proviennent pas de personnes objectives n'ayant aucun intérêt dans le résultat des demandes en l'espèce et parce qu'ils n'ont qu'une faible valeur probante. [Non souligné dans l'original.]

[11]       Je reconnais que l'agente aurait pu et aurait dû traiter de ces affidavits de manière plus détaillée puisqu'en général les parents et amis sont les personnes les mieux placées pour relater les événements dont ils ont été témoins et qui ont été vécus par des personnes qu'ils connaissent. Cependant, les affidavits révèlent les problèmes suivants :

  1. La preuve présentée par la fille des demandeurs est inexacte. Celle-ci déclare sous serment que son père faisait partie des forces de l'ordre lorsqu'il a quitté le Guyana en 1997. Toutefois, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a indiqué, lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, que M. Sukhu a travaillé comme policier de 1978 à 1985. Les demandeurs n'ont pas contesté cette donnée factuelle dans leur demande d'ERAR.

  1. Par conséquent, comme l'a fait remarquer l'agente, il y avait 19 ans que M. Sukhu ne faisait plus partie des forces policières au moment où elle a étudié la demande. Les demandeurs étaient restés au Guyana durant 12 ans après que M. Sukhu eut quitté la police, puis ils avaient vécu trois ans au Canada avant de présenter leur demande d'asile. Ce comportement cadre mal avec la description que font les affidavits des menaces, attaques et mauvais traitements qu'ils auraient subis au Guyana.

[12]       En conséquence, j'estime que le défaut de l'agente d'analyser les affidavits de manière plus approfondie ne constitue pas une erreur grave. Ces documents semblent clairement incompatibles avec le fait que M. et Mme Sukhu sont demeurés au Guyana durant 12 ans avant de quitter pour le Canada.

[13]       Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que l'agente a fait erreur dans son appréciation des articles de journaux qu'ils ont déposés à l'appui de leur demande. L'agente a écrit ce qui suit au sujet de ces documents :

[traduction] La preuve comprend aussi quelque dix-sept articles de journaux qui font état d'incidents liés à des activités criminelles et à des actes de violence au Guyana. La preuve n'indique pas d'où proviennent ces articles, sauf pour deux d'entre eux. Deux articles sont des photocopies de piètre qualité, et seuls deux articles sont datés. Je n'accorde que peu de poids à ces articles parce qu'il n'est pas possible de les vérifier, qu'ils ne mentionnent pas les demandeurs personnellement et qu'ils relatent de manière générale des actes de violence commis au hasard. Je reconnais cependant leur utilité pour l'analyse de la situation qui règne dans le pays.

[14]       L'agente a eu raison de relever qu'il est préférable que la date et la provenance figurent dans les articles de journaux. J'ai néanmoins examiné les articles en question. Ils traitent dans l'ensemble des conditions qui ont cours dans le pays, mais ils ne font pas état des risques auxquels sont exposés les demandeurs en particulier ou les anciens policiers. L'agente a signalé l'utilité des articles pour évaluer les conditions qui règnent dans le pays. Je conclus que le poids qu'elle leur a accordé n'est pas manifestement déraisonnable.

[15]       Enfin, les demandeurs observent avec justesse que l'agente a présenté une portion appréciable du rapport de 2003 du United States Department of State concernant le Guyana mais a omis de citer le paragraphe reproduit ci-dessous et n'a pas signalé cette omission par le signe de troncation :

[traduction] Une formation inadéquate, des moyens insuffisants et un manque de direction ont gravement limité l'efficacité des forces policières du Guyana. La confiance de la population envers la police et sa collaboration avec les forces de l'ordre ont été extrêmement faibles. La police s'est montrée tout à fait incapable de s'attaquer efficacement à une vague sans précédent de crimes avec violence qui a donné lieu notamment à de nombreux meurtres délibérés d'officiers de police. En outre, des rapports font état de corruption policière et du fait que les policiers ne sont pas tenus de rendre compte de leurs actes. Dans les cas où des officiers de police ont tout de même été accusés, les procès ont été tenus le plus souvent devant les cours de magistrat inférieures, où d'autre officiers de police ayant reçu une formation spéciale agissaient à titre de poursuivant (voir section 1.e). Les observateurs de groupes des droits de la personne doutent de la résolution de ces officiers à poursuivre leurs propres collègues. [Non souligné dans l'original.]

[16]       Le fait d'omettre un paragraphe de la reproduction d'une longue série de paragraphes sans signaler l'omission est une pratique fâcheuse, susceptible d'induire en erreur. Toutefois, l'agente a reproduit plus loin le passage suivant d'un document publié par la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié :

[traduction] La partialité policière fondée principalement sur l'appartenance politique ou sur l'origine ethnique a été source de préoccupation avant 1992, mais la situation relative à l'égalité dans l'exercice des droits et libertés s'est sans cesse améliorée depuis, et l'on considère désormais que la police se montre impartiale quant aux questions d'origine ethnique et d'appartenance politique. Cependant, les crimes avec violence constituent un problème sérieux, leur nombre et la gravité de leur violence ne cessant d'augmenter. Au Guyana, pays de quelque 750 000 habitants, on compte en moyenne deux effractions avec violence dans des résidences chaque semaine; la plupart des victimes sont des Indo-Guyanais. L'augmentation des crimes violents est attribuée avant tout aux drogues illégales et aux personnes qui cherchent à financer leur consommation. La proportion excessive de victimes Indo-Guyanaises s'explique par le fait qu'ils sont mieux nantis que la moyenne, puisqu'ils forment une partie importante de la classe des gens d'affaires et des commerçants, et que nombre d'entre eux sont des cultivateurs relativement prospères.

La criminalité accompagnée de violence sévit dans les zones rurales aussi bien que dans les villes. En général, les femmes évitent de marcher la nuit dans de nombreux secteurs de la ville et des zones rurales en raison de l'accroissement des vols à main armée accompagnés de violence. De nombreuses personnes ont été tuées, particulièrement lorsqu'elles tentaient de résister.

La réaction policière aux crimes avec violence a été inadéquate jusqu'à maintenant; toutefois, plutôt que de mettre l'incapacité des forces policières à contrôler cette situation sur le compte d'une motivation ethnique ou politique, l'on pense en général que les services de police n'ont pas les effectifs requis et n'offrent ni la formation ni les salaires nécessaires pour assurer la prise de mesures efficaces en vue de combattre la criminalité grandissante. [Non souligné dans l'original.]

[17]       Pour l'essentiel, cet extrait reproduit la substance du paragraphe retranché puisqu'il traite de l'incapacité de la police de s'attaquer efficacement à l'augmentation des crimes violents. J'estime en conséquence que l'agente n'a pas commis d'erreur grave.

[18]       Dans l'ensemble, après un examen attentif et assez exhaustif de la décision de l'agente, je ne puis conclure que cette décision est déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]       Les avocats n'ont proposé aucune question à certifier, et je suis aussi d'avis que la présente affaire ne soulève aucune question justifiant la certification.

ORDONNANCE

[20]       LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9549-04

INTITULÉ :                                        LACHMAN SUKHU et JANETTE NAGAMAH SUKHU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 30 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       Le 7 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Inna Kogan                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Marina Stefanovic                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Inna Kogan

Avocats

Toronto (Ontario)                                                          POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

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