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Date : 20060410

Dossier : IMM‑1877‑05

Référence : 2006 CF 405

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

SHURLYN CATHY ANN JONES

Shurnikya jones

 

          demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

       défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 3 mars 2005 par laquelle une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que Shirley Cathy Ann Jones (la demanderesse) et sa fille, Shurnikya Shurnique Quashie‑Jones, n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

Le contexte

[2]        La demanderesse et sa fille sont citoyennes de Trinité‑et‑Tobago (Trinité). La demanderesse fonde sa demande d’asile sur une prétendue crainte d’être persécutée en raison de son appartenance à un groupe social particulier : les femmes maltraitées par leur conjoint. La demande de la fille est fondée sur celle de la demanderesse.

 

[3]        D’après le formulaire de renseignements personnels (le FRP) de la demanderesse, celle‑ci a commencé une relation avec un homme appelé Roger Quashie en avril 1999. La relation est progressivement devenue violente et marquée par des agressions verbales, physiques et sexuelles. Elle a essayé de mettre fin à cette relation un certain nombre de fois et a tenté à plusieurs reprises de demander l’aide de la police, mais en vain.

 

[4]        La demanderesse a commencé à envisager de s’enfuir après la naissance de sa fille le 15 mai 2001. En février 2002, la demanderesse a obtenu un visa de visiteur au Canada. Elle a quitté Trinité et est arrivée au Canada le 27 février 2003. La demanderesse a demandé le statut de réfugié le 28 août 2004.

 

La décision de la Commission

[5]        La Commission a rejeté la demande de protection présentée par la demanderesse en se fondant apparemment sur trois conclusions générales. Les deux premières qui sont décrites ci‑dessous sont reliées, dans la mesure où elles concernent toutes les deux le volet subjectif de la demande.

 

  1. La crédibilité. La Commission a noté des incohérences dans la déposition de la demanderesse au sujet des tentatives qu’elle a faites pour fuir Roger. La Commission a également conclu que le fait que son FRP ne mentionnait pas certains incidents survenus à son travail [traduction] « compromettait la crédibilité de ses affirmations ».

 

  1. Le retard de la demanderesse. La Commission a conclu que le temps que la demanderesse a pris avant de quitter Trinité et celui qu’elle a pris pour demander l’asile une fois arrivée au Canada [traduction] « ne sont pas compatibles avec la crainte bien fondée d’être persécutée ou le besoin d’être protégée, ce qui a compromis encore davantage sa crédibilité ».

 

  1. La protection de l’État. La Commission a statué que, d’après la preuve documentaire, [traduction] « le gouvernement déploie des efforts importants et concertés pour s’attaquer au problème de la violence contre les femmes » et que la demanderesse [traduction] « dispose de plusieurs solutions dont elle pourrait et devrait se prévaloir si elle retournait à Trinité ». La Commission n’a pas expressément formulé les conclusions qui pourraient découler de ces affirmations, mais elle semble avoir estimé que la demanderesse n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour obtenir la protection de l’État et qu’elle n’a donc pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

Les questions en litige

[6]        La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :

 

  1. La Commission a‑t‑elle refusé aux demanderesses le droit à une audition équitable en suivant l’ordre des questions exposées dans les Directives no 7 : Directive concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés (Directives no 7)?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité, pour les motifs suivants :

 

a)         à la fin de l’audience, la Commission n’avait pas mentionné que la question de la crédibilité figurait parmi ses préoccupations (autrement dit, la Commission avait écarté cette question);

 

b)         la Commission n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (Directive no 4 – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe);

 

c)         les omissions ou contradictions mentionnées étaient mineures ou inexistantes.

