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Date : 20000515

Dossier : T-2280-98

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

LA BANDE INDIENNE DE LAC LA RONGE

demanderesse

- et -

LARRY LALIBERTÉ

défendeur

- et -

LA BANDE INDIENNE DE LAC LA RONGE

demanderesse

- et -

SOL CHARLES

défendeur

- et -

LA BANDE INDIENNE DE LAC LA RONGE

demanderesse

- et -

ROBERT BALLANTYNE

défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'une arbitre, Mme Anne Wallace, désignée en vertu de la Section 14 du Code canadien du travail. L'arbitre a conclu que la Bande indienne de Lac la Ronge avait congédié injustement les défendeurs et a ordonné des mesures correctives comprenant la réintégration, le versement des salaires perdus et des dommages-intérêts. La demanderesse conteste cette décision et cherche à en obtenir l'annulation.

[2]         L'arbitre a entendu de nombreux témoignages et a rendu une longue décision. La demanderesse est une grande bande indienne et ses membres vivent dans six communautés situées dans le nord de la Saskatchewan, qui comprennent l'établissement principal au Lac la Ronge et la communauté de Stanley Mission, qui se trouve à environ cinquante miles de là. Les défendeurs sont trois anciens employés de la bande qui ont en commun leur lien avec le comité de justice de Stanley Mission. Dans sa décision, l'arbitre a examiné l'historique du comité de justice de Stanley Mission et de ses rapports avec un agresseur sexuel qui avait été renvoyé à Stanley Mission, soi-disant sous l'égide du Comité. Quand le contrevenant a communiqué avec une victime dans la communauté, le chef et le conseil de bande ont suspendu les défendeurs au motif que les activités du comité de justice n'avaient pas été dûment approuvées par le chef et le conseil. Les suspensions sont survenues le 27 février 1997 et ont été communiquées par écrit aux défendeurs aux alentours du 1er mars 1997.


[3]         Le 9 avril 1997, le chef et le conseil devaient entendre le rapport de la personne qu'ils avaient chargée d'enquêter sur les actes du comité de justice de Stanley Mission. Selon la preuve, avant que l'enquêteur puisse dévoiler complètement le contenu de son rapport au conseil, un conseiller a déclaré qu'il en avait assez entendu, le vote a été demandé et les défendeurs ont été congédiés. Toutefois, les motifs du congédiement ne faisaient pas référence au comité de justice de Stanley Mission. Monsieur Charles a été congédié en raison [traduction] « d'activités financières relevant de votre autorité qui équivalent du vol ou à de la fraude contre l'employeur » . Monsieur Laliberté a été congédié parce que son poste était devenu superflu en raison d'un changement dans la direction du programme. Monsieur Ballantyne a été congédié en raison [traduction] « de son insubordination, d'un manquement au code d'éthique, d'un manquement au serment de confidentialité et d'une conduite pouvant être interprétée comme étant irrespectueuse envers l'employeur et les aînés » .

[4]         Dès le départ, les défendeurs ont déclaré que leur suspension et leur congédiement constituaient des actes discriminatoires fondés sur leur croyance en la spiritualité traditionnelle autochtone, qui jouait un rôle prédominant dans les activités du comité de justice de Stanley Mission. Une grande partie de la décision est consacrée à une analyse qui mène à la conclusion que les défendeurs ont en fait été victimes de discrimination. La demanderesse fonde essentiellement sa position sur le fait que la conclusion selon laquelle il y avait eu discrimination était déraisonnable, fondée sur des erreurs de fait et avait vicié la décision dans son ensemble.


[5]         La décision de l'arbitre est protégée par une clause privative qui se trouve à l'article 243 du Code canadien du travail :


243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

243(1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.


[6]         L'effet de cette clause privative a été examiné dans de nombreux jugements de la Cour et a été résumé comme suit par le juge Rothstein (aujourd'hui juge à la Section d'appel de la Cour) :

Il me semble que dans l'état actuel du droit, en présence d'une clause privative, la compétence de la Cour pour contrôler la décision d'un office fédéral se limite aux erreurs, commises par l'office, qui portent atteinte à sa compétence, et aux décisions si manifestement déraisonnables qu'elles ne peuvent rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente. À mon avis, il s'agit là de la portée du contrôle judiciaire qu'il m'est permis d'effectuer en l'espèce.

Alberta Wheat Pool c. Jacula, [1992] A.C.F. no 1047.

[7]         Les motifs de contrôle judiciaire à la Cour fédérale sont prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Ils comprennent l'erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier, et l'erreur de fait « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [le tribunal] dispose » . L'effet combiné de l'article 243 et du paragraphe 18.1(4) est qu'une erreur de fait n'entraînera l'annulation d'une décision que si celle-ci est manifestement déraisonnable, c'est-à-dire qu'elle ne peut être étayée par une analyse rationnelle de la preuve.