 

  1. Au sujet de la question du retard de la demanderesse, la Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de prendre en compte les explications qu’a fournies la demanderesse au sujet du temps qu’elle avait pris pour quitter Trinité et pour demander l’asile et en omettant de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l’État pour le motif que :

 

a)      elle n’a pas tenu compte de la preuve présentée;

 

b)      elle a mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État exposé dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[7]        La décision de la Cour dans l’affaire Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, portait sur les Directives no 7. À la suite de cette décision, la présente demande de contrôle judiciaire et un certain nombre d’autres ont été réunies pour que soit tranchée la question des Directives no 7 (ordonnance datée du 20 février 2006). Cette audience a été tenue par le juge Mosley les 7 et 8 mars 2006 (l’audience relative aux instances réunies). Par conséquent, l’audience que j’ai tenue portait exclusivement sur les autres questions exposées ci‑dessus.

 

Analyse

[8]        Pour ce qui est de la conclusion de la Commission relative à l’absence de crédibilité et de crainte subjective, il est bien établi que la Commission est un tribunal administratif spécialisé qui a tous les pouvoirs nécessaires pour apprécier la vraisemblance d’un témoignage, la crédibilité d’une version des faits et pour tirer les inférences qui s’imposent (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.F.). Les tribunaux doivent faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de la Commission sur ces points. La Cour ne devrait intervenir que si la décision de la Commission est manifestement déraisonnable ou si elle est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve (al. 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales).

 

[9]        La question de la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la protection de l’État a fait l’objet d’une attention considérable. Je souscris au raisonnement et aux conclusions de la juge Eleanor Dawson dans Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1329, 2005 CF 1075, aux par. 7 et 8 :

 

Lorsque la Commission doit se prononcer sur le caractère adéquat de la protection de l’État, elle doit tirer certaines conclusions de fait, qui ne peuvent être annulées par la Cour que si la Commission a agi de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Voir : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 38.

 

Lorsque ces conclusions de fait sont tirées, elles doivent être évaluées selon le critère juridique formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724 : les faits confirment‑ils « d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » et réfutent‑ils donc la présomption que l’État protège les personnes? C’est une question mixte de fait et de droit. Selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par ma collègue la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232, je conviens que la norme de contrôle de la décision relative au caractère adéquat de la protection de l’État applicable est la décision raisonnable simpliciter.

 

 

[10]      Il convient de faire un autre commentaire général. Les questions relatives à la crédibilité jouent un rôle déterminant dans l’issue de la demande parce qu’elles concernent l’existence d’une crainte subjective d’être persécuté, tout comme la conclusion selon laquelle le demandeur peut obtenir une protection adéquate de la part de l’État. Par conséquent, pour que les demanderesses obtiennent gain de cause en l’espèce, la Cour doit être convaincue que la Commission a commis une erreur sur ces deux questions.

 

Question no 2(a) : La Commission a‑t‑elle mis de côté la question de la crédibilité et ainsi commis une erreur en tirant des conclusions relatives à la crédibilité?

 

[11]      Comme je l’ai déjà noté, la Commission s’interrogeait sérieusement au sujet de certains aspects de la version de la demanderesse. Les demanderesses ont soulevé pour la première fois devant moi au cours des plaidoiries l’argument que la Commission avait commis une erreur en tirant des conclusions relatives à la crédibilité. Elles ont soulevé cet argument en se fondant sur les commentaires formulés par la Commission presque à la fin de l’audience :

 

[traduction]

À mon avis, les questions qui jouent un rôle déterminant dans la présente affaire sont celles de la protection de l’État, les organisations, l’absence d’efforts pour obtenir de l’aide dans son propre pays avant de demander une protection internationale, l’absence d’efforts pour communiquer avec la police, le temps pris à quitter le pays et à présenter sa demande. Ce sont là les questions déterminantes.

 

[12]      La transcription contient d’autres commentaires sur les questions en litige non réglées, mais elle confirme qu’à la fin de l’audience, la Commission ne se posait plus de questions au sujet des différents aspects du témoignage de la demanderesse, à l’exception du temps pris pour quitter son pays et présenter une demande d’asile au Canada. C’est manifestement ce qu’avaient compris les demanderesses puisque les observations écrites présentées après l’audience à la Commission ne contiennent aucun argument concernant la crédibilité de la version des faits de la demanderesse. Si les demanderesses avaient estimé que la crédibilité était encore en litige, elles auraient presque certainement présenté des observations à ce sujet et peut‑être insisté pour que soit convoquée une personne disposée à témoigner.

 

[13]      Le défendeur s’est opposé à ce que cet argument soit examiné à cette étape du contrôle judiciaire. Cet argument semble fondé et amènerait probablement la Cour à conclure que la Commission a commis une erreur, mais je reconnais avec le défendeur qu’il est trop tard pour soulever cet argument. L’erreur alléguée ressort de l’examen de la transcription de l’audience de la Commission, à laquelle les parties ont accès depuis le 5 décembre 2005. Les demanderesses ont eu la possibilité de soulever cette question dans un mémoire des arguments supplémentaires qui devait être déposé le 16 janvier 2006; elles ne l’ont pas fait. Je n’examinerai donc pas cet argument.

 

Question en litige no 2(b) : La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

 

[14]      Au‑delà du bien‑fondé des diverses contradictions signalées par la Commission, je m’inquiète du manque de sensibilité dont la Commission semble avoir fait preuve à l’égard du témoignage de la demanderesse. Dans la présente affaire, la demanderesse a formulé des allégations détaillées concernant de graves sévices psychologiques, physiques et sexuels qui se sont étalés sur plusieurs années. Il ressort de la transcription de l’audience que la demanderesse a éprouvé de la difficulté à se souvenir de la date exacte des faits survenus pendant sa cohabitation avec son ami de cœur.

 

[15]      Dans les affaires de ce genre, la Commission est tenue de prendre en considération la possibilité que les victimes de violence familiale souffrent des symptômes du syndrome de stress post‑traumatique (le SSPT) ou du syndrome consécutif au traumatisme du viol (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe), qui peuvent troubler la mémoire de la revendicatrice ou compromettre sa capacité de décrire son traumatisme. Cela est particulièrement vrai lorsque la Commission a admis une preuve, comme c’est le cas ici, décrivant le SSPT dont souffrait la demanderesse.

 

[16]      La transcription de l’audience contient de nombreux éléments qui montrent que la demanderesse a éprouvé de la difficulté à présenter la chronologie des événements survenus entre 1999 et 2003, avant son arrivée au Canada. D’une façon générale, les trous de mémoire entraînent parfois une conclusion défavorable en matière de crédibilité, mais lorsque la revendicatrice est une victime de violence familiale grave, la Commission doit envisager la possibilité que ces trous de mémoire soient de nature psychologique. Je ne vois en l’espèce aucun élément indiquant que la Commission ait tenu compte de cette possibilité. Je ne peux que me faire l’écho des commentaires de la juge Tremblay‑Lamer dans Keleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56, au par. 15 :

 

En d’autres mots, le fond l’emporte sur la forme lorsqu’il s’agit de trancher la question de savoir si les principes énoncés dans les directives ont été appliqués correctement. Par conséquent, le fait que, en l’espèce, on fait référence aux directives au début de la décision de la Commission n’empêche pas a priori la contestation de la décision sur ce fondement.

 

[17]      Au lieu de faire preuve de sensibilité aux difficultés que pouvait éprouver la demanderesse à parler de son passé, la Commission semble avoir été très critique des différences qui existaient entre le témoignage de la demanderesse et son FRP. La Commission a adopté cette attitude même si elle s’est principalement fondée sur des omissions plutôt que sur des contradictions (qui sont plus troublantes) et si la demanderesse a expliqué à l’audience qu’elle avait eu de la difficulté, pour des raisons émotives, à remplir son FRP (voir, par exemple, le dossier du tribunal certifié à la p. 373).

 

[18]      À mon avis, compte tenu de tout cela, la Commission aurait dû se demander si les écarts qu’elle a constatés et sur lesquels elle s’est fondée pour mettre en question la crédibilité de la demanderesse découlaient de problèmes psychologiques et non pas de la volonté de fabriquer des preuves. La Commission n’était certes pas tenue d’accepter le témoignage de la demanderesse, mais elle était néanmoins tenue, en l’espèce, de l’apprécier en fonction des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. À mon avis, ce n’est pas ce qu’elle a fait.