[8]         Que la suspension des défendeurs relative à la gestion du comité de justice de Stanley Mission soit fondée ou non, une fois que le chef et le conseil les congédient pour d'autres motifs, le bien-fondé du congédiement doit être apprécié au regard de ces motifs. Le fait que les motifs du congédiement ne fassent pas référence aux motifs de la suspension touche peut-être la question de la bonne foi, mais cela ne change pas le fondement sur lequel les congédiements doivent être examinés.

[9]         On allègue dans la lettre de congédiement envoyée à M. Charles certaines irrégularités financières équivalant à de la fraude contre l'employeur. Elles découlent de l'habitude de M. Charles d'utiliser à des fins personnelles les fonds de la bande auxquels il avait accès; en fait, il empruntait à la bande. Ces montants étaient inscrits et un compte régulier était tenu en permanence. L'arbitre a conclu que cette pratique était courante, qu'elle était connue de l'agent financier de la bande et qu'il n'y avait eu aucune tentative de dissimulation. M. Charles a témoigné qu'il avait déjà vu un document selon lequel les employés devaient plus de 300 000 $ à la bande. Les autres allégations d'irrégularités financières découlent du fait que des fonds étaient retirés du compte relatif à la « culture » et n'étaient pas dûment comptabilisés, c'est-à-dire que les débours n'étaient pas inscrits. L'arbitre a conclu que dans des circonstances normales, on aurait dit à Charles qu'il ne pouvait plus emprunter à la bande et qu'il devait rembourser les montants dus.


[10]       Vu les conclusions de l'arbitre selon lesquelles d'autres employés que M. Charles se livraient aussi à ce genre d'activité, que l'agent financier de la bande en avait connaissance et que les montants en cause étaient connus et inscrits, la décision de l'arbitre selon laquelle ce conduite ne justifiait pas un congédiement n'est pas manifestement déraisonnable. Le fait que M. Charles ait été accusé d'une infraction criminelle après son congédiement ne change rien à la situation. La décision de l'arbitre doit être examinée sur la base de la situation telle qu'elle était au moment du congédiement.

[11]       La situation de M. Laliberté est relativement simple. D'après la lettre l'informant de son congédiement, il avait été renvoyé en raison d'un excédent de personnel. Quand le chef et le conseil ont suspendu les défendeurs, ils ont mis fin aux activités du comité de justice de Stanley Mission, ainsi qu'au programme holistique de guérison que M. Laliberté dirigeait. Par conséquent, on n'avait plus besoin de M. Laliberté. Il est allégué que ce moyen de défense entraîne l'application du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail, qui prévoit qu'un arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans le cas où le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. L'arbitre a conclu qu'aucun autre employé du programme holistique de guérison n'avait été considéré excédentaire ou avait vu son poste supprimé, que le financement du programme n'avait pas été modifié et que le travail que faisait M. Laliberté à l'origine était fait par d'autres.


[12]       Le Code canadien du travail ne définit pas ce qu'est un licenciement, mais il y a clairement une différence entre un licenciement et un congédiement. Le manuel des politiques et des procédures de la bande prévoit, à la page 20, qu'un licenciement n'est pas considéré comme une cessation d'emploi quand celui-ci dure plus de trois mois mais moins de six mois. La restriction prévue au paragraphe 242(3.1) s'applique aux licenciements, et non aux congédiements. Il est clair que M. Laliberté a été congédié. Un excédent de personnel n'est pas un motif de congédiement. Par conséquent, la décision de l'arbitre selon laquelle le congédiement de M. Laliberté n'était pas justifié est correcte.

[13]       Robert Ballantyne a été congédié en raison [traduction] « de son insubordination, d'un manquement au code d'éthique, d'un manquement au serment de confidentialité et d'une conduite pouvant être interprétée comme étant irrespectueuse envers l'employeur et les aînés » . Ces allégations découlent d'actes commis après que M. Ballantyne eut été suspendu.