 

Question en litige no 2(c) : La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité pour le motif que les omissions ou les contradictions mentionnées étaient mineures ou inexistantes?

[19]      La Commission s’est fondée sur plusieurs omissions ou contradictions pour tirer une conclusion défavorable à la demanderesse. La première de ces contradictions est que la demanderesse a déclaré dans son FRP qu’elle avait « tenté à plusieurs reprises de s’enfuir au cours de [sa] relation »; à l’audience, elle a déclaré que ses tentatives de fuite étaient toutes survenues en 2002. En ce qui concerne tous les autres aspects, la description par la demanderesse des tentatives faites pour s’enfuir – l’identité des membres de sa famille qui l’avaient accueillie et l’emplacement de leur résidence ne contient aucune contradiction. À mon avis, il n’y a pas d’incompatibilité entre ces deux déclarations, à moins que l’on ne veuille couper les cheveux en quatre. Se fonder uniquement sur le mot « pendant » en le jugeant incompatible avec le fait que les tentatives de s’enfuir se sont échelonnées sur une année au sein d’une relation qui en a duré trois ou quatre, tout en écartant une description fiable de ces tentatives, est une façon abusive et arbitraire d’apprécier la preuve.

 

[20]      En outre, il s’agit là d’un aspect de l’interrogatoire de la demanderesse pour lequel la Commission aurait dû être particulièrement sensible aux problèmes psychologiques que pouvait connaître celle‑ci. L’extrait suivant de la transcription de l’audience illustre parfaitement ce point :

 

[traduction]

Commissaire (Q) : Très bien. Je vais lire un passage de votre exposé narratif. Vous m’avez dit plus tôt que tout ceci s’est produit en 2002. Toutes ces questions sont reliées à cela et c’est la raison pour laquelle je vous demande comment vous pouvez vous absenter du travail constamment de cette façon? Dans votre exposé narratif, vous affirmez : « J’ai essayé de m’enfuir à plusieurs reprises pendant ma relation ». Ce n’est pas tout à fait ce que vous avez dit oralement. Vraiment, vous avez dit que tout cela s’était produit en 2002. Comment expliquez‑vous cela?

 

Demanderesse (R) : Je ne sais pas, il n’était pas facile de mentionner tous ces renseignements et c’était une période difficile pour moi. C’était une épreuve difficile, fournir des renseignements directement, en parler à – comme la personne à laquelle j’ai parlé avant qui a pris tous ces renseignements.

 

Q :     Non, je comprends cela, mais, c’est –

 

R :     Je sais.

 

Q :     Il y a des choses précises que vous avez faites quand vous vous êtes enfuie. Vous êtes restée chez des gens pendant une semaine, ou deux jours ou trois jours. Il faut faire certaines choses. Il y a des choses concrètes à faire, prendre un taxi, placer des vêtements dans un sac.

 

R :     Au moment où cela s’est produit, j’essayais tout simplement de fuir une situation. Je n’ai pas vraiment enregistré dans mon esprit ce qui s’est passé en réalité; à l’époque, je voulais tout simplement survivre. Aujourd’hui, il faut que je me souvienne de tout cela, en particulier à l’époque où j’essayais de coucher tout cela sur papier pour pouvoir préparer mon FRP, il m’était difficile de me souvenir des détails, de me rappeler les incidents, cela m’était très difficile.

 

[21]      Dans le passage cité ci‑dessus, la commissaire fait référence au fait que la demanderesse s’absentait régulièrement de son travail. C’est une autre contradiction qu’a notée la Commission : la demanderesse a déclaré, en réponse aux questions, qu’elle avait été obligée de s’absenter de son travail lorsqu’elle essayait de s’enfuir. La demanderesse a expliqué qu’elle avait utilisé ses congés de maladie et qu’elle avait demandé au début un congé, mais que, par la suite, ses absences ont présenté un problème pour son employeur qui lui alors a donné un avertissement. La Commission a tiré une conclusion défavorable de ce témoignage pour la seule raison que ces éléments n’avaient pas été mentionnés dans le FRP de la demanderesse. Là encore, cette conclusion peut être qualifiée d’abusive et d’arbitraire.

 

[22]      Le défendeur soutient que cette omission joue un rôle prépondérant dans la demande de la demanderesse et que la Commission avait le droit de se fonder sur celle‑ci pour contester la crédibilité de la demanderesse. Je ne souscris pas à cet argument. Il n’est pas possible de considérer que ce témoignage fait ressortir une omission importante; en fait, la demanderesse a présenté de nouveaux éléments qui ont étoffés sa réclamation, en réponse à des questions précises de la Commission. En outre, le fait d’omettre un renseignement dans le FRP n’a pas nécessairement une incidence négative sur la crédibilité du demandeur; il convient de tenir compte de la nature de l’omission et du contexte dans lequel les éléments de preuve ont été fournis (K.I.N. c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 282, au par. 23). Il était déraisonnable de mettre en doute la crédibilité de la demanderesse uniquement parce qu’elle n’avait pas mentionné que ses tentatives de fuite avaient eu des répercussions sur son travail. Ce n’est pas un élément qu’elle devait normalement juger important pour sa demande, puisqu’il ne touchait que de façon accessoire la situation de violence familiale.

 

[23]      La Commission s’est également fondée sur une autre omission. La demanderesse a déclaré, en réponse à des questions, qu’il arrivait que son ami de cœur se rende sur son lieu de travail. La Commission a jugé qu’il s’agissait là d’une omission importante qui compromettait sa crédibilité. La Commission a estimé que l’omission de mentionner ce fait était troublante, étant donné que la demanderesse avait préparé un FRP long et détaillé.

 

[24]      Comme je l’ai déjà dit, il faut tenir compte de la nature de l’omission et du contexte dans lequel les nouveaux renseignements ont été fournis. Compte tenu des exemples multiples que la demanderesse a fournis dans son FRP, et aussi de la difficulté qu’elle a éprouvée à relater ses expériences, il n’était pas raisonnable de déduire de l’omission de mentionner ce seul renseignement que la demanderesse n’était pas crédible.

 

Question en litige no 3 : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte des explications qu’a fournies la demanderesse au sujet du temps qu’elle a pris pour quitter Trinité et pour demander l’asile et en omettant de prendre en considération les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

[25]      La Commission a conclu que le retard de la demanderesse minait son allégation selon laquelle elle avait une crainte subjective d’être persécutée. La Commission était préoccupée par ce retard sur deux points : premièrement, le fait que la demanderesse ait attendu un an pour quitter le pays après avoir obtenu un VCV et, deuxièmement, le fait que la demanderesse ait attendu plus d’un an au Canada avant de demander l’asile.

 

[26]      Pour ce qui est de la période passée à Trinité, la demanderesse a expliqué qu’elle avait dû économiser de l’argent secrètement pour pouvoir payer son billet d’avion et celui de sa fille. La Commission a déclaré que, d’après les notes de l’agente des visas, elle possédait suffisamment de fonds pour le faire au moment de la délivrance du visa. La demanderesse a expliqué qu’elle avait emprunté de l’argent auprès de sa banque pour répondre aux conditions d’attribution du visa et qu’elle avait ensuite remis cet argent immédiatement après avoir obtenu le visa. La Commission n’a pas cru les explications de la demanderesse puisqu’à l’époque, elle était victime de violence familiale. Le défendeur soutient que la Commission a le droit d’écarter des explications comme elle l’a fait ici.

 

[27]      J’estime que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable pour deux raisons. Premièrement, la demanderesse a fourni au sujet de ses actions des explications qui étaient compatibles avec le fait qu’elle était victime de violence familiale. L’explication selon laquelle elle disposait de peu d’argent pour ses besoins personnels, qu’elle avait été obligée de mettre secrètement de l’argent de côté et qu’elle avait pris une mesure désespérée pour maquiller sa situation financière dans le but d’obtenir un visa, est tout à fait compatible avec la situation de violence qu’elle vivait. La Commission a écarté ces explications sans dire pourquoi. Ni la demanderesse ni la Cour ne savent pourquoi ces explications ont été rejetées. Il était loisible à la Commission de rejeter ces explications, mais elle devait tenir compte du témoignage de la demanderesse et d’expliquer pourquoi elle trouvait ces explications déraisonnables (Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.), au par. 11; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1296, 2004 CF 1076, au par. 14). La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte comme il se doit de ces explications.