[14]       L'insubordination de M. Ballantyne consiste à s'être présenté à la Cour provinciale quelques jours après sa suspension, quand l'affaire de l'agresseur en question s'est retrouvée à nouveau devant la Cour. La bande a prétendu avoir ordonné à M. Ballantyne de ne pas se présenter à la Cour. L'arbitre a conclu que M. Ballantyne s'était présenté à la Cour, comme il avait le droit de le faire, mais qu'il n'avait pas participé à l'instance. En fait, la transcription indique qu'il a été entendu par la Cour, ce qui dénote une certaine participation. Toutefois, il l'a fait à la demande de la Cour et non de son propre chef. La conclusion de l'arbitre selon laquelle cet incident n'était pas un motif pour prendre des mesures disciplinaires n'est pas manifestement déraisonnable, même si elle a commis une erreur quant à la participation de M. Ballantyne à l'instance. Le congédiement était aussi fondé sur des commentaires que M. Ballantyne a fait aux médias après qu'il ait été suspendu, selon lesquels lui et ses collègues étaient victimes de discrimination en raison de leurs pratiques spirituelles. L'arbitre a conclu que M. Ballantyne n'avait pas pris l'initiative de communiquer avec la presse et qu'il avait fait ses commentaires après que les conseillers de la bande eurent fait des commentaires à son sujet et au sujet du programme dans la presse. Tout compte fait, l'arbitre a conclu que M. Ballantyne n'avait pas eu une conduite justifiant la prise de mesures disciplinaires alors qu'il était suspendu, et cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.

[15]       La décision de l'arbitre selon laquelle le congédiement des défendeurs était injuste n'est pas manifestement déraisonnable et par conséquent, n'est pas sujette à annulation.

[16]       La demanderesse a aussi soulevé des questions quant aux réparations accordées aux défendeurs par l'arbitre. Dans l'affaire Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1997] A.C.F. no 1428, (1997) 137 F.T.R. 122, le juge Richard énonce le critère à utiliser pour déterminer si une réparation est manifestement déraisonnable :

Il existe quatre cas dans lesquels une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable :

(1)            lorsque la réparation est de nature punitive;

(2)            lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés;

(3)            lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; et

(4)            lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code.


[17]       On n'a rien présenté à la Cour qui pourrait donner à penser que les sentences rendues par l'arbitre n'étaient pas raisonnables dans les circonstances. La demanderesse soulève une objection particulière contre l'ordonnance selon laquelle M. Charles devrait être réintégré dans le poste de directeur du service de santé, étant donné le manque de confiance de la bande envers M. Charles, qui découlent des accusations criminelles portées contre celui-ci. La common law ne permettrait pas la réintégration d'un employé qui a été injustement congédié parce que le contrat d'emploi était un contrat personnel dont on ne pouvait forcer l'exécution. Les lois du travail modernes sont plus fermes à l'égard de la relation employeur/employé, et la réintégration est possible dans les lieux de travail syndiqués ainsi que, comme en l'espèce, dans les lieux de travail non syndiqués. En l'absence d'une politique de la bande qui permet ou exige la suspension des employés qui font l'objet d'accusations criminelles, rien n'empêche M. Charles de réintégrer son ancien emploi. S'il est reconnu coupable des accusations dont il est accusé, il pourra être traité conformément au manuel des politiques et des procédures de la bande.

[18]       Les défendeurs ont demandé à la Cour de se prononcer sur le fait que la Bande indienne de Lac la Ronge n'a pas cru bon de donner suite à la sentence de l'arbitre, ce qui a eu pour effet de priver les défendeurs des avantages accordés par leur sentence depuis de nombreux mois. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. Elle n'a pas compétence pour rendre la décision que l'arbitre aurait dû rendre (si elle avait conclu que l'arbitre avait commis une erreur), pas plus qu'elle n'a compétence pour poursuivre l'exécution forcée de la sentence. Le Code canadien du travail, à l'article 244, prévoit que l'ordonnance d'un arbitre peut être enregistrée à la Cour fédérale et faire l'objet d'une exécution forcée comme une ordonnance de la Cour. Il s'agit d'une possibilité que les défendeurs pourraient être tentés d'envisager pour procéder à l'exécution forcée de leur ordonnance.


[19]       Enfin, on a demandé à la Cour qu'elle condamne la demanderesse aux dépens sur la base avocat-client vu que celle-ci n'avait pas donné suite à la sentence de l'arbitre et vu le caractère dilatoire de la présente demande. La conduite de la demanderesse dans la présente affaire, bien qu'elle ne soit pas exemplaire, n'a pas été si manifestement dilatoire ou abusive qu'elle justifie la condamnation aux dépens sur la base avocat-client. Les défendeurs ont droit aux dépens en vertu de la colonne quatre du tarif, mais comme ils ont été représentés par un seul avocat tout au long de l'instance, il n'y aura qu'un seul mémoire de frais.

            « J.D. Denis Pelletier »            

Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                           T-2280-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         La Bande indienne de Lac la Ronge

c. Larry Laliberté et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 1er mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR

MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :                                               15 mai 2000

ONT COMPARU:

M. Peter A. Abrametz                           POUR LA DEMANDERESSE

M. Bruce J. Slusar                                             POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Eggum, Abrametz & Eggum

Prince Albert (Saskatchewan)                POUR LA DEMANDERESSE

Bruce J. Slusar

Saskatoon (Saskatchewan)                                POUR LES DÉFENDEURS

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