 

[28]      Deuxièmement, la Commission a examiné les raisons de ce retard sans tenir compte du contexte dans lequel vivait la demanderesse et n’a pas fait preuve de sensibilité à l’égard de la situation très difficile dans laquelle elle affirmait se trouver (Keleta, précité). En particulier, la façon dont la Commission a sèchement écarté les explications de la demanderesse laisse supposer que, selon elle, il était inconcevable que la demanderesse ait pu rester dans une relation marquée par la violence et que, si elle l’a supportée, cela voulait dire qu’elle ne disait pas la vérité. La Cour suprême a abordé les déductions de ce genre tirées à l’égard des femmes qui sont victimes de maltraitance dans R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, arrêt cité dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe; dans cette affaire, ce genre de déductions était présenté comme faisant partie de la « mythologie […] relative à la violence domestique ». Il s’agit là d’un autre exemple patent où la Commission a omis d’appliquer concrètement les directives en question.

 

[29]      Pour ce qui est de la question du temps pris pour demander l’asile au Canada, la demanderesse a fourni deux explications pour ne pas avoir demandé l’asile avant le mois d’août 2004. La première explication, fournie à l’audience, était qu’elle ne connaissait pas bien la nature de son visa de visiteur et pensait qu’elle avait le droit de demeurer au Canada jusqu’en décembre 2004. La Commission a profité du fait qu’elle avait demandé le renouvellement de son visa à la fin de 2003 pour montrer qu’elle savait peut‑être qu’elle n’était pas autorisée à demeurer au Canada jusqu’en décembre 2004. La demanderesse a expliqué qu’elle avait demandé le renouvellement de son visa parce que, malgré ce qu’elle croyait, d’autres immigrants de sa connaissance avaient été obligés de demander le renouvellement de leur visa et qu’elle l’avait fait par précaution. La Commission a tiré de cette explication une déduction défavorable relative à sa crédibilité. La Commission n’a pas examiné ce qui ressortait du témoignage de la demanderesse, à savoir qu’elle avait fait preuve d’un certain aveuglement volontaire au sujet de la possibilité que son visa expire. La demanderesse a expliqué qu’elle espérait toujours, peut‑être de façon déraisonnable, pouvoir demeurer au Canada, même illégalement, pour éviter de retourner à Trinité. Elle a clairement déclaré que sa seule préoccupation était de fuir Trinité et qu’elle n’avait pas beaucoup réfléchi à la possibilité qu’elle soit obligée d’y retourner. Là encore, il était loisible à la Commission de rejeter ces explications, mais elle aurait dû mentionner et examiner ces commentaires.

 

[30]      L’erreur qu’a commise la Commission sur ce point est aggravée par l’omission d’examiner la seconde explication fournie par la demanderesse : elle avait l’impression que la qualité de réfugié était réservée aux demandeurs d’asile politique et aux personnes se trouvant dans une situation semblable et non pas aux victimes de violence familiale. La demanderesse a déclaré n’avoir appris qu’elle pouvait demander l’asile qu’en août 2004, au moment où elle a communiqué avec un cabinet d’avocats au sujet de l’expiration imminente de son visa. L’omission de la Commission d’examiner cette explication constitue une erreur (Veres, précité, Ahmed, précité).

 

[31]      Même si je me suis trompée et qu’il est possible de confirmer les conclusions relatives au retard de la demanderesse, j’ajouterais que, d’une façon générale, ce genre de retard ne peut jouer un rôle déterminant dans l’examen d’une demande d’asile (Basaa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 201, en part. au par. 11). Compte tenu des doutes considérables que j’entretiens à l’égard des conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la Commission, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas une crainte subjective d’être persécutée n’est pas fondée.

 

Question no 4(a) : La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l’État, pour le motif qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve présentée?

[32]      La demanderesse affirme que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui indiquait que la protection accordée par la police avait perdu de son efficacité à Trinité et que le gouvernement embauchait moins de conseillers dans ce domaine. La demanderesse reconnaît que la Commission n’est pas obligée de faire référence à toute la preuve présentée, mais affirme qu’elle a omis sur ce point de mentionner des preuves pertinentes qui auraient dû être évaluées par rapport aux passages cités par la Commission (Naqui, précité; P.K.R. c. Canada (M.C.I.) (2004), 40 Imm. L.R. (3d) 311, 2004 CF 1460).

 

[33]      Le défendeur soutient que la décision de la Commission est justifiée parce qu’elle est fondée sur le raisonnement qu’a tenu la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130. Le défendeur signale que la Commission a confirmé que Trinité est un État démocratique avec un appareil judiciaire efficace, qui contrôle son territoire et les autorités civiles; d’après les termes de l’arrêt Villafranca, cela devrait permettre à la Commission d’affirmer que l’État est en mesure de protéger ses ressortissants.

 

[34]      Dans ses motifs, la Commission a expressément cité dans ses notes de bas de page les deux documents suivants tirés du dossier :

 

  • Cartable d’information de la SPR, 31 mars 2004, section 2.1, Département d’État des É.‑U. Country Reports on Human Rights Practices for 2003;

 

  • Cartable d’information de la SPR, section 3.1, Réponses aux demandes d’information TT041519.E, 2 mai 2003.

 

[35]      Quatre paragraphes du deuxième de ces documents sont reproduits dans les motifs. La Commission n’a fait référence à aucune autre preuve documentaire avant de formuler sa conclusion :

            [traduction]

La Commission reconnaît que la violence contre les femmes est toujours un problème à Trinité‑et‑Tobago. Les documents ci‑dessus montrent cependant que le gouvernement a pris des mesures énergiques et concertées, même si elles sont imparfaites, pour lutter contre cette violence. Comme la Cour l’a dit dans [Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.)], il suffit que la protection accordée soit adéquate et non parfaite. Si la demanderesse estime que son ancien conjoint représente une menace grave pour elle, la Commission pense, en se fondant sur les documents ci‑dessus, qu’elle dispose de plusieurs recours qu’elle pourrait, et devrait, exercer si elle retourne à Trinité. Comme la Cour l’a déclaré dans Villafranca, un gouvernement ne peut assurer une protection parfaite à ses citoyens. Comme cela a été dit dans [Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689], il faut présumer que les pays sont en mesure de protéger leurs citoyens et la demanderesse doit demander à son État de la protéger lorsqu’il est en mesure de le faire.

 

 

[36]      La difficulté que soulèvent les motifs de la Commission vient du fait qu’ils ne mentionnent aucun autre document que les deux qui sont cités. Par exemple, la Commission ne fait pas référence au rapport d’Amnistie International qui est plus récent, à une réponse à une demande d’information datée du 25 mai 2004 ni à divers articles sur Trinité. Tous ces documents figuraient au dossier et tous mentionnent le démantèlement, en 2004, de la Division des services de police communautaire. Cet aspect est particulièrement pertinent puisqu’en 2003, il avait été reconnu que cette division avait enregistré des succès dans sa lutte contre la violence faite aux femmes. Dans leurs observations présentées à la Commission après l’audience, les demanderesses font expressément référence à ces documents et mentionnent d’autres documents qui font état des conséquences qu’a eues le démantèlement de la Division des services de police communautaire. Cela m’amène à craindre que la Commission n’ait pas tenu compte des observations présentées par les demanderesses après l’audience, ni des documents mentionnés dans les observations des demanderesses. Ces documents étaient pertinents et fiables, et contredisaient, en partie du moins, les conclusions de la Commission.

 

[37]      En règle générale, la Commission a le droit de préférer certaines preuves documentaires à d’autres (Maximenko c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 606, 2004 CF 504, au par. 18). Il est également bien établi que la Commission n’a pas à mentionner tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (ibid.). Cependant, lorsque la Commission omet d’analyser des éléments de preuve importants et contradictoires, la Cour peut alors en conclure que la Commission n’a pas tenu compte de faits essentiels, ou les a mal compris, et a prononcé une décision erronée (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.), au par. 17). Il s’agit donc de savoir si, dans l’ensemble, cette preuve est « si importante et cruciale que l’omission d’en faire état peut constituer une erreur susceptible de contrôle » (Johal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1760, au par. 10 (1re inst.)). À mon avis, les preuves que j’ai mentionnées ci‑dessus font partie de cette catégorie. L’omission de la part de la Commission de tenir compte de ces preuves et de les apprécier constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

Question no 4(b) : La Commission a‑t‑elle mal appliqué le critère applicable à la protection de l’État exposé dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689?

[38]      La demanderesse soutient que la Commission n’a pas utilisé la bonne méthode pour trancher la question de la protection de l’État en s’attachant à déterminer si le gouvernement faisait des « efforts sérieux » pour lutter contre la violence familiale plutôt qu’à déterminer si la protection de l’État était efficace (Ward, précité; Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 175 F.T.R. 116 (1re inst.), à la p. 121; Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1425, 2002 CFPI 1081).

 

[39]      Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la décision qu’a prise la Commission à l’égard de la protection de l’État ne peut être confirmée, pour le motif qu’elle a été prise sans tenir compte de la preuve présentée, il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question touchant la protection de l’État. Si la Commission avait examiné les autres éléments de preuve, il est fort possible que ses motifs aient indiqué qu’elle avait adopté une approche très différente à la question du critère applicable en matière de protection de l’État.

 

Conclusion

[40]      En conclusion, je suis convaincue que la décision de la Commission ne peut être maintenue. En résumé, je conclus que la Commission a commis les erreurs suivantes :

 

  • La Commission a tiré des conclusions relatives à la crédibilité sans avoir examiné le témoignage de la demanderesse à la lumière des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe;

 

  • Les conclusions relatives à la crédibilité sont abusives ou arbitraires dans la mesure où elles ne sont pas étayées par la preuve ou ne concernent pas la demande de la demanderesse;

 

  • La Commission a omis d’expliquer pourquoi elle avait rejeté une partie des explications fournies par la demanderesse à l’égard du temps pris pour quitter Trinité et pour demander l’asile au Canada; elle a omis de tenir compte des autres explications fournies par la demanderesse et n’a pas correctement appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe;

 

  • La conclusion relative à l’existence d’une protection de l’État adéquate a été tirée sans tenir compte de la preuve.

 

[41]      Les demanderesses me demandent de certifier un certain nombre de questions touchant ce qui constitue une protection de l’État adéquate, compte tenu des arrêts de principe Ward, précité, et Villafranca, précité, arrêts qui semblent avoir été appliqués de façon contradictoire. Je reconnais que ces questions soulèvent des points importants mais ce n’est pas sur ces arrêts que j’ai fondé mon raisonnement ou ma décision en l’espèce. Les questions proposées ne peuvent donc pas être certifiées dans le cadre de la présente demande.

 

[42]      Comme je l’ai fait remarquer, la décision prononcée et les questions certifiées dans Thamotharem ainsi que l’audition des arguments relatifs aux questions concernant les Directives no 7 influent sur l’issue de l’espèce. Par conséquent, il a été suggéré que la Commission s’abstienne de trancher cette question en attendant que les questions qui pourraient être certifiées par la Cour à la suite de l’audience relative aux instances réunies soient tranchées par la Cour d’appel ou que soit expiré le délai accordé pour déposer un avis d’appel. À l’audience, les parties ont accepté que l’affaire soit tranchée de cette façon au cas où je déciderais qu’il y a lieu de faire droit à la demande en me fondant sur des motifs non reliés aux directives. Je suis convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice de procéder de cette façon et mon ordonnance reflétera ce consensus.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       IMM‑1877‑05

 

 

INTITULÉ :                                                      SHURLYN CATHY ANN JONES ET AL.

                                                                           c.

                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 21 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati                                                       POUR LES DEMANDERESSES

 

Alexis Singer                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galati, Rodrigues & Associates                            POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

